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Opinion : Pour une école fonctionnelle

Publié le mercredi 5 septembre 2012 à 19h10min

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Opinion : Pour une école fonctionnelle

Face à l’afflux massif des enfants vers les sites miniers, les cris de désarrois des services techniques et autres acteurs de l’éducation se font entendre de plus en plus. Cependant, les solutions les plus fantaisistes comme « distribuer des vivres aux familles… », « injecter 62 milliards pour augmenter le nombre d’inscrits à l’école » aux plus improbables comme « demander que l’Etat légifère sur l’exploitation minière… » sont proposées.

Nous sommes étonné par l’écart entre le niveau de responsabilité des acteurs et le sérieux des propositions. Nous sommes également surpris par la nature des propositions qui n’ont rien à voir avec les problèmes pourtant bien identifiés : politique, pauvreté, école...

En effet, dans l’article Burkina Faso : L’éducation, victime de la ruée vers l’or, paru dans le très sérieux Fasozine du lundi 3 septembre 2012, des acteurs du système éducatif et non des moindres venant des services techniques de l’Etat et des ONG et autres cadres de concertation… se sont penchés sur l’épineuse question de la scolarisation dans notre pays. Plus précisément, l’interrogation a porté sur les conséquences dommageables de l’exploitation minière traditionnelle (orpaillage) sur la scolarisation des enfants. A cet effet, on retrouve des enfants de très bas âge dans les mines au lieu des salles de classe. De même, tous sont d’avis que ces choix, contraires à l’éthique, sont encouragés et soutenus par les parents pauvres en quête de survie.

Et pourtant, les problèmes identifiés sont clairs et les solutions doivent être mises en corrélation au risque de spéculer. Premièrement, après combien d’années de politique de lutte contre la pauvreté (CSLP) on est passé, sans transition, à la SCADD et les gens de plus en plus pauvres, continuent à aller vers les sites d’or au risque de leur vie. Il faut donc reconnaître que ces politiques n’ont pas produit les effets escomptés et avoir le courage de changer.

Ensuite, deuxièmement, face aux pluies irrégulières avec pour conséquence des récoltes incertaines, « on a distribué des vivres » aux personnes affamées. Ce sont des solutions provisoires, ponctuelles proposées aux pauvres parents qui manquent de perspective et d’espoir. Nos parents élevés dans la culture de dignité sont frustrés de recevoir ces aides « comme des mendiants » et préfèrent trouver des solutions personnelles, dignes et pérennes.

Troisièmement, face à la sous-scolarisation massive et au fort taux d’analphabétisme, l’Etat a injecté de l’argent pour augmenter le nombre d’inscrits en vue de soigner son classement mondial. Une fois de plus, on a frappé à côté car d’après les critères du PNUD, c’est bien la population âgée de 15 ans et plus qui sait lire et écrire rapportée à la population générale qui constitue le taux d’alphabétisation. Il faut donc mettre l’accent sur l’alphabétisation des adultes et particulièrement sur celle des femmes car une étude a montré que si les parents éduqués scolarisent leurs enfants, les femmes le font mieux.

Quatrièmement, enfin, demander à l’Etat de légiférer sur l’exploitation minière ou le travail des enfants… c’est nous faire croire que les pauvres parents sont irresponsables, parque eux, n’envoient pas leurs enfants aux USA ou au Canada pour faire les mêmes études qu’on trouve au pays. Légiférer sur la question, c’est enfoncer une porte ouverte. Il y a des textes internationaux ratifiés par notre pays et ceux-ci sont supérieurs, conformément aux dispositions en la matière, aux lois nationales. Par conséquent, il faut se donner les moyens de les appliquer dans toute la rigueur et améliorer les conditions pour que les pauvres ne soient pas tentés de les enfreindre.

Mais le grand problème qui n’a pas été évoqué, c’est bien la problématique de l’école inadaptée de par son contenu et son programme, rigide de par son organisation et brutale de par son approche de la société. Après plus de 50 années d’indépendance, notre école n’est pas arrivée à se départir de son approche coloniale liée à « la mission civilisatrice ».

Réellement, si l’école n’est pour nous, mais l’école doit être fonctionnelle, c’est-à-dire s’adapter à nos exigences, à notre perception du monde, à notre projection vers l’avenir. Ainsi, à titre d’exemple, si l’école ferme le dimanche pour vous permettre d’aller à la messe, elle devra s’ouvrir là où il y a le peuple c’est-à-dire sur les sites d’or même les plus éphémères. Elle devrait aussi accepter qu’on y inscrive nos enfants après la récolte de coton en janvier, permettre -à l’instar de l’école coranique- que les enfants conduisent les animaux au pâturage…

L’école doit adopter son contenu à l’existant de l’apprenant (langue, environnement, relief…) sinon on risque de le traumatiser avec des contenus encyclopédiques dont il n’aura jamais besoin comme la longueur de la Seine, la Hauteur de l’Himalaya… Elle doit s’adapter au calendrier agricole de la localité au risque de voir des parents refuser d’y envoyer leurs enfants. Les reformes scolaires à venir doivent avoir le courage de rompre avec « l’école mutualiste puis l’école laïque et obligatoire de Jules Ferry » transplantée et reformée on ne sait combien de fois. Tant que l’école ne sera pas fonctionnelle, elle restera comme le dit Ki-Zerbo, « une prosthèse venue d’ailleurs » et la transformation qualitative de la société est à ce prix.

Mamadou Lamine SANOGO
Directeur de l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)
Centre National de la Recherche scientifique (CNRST)
Ouagadougou/ Burkina Faso
www.sanogo.org

i. COMPAORE M., COMPAORE F., LANGE M. F., PILON M., 2007, « La question éducative au Burkina Faso : Regards pluriels » in éditions DIST/CNRST, Ouagadougou, 285p

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Vos commentaires

  • Le 6 septembre 2012 à 05:54, par Pierre MICHAILLARD En réponse à : Opinion : Pour une école fonctionnelle

    Qu’il me soit permis de partager, tout en étant un produit de l’école de Jules Ferry, la majeure partie des analyses de M. Lamine SANOGO et tout particulièrement sur l’enseignement. Par ce commentaire, je souhaite attirer l’attention sur l’expérience de la coopérative burkinabè Artoude dans le domaine de l’enseignement informel ( voir www.coopartoude.net et www.artoude.net) Cette coopérative a développé une méthode d’apprentissage ( alphabétisation des 9-15 ans déscolarisés et des adultes) et recours à des malles pédagogiques pour comprendre la vie, la santé, la terre, l’eau et les végétaux ( voir www.calaoproductions.com) Avec l’aide des communes rurales de Tanghin-Dassouri et de Komki-Ipala et l’appui du MENA et du ministère délégué à l’enseignement non formel, cette expérience tout-terrain a abouti à la mise en place progressive de trois CEBNF municipaux. Une grande partie des activités s’est aussi déroulée en itinérance dans les villages.Nous sommes prêts à rencontrer les maires concernés et les sociétés minières sous l’autorité du MENA pour participer à une réflexion sur une forme d’éducation des jeunes et des adultes qui ont migré dans les zones aurifères. Les budgets de fonctionnement de ce genre d’enseignement sont à la portée des partenaires suscités.

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