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Thomas Sankara : Le capitaine immortel

Publié le mardi 16 octobre 2007 à 08h09min

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Thomas Sankara

Thomas Sankara est l’inventeur d’une révolution originale qui aura marqué l’histoire. A la tête du Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres du monde, le jeune capitaine a osé parler de valeurs authentiques, combattre la corruption au plan national, refuser des prêts de la Banque mondiale, qualifier d’impérialistes certaines pratiques dans les relations Nord-Sud. Toute sa philosophie et sa stratégie se résumaient à une valeur : la patrie ou la mort.

Vingt (20) ans après sa mort, Thomas Sankara est toujours dans les cœurs. Né en 1949, le jeune capitaine est arrivé au pouvoir le 4 août 1983. Elégant et éloquent, il aura marqué sa génération par son audace. Dès sa prise de pouvoir, il décide de décoloniser les mentalités en abandonnant le nom Haute-Volta du colonisateur pour un autre plus original, Burkina Faso. Une combinaison du mooré et du dioula signifiant le pays des Hommes intègres. “On ne décide pas de devenir chef de l’Etat, on décide d’en finir avec telle ou telle forme de brimade, d’exploitation, c’est tout. Vivre africains pour vivre libres et dignes”, disait-il.

Pour lui, les Africains doivent se libérer totalement du joug occidental en assurant une vision propre à eux. Lui et ses compagnons d’armes Henri Zongo, Boukary Jean-Baptiste Lingani, Blaise Compaoré... veulent à travers une révolution, redonner une chance à leur pays classé parmi les plus pauvres au monde. Ils mettent sur pied des comités de défense de la Révolution. Ils parlent de centralisme démocratique, masse laborieuse, lutte de classes. Les jeunes soldats puisent leur vocabulaire et solutions chez Marx, Lénine, Mao, Guévara. Dans la bibliothèque de Sankara, il y avait tous les classiques du marxisme-léninisme et le jeune capitaine reconnaît “qu’il a bu tout Lénine”, témoigne Sennen Andriamirado dans “Sankara le Rebelle”.

Thom Sank, comme ses fans l’appellent affectueusement a d’ailleurs rencontré des révolutionnaires et communistes de renom. Kim II Sung de la Corée du Nord en 1983. Ce dernier lui a offert un pistolet à crosse d’ivoire “qu’il ne quittait jamais” , selon Sennen. Le capitaine a aussi rencontré Jerry Rawling en février 1984, Kadhafi en février 1983 en tant que Premier ministre et en 1984, en qualité de président. En 1986, il a été reçu au Kremlin par Mikhaïl Gorbatchev. Ces rencontres ne sont pas fortuites. Thomas s’inspire de Rawling, le premier, selon lui, à avoir libéré les jeunes officiers et les hommes de troupes et les avoir placés devant leurs responsabilités. “Sank veut démocratiser l’armée”. Finie l’armée budgétivore. Désormais l’armée nationale populaire construira des écoles, des routes. Pour “Thom Sank”, un militaire sans formation politique et idéologique est un criminel en puissance. Les populations, elles aussi, sont invitées à prendre leur destin en main en s’impliquant dans les projets et programmes.

La révolution à la Burkinabè

Tous les secteurs sont en marche. Sur le plan agricole, les Burkinabè sont invités à consommer burkinabè. En 1984, 400 tonnes de haricot vert ne purent être exportés. Le gouvernement mèna une campagne pour inviter les populations à consommer leurs propres productions. “Quand vous mangez le grain de mil, riz importés, c’est ça l’impérialisme”, soutenait Thom Sank. Il exhorte les populations à porter le Faso dan Fani tissé localement. Sur le plan hydraulique, 18 barrages sont construits en 1985 contre deux en moyenne avant la Révolution. Le taux de scolarisation passe de 16,5% à 24%. Au cours de la même période, il augmente le taux d’enseignants à 16%.

Les paysans “déœuvrés” sont alphabétisés dans dix langues. Les langues locales sont même introduites dans l’enseignement. Dans le secteur du logement, Sankara fait construire de nouvelles cités à la portée des populations. En matière de santé, il est question de l’opération “Un village, un poste de santé primaire”. Deux millions et demi de Burkinabè sont vaccinés. L’OMS félicite Sankara pour ses actions contre la polio, la rougeole et la méningite. L’environnement n’est pas en reste. En quinze (15) mois, dix millions d’arbres ont été plantés pour faire reculer le Sahel. Des aménagements de sites anti-érosifs sont mis en place avec les populations. Sankara prône également l’émancipation de la femme par l’instruction et un pouvoir économique. “C’est avec ces armes qu’elles pourront se libérer d’elles-mêmes” , soutien-t-il.

Sankara, l’incorruptible et l’éternel insoumis

Dans la mise en œuvre de son programme de développement, le jeune capitaine lutte contre toutes les formes de gaspillage et de corruption. Il a déjà donné l’exemple en reversant ses indemnités de mission après un séjour libyen alors qu’il était encore Premier ministre. Il s’est rendu à son premier conseil des ministres en 1981 à l’époque en bicyclette. Une fois président, il roulera en Renault 5. Thomas Sankara a aussi créé la radio en direct avec le CPS, au cours de laquelle tous les mardis soir, les populations peuvent interpeller personnellement les ministres, officiers...
Il promet de chasser de l’administration et de l’armée les “fonctionnaires pourris”. Les Burkinabè retiendront aussi de lui les Tribunaux populaires de la Révolution (TPR) où les anciens dirigeants ont dû s’expliquer sur leur gestion antérieure. Le révolutionnaire a refusé des prêts de la Banque mondiale pour financer “des projets que son pays n’a pas choisis”. Parlant de la dette du Burkina, Thom Sank a demandé aux pays du Sud lors de son discours à l’OUA en 1987, de faire front pour ne pas la rembourser. “Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence”.

Deux mois et demi après ce discours, il décède le 15 octobre de la même année. Sankara savait qu’il dérangeait.
“Nous avons clairement conscience que nous dérangeons. La question est de savoir qui nous dérangeons : la minorité ou la majorité” ? Sankara a été perçu comme celui qui voulait faire perpétuer un nouvel ordre autre que celui qui prévalait en Afrique de l’Ouest. Il est accusé de s’inspirer par moments du “Livre vert” de Khadafi, alors que Sankara a dit au président libyen que “votre expérience nous intéresse mais nous voulons vivre la nôtre”, rapporte Sennen. Thom Sank a eu des relations difficiles avec certains de ses voisins. Toujours est-il que longtemps, poursuivra l’écrivain, le coup du complot d’un coup d’Etat fomenté par la lagune Ebrié fait bruit à Ouagadougou. En 1985 éclate “la deuxième guerre des pauvres” entre le Burkina Faso et le Mali suite à un différend frontalier. A force de parler sans détour, Sankara est clairement étiqueté comme un provocateur. Pour avoir décrié publiquement la politique française en Afrique, il a obligé le président François Mitterrand de passage au Burkina Faso a réempoché son discours initial d’où sa fameuse phrase : “Sankara parle un peut trop”. Parfois incompris par certains de ses proches et également par d’autres chefs d’Etat, Thom avait la fougue et l’envie de vite et bien faire. Il fonçait sans répit.

Thom le visionnaire

Son programme révolutionnaire inachevé est perçu par d’aucuns, comme celui d’un clairvoyant. N’est-ce pas lui qui a dit depuis 1986 que la perturbation impunie de la biosphère par les engins dégageant du gaz propagent des carnages ? Odile Tabner, présidente de “Survie” rapproche même le discours de Nicolas Sarkozy à l’ONU en septembre 2007 à celui prononcé le 4 octobre 1984 par le capitaine Thomas Sankara.

Le premier parle d’une réforme de l’ONU pour l’adapter aux réalités du monde d’aujourd’hui, alors que le second proposait que les structures des Nations unies soient repensées et que soit mis fin au scandale du droit de veto. “Sarko” estime qu’il faut poser et résoudre les problèmes du monde à l’échelle planétaire parce que personne ne peut se mettre seul à l’abri du réchauffement climatique, du choc des civilisations. “Sank” a une proposition “que tous les budgets de recherches spatiales soient amputés de 1/10-000e et consacrés à des recherches dans le domaine de la santé et à la reconstruction de l’environnement perturbé par les feux d’artifices nuisibles à l’écosystème”. Le président français a prévenu que les pauvres et les affamés se révolteront contre l’injustice qui leur est faite. Le capitaine avait demandé la lutte contre la misère en mettant fin à l’arme de la faim qui fait plus de victime que l’arme nucléaire.

Thom Sank, l’homme de “la dernière révolution africaine” pour emprunter le terme de Aziz Salmone Fall, coordinateur de la Compagne internationale “pour Sankara”, voulait d’un monde juste. Le capitaine croyait au changement comme N’Krumah, Cabral mais “tout comme Lumumba qui parlait de révolution de mentalité à son peuple qui vivait dans les arbres et comme tous ceux qui rêvent éveillés, Sankara se nourrit d’utopie”, constate Sennen. Sankara est donc parti à 37 ans comme Che Guevara qu’il admirait. Mais la jeunesse voit en lui le verve et l’énergie de l’espoir, la probité et le symbole de l’inaliénation.

La jeunesse africaine a proclamé 2007 “année Sankara” lors des deux fora sociaux de Bamako en 2006 et de Nairobi. Des ouvrages, des films, monuments portent son nom. En guise d’illustration, le lycée Thomas-Sankara à Brazzaville. La commémoration de sa disparition cette année sera marquée par diverses manifestations dont l’arrivée à Dakar et pour la première fois en Afrique, de la caravane “Thom Sank 2007” en provenance d’Amérique latine et d’Europe.

Hamadou TOURE

Sidwaya

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