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Henri Konan Bédié est mort. Il aura persisté dans l’affirmation d’une certaine idée de « l’houphouëtisme »

Publié le jeudi 3 août 2023 à 22h25min

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Henri Konan Bédié est mort. Il aura persisté dans l’affirmation d’une certaine idée de « l’houphouëtisme »

Impossible de ne pas y voir une concordance des temps. Dans quelques mois, le 7 décembre 2023, il y aura trente ans que Félix Houphouët-Boigny disparaissait et, actuellement, son hôtel particulier « Masseran » à Paris (illustration d’une certaine idée du pouvoir du chef) est à vendre. Et voilà que Henri Konan Bédié, président de la République de Côte d’Ivoire de 1993 à 1999, meurt à son tour.

Il avait été l’héritier constitutionnel du « Vieux » et sera, pendant de longues années, une des figures de la guerre des chefs, tour à tour opposant puis allié puis opposant... de Alassane D. Ouattara et de Laurent Gbagbo. Alors que, dit-on, « tout passe, tout lasse, tout casse », il persistera, de façon permanente, dans l’affirmation d’une certaine idée de « l’houphouëtisme » dont le PDCI-RDA demeure le fer de lance.

A l’heure de sa mort on aurait pu ne retenir de Henri Konan Bédié que l’enfant gâté de Félix Houphouët-Boigny, son héritier constitutionnel, son verrouillage de la présidentielle 1995, sa chute brutale en 1999. Il y a eu tout cela. Mais aussi, alors que l’on s’attendait à son effacement de la scène politique ivoirienne à l’occasion d’événements majeurs, parfois particulièrement douloureux, souvent controversés, humiliants même trop souvent, il ne cessera d’animer la scène politique ivoirienne avec constance et détermination.

L’enfant prodigue des années Houphouët

Tout a commencé, pour lui, le 25 septembre 1965. Henri Konan Bédié, tout juste trentenaire (il est né le 5 mai 1934 à Daoukro), prononce le discours de clôture du IVè congrès du PDCI. Il est alors ambassadeur de la République de Côte d’Ivoire à Washington, job prestigieux. Le jeune diplomate ne fait pas l’unanimité. On parlera même (les jaloux ne manquent pas) de « désastre ». Félix Houphouët-Boigny s’insurgera : « Mais non, mais non, Bédié est jeune, il lui manque de l’expérience… Mais il est fils de chef, vous verrez ».

Tout le monde a vu. Quelques mois plus tard, le 21 janvier 1966, celui qui va désormais être appelé HKB va entrer au gouvernement : il est ministre délégué aux Affaires économiques et financières. Il recueille à ce portefeuille une part de l’héritage laissé par Raphaël Saller, le grand patron (français) de l’économie depuis que la République de Côte d’Ivoire existe. Un héritage qu’il partage cependant avec Mohamed Diawara. Deux ans plus tard, il sera ministre des Affaires économiques et financières à part entière. Il le restera du 23 septembre 1968 au 20 juillet 1977. Ce jour-là, avec Diawara et Abdoulaye Sawadogo (ministre de l’Agriculture), il n’est pas reconduit dans ses fonctions. Les trois jeunes barons du régime ont mis le turbo. Trop de puissance mal maîtrisée entraîne quelques dérapages et une violente sortie de route. On dit que Houphouët-Boigny interviendra personnellement auprès de Robert McNamara, alors emblématique patron de la Banque mondiale, pour « reclasser » le jeune ex-ministre. Il est nommé conseiller pour l’Afrique de la Société financière internationale (SFI).

En 1980, il reviendra à Abidjan. Pour y présider l’Assemblée nationale. Il sera réélu à ce poste le 3 janvier 1986. Il devient, de par la Constitution, le dauphin de Houphouët-Boigny. Mais l’Assemblée nationale n’est pas alors – nous sommes encore au temps du parti unique si tant est que les choses aient évolué depuis – le cadre d’action le plus opérationnel. Lors d’un dîner à Paris, au domicile de André Hovine, qui a été le premier directeur général de la Bourse des valeurs d’Abidjan (BVA), il exprimera ses doutes quant à sa « succession » dans de bonnes conditions.

Il avait tort de douter. La Côte d’Ivoire est confronté à une crise économique sévère qui risque fort de déboucher sur une crise politique et surtout sociale. Alassane D. Ouattara, gouverneur de la BCEAO après avoir servi au FMI, obtient un poste de Premier ministre et le feu vert pour une politique de libéralisation de l’économie. A la présidence de l’Assemblée nationale, Bédié va mener une rude bataille contre cette politique économique et sociale qui privilégie la privatisation des entreprises publiques.
L’affrontement Bédié-Ouattara est observé et commenté par Laurent Gbagbo, candidat à la présidentielle 1990 face au « Vieux ». Le multipartisme a été reconnu officiellement. L’affrontement deviendra politique dès lors que la succession à Houphouët-Boigny sera ouverte.

Président constitutionnel, puis légal mais pas jugé légitime pour autant

Président de la République par la grâce de la Constitution, Henri Konan Bédié le devient par la voie des urnes en 1995, suffrage boycotté par Alassane D. Ouattara et Laurent Gbagbo, alliés de circonstance, au nom de « l’ivoirité ».
Bédié va s’efforcer de gérer tout à la fois une crise de légitimité (à peine plus d’un électeur sur deux s’est rendu aux urnes) et une situation économique euphorisante : la dévaluation du franc CFA, en janvier 1994, a été concoctée sur mesure, par Paris, pour la Côte d’Ivoire ! L’euphorie ne manque pas de provoquer les dérapages de quelques uns dans un contexte social tendu : dissidence au sein du PDCI ; montée en puissance des leaders étudiants ; affirmation d’une double opposition au régime en place : les « socialistes » de Gbagbo et les « libéraux » de Ouattara.

Alors que l’explication semble devoir se dérouler sur le terrain politique puis dans les urnes en 2000, un coup de force militaire met à bas le régime Bédié. Faute d’une alternance politique possible, le pouvoir tombe dans l’escarcelle de militaires. Bédié s’exile. Plus personne ne miserait 100 francs CFA sur le PDCI et son chef. Au sein du PDCI, ou de ce qu’il en reste, c’est d’ailleurs la guerre des chefs, des petits-chefs. Mais en 2000, plus politique qu’aucun autre c’est Gbagbo qui rafle la mise. Plus personne ne croyant en la résurrection de Bédié et du PDCI, c’est Ouattara qui apparaît comme la victime des manœuvres de Gbagbo après avoir été celle de Bédié en 1993 et 1995.

La « remontada » de Bédié

Henri Konan Bédié ne tardera pas à redevenir un interlocuteur crédible sur la scène politique ivoirienne, dès 2001, à l’occasion du Forum national de réconciliation, quand Alassane D. Ouattara, trop technocratique et peu enclin à prendre des coups et à en donner, a bien du mal à s’imposer comme un leader politique déterminé. Bédié reviendra à la présidence du PDCI à l’occasion du XIè congrès ordinaire du parti liquidant du même coup les barons nordistes qui ambitionnaient d’être « vizir à la place du vizir ».

Déterminé mais pas « va-t-en guerre », Bédié va être tout au long des années Gbagbo un « spectateur engagé », méritant, plus que jamais, son surnom : « Le Sphinx ». L’ex-président de la République de Côte d’Ivoire n’est plus rien d’autre que chef de parti mais il joue parfaitement son rôle notamment en 2004 quand le PDCI quittera le gouvernement en dénonçant des « actes répétés d’agression et d’humiliation » alors que les Forces nouvelles (FN) venaient de le réintégrer. Dans le même temps, Ouattara, leader du RDR, se disait « impuissant ».

Ce qui n’empêchera pas, l’année suivante, en 2005, le PDCI et le RDR de fonder, à Paris, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Si la Côte d’Ivoire parvenait à organiser une élection présidentielle et des élections législatives, le RHDP prenait l’engagement de « soutenir, au second tour, le candidat arrivé en tête des partis signataires de la plate-forme » (hormis le PDCI et le RDR, l’UPDCI et le MFA) pour la présidentielle et de promouvoir une « stratégie de candidature concertée ou commune pour avoir une majorité confortable » à l’Assemblée nationale.

1999-2005 n’aura été, pour Bédié, dépouillé du pouvoir par la force, qu’une parenthèse. Il n’était qu’un héritier constitutionnel ; il n’aura été qu’un président de la République contesté ; il entendra dès lors être un candidat pugnace à la prochaine présidentielle. A 71 ans (au même âge, Houphouët-Boigny était réélu pour la quatrième fois à la présidence de la République et il le sera encore trois fois par la suite), Bédié s’affirmait pleinement comme le chef de file de l’opposition à Laurent Gbagbo. Même si Paris et Ouagadougou entendaient le marginaliser. A la veille de l’accord politique de Ouagadougou, qui va propulser Guillaume Soro au poste de Premier ministre, Bédié décidera purement et simplement de reporter le XIIè congrès ordinaire du PDCI, « jusqu’après les élections générales à venir », précisera-t-il.

Maintenir l’unité du PDCI dans la tourmente ivoirienne

Henri Konan Bédié va perdre la présidentielle de 2010. Mais il aura permis de maintenir l’unité (et la dignité) du PDCI tenté, au lendemain des événements de 1999, par des alliances inappropriées. Son honneur et sa gloire auront été d’aller au bout du processus. On pouvait penser que c’était là son ticket de sortie de la scène politique ivoirienne. C’était mal le connaître. En 2010, comme en 1999, en refusant de résister aux « lois de l’Histoire », il aura évité le pire. Il faudra pardonner beaucoup à Bédié dès lors qu’il jouera un jeu collectif dans une perspective ivoirienne et ouest-africaine.

Le PDCI votera Alassane D. Ouattara au second tour de la présidentielle 2010. Dans le premier gouvernement formé à l’issue de la crise post-présidentielle en juin 2011 (et dont le Premier ministre sera Jeannot Ahoussou-Kouadio, député PDCI, instigateur du RHDP) il obtiendra 8 portefeuilles mais se fera laminer lors des législatives n’obtenant que 77 des 254 sièges de la nouvelle Assemblée nationale.

Bédié est alors le partenaire de Ouattara au sein du RHDP. Il le sera encore un certain temps. Réuni en conclave à Yamoussoukro le samedi 17 août 2013, le PDCI dénoncera « un manque de clarté et de lisibilité dans l’exécution des clauses de la coalition » avec le RDR, appelant du même coup à « décrisper les relations ». Ce que le PDCI reprochait au RDR c’était d’accaparer le pouvoir et de « mettre au chômage des cadres du parti [PDCI] par leur remplacement systématique » au profit de proches de Ouattara, ce recrutement s’opérant au sein de « son groupe ethnique ».

Mais le front commun contre les nomenklaturistes du RDR se fissurera alors que se profilait à l’horizon le XIIè congrès du PDCI (3-5 octobre 2013) dans la perspective de la présidentielle 2015. A 79 ans, Bédié voulait conserver la tête du PDCI alors que les statuts le lui interdisaient (c’est même lui qui avait fait voter la limite d’âge : 75 ans selon l’article 35). De quoi mécontenter tous ceux qui briguaient la place. Par ailleurs, ne pouvant être candidat à la présidentielle 2015, il prônera l’absence d’un PDCI à cette élection. Pas question qu’un autre que lui obtienne une légitimité politique en étant le candidat du parti. Le PDCI soutiendra donc le président sortant : Ouattara.

Un pragmatisme non dépourvu d’opportunisme

Le XIIè congrès du PDCI aura finalement décidé qu’il était urgent de décider de ne rien décider. Ce qui, du côté de la lagune Ebrié, signifiait qu’il fallait éviter « d’injurier l’avenir ». Le diagnostic était simple : Alassane D. Ouattara n’est pas un politique ; autant dire que le RDR n’est pas sa préoccupation. Il est focalisé sur l’idée que la croissance « se mange » ; enfin, plus exactement, que sa réussite économique le dispensera de descendre dans cette arène politique dont il a toujours considéré l’ambiance comme « délétère ». Un PDCI-RDA recomposé qui intégrerait le RDR ne serait sans doute pas pour lui déplaire. L’économique pour lui ; le politique pour Henri Konan Bédié. Dans cette perspective, Bédié supprimera le secrétariat général du PDCI remplacé par un secrétariat exécutif de vingt membres. Alors que le secrétariat général était une structure autonome qui tenait sa légitimité du congrès, le secrétariat exécutif était sous la tutelle de Bédié.

Ouattara sera réélu à la présidentielle 2015 dès le premier tour. Avec un score qui établissait définitivement sa primauté dès lors que Bédié aura refusé que le PDCI présente son propre candidat. Cohérent : Bédié veut assurer sa mainmise sur le parti alors qu’il sait ne plus pouvoir être significativement en lice pour la présidentielle. Le PDCI a soutenu Ouattara et Ouattara a gagné. C’est cela la victoire de Bédié en 2015 ! Il imagine que Ouattara, qui ne peut pas, constitutionnellement, se représenter en 2020, jouera le jeu de l’alternance au sein du RHDP en soutenant un candidat PDCI. Mais il apparaîtra très vite que c’était une illusion. Dès 2018, ce sera, à nouveau, la rupture entre les deux hommes.

Dès lors, il n’était plus qu’un seul enjeu pour Bédié : conserver la mainmise sur le PDCI et laisser Ouattara se débattre avec son problème de succession à la présidentielle, opération particulièrement délicate. Sauf que Bédié entendait occuper le terrain jusqu’au bout. A l’instar de Félix Houphouët-Boigny.

Cohérent en 2010 et en 2015, il ne le sera pas en 2020. En juin, il annoncera sa candidature à la présidentielle et obtiendra, sans opposition, l’investiture du PDCI. La mort brutale du successeur désigné, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, le sauvera d’un naufrage électoral annoncé. Ouattara briguera un premier mandat dans le cadre de la nouvelle Constitution ivoirienne. L’opportunité, pour Bédié, de dénoncer un troisième mandat anti-constitutionnel et d’appeler à la « désobéissance civile ». 2020 fera penser à 1995 sauf que les rôles étaient inversés : Ouattara devenait le méchant !

Chef de parti, Bédié n’a plus l’âge, en 2020 (il a 86 ans !), pour être un leader subversif. L’opération « désobéissance civile », structurée par la mise en place d’un Conseil national de transition (CNT) tournera court. Ouattara sera élu dès le premier tour avec près de 95 % des suffrages exprimés alors que le taux de participation sera quand même de 54 % malgré l’appel au boycott des oppositions (c’est le même taux d’abstention qu’en 1995 quand Ouattara et Gbagbo ont boycotté la présidentielle remportée par Bédié !). Bédié ne tardera pas à reprendre langue avec Ouattara afin de « rétablir la confiance ». Eternel jeu de bascule où l’opportunisme est toujours proche du pragmatisme, la consécration de la répression avant la réhabilitation. Une façon d’être que n’aurait pas reniée Félix Houphouët-Boigny.

Penser l’après-Bédié dans un contexte de l’après-Ouattara

La mort de Henri Konan Bédié intervient à deux ans de la prochaine présidentielle, celle de 2015. Dans un contexte politique compliqué : Ouattara doit, cette fois, passer son tour, reste à trouver le bon successeur. Dans un contexte géopolitique plus compliqué encore alors que les militaires ont pris le pouvoir à Conakry, Bamako, Ouagadougou, Niamey. Entre populisme et technocratisme, le PDCI doit imposer une vision politique. Pas simple.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)

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