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CCRP : Un rendez-vous manqué avec notre Histoire

Publié le mardi 9 août 2011 à 01h47min

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L’auteur du texte ci-dessous donne sa lecture des réformes politiques formulées par le Conseil consultatif dont le rapport a été récemment transmis au chef de l’Etat, Blaise Compaoré.

Pour faire suite à sa volonté d’engager des réformes institutionnelles, et poussé par la crise socio-militaire que traverse le pays depuis février 2011, le pouvoir burkinabè a mis en place un Conseil consultatif pour les réformes politiques (CCRP). Le CCRP a rendu son rapport au chef de l’Etat burkinabè le 21 juillet 2011. Il n’y a pas besoin d’attendre l’aboutissement du processus ainsi enclenché pour conclure à son échec comme cadre démocratisant. Il y a quatre raisons à cela.

Premièrement, le CCRP n’est pas un cadre consensuel

Cela constitue une faute majeure dans un processus qui a vocation à rassembler les Burkinabè et refonder la République en crise. En l’occurrence, le compromis est fondateur. Un régime qui ne recherche pas le compromis avant même l’entame de négociations a peu de chance de faire des concessions substantielles. En réalité, la mise en place même du cadre de concertation devait donner lieu à une véritable négociation avec toutes les parties. Et cela devait durer aussi longtemps que nécessaire afin de réunir les conditions de la participation de tous les acteurs. Il y a eu de la précipitation et du mépris, ce qui explique qu’il n’a pas été jugé nécessaire de se donner la peine d’obtenir la participation de certaines organisations politiques et de la société civile. Le régime burkinabè a pris de nombreux risques de réputation dans le passé et n’est plus crédible quand il s’agit de fonder des cadres de concertation, je précise, avec des acteurs civils. Du coup, il n’est plus possible de le croire sur parole. Il doit donner plus que sa simple parole. Cela d’autant plus que les véritables changements de notre dispositif institutionnel, comme de nombreux Burkinabè le relèvent, viendraient de l’interprétation et de l’application des textes. C’est ainsi que notre démocratie a été verrouillée après l’adoption de la Constitution de juin 1991. De même, après la révision constitutionnelle de 2000, le président Compaoré, la Cour constitutionnelle et les autres cénacles du régime ont soutenu que les dispositions de la nouvelle constitution ne sont pas rétroactives. Ni les contextes national et international, ni rien d’autre ne justifieront de croire en la parole de ce régime. Il faut exiger de lui des garanties. S’il n’est pas capable d’en fournir, même par orgueil, il ne faut pas aller à sa table de négociation. Il faut alors redoubler d’ardeur et de méthode dans le travail de mobilisation sur le terrain.

Deuxièmement, il n’y a pas de déconstruction du système militaro-administratif en place

Nous sommes en présence d’un processus commandé par le président Compaoré et conduit par son ministre chargé des réformes politiques. Le discours du président Compaoré lors de la remise du rapport du CCRP est édifiant sur ce point. On reprend ici la méthode qui a présidé à la mascarade de transition démocratique au début des années 1990. C’est un peu comme si des accusés conduisaient eux-mêmes leur procès. Le sens de la République commande que ce processus soit à tout le moins équilibré, à défaut d’être porté par des forces indépendantes, voire opposées au régime. On l’a vu avec le CODESA (Convention for a Democratic South Africa), puis le MPNF (Multyparty Negotiating Forum), qui ont préparé à la nouvelle Afrique du Sud démocratique au début des années 1990. Partout où l’instauration de la démocratie a réussi, elle n’a pas été conduite au bénéfice de ceux qui sont au pouvoir, mais dans un souci d’intérêt général et de bouleversement de l’ancien ordre. Dans tous ces cas, les acteurs du passé ont finalement disparu et laissé la place à des femmes et à des hommes de l’avenir. A défaut de donner au CCRP une feuille de route comportant la mise en place d’un régime transitoire chargé de conduire les réformes et consacrant son propre retrait de la présidence de la République, le président Compaoré devait donner l’assurance de ne plus se présenter à la prochaine élection présidentielle. Le CCRP ne résiste pas à l’analyse, tant dans le fond que dans la forme. Ce n’est pas pour rien qu’une organisation comme le MBDHP, acteur-clé de la rédaction de la Constitution de juin 1991, sans doute instruite par le passé, a refusé d’y prendre part. Le régime n’est pas prêt à perdre. Il se devait de montrer cette disposition à se soumettre à l’intérêt général. Au fond, c’est cette absence d’humilité de sa part face aux défis les plus profonds de la construction de la nation et de la démocratie burkinabè qui étouffe l’extraordinaire énergie et le talent de notre peuple. Cet autre militaire, Jerry Rawlings, s’en est allé. Les présidents se succèdent et le Ghana continue sa marche vers la prospérité. Depuis le 1er juillet 2011, il est rentré dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire (Banque mondiale) et est promis à un bel avenir. Le Burkina Faso se trouve englué dans la pauvreté, les inégalités et l’incertitude institutionnelle. Cette terre des Hommes intègres, qui a vu naître Thomas Sankara, foisonne de bâtisseurs qui n’attendent que l’alternance pour remettre le Burkina Faso sur les rails de la prospérité.

Troisièmement, il n’y a pas d’honnêteté quant aux attentes des Burkinabè

La preuve est que le CCRP envisage l’avenir sans se fonder véritablement sur un bilan profond de notre démocratie, sans une volonté claire de régler la question de l’impunité. Si les rapports du Collège de sages et du MAEP sont finalement évoqués, on voit bien qu’ils intéressent peu. Il y a une invitation à l’amnésie, un refus de conduire une politique de mémoire. Sinon, comment comprendre que l’on parle d’immunité sans parler des leçons à tirer. Nous ne bâtirons pas la nation burkinabè sur de solides fondations en optant pour la fuite en avant. Alors, il nous faut clarifier, avec courage, pourquoi depuis l’adoption de la Constitution de juin 1991 notre pays n’est toujours pas apaisé. Il ne s’agit pas de faire l’exact inverse du passé, mais de comprendre aussi d’où viennent les violences militaires, la crise de la République. Notre peuple est un peuple digne, intègre, raisonnable, avec le sens des proportions. Il ne veut pas d’une chasse aux sorcières. Mais c’est clairement un problème que de parler d’immunité avant les leçons à tirer et cela au moment même où plus de 500 militaires, plus chanceux que leurs camarades morts, sont radiés de l’armée. Il y a deux poids deux mesures. Nous devons avoir l’humilité de nous regarder en face, d’affronter nos actes avec dignité. Quand cela s’impose, nous devons être capables d’assumer et de nous avouer ceci : tant pis pour moi ! Ce combat culturel crucial reste à être gagné au Burkina Faso.

Quatrièmement, le pouvoir burkinabè a instrumentalisé le mécanisme constitutionnel

Dans un Etat de droit, la règle s’applique à tout le monde et de la même façon. Sous la IVe République, le mécanisme constitutionnel est dès l’origine un instrument de stratégie politique. Ceux qui sont au pouvoir s’arrogent le droit de ne pas respecter la règle quand leurs intérêts sont opposés à ceux du Burkina Faso. C’est la baguette magique pour générer la présidence à durée illimitée ou pour se donner de la résilience quand le pouvoir vacille. D’où aussi les propositions impertinentes du CCRP comme la création d’un Sénat, l’augmentation du nombre de députés et la mise en place de cadres d’expression à tout va. Cette structure est partie pour provoquer des changements constitutionnels. Dans le contexte actuel de notre pays, la modification constitutionnelle, quelle qu’elle soit, est porteuse d’instabilité politique. Je pense ici à la Russie qui a souffert d’une instabilité chronique durant toute la décennie 1990 parce que sa Constitution était instrumentalisée. Plus près de nous et plus récemment, il y a les exemples du Niger, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. L’urgence aujourd’hui est de stabiliser le pays, de permettre un meilleur fonctionnement de notre administration et de notre architecture institutionnelle, notamment de la justice et du système électoral. Cela devrait éloigner le spectre d’une alternance désordonnée. Au lieu de s’épuiser de concertations en concertations pour la gloire, tantôt à l’étranger, tantôt au Burkina Faso, le président gagnerait à se concentrer sur les problèmes réels des Burkinabè durant les 4 années de mandat qui lui restent.

Yacouba Gnègnè Membre de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) ygnegne@gmail.com Les opinions exprimées dans cet article sont uniquement celles de l’auteur.

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 9 août 2011 à 23:52, par AROSS En réponse à : Digne fils du FASO

    J’ai été bien émerveillé de lire ces propos.Et je ne puis que soutenir et dire bravo à l’auteur pour le courage et surtout l’honnêteté de donner ses opinions.Le pays en a besoin et le présent et l’avenir du pays commandent de telles interventions.Pour ma part, le CCRP, loin de nous sortir de l’ornière, n’a fait qu’augmenter notre fardeau avec des propositions hasardeueses et farfelues telles:un statut particulier pr la chefferie, un observatoire des jeunes et patati et patata.On ne daigne même pas faire d’abord le bilan de notre santé démocratique, si santé il y a de 1991 à os jours !Dommage et anathème sur le CCRP.SVP, publiez

  • Le 10 août 2011 à 22:00, par Obsa En réponse à : CCRP : Un rendez-vous manqué avec notre Histoire

    BRAAAAAAAVVVVVVVOOOOOO !!!!!

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