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Coton : Quels outils de protection pour l’industrie textile en Afrique de l’Ouest ?

Publié le jeudi 24 novembre 2011 à 16h34min

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Il est trivial d’affirmer que le coton africain – et en particulier ouest-africain – va mal. En effet, la déprime structurelle des cours mondiaux , due entre autres aux pratiques peu loyales de certains pays développés sur le marché international – subventions à l’exportation – ont fini par avoir raison de l’élan des producteurs africains qui commençaient à exceller dans le domaine. Après avoir atteint des sommets en 2003-2005 , la production cotonnière de la région ouest-africaine a connu une chute vertigineuse depuis et peine à redécoller.

Le débat sur la relance de filière ainsi que les stratégies proposées à cet égard ont attiré nombre de commentaires d’experts et de réunions de décideurs politiques sans pour autant que l’on puisse voir apparaître, jusqu’à présent, le bout du tunnel.

Toutefois, l’unanimité semble se faire autour d’un point : la faible – voire l’absence de – transformation locale du coton constitue le talon d’Achille de la filière coton en Afrique de l’Ouest. En effet, à peine 2% de la production totale de la région est transformé localement, le reste étant destiné à l’exportation sur le marché mondial. Si au sortir des indépendances des efforts avaient été faits pour mettre en place des unités de transformation dans les différents pays, la plupart d’entre elles n’ont pas résisté au temps et on a assisté, presqu’impuissamment, à la mort à petit feu des industries textiles ouest-africaines. Sur la quarantaine d’usines que l’on pouvait recenser dans la zone l’UEMOA dans les années 1980, moins d’une vingtaine est encore fonctionnelle aujourd’hui.

Les raisons de ce sinistre sont multiples et variées mais les doigts sont de plus en plus pointés vers les importations massives des produits textiles en provenance de l’Asie – et dans une certaine mesure les vêtements de seconde main (friperie) venant des pays développés – comme étant les causes immédiates de la mort brutale de l’industrie textile ouest-africaine.

Que faire alors pour relancer cette industrie dans un marché régional du secteur estimé à plus de 700 milliards de francs CFA et dans lequel une transformation locale de seulement 25% de la production de coton créerait 50 000 emplois directs ?

C’est la question qui semble préoccuper depuis un certain temps les responsables politiques de l’UEMOA. Après avoir apporté tout son soutien à l’initiative du C4 contre les subventions des pays développés dans le cadre de l’OMC, l’Union a adopté un plan stratégique de relance de la filière coton en 2003 dont l’une des pièces maîtresses est la transformation locale du coton.

Toute la question reste cependant de savoir comment une industrie textile ouest-africaine viable peut-elle naître (ou renaître) dans ce contexte marqué par les importations massives et à bas prix – sans compter la fraude et la contrefaçon – en provenance d’Asie et des pays développés ? Sans une solution adéquate à ce problème, toute initiative de relance de l’industrie textile ouest-africaine risque d’être vaine.

Cette réflexion a pour modeste ambition de contribuer au débat sur la relance de la filière coton dans l’UEMOA, sous l’angle de la promotion de la transformation locale et en particulier le soutien à l’industrie locale ; car c’est là que nous pensons que réside l’avenir du coton africain.

Une industrie textile à l’agonie

Au sortir des indépendances dans les années 1960, les jeunes Etats africains avaient, à juste titre, vu dans l’industrialisation le moyen logique de se développer et de se libérer entièrement du joug colonial. C’est ainsi que des stratégies dirigistes ont été mises en place dans la plupart des pays nouvellement indépendants, visant entre autres à développer l’industrie locale afin de remplacer à terme les produits anciennement importés. Ces stratégies, connues sous le nom de politiques de « substitution aux importations », n’ont pas donné tous les résultats escomptés et ce pour plusieurs raisons.

Dans la plupart des pays, les efforts des gouvernements se sont heurtés au coût élevé du transport et de l’énergie, aux tailles restreintes des marchés ainsi qu’au manque de qualifications et de technologies. Par ailleurs, dans les années 1980, la crise de l’endettement a contraint de nombreux gouvernements africains à adopter les programmes d’ajustement structurels (PAS) de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, ce qui a conduit à une réduction considérable du rôle économique de l’Etat et à la privatisation des entreprises publiques. Si bon nombre de ces entreprises avaient effectivement été mal gérées, elles généraient cependant la plus grande partie de la production industrielle et de l’emploi. Leur privatisation précipitée et prématurée, à un moment où le privé africain cherchait encore ses marques, a donné un coup sérieux au processus d’industrialisation du Continent. Enfin, la libéralisation des échanges, une des composantes des PAS, a entrainé une ouverture brutale des marchés africains, qui ont été inondés par les produits importés bon marché, précipitant au bord du gouffre les jeunes industries africaines, déjà fragilisées par les facteurs sus dessus cités.

En Afrique de l’Ouest, si les premières unités industrielles ont été implantées à partir des années 1950, c’est au cours de la période 1965-1985 que l’on voit naître et se développer l’industrie textile sous l’effet des politiques volontaristes menées par les États. A cette période que l’on a qualifiée de « faste » succéderont cependant des années difficiles, marquées par la crise des entreprises publiques, l’ajustement structurel, la dévaluation du franc CFA, la fraude et la contrefaçon ainsi que les importations massives du textile asiatique et de la friperie. Cette situation va amorcer un processus de désindustrialisation dans la région : au sein de la zone UEMOA, si on dénombrait 41 unités industrielles dans le domaine du textile en 1980, on ne comptait plus qu’une vingtaine en 2010.

L’exemple de la Côte d’Ivoire suffit à lui seul pour illustrer ce désastre de l’industrie textile ouest-africaine. Jadis championne de la zone UEMOA avec ses 12 unités industrielles et après avoir atteint un taux de transformation de 20% de la production nationale de coton fibre dans les années 1990, l’industrie textile ivoirienne ne représente plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même : plus des deux tiers des unités sont à l’arrêt et le reste fonctionne bien en deçà de leur capacité de production. Le taux de transformation était descendu avant la crise à 5% et représente aujourd’hui à peine 2% de la production nationale du coton.

Au Sénégal, la situation n’est pas reluisante non plus. Sur les 12 unités que comptait le pays, 4 sont à l’arrêt et les autres tournent au ralenti. Le Burkina Faso a perdu quant a lui la seule unité de production de pagnes qu’il possédait avec la liquidation de FASO FANI en 2000.
Dans l’ensemble, aucun pays de l’UEMOA n’a été épargné par cette crise et le pire est à craindre pour le peu d’unités restantes si rien n’est fait dans l’urgence pour les sauvegarder.

Au Nigeria également, les professionnels du secteur sont inquiets. Si en 1999, on pouvait recenser une centaine d’usines, aujourd’hui seule une vingtaine ou une quarantaine demeure en fonctionnement selon les sources. Toutefois, la situation est très différente entre les pays francophones, où plus de 90% du coton est exporté sous forme de fibre, et les pays anglophones. Sur la période 1993/94-2003/04 par exemple, respectivement 90 % et 65 % du coton nigérian et ghanéen était en effet consommé par le tissu industriel local.

Une vaste campagne a été lancée pour réhabiliter l’industrie textile ouest-africaine, après que les Etats de la région aient compris que la seule issue durable pour leur filière coton réside dans la transformation locale et non dans le cours hypothétique d’un marche mondial de la fibre du coton, totalement hors de leur contrôle. Quant à la lutte contre les subventions à l’OMC, on sait les résultats qu’elle a produits ; et avec l’enlisement du Cycle de Doha, les chances d’aboutissement de ce dossier se réduisent chaque jour comme peau de chagrin. La lutte contre les subventions des pays développés est certes une cause noble, mais il convient pour les africains de travailler à l’émergence d’une véritable industrie de transformation du coton en Afrique.

Fort de cet enseignement, les Etats membres de l’UEMOA ont pris l’engagement, en 2003, de reconstruire et de renforcer l’industrie textile locale à travers l’adoption d’un plan stratégique de développement de la filière coton-textile. Un objectif de transformation de 25% de la production régionale avait même été fixé pour l’horizon 2010.

Si un bilan global de cet engagement n’est pas disponible en ce moment, force est de reconnaitre que les résultats atteint sont loin du compte. Lors d’une réunion tenue en novembre 2010 à Ouagadougou, le commissaire chargé du département du développement de l’entreprise, des télécommunications et de l’énergie de l’UEMOA reconnaissait que les résultats obtenus dans la mise en œuvre du plan sont « en deçà des attentes ». Toutefois, on a pu observer çà et là, la naissance d’unités textiles. Au Mali, l’industrie de filature Fitina a ouvert ses portes en 2004 tandis que l’Industrie textile du Mali (Itema) a rouvert les siennes en 2005, après avoir mis la clé sous le paillasson il y avait plus de dix ans. Au Burkina, l’usine Alok, fruit de la coopération indienne, vient de s’implanter à Bobo Dioulasso, portant le nombre des industries de filature à deux dans ce pays. D’autres initiatives sont également lancées dans les autres pays de l’UEMOA.

Mais on peut légitimement se demander à quoi serviront tous ces efforts si des mesures idoines ne sont prises pour garantir la durabilité des unités industrielles qui naissent ou qui vont naitre. Dans un contexte mondial de concurrence exacerbée, les nouvelles unités africaines pourront-elles faire face à « l’invasion » des produits asiatiques, entre autres causes de la faillite des premières unités ? Comme le note ce cadre de l’industrie textile malienne, « le plus grand danger pour l’industrie malienne, c’est la trop grande ouverture du marché local aux produits étrangers. C’est vrai que nous avons le handicap de l’enclavement, du coût élevé de l’électricité mais si nous étions protégés un tant soit peu contre l’invasion des produits étrangers, nous aurions pu nous en sortir », ajoute-t-il.

Il est donc urgent de songer à la protection des nouvelles industries textiles ouest-africaines qui se développent. Des instruments légaux existent bien pour cela et il est temps que l’UEMOA se les approprie.

La défense commerciale comme soutien à la relance
Les instruments de défense commerciale sont un vieil outil que les Etats, de par le monde entier, ont toujours utilisé pour protéger leurs industries nationales (en particulier naissantes) contre la concurrence déloyale des autres pays ou contre l’invasion massive des produits étrangers qui menacent de les ruiner. Il s’agit de mesures temporaires qui permettent aux industries en difficulté de se réajuster ou à celles qui viennent de naitre de se consolider. Certains économistes néoclassiques ont beau les taxer de protectionnistes et sans justification économique, il reste qu’ils ont été inventés au Nord, qui en reste d’ailleurs le plus gros utilisateur encore aujourd’hui.

On compte parmi ces instruments, les mesures anti-dumping, les mesures compensatoires (ou anti-subventions) et les mesures de sauvegarde.

Pendant longtemps, la nécessité de ces instruments ne s’est pas imposée en Afrique, à cause notamment des droits de douane élevés qui assuraient une protection naturelle à l’industrie locale. Tel ne semble pas être le cas aujourd’hui, avec l’ouverture tous azimuts des frontières.

Le Canada a été le premier pays à adopter une législation nationale anti-dumping en 1904. Confronté à la forte concurrence de l’acier américain dont les producteurs sont accusés de vouloir détruire l’industrie canadienne par des prix jugés trop bas, le gouvernement canadien adopte une loi qui frappe de droit supplémentaire tout produit acier étranger vendu sur le marché canadien à un prix inferieur à sa « valeur normale ». Le but de la législation était de rétablir l’équilibre des prix entre l’acier canadien et l’acier importé – américain en l’occurrence – afin de permettre à l’industrie locale de survivre. La loi canadienne fut aussitôt répliquée par bon nombre de pays qui luttaient pour bâtir leur industrie nationale. L’Afrique du sud, principal – et presque seul – pays africain à utiliser ces mesures fait partie de ceux-là. Sa législation anti-dumping date en effet de 1914.

Aujourd’hui, les mesures anti-dumping sont autorisées dans le cadre de l’OMC à travers l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI du GATT de 1994 (plus connu sous le nom d’Accord anti-dumping). Bien qu’un règlement d’application de cet Accord existe au sein de l’UEMOA (Règlement n ?09/2003/CM/UEMOA du 23 mai 2003), aucune mesure anti-dumping n’a à ce jour été adoptée par cette organisation. Pourtant, de forts soupçons de dumping pèsent sur les exportations chinoises vers l’Afrique, qui sont l’objet d’ailleurs le plus souvent de ces mesures dans d’autres pays et régions du monde.

Les mesures anti-subventions, qui servent à neutraliser l’avantage compétitif octroyé aux producteurs étrangers à travers les programmes de soutien à l’exportation de leurs gouvernements (subventions), sont le second instrument de défense couramment utilisé dans les relations commerciales interétatiques. Les Etats-Unis ont été le premier à les imaginer aux premiers stades de leur industrialisation. Alexander Hamilton, le premier Secrétaire au trésor de l’Amérique indépendante, déclarait en effet en 1791, que le plus grand danger que courent les jeunes industries américaines était les subventions à l’exportation maintenues par les Etats européens (notamment l’Angleterre). En 1897, la première loi formelle anti-subvention américaine voyait le jour pour défendre les intérêts de l’industrie américaine.

Aujourd’hui, les mesures anti-subventions sont autorisées dans le cadre de l’OMC sous l’empire de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires et consistent, comme les mesures anti-dumping, en des droits de douane supplémentaires, équivalents à la subvention reçue par l’exportateur étranger. Quant à l’UEMOA, elle ne dispose à ce jour d’aucun code communautaire anti-subventions . Toutefois, l’application de cet instrument parait beaucoup plus compliquée car il faudrait démontrer que les exportateurs étrangers – chinois notamment – reçoivent des subventions de leur gouvernement.

Le troisième instrument, constitué par les mesures de sauvegarde, est l’instrument sur lequel les pays de l’UEMOA devraient porter plus d’attention. En effet, contrairement aux deux premiers qui exigent la démonstration soit d’un prix inferieur à la valeur normale (dumping) soit l’existence d’un subventionnement, les mesures de sauvegarde exigent seulement que l’on puisse montrer qu’il y a « augmentation massive » des importations mettant en péril l’industrie locale existante ou empêchant celle-ci de s’implanter. Même si des chiffres n’existent pas pour montrer le pourcentage d’augmentation des importations asiatiques et chinoises de textile depuis la libéralisation des marchés africains, le bon sens et la simple observation suffisent pour affirmer que les conditions d’application de mesures de sauvegarde sont plus que remplies. Par ailleurs, on sait que ces importations ainsi que la friperie ont contribué à la destruction de l’industrie textile locale et contribuent à dissuader tout investissement dans le secteur.

Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, l’UEMOA, dont le Conseil semble être à la cherche de moyens de protection des producteurs de textile communautaires (voir Déclaration finale de la réunion ministérielle de concertation régionale sur la filière coton dans l’espace UEMOA/CEMAC), ne dispose pas de législation sur les sauvegardes. Il est temps que cette législation soit adoptée et surtout, qu’elle ne reste pas lettre morte (comme c’est le cas du règlement antidumping).

Il faut signaler au passage qu’il n’existe à ce jour aucun organe à part entière chargé de la défense commerciale au sein de la Commission de l’UEMOA (contrairement à la pratique dans d’autres communautés comme l’Union européenne ou l’Union douanière d’Afrique australe). La tâche est confiée au département de la concurrence, qui n’est ni l’organe approprié (la défense commerciale dépasse le simple fait de concurrence, elle intègre la politique industrielle), ni n’est doté des compétences nécessaires pour l’administration des instruments de défense.

Conclusion

Bâtir – ou rebâtir – l’industrie textile ouest-africaine est un défi de taille. Il y en a pour qui c’est même une illusion. Il n’est pas rare en effet d’entendre souvent les commentaires suivants de la part de certains "experts" en developpement de l’Afrique : « l’Afrique a raté sa révolution industrielle et ferait mieux de profiter de l’augmentation du prix des matières premières (qui n’est toujours vraie !) et des importations bon marché asiatiques au lieu de chercher à s’engager dans une voie d’industrialisation sans issue ». On prend prétexte que la politique de substitution aux importations des années 1960 et 1970 a échoué et que le Continent a très peu d’atouts pour développer une industrie (manque d’infrastructure, de main d’œuvre qualifiée, coût élevé de l’énergie, etc.), pour justifier de telles thèses. Dans le même temps, le discours sur la lutte contre la pauvreté en Afrique n’a jamais été autant en vogue. On oublie cependant que l’histoire du développement économique dans ce monde ne nous a pas encore produit une seule nation qui ait pu se tirer des affres du sous-développement et de la misère en restant simplement exportatrice de matières premières et importatrice de produits finis. Quand on connaît le rôle fondamental et indispensable de l’industrie dans le processus de développement d’un pays, on ne peut s’attarder sur de tels arguments.

Les américains auraient écouté les conseils d’Adam Smith, père spirituel du néolibéralisme et économiste très respecté s’il en était un au XVIIIe siècle, qu’ils seraient encore aujourd’hui une nation pauvre et seulement agricole. Alors que ceux-ci venaient en effet de conquérir leur indépendance de l’Angleterre en 1776 et tentaient de jeter les bases d’une industrialisation de leur pays en s’appuyant notamment sur des mesures protectionnistes, Smith voyait en cela une erreur monumentale (économiquement parlant). D’après lui, les Etats-Unis devaient plutôt se concentrer dans l’agriculture, secteur dans lequel ils avaient des "avantages comparatifs" (une des théories insensées de l’économie libérale, pourtant bien enseignée dans nos universités). Un siècle plus tard, les Etats-Unis, qui ont persisté dans leur choix, devenaient la première puissance économique et industrielle du monde, avec des millions de personnes tirées de la pauvreté. Selon la grande majorité des analystes, l’industrie américaine ne serait jamais devenue ce qu’elle est sans la protection dont elle a bénéficié à sa naissance (et continue d’ailleurs de bénéficier ; les Etats Unis sont l’un des plus gros utilisateurs des mesures de défense commerciale selon les statistiques de l’OMC).

Les Africains devraient en tirer leçon. Les contextes ont toutefois changé et il nous faut beaucoup plus de tact et d’ « intelligence ». Si en 1776 on pouvait adopter toutes les mesures de protection que l’on voulait, aujourd’hui cela parait un peu plus difficile, avec les multiples traités de libéralisation des échanges que nos pays ont signés. Il nous faut donc profiter – autant que nécessaire – des « brèches » que sont entre autres les instruments de défense (autorisés d’ailleurs par ces différents traités) pour défendre notre industrie. C’est le seul moyen pour elle de grandir et de trouver sa place, d’abord sur le marché local et régional, et ensuite dans l’international. Dans un siècle marqué par l’ouverture généralisée et les pressions de la mondialisation, toute politique industrielle qui n’intègre pas cette stratégie de défense est vouée à l’échec.

Il est vrai que l’introduction de mesures « protectionnistes » renchérirait le coût des produits textiles dans la région et ne fera pas l’affaire de certains importateurs, mais entre les intérêts à court terme des consommateurs et des importateurs, et les intérêts de développement à long terme du Continent, qui résident incontestablement dans l’industrialisation, il y a un choix à faire. Ou l’Afrique veut se développer et elle s’engage dans la dernière voix, ou elle veut continuer à « survire » et à demeurer le laboratoire des « nouvelles idées » de développement, concoctées de toutes parts, alors elle peut continuer à exporter ses matières premières et profiter « tranquillement » des importations « pas chères » venant d’ailleurs.

Pour terminer, nul n’est assez naïf pour croire que la protection seule sauverait et ferait grandir l’industrie textile ouest-africaine. Le manque de compétitivité, qui est réel et qui est lié entre autres au coût de l’énergie, au manque d’investissement dans la formation professionnelle, la recherche-développement, l’innovation, ainsi qu’une lutte sans merci contre la fraude et la contrefaçon, sont autant d’éléments à intégrer dans le plan de relance de l’industrie textile ouest-africaine. Sans ces éléments, la défense commerciale, temporaire d’ailleurs par sa nature, risque d’être sans objet.

Dr Ousseni Illy
Chercheur associé à l’Université de Princeton
oilly@princeton.edu

i Le marché mondial du coton est caractérisé par la volatilité des cours avec une tendance générale à long terme orientée vers la baisse. Entre 1995 et 2001 par exemple, le coton a perdu près de 70% de sa valeur (voir Initiative sectorielle en faveur du coton, document OMC, TN/AG/GEN/4, 16 mai 2003). Bien que l’on assiste à une remontée (voire à une envolée) depuis 2010, il serait naïf de se réjouir car cette hausse est due principalement à des aléas climatiques (inondations en Chine et au Pakistan, sécheresse au Brésil, etc.).

ii Durant la campagne 2004-2005, les cotonculteurs du Mali, du Burkina-Faso, du Bénin, de Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Tchad ont produit globalement 1,1 million de tonnes de coton fibre. Cette production n’était plus que de l’ordre de 500 000 tonnes lors de la dernière campagne agricole.

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Vos commentaires

  • Le 24 novembre 2011 à 17:56, par Omer En réponse à : Coton : Quels outils de protection pour l’industrie textile en Afrique de l’Ouest ?

    Nous les Africains nous ne sommes pas des victimes dans ces histoires là. On a vu le cas de DAFANI ici. Ils produisaient et vendaient au prix qu’ils fixaient et les Burkinabés étaient fiers de consommer ce produit. Mais qu’est qu’ils en ont fait ? C’est toujours la même histoire, ils ont beau avoir des masters des Phd obtenus en Europe ou en Amérique, une fois responsable au pays, ils détruiront l’entreprise que tu leur auras confiée en ne pensant qu’a leur ventre et leur bas ventre.

  • Le 24 novembre 2011 à 21:20, par KINTE En réponse à : Coton : Quels outils de protection pour l’industrie textile en Afrique de l’Ouest ?

    Article très dense et très très bien fouillée. Cependant,
    1) l’accent n’a pas été mis sur le fait sur la Gestion des sociétés cotonnières a été médiocre et gabégique surtout lorsqu’elles réalisaient des bénéfices faramineuses dans les années de gloire.
    2) les ridicules entreprises nationales sont des nains à côté de leurs homologues asiatiques : il faut des Compagnies multinationales avec le soutient des états pour transformer le coton fibre (économie d’échelle) : le Burkina + le Mali + la Cote d’Ivoire en se mettant ensemble pour créer une usine de transformation, basé par exemple à SIKASSO (centre de regroupement) créerait du coup un leader mondial dans le textile qui en imposerait aux autres...
    3) d’accord qu’il faut des mesures fiscales incitatives et des mesures de protection, de sauvegarde
    4) les rendements sont ridicules et tant que la production du coton sera soumises au cycle des pluies, on ne pourra pas être compétitif avec les pays qui pratiquent l’irrigation : saviez vous que le coton est une plante semi pérenne, c’est à dire que si vous l’irriguez, elle continue de végéter et de fleurir. Même si les pays avancés supprimaient leur subvention, rien a faire, le coton africain n’est pas compétitif.. Crier sur les subventions est une mauvaise guerre et une bonne guerre, masquer les détournements dans le secteur (depuis les crédits, aux engrais).... les engrais achetés et vendus par les sociétés cotonnières coûtent paradoxalement plus chers que les engrais vendu sur le marché. Normalement, si j’achète plus et en masse, je devrais pouvoir avoir les prix les plus bas...eh bien, c’est pas le cas dans le secteur des intrants coton..
    5) il faut que les producteurs soient actionnaires (créer des coopérative industrielles) dans les industries de transformation pour augmenter leur marge : autrement, du fait des faibles revenus, les paysans abondonneront la production
    6) la production du coton BT est une solution technologique (il faut être idiot et myope de ne pas le comprendre et refuser de s’y embarquer)

  • Le 25 novembre 2011 à 00:14 En réponse à : Coton : Quels outils de protection pour l’industrie textile en Afrique de l’Ouest ?

    Très bel article Dr. C’est très clair et vous faites des propositions très constructives. J’espère seulement qu’ils prendront note.

  • Le 25 novembre 2011 à 02:02, par Mamadou Hébié En réponse à : Coton : Quels outils de protection pour l’industrie textile en Afrique de l’Ouest ?

    Merci cher Illy pour cette belle analyse ! Une petite contribution au débat serait de discuter :

    1) la durée des mesures de sauvegarde. 4 ans, 2 fois et + 2 ans pour les pays en voie de développement, ca ne fait pas beaucoup et surtout pas suffisant pour que notre industrie textile puisse se développer. Ensuite il y a l’interdiction de ne plus adopter de mesures de sauvegarde portant sur l’industrie concernée pendant une durée équivalente à celle où on avait appliqué la mesure de sauvegarde.

    2) La question de la compensation qui est obligatoire lorsqu’on prend des mesures de sauvegarde, à partir de la troisième année de mise en oeuvre des mesures de sauvegarde. Je me demande bien si nos pays ont les moyens de compenser les pays qui viendraient à subir des pertes de marché du fait de la prise de mesures de sauvegarde. Ceci peut expliquer leur silence législatif en la matière.

    3) Il y a des mesures de sauvegarde spéciales s’agissant de la Chine. Certes l’exception spécifique pour le textile chinois - qui est celle qui nous concernait le plus - a expiré, mais il reste l’exception générale pour les produits chinois qui est valide jusqu’en 2013. Je me demande si nos pays ont fait usage de ces exceptions... De toute façon, les 2 ans qui restent ne sont pas suffisants pour nous permettre de créer des cendres des industries compétitives.

    En raison de ce régime très drastique des sauvegardes, je ne pense pas que là réside notre salut. Quand on regarde la pratique des pays développés (EU, USA, Japan), ceux-ci préfèrent protéger leur industrie locale en utilisant les mesures anti-dumping ou les "countervailing duties" (droits de douane compensatoires ?) dont le régime est plus favorable en ce que ces mesures réagissent à un comportement illicite "unfair trade" d’une entreprise ou d’un Etat membre, alors que la ratio des sauvegardes ne contient pas cette idée. Il faudra sans doute démontrer le dumping ou la subvention, et cela nécessitera une plus grande infrastructure pour nos institutions nationales chargées du droit de l’OMC (J’espère qu’elles existent), et aussi former des partenariats public/privé, car les informations en général, c’est le privé qui les a. Peut-être faut-il penser également à utiliser le "Advisory centre on WTO Law" pour les pays en voie de développement auquel nos pays n’ont toujours pas fait recours, et les personnes spécialistes de ce domaine comme toi Illy pour défendre nos droits en utilisant l’Organe de règlement des différends.

    Ton petit Hébié à Harvard.

  • Le 12 juillet 2020 à 18:50, par Théodore NIKIEMA En réponse à : Coton : Quels outils de protection pour l’industrie textile en Afrique de l’Ouest ?

    Belle analyse riche d’enseignement,
    Merci à vous Dr
    La labellisation récente du Faso dafani ne peut-elle pas être vu comme une mesure de sauvegarde ?

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