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Syndicalisme : Que ceux qui baissent les poings s’en aillent !

Publié le mercredi 21 mai 2014 à 00h37min

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Syndicalisme : Que ceux qui baissent les poings s’en aillent !

C’est le titre que j’avais voulu définitivement donner à mes pérégrinations idéelles, mais à la réflexion, je me suis dit qu’il n’était pas très sage, ni très charitable de le faire. L’heure n’est pas à l’invective, mais à la conscientisation. Je voudrais vous parler de militantisme, de militantisme en général, mais de militantisme syndical en particulier. Je ne parle pas cependant du militantisme des « petits bourgeois gentilshommes », ceux qui apprécient les « préfabriqués ». La facétie populaire les appelle « parvenus ». C’est quand c’est bon qu’ils accourent.

Le militantisme, comme chacun le sait, ce n’est pas les Champs Elyséens de la mythologie grecque où les mortels les plus vertueux viennent se reposer de leurs turpitudes terrestres. S’engager pour une cause (luttes antinucléaires, écologistes, libération de la femme, droit de l’homme, droit des travailleurs…), c’est emprunter la même voie qu’Ulysse en route pour Ithaque son pays natal après la guerre de Troie. Il dut déjouer plusieurs pièges : le courroux de Poséidon, les charmes de la sorcière Circé, le chant des sirènes, le Cyclope uni-œil…

Tous ici, modernement et dignement représentés par la répression gouvernementale (je fais un clin d’œil au passage à nos amis les CRS sanglés de cuir), l’indifférence ou l’hostilité d’une partie de la population, les pesanteurs et les inerties de l’ordre établi, sans compter les coupures pour fait de grève et les intimidations diverses. Mais c’est aussi, bien souvent, faire face à des tensions et des conflits au sein-même des groupes militants. C’est vivre des périodes de découragement, des désillusions relationnelles et politiques qui affaiblissent, paralysent et parfois détruisent des collectifs de l’intérieur. Comment surmonter les problèmes internes qui fragilisent les organisations militantes ? Quels sont les facteurs qui favorisent des luttes vigoureuses et stables sur la durée ? Voici mes hypothèses :

Les principaux obstacles

Les obstacles les plus impressionnants, ce sont les confrontations avec la police et le système judiciaire. Quand on se trouve gazé(e), matraqué(e), rasé(e), placé(e) en garde-à-vue puis jugé(e) suite à une action de contestation, soi-même ou ses camarades, on vit des moments éprouvants, on ressent dans sa chair la puissance du système dominant.

*Une autre difficulté majeure, moins spectaculaire mais plus décourageante, c’est l’indifférence d’une grande partie de la population, voire son hostilité (on l’a vu en 2013 lors de la grève largement suivie du SYNTSHA). C’est usant de sentir que nos revendications touchent, en apparence du moins, une minorité de personnes. Face aux crises économiques, aux scandales politiciens, nous pourrions espérer plus de monde dans les luttes, dans les réunions publiques, dans les organisations anticapitalistes. Mais les épreuves les plus destructrices, sur le plan individuel comme sur le plan collectif, ce sont les difficultés à l’intérieur-même de nos luttes.

Les difficultés ’’internes’’

Elles sont principalement de trois ordres. Le premier, ce sont les conflits. S’organiser collectivement n’est pas une mince affaire : tensions relationnelles, difficultés de communication, luttes de pouvoir, imbroglios affectifs, divergences politiques... Il existe peu de luttes collectives aseptisées contre ces épreuves qui affaiblissent, paralysent et parfois font exploser les dynamiques de l’intérieur.
Le second, ce sont les contraintes de la vie matérielle et relationnelle. Militer demande du temps, de l’énergie, de la disponibilité d’esprit. Il faut dans le même temps assurer ses besoins matériels, pour soi et pour ses proches, soutenir les personnes qui nous entourent, faire face aux aléas de l’existence, aux problèmes de santé, aux accidents. Nous faisons toutes et tous l’épreuve de cette tension entre nécessités pratiques et engagements militants. À commencer par la question du travail, qui fait rarement bon ménage avec le militantisme.

Après une journée éreintante, c’est difficile de participer à des réunions, de rejoindre des actions, de se concentrer sur un texte politique. Si l’on ajoute à cela la vie affective et familiale, les maladies, la nécessité d’accompagner des proches en difficultés, on obtient le panorama de ce que vivent la plupart des luttes collectives : un grand déficit de disponibilité et d’énergie, beaucoup de renouvellement, peu de personnes capables de constance dans leurs engagements.

Enfin, il y a les phases de découragement. Militer contre le nucléaire, contre le sexisme, contre le capitalisme mangeur d’enfants, contre un patronat avide, c’est affronter les colosses de Rhodes. Les changements sont très lents. Les luttes sont âpres, épuisantes, interminables. On se sent souvent minoritaires et impuissant(e)s. Il est difficile, face à tant d’adversités, de ne pas traverser des phases de doutes. On perd en motivation, on se rend moins disponibles pour des luttes que l’on juge, au fond, assez dérisoires et désespérées. Ces crises de découragement traversent parfois des groupes entiers qui, sans toujours se l’avouer, ne savent plus très bien pourquoi ils sont ensemble, manquent d’énergie dans leurs luttes, semblent assez moribonds.

Toutes ces difficultés se combinent entre elles et expliquent en grande partie, l’hémorragie interne des forces contestataires. Elles font davantage de ravages dans les rangs que les ’’assauts’’ de l’ordre établi, la répression policière, les procès, les attaques politiciennes, les menaces des supérieurs hiérarchiques, les coupures pour fait de grève.

Quelles en sont généralement les causes, et comment surmonter ce problème qui fragilise de nombreux collectifs militants ?

Vaste et épineuse question ! Pour commencer, la première chose à faire quand on fait partie d’un collectif de lutte est d’essayer d’avoir une vision la plus lucide possible de ce qui nous rassemble. Généralement, quand on commence à militer, on a une vision très naïve et romantique du monde contestataire. On voit le ou la militante comme une personne désintéressée, entièrement dévouée à la ’’cause’’. Aujourd’hui, on sait que le militantisme désintéressé n’existe pas.

Notre éducation, notre scolarité, notre famille, le monde social dans son ensemble font rarement de nous des personnalités épanouies et sereines. Nous sommes chargé(e)s de blessures, de questionnements existentiels à résoudre, d’attentes relationnelles, et c’est avec tout ce ’’bagage intérieur’’ que nous entrons dans la vie militante.

À travers nos luttes, nous sommes toutes et tous en recherche ’’d’autre chose’’, de gratifications, de reconnaissance, de pouvoir, de relations sociales et amicales, de chaleur humaine, de sens à donner à notre vie. Chez la plupart des militant(e)s, cette recherche de gratifications reste assez discrète, elle ne prend pas toute la place. Chez certaines personnes, il faut bien le dire, elle prend une place disproportionnée. On a toutes et tous en tête des exemples de militant(e)s monopolisant sans cesse la parole ou voulant tout contrôler, d’autres se mettant en scène ou jouant en permanence sur le registre affectif, d’autres encore particulièrement susceptibles, très agressives ou péremptoires dans leurs manières de s’exprimer... À eux seuls, ces problèmes de reconnaissance, de gratifications ou de pouvoir semblent expliquer la majorité des conflits dans les groupes contestataires.

De nombreux conflits masquent des conflits d’ego et de personnes. Il se joue dans les réunions, dans les mobilisations, dans les organisations contestataires, ’’autre chose’’ que la lutte proprement dite, un véritable théâtre humain avec ses comédies, ses tragédies, ses marivaudages, qui trop souvent font passer au second plan les objectifs censés nous rassembler.

Tout ceci n’est vraiment pas le propre du monde militant ni plus ni moins, sans doute, que dans le monde professionnel, amical ou familial. Il existe en tout cas beaucoup de similitudes. Il semble d’ailleurs que nous traversons une époque où, dans toutes les sphères de la société, il devient de plus en plus difficile de ’’faire ensemble’’, de s’écouter, de débattre posément, de réguler nos conflits, de tempérer nos ego. On est frappé par le nombre de collectifs militants fragilisés par des conflits internes. Vus de l’extérieur, ces conflits peuvent paraître dérisoires, presque comiques, pas du tout à la hauteur des objectifs affichés. Mais quand on les vit de l’intérieur, c’est souvent l’enfer, il faut beaucoup d’énergie et de patience pour les surmonter.

On peut retrouver d’autres mises en garde dans les ouvrages du sociologue Pierre Bourdieu, en particulier ses théories sur la distinction sociale. Il décrit bien comment certains militants squattent les postes décisionnels, se posent en permanence comme ’’les plus radicaux parmi les radicaux’’, puis, l’âge aidant, reconvertissent le capital symbolique ainsi constitué dans des postes de pouvoir au sein du système dominant, devenant des professeurs autoritaires, des chefs de service, des responsables politiques. Il est important de prendre connaissance de toutes ces théories. Elles peuvent aider à mieux identifier certaines situations de domination, mettre des mots sur des malaises ressentis dans le champ militant.

Au fond, quelles qu’en soient les causes, les conflits internes ne constituent pas réellement des problèmes en soi. Le problème réside plutôt dans le fait d’arriver ou non à les surmonter. Qu’un groupe débatte, que des points de vue différents s’expriment, que des oppositions politiques éclatent, c’est la base de la démocratie, c’est le signe qu’un groupe n’est pas totalitaire. Le problème, c’est avant tout la mauvaise gestion des conflits : comment faire pour éviter au maximum les conflits de personnes et privilégier les conflits politiques ? Comment éviter les situations d’humiliations, de censures, d’exclusions, de scissions ? Comment cultiver une atmosphère d’écoute et de bienveillance ?
Quelles recettes ?

La première tâche de toute personne engagée, c’est de commencer par travailler sur elle-même. Nous sommes des produits d’une société, nous sommes toutes et tous imbibé(e)s d’individualisme, d’égocentrisme, de volonté de toute-puissance, d’agressivité sociale, de sexisme, de racisme. Mais nous pouvons, et nous devons travailler sur nous-mêmes pour essayer de mieux nous comporter dans les groupes.

Pas que chaque militant(e) soit suivi(e) par un psy .Il existe de nombreuses manières de prendre du recul sur soi-même. On peut créer des groupes de discussion entre camarades ou entre ami(e)s. On peut se plonger dans des ouvrages de psychologie sociale et de sociologie, etc. Quelle que soit la forme choisie, l’essentiel est de trouver du temps et des espaces pour approfondir les questions fondamentales liées à ces questions : pourquoi luttons-nous ? Pourquoi avons-nous choisi cette lutte et pas une autre ? Quelle société voulons-nous ? Jusqu’où sommes-nous prêt(e)s à aller ? En quoi les difficultés liées à notre enfance, à notre éducation, à notre histoire personnelle rejaillissent-elles dans nos manières de militer ? En quoi sommes-nous des éléments de soutien ou de difficultés dans les collectifs auxquels nous participons ?

En tout cas, pour terminer sur les facteurs qui semblent renforcer la cohésion des collectifs militants, on peut ajouter l’action. Lutter concrètement ensemble. Rien n’est pire, que de passer son temps en palabres sans avoir des ’’heures de vol’’ en commun. C’est souvent dans l’action, en partageant des moments forts que l’on se rapproche, que l’on se soude face à l’adversité, que l’on relativise les tensions interpersonnelles face à la gravité des enjeux pour lesquels on se bat.

LEVONS PLUS QUE JAMAIS LES POINGS, CAMARADES !

OUEDRAOGO Moussa, SG/SYNAPAGER Section du Centre.
Tél : 70 80 01 51/ email : jmoses433@yahoo.fr

Sources :

1- Cf. L’art d’être, Erich Fromm, éditions Desclée de Brouwer, 2000

2- Site des Renseignements Généreux.

3-Alain Accardo : « Ce que j’appelle un « petit-bourgeois gentilhomme », c’est un membre de la classe moyenne que son désir de distinction et de promotion sociale pousse à se rapprocher davantage des membres de la classe possédante/dirigeante, les bourgeois proprement dits. Malheureusement pour lui, les capitaux de ces derniers, spécialement le capital économique et financier et le capital relationnel, étant sans commune mesure avec les siens, l’écart à combler est généralement trop important pour lui permettre une intégration effective aux classes supérieures et l’appropriation, dans leur matérialité et dans leur modalité, de toutes les pratiques et consommations caractéristiques de leur mode de vie (ce n’est pas seulement une question pécuniaire). En conséquence, l’identification du petit-bourgeois à son modèle bourgeois tend à devenir plus fantasmée que réelle ».

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Vos commentaires

  • Le 20 mai 2014 à 22:43 En réponse à : Syndicalisme : Que ceux qui baissent les poings s’en aillent !

    Très beau texte et très belle analyse du militantisme. Chacun s’y reconnaîtra ou y trouvera une explication à certaines situations. Merci SG ! Bonne lecture à tous,

  • Le 21 mai 2014 à 06:33, par oran En réponse à : Syndicalisme : Que ceux qui baissent les poings s’en aillent !

    Bel article. Malheureusement, les poings ont été baissés après avoir reçu quelques petites enveloppes. La lutte doit continuer.

  • Le 21 mai 2014 à 09:14, par anta En réponse à : Syndicalisme : Que ceux qui baissent les poings s’en aillent !

    Il faut faire comme au Canada.C’est à ceux qui luttent et participent aux grèves qu’on donne les acquis.Les travailleurs qui ne participent pas aux mouvement ne gagnent rien sur leur bulletin.Merci beaucoup de sensibiliser les travailleurs.

    • Le 21 mai 2014 à 10:36, par barka En réponse à : Syndicalisme : Que ceux qui baissent les poings s’en aillent !

      très belle analyse.c,est ensembl mobilisés k ns pouvons faire plier nos décideur devant nos justes et légitimes revendications.si ns baissons les poings ns somme mort et il n restera q a rejoindr l cimetière. Courage

      • Le 22 mai 2014 à 17:38, par Elouss En réponse à : Syndicalisme : Que ceux qui baissent les poings s’en aillent !

        Très bonne réflexion !j’espère que ton appel sera entendu. "La première tâche de toute personne engagée, c’est de commencer par travailler sur elle-même"
        Très souvent,dans le contexte qui est le nôtre, les collectifs se sclérosent par manque de concertation : élisez un responsable aujourd’hui et demain ce dernier se croirait investi d’une mission divine au point de vous mépriser tous, vous ses Cdes. La première tâche de tout responsable désigné ou élu c’est commencer par travailler sur lui-même.

  • Le 21 mai 2014 à 19:54, par LAURE En réponse à : Syndicalisme : Que ceux qui baissent les poings s’en aillent !

    Ce sont pourtant ceux qui vont baisser les points qui échaperons aux sanctions qui seront eventuellement prises a l’encontre du syndicat.Des sanctions par aileurs justes et legitimes.En effet il faudra notter que leur revandication n’est ni juste ni noble.

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