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Justice et médias : quelles valeurs communes ?

Publié le samedi 22 février 2014 à 00h46min

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Justice et médias : quelles valeurs communes ?

Ainsi que l’écrit Adam MICHNIK , deux valeurs sont fondamentales à l’éthique du journaliste. On verra que ces valeurs servent aussi de boussole au juge. Il s’agit de la liberté (I) et de la vérité (II).

1. La liberté, première boussole du juge et du journaliste

a. La liberté de presse : une liberté parmi d’autres

Le juge appelle toujours la liberté à son secours pour éclairer son interprétation des lois. Selon un principe général de droit, la liberté est le principe, l’interdiction l’exception : « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché ».

Mais la protection de la liberté de presse, et plus généralement de la liberté d’expression, installe le juge dans un arbitrage délicat entre plusieurs libertés qui viennent en concurrence sans hiérarchie préétablie : droit à l’honneur et à la considération des personnes, droit au respect de la vie privée, droit au respect de la présomption d’innocence.

b. La liberté de presse : entre lettre de la loi et audace de l’esprit

L’histoire enseigne que la liberté de presse doit autant à la lettre de la loi qu’à l’audace de l’esprit. Qu’on rappelle Emile Zola à notre mémoire. Dans son très retentissant pamphlet J’accuse… ! sur l’Affaire Dreyfus, publié dans le journal L’Aurore du 13 janvier 1898, il écrit : « En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose... Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que la vérité ait lieu au grand jour !  »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la profession de journaliste accumule les titres d’audace. Aucune menace de mort ni d’enlèvement ne dissuade le journaliste d’oser des expéditions périlleuses sur des terres inhospitalières, lui qui côtoie les terroristes, infiltre les gangs criminels et se retrouve pris entre deux feux dans des zones de conflit.

Pour le rétribuer de sa témérité, l’opinion publique prend fait et cause pour lui, se rangeant ainsi du côté de David contre Goliath. De là surgit certainement la figure de héros persécuté que prend tout journaliste emprisonné pour « délit d’opinion ».

2. La vérité, seconde boussole du juge et du journaliste

Plus que la vérité, c’est l’effort de vérité qui fait sens ; ce sont les armes qu’elles mobilisent qui confèrent toute leur noblesse à la vérité judiciaire et à la vérité médiatique. A la lisière du sacré et du profane, la vérité dessine aussi une même frontière morale à la profession judiciaire et à la profession de journaliste : la frontière de la déontologie.

a. La vérité judiciaire : une vérité expurgée de l’arbitraire

La vérité judiciaire ne se donne aucune prétention à l’absolu ; elle n’est qu’une vérité procédurale qui présente des caractéristiques propres.

La vérité judiciaire est contradictoire. Cela signifie que nul ne peut être jugé s’il n’a été mis en situation de discuter les griefs contre lui. Dans le procès, le juge tient office de peseur d’arguments ; il a une conscience en forme de balance. La vérité judiciaire se soumet à la critique et admet le doute. Tout plaideur insatisfait peut obtenir que son affaire soit rejugée jusqu’à l’« épuisement » des voies de recours. Et « le doute profite à l’accusé ».

La vérité judiciaire est temporelle. Sa réalisation procédurale est enfermée dans un temps au-delà duquel la preuve dépérit et l’action périt. Chaque action en justice porte donc sa date de péremption.

Dans le jeu de la vérité judiciaire, tous les coups ne sont pas permis. La vérité judiciaire doit s’expurger des risques d’abus tels que l’atteinte à la vie privée, l’atteinte aux droits de l’enfant, l’atteinte à la dignité humaine et l’atteinte à la présomption d’innocence.

b. La vérité médiatique : une vérité sans appel

Dans le traitement des affaires de Justice, le journaliste sacrifie à l’effort de vérité de plusieurs manières.

D’abord, lors de la collecte de l’information, par la vérification des sources pour s’assurer de leur sincérité et de leur fiabilité, au besoin par le « recoupement » de l’information.

Puis, par l’équilibre de l’information – l’équilibre au journaliste, la balance au juge ! –, en permettant à chaque partie au procès d’exprimer ses vues. Quand il interviewe l’avocat d’une partie, il doit accorder la parole à l’avocat de la partie adverse.

Enfin, en prenant le soin de s’exprimer au conditionnel tant qu’une décision de condamnation n’est pas intervenue, au nom du respect de la présomption d’innocence et de l’indépendance de la Justice. Il faut savoir également restituer la juste qualification des personnes engagées dans la procédure judiciaire, sans confondre, comme cela arrive si souvent, le « suspect » ou « auteur présumé », l’« accusé », le « prévenu », l’« inculpé » et le « condamné ».

Ces précautions ne sont jamais de trop, car la vérité médiatique est une vérité sans appel ; elle n’est pas « rétroactive ». Certes, il existe un droit de réponse permettant à toute personne injustement mise en cause dans les médias de se défendre en rapportant l’information juste. Mais on en connaît les limites. C’est pourquoi la célèbre exhortation de Joseph Pulitzer gardera longtemps sa pertinence : « Exactitude, exactitude, exactitude ! », avait-il fait afficher, en lettres géantes, sur les murs du World.

Deux processions vers le même autel de valeurs

Le juge et journaliste forment deux processions différentes sur le chemin qui mène à l’autel de leurs valeurs communes. Tandis que le premier marche d’un pas lent, le second marche d’un pas pressé. Le juge s’impose d’agir avec « célérité » : juger sans lenteurs (on dit « lenteurs judiciaires ») et sans précipitation (la « justice expéditive » est tout aussi redoutée). Quant au journaliste, il est soumis au « diktat de l’actualité », le public des médias désirant être informé « en temps réel ».

Mais nos libertés auront tout autant à souffrir d’une Justice qui marche au pas des médias que des médias qui marchent au pas de la Justice. Justice et médias doivent donc apprendre à se connaître sans jamais entreprendre de se confondre. Pas d’entente cordiale ni d’inimitié tranchée, seulement le regard rivé sur les valeurs communes : la liberté et la vérité.


1 MICHNIK (Adam), L’éthique du journaliste : liberté et vérité, Pouvoirs – 97, 2001.

Arnaud OUEDRAOGO
Magistrat
Auteur du Manuel juridique de la vie quotidienne
Membre du Centre pour l’Ethique Judiciaire

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Vos commentaires

  • Le 22 février 2014 à 01:58, par vérité no1 En réponse à : Justice et médias : quelles valeurs communes ?

    Belle analyse, malheureusement, ni le juge ni le journaliste n’a aucun repère d’éthique, puisse que l’éthique n’est ni le droit, ni la déontologie. Je propose qu’on les impose des cours d’éducation continue sur l’éthique. Les deux corps, comme des historiens, ne disent la vérité que quand ça les arrange !

    • Le 22 février 2014 à 10:10, par Vallée de Zion En réponse à : Justice et médias : quelles valeurs communes ?

      L’Historien n’est d’aucun pays, d’aucune époque, d’aucun parti ! Ceux qui disent la vérité quand ça les arrange ne sont donc pas des Historiens ! Arrêtons les comparaisons qui ne tiennent pas !

      • Le 22 février 2014 à 14:31, par vérité no1 En réponse à : Justice et médias : quelles valeurs communes ?

        Je sais que vous êtes un prof d’histoire, laissez-moi vous dire que des historiens allemands et americains ont modifiés les événements après la deuxième guerre mondiale afin de pouvoir glorifier leurs nations.

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