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Faut-il que l’Afrique ne se rassemble jamais qu’autour de ses morts et se divise autour des vivants ?

Publié le jeudi 9 juin 2011 à 02h57min

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Alors que, d’Abidjan à Ouagadougou, les morts innocents s’ajoutent aux morts innocents au nom de je ne sais quelle vision du monde, il est un événement qui m’a frappé par sa symbolique. C’est la mort, le 24 mai 2011, de Simone Terrasson, née Vicens, la mère de Chantal Compaoré, épouse du président du Faso. Parce que qu’elle exprime la complexité des relations familiales en Afrique de l’Ouest ; et l’inanité de toutes les politiques d’exclusion.

Le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ont vécu, pendant plus quinze ans, une situation dramatique (plus dramatique pour les populations concernées que pour leurs gouvernements) née de la crispation de quelques leaders « politiques » autour d’un concept qui, malgré les dénégations de son promoteur, n’était qu’un mauvais prétexte : « l’ivoirité ». Un concept qui tient en un seul mot que plus personne n’ose prononcer tant il a provoqué de dégâts humains.

Le 28 novembre 1988, j’étais à Washington. Abdoulaye Fadiga, le gouverneur de la BCEAO, était mort brutalement quelques semaines auparavant. Alassane D. Ouattara avait été désigné pour le remplacer. Il quittait donc son job de directeur du département Afrique du FMI et c’est à cette occasion que nous nous sommes rencontrés pour la première fois en présence de Michel Camdessus, le patron (français) du FMI et de Mamoudou Touré (le ministre sénégalais) qui prenait la suite de Ouattara. « Nom : Ouattara. Prénoms : Alassane Dramane. Date et lieu de naissance : 1er janvier 1942 à Dimbokro (Côte d’Ivoire). Nationalité : Voltaïque ». Voici en quelques mots ce que précisait son CV officiel, daté de juin 1984. Une note biographique publiée le 7 mai 1987 par le département des relations extérieures du FMI, à Washington, confirmait que « Mr. Ouattara is a national of Burkina Faso », bien qu’une correction, portée de façon manuscrite, ait remplacé, ultérieurement, Burkina Faso par Côte d’Ivoire.

La presse panafricaine, d’ailleurs, pendant toutes ces années-là, ne cessera, lorsqu’elle évoquera son nom de parler du « Voltaïque Alassane Ouattara… né de parents voltaïques émigrés » en Côte d’Ivoire. Dans son édition du 9 novembre 1988, Jeune Afrique, sous la plume de Jean-Baptiste Placca, écrira que Ouattara a été vice-gouverneur de la BCEAO « occupant le fauteuil de la Haute-Volta (actuel Burkina) dont il avait pris, pour la circonstance, dit-on, la nationalité. Ce changement de nationalité avait été très mal pris en Côte d’Ivoire. Et c’est pour se faire oublier que, en juillet 1984, Ouattara avait choisi de s’éloigner, en retournant au FMI. De ce douillet purgatoire, cet homme qui est né à Dimbokro, en Côte d’Ivoire, s’est définitivement réconcilié avec sa nationalité ivoirienne ».

En ce temps-là, il ne serait venu à l’idée de personne de contester la nationale ivoirienne de Ouattara (qui, depuis, a été officiellement confirmée et politiquement reconnue). Il est vrai que nommé gouverneur de la BCEAO, nul ne pouvait imaginer qu’il aurait, par la suite, un destin national : Premier ministre puis président de Côte d‘Ivorie. Et chacun savait que l’histoire particulièrement complexe des mouvements de populations en Afrique de l’Ouest rendait le débat sans fondement intellectuel.

Alors que Ouattara vient de conquérir le pouvoir à Abidjan (avant de s’installer, un jour, à Yamoussoukro) et que la mère de Chantal Compaoré vient de mourir, ces souvenirs « washingtoniens » remontent à la surface.

Le 31 mai 2011, Amadou Toumani Touré, président du Mali, et son épouse, ont fait le déplacement jusqu’à Ouaga pour présenter leurs condoléances à la famille Compaoré et assister au transfert de la dépouille mortelle de Simone Terrasson vers la Côte d’Ivoire. Geste d’amitié, bien sûr, mais qui allait bien au-delà. ATT l’a dit ce jour-là : il s’agissait, aussi, de présenter les condoléances du Mali. « Vous n’êtes pas sans savoir que Henri Terrasson de Fougères a été le gouverneur du Soudan français. C’est lui qui avait donné son nom à l’actuel lycée Askia Mohamed [où ont été, formés, parmi d’autres, Modibo Keïta et Alpha Oumar Konaré]. C’est lui également qui a instauré le Certificat d’études au Soudan. Donc, il y a des rapprochements aussi bien au plan amical que familial ».

Henri Terrasson de Fougères - qui aurait eu 130 ans le 20 février 2011 - a été élève de l’Ecole coloniale. Nommé administrateur des colonies, c’est en AOF qu’il va mener sa carrière, publiant notamment, en 1905, une étude sur les mœurs matrimoniales des Avikam de Côte d’Ivoire (région des lagunes, autour de Grand-Lahou). En mars 1920, puis de 1921 à 1924, il exercera, par intérim, les fonctions de gouverneur du Soudan français (actuel Mali) alors qu’il était lieutenant-gouverneur du Haut-Sénégal-Niger (pour l’essentiel le Mali et le Burkina Faso d’aujourd’hui, la Haute-Volta n’étant érigée en colonie qu’en 1919) ; le 26 février 1924, il sera nommé officiellement gouverneur général ; fonction qu’il assumera jusqu’à sa mort, accidentelle, en France, à Mâcon, le 5 mai 1931 (il y a tout juste 80 ans). Il a marqué ainsi durablement (et positivement dit-on) l’histoire de l’AOF.

Le 19 mai 1927, Henri Terrasson de Fougères avait épousé Andrée, la fille d’un Saint-Cyrien, général de brigade. De leur brève union (je rappelle qu’il est mort en 1931) naîtront deux fils, Henri en 1928 et Marc en 1929. Mais lors de son séjour en Afrique de l’Ouest, était déjà né un fils de sa liaison avec Madoussou Diarrassouba : Jean Kourouma Terrasson. C’est à Odienné, dans l’extrême Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire, qu’est né celui qui deviendra le docteur Jean Kourouma Terrasson après avoir fait ses études de « médecin africain » à Dakar. Mort en 1999, il avait épousé la jeune Simone Vicens (elle est née à Bobo-Dioulasso le 23 octobre 1923) et de cette union naîtra notamment Chantal Terrasson qui sera élevée en Côte d’Ivoire, à Abidjan, jusqu’à son mariage avec Blaise Compaoré en 1985.

C’est à Abidjan, au cimetière de Williams-Ville, dans le caveau familial, qu’a été enterrée, le samedi 4 juin 2011, Simone Terrasson. Lors de la cérémonie, qui s’est déroulée au domicile de la famille Terrasson, à Marcory-Résidentiel, puis à la cathédrale Saint-Paul du Plateau, parmi la foule rassemblée, on remarquait les couples présidentiels burkinabé et ivoirien, mais aussi l’épouse du président de la République du Sénégal (d’origine française comme Dominique Ouattara). Le faire-part d’annonce du décès de « Maman Simone » évoquait des noms, au-delà de ceux de Terrasson et de Vicens, qui appartiennent à l’histoire de la Côte d’Ivoire : le docteur et ancien ministre Alain Ekra (sa femme est née Terrasson), le général Abdoulaye Coulibaly (ancien commandant du GATL et ex-DG d’Air Ivoire), le ministre Barry Battesti, la famille du docteur Auguste Denise (ministre d’Etat, membre fondateur du PDCI-RDA dont il a été le premier secrétaire général, mort le 20 juillet 1990), la famille de l’ambassadeur Eugène Aïdara (originaire d‘Odienné)…

C’est dire que la Côte d’Ivoire a été une terre de métissages. C’est une de ses richesses. Le père Emmanuel Absonré, qui a prononcé l’homélie, a souligné que « le seul combat qu’il faille mener est celui du brassage des cultures, ethnies, des conditions, des peuples », soulignant que Simone Terrasson avait été « une passerelle entre plusieurs familles, ethnies, peuples et nations, par delà les frontières et plus particulièrement entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ». Sa mort se situe d’ailleurs à un moment historique pour les deux pays et ses dirigeants ; et beaucoup ne manqueront pas d’y voir le signe d’un nécessaire rapprochement entre Ouaga et Abidjan alors que la période est cruciale pour les populations de l’un et l’autre territoire. C’est dire aussi l’inanité du débat sur « l’ivoirité » ; imagine-t-on les obsèques de Simone Terrasson, à Abidjan, avant que Ouattara ne puisse organiser sa cérémonie d’investiture ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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