LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Lettre au Premier ministre : Même l’enfer est pavé de bonnes intentions

Publié le mercredi 4 juillet 2007 à 07h12min

PARTAGER :                          

O. Franck, à partir du premier point de presse animé par Tertius Zongo en tant que Premier ministre, loue les initiatives de celui-ci. Mais, "même l’enfer est pavé de bonnes intentions", dit-il au nouveau locataire de la rue Agostino Neto.

"L’axe central de la stratégie d’action du gouvernement sera, d’une part, le renforcement de la durabilité et de la qualité de la croissance économique, et, d’autre part, la réalisation de réponses pertinentes et visibles aux demandes sociales des Bukinabè."

C’est en ces termes visiblement engagés que le tout nouveau Premier ministre, fraîchement débarqué de Washington à la surprise de tous, y compris de certains caciques du parti au pouvoir, a fait son entrée officielle dans ses nouvelles fonctions de chef du gouvernement du Burkina Faso. C’était lors de son premier point de presse, tenu le mercredi 12 juin 2007.

Les Burkinabè, j’en suis sûr, ont suivi avec grand intérêt cette sortie hautement médiatisée du nouveau locataire de la rue Agostino Neto pour au moins deux raisons :

1. N’est pas Premier ministre qui veut, même quand il s’agit de l’être dans un pays néocolonial agricole arriéré comme le Burkina Faso, régulièrement classé par le PNUD parmi les 3 ou 4 derniers de la planète. D’où, pour certains de nos concitoyens, il fallait s’assurer que le président du Faso, Blaise Compaoré, ne s’est pas trompé et a eu des raisons solides et fondées de déjouer de la sorte tous les pronostics. Pour d’autres, il ne s’agissait ni plus ni moins qu’une simple curiosité, celle de voir et de savoir qui est et que vaut cet outsider qui a quasiment faussé tous les paris.

2. Au regard des problèmes récurrents et durables (santé, éducation, vie chère, insécurité, déni de justice, bref, pauvreté) auxquels ils sont confrontés depuis plus d’une décennie, les Burkinabè avaient à la fois hâte de savoir, et peur de savoir que pouvait leur proposer ce nouveau venu du pays de l’oncle Sam, pays se proclamant presque détenteur exclusif du brevet de recettes et de concepts du développement économique et social véritable et durable.

Alors, faisons la connaissance de l’homme et de ses intentions.

Il nous revient qu’il s’agit d’un économiste de haut vol. A grands traits et selon le journal en ligne "Le Fasonet", les points saillants du curriculum vitae du nouveau chef du gouvernement burkinabè se résument comme suit :

- 14 février 2002 - 4 juin 2007 : ambassadeur du Burkina Faso auprès des Etats-Unis d’Amérique ;

- 1995 - 2000 : ministre délégué chargé du Budget, ensuite ministre du Plan, puis ministre de l’Economie et des Finances ; à ce titre il est successivement gouverneur pour le Burkina de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de la BAD, du BID, et Ordonnateur national pour le FED ;

- 1988 - 1995 : directeur du département de Coopération multilatérale, ensuite Directeur général de la Coopération, puis administrateur de nombreuses sociétés, y compris la BCEAO et la BOAD ;

- etc.

Au regard d’un tel curriculum vitae, et nonobstant la surprise générale des Burkinabè suite à sa nomination comme Premier ministre, il ne sera pas juste de dire que cet homme-là débouche du néant, loin s’en faut. Rien donc d’étonnant qu’il nourrisse des intentions à la hauteur, et parfois au-delà, de cette si riche carrière tant politique que technique ci-dessus rappelée.

Toutefois, une chose importante a été dite par lui lors de son point de presse, particulièrement en rapport avec le temps, relativement long, mis pour la composition de l’équipe gouvernementale. Il disait, entre autres, à peu près ceci : "... cela s’explique aussi sans doute par le peu de connaissance que j’ai des hommes du fait de ma longue absence du pays..."

Il s’agit là d’un aveu extrêmement honnête. C’est pour cela qu’il nous faut l’aider à mieux connaître, non seulement les hommes, mais aussi quelques réalités de terrain qui, si elles n’étaient pas suffisamment bien maîtrisées, pourraient compromettre irrémédiablement ses chances de succès.

D’abord quelques précisions peut-être utiles, sur une de ses perceptions d’absent prolongé du sol national que voici : "En votant massivement pour le programme politique du candidat Blaise Compaoré, les Burkinabè ont exprimé un choix porteur d’espoir, mais pétri d’exigences ..."

Monsieur le Premier ministre, à propos de la réélection massive de Son Excellence Monsieur le Président du Faso, il y a lieu de nuancer. Les statistiques, on le sait, sont par essence un puissant moyen d’embellir ou de ternir une réalité, une image. Par exemple, au cours d’une de nos missions de terrain en octobre 2005 à Dori, il nous est revenu qu’un enseignant d’une classe de CM2, activiste notoire dans le milieu syndical, a été pris à partie par les autorités locales, pour avoir enregistré 0% d’admis au CEPE, session 2005. Renseignements pris, il ressort que la classe de l’enseignant incriminé avait, en tout et pour tout, un effectif de quatre (4) élèves qu’il fallait de surcroît poursuivre chaque matin derrière les troupeaux de boeufs et de moutons pour ramener en classe. Comme on le voit, ce pauvre enseignant, statistiquement condamnable, bénéficie manifestement, ici, si l’on sait bien lire le sens des statistiques, de circonstances fortement atténuantes.

A contrario, revenons à l’ « élection massive » du président du Faso en novembre 2005 et essayons de comprendre le sens des chiffres. Les 80,30%, on le sait, ont été obtenus par le rapport "suffrages obtenus" (1 674 966) au "total des suffrages exprimés" (2 085 870). Cela s’appelle le score du candidat, par rapport aux autres candidats. D’autres types de rapports existent statistiquement, même si hélas, en profane des données électorales, je ne saurai leur trouver une appellation exacte. Les animateurs de la CENI pourraient sans nul doute m’aider dans ce sens. Sont de ceux-là :

* le rapport des suffrages obtenus (1 674 966) au total des votants (2 288 257), soit 73,2% ;

* le rapport des suffrages obtenus (1 674 966) au total des inscrits audit scrutin (3 918 103), soit 42,7% ;

* le rapport des suffrages obtenus (1 674 966) au total des Burkinabè figurant sur le fichier électoral de la CENI (4 296 982), soit 38,9%.

* le rapport des suffrages obtenus (1 674 966) au total estimé des Burkinabè en âge de voter (7 000 000 environ), soit 23,9%.

(Source : Résultats provisoires de la CENI, publiés dans l’hebdomadaire "L’Indépendant" du mardi 22/11/2005).

Comme vous pouvez le voir, Monsieur le Premier ministre, ce jeu fort passionnant de statistiques prouve une chose : pour ne pas se tromper en politique, l’on doit avoir constamment à l’esprit la majorité des Burkinabè comme référence, et non pas la part dite massive des suffrages exprimés en faveur de Blaise Compaoré, même si, sans conteste, cette part (1 674 966) est vraiment écrasante, si elle était rapportée à celle de la plupart de ses adversaires audit scrutin. Par exemple, en la rapportant à celle d’un certain Nayabtigungou Congo Kaboré (6 494 voix) à la même consultation électorale, le candidat Blaise Compaoré a obtenu 257,9 fois le score de ce respectable "présidentiable" burkinabè.

Ces précisions ci-dessus étant données, il nous faut en plus, pour chacune de ses intentions fort louables, lui fournir un minimum d’informations complémentaires ainsi qu’il suit :

1. De l’intention de réaliser des performances économiques et sociales qui réduisent de manière significative l’incidence de la pauvreté ...

Première des intentions qui vaillent, c’est aussi la plus belle des intentions. En somme, celle-là même qui donne à tout gouvernement sa raison d’être. Seulement voilà. Sa mise en oeuvre se fera dans un contexte de mondialisation et de globalisation capitalistes, s’exerçant dans un pays pauvre où le rôle des capitaux étrangers reste encore déterminant dans les programmes et projets de développement. Que de conditionnalités à lever ; que d’avis de non-objection à obtenir ; que de procédures parfois draconiennes à respecter ; que de mesures antisociales à prendre ; que de courbettes et de recourbettes à faire. Bref, pour toucher le moindre chèque pour notre développement économique et social, nous sommes souvent obligés de ranger notre conscience et nos convictions sous le bras. Et rien a priori ne nous dit que le Millenium challenge account, qui nous arrive quasiment au même moment et de la même contrée que monsieur le Premier ministre, échappera à cette règle implacable.

Ce n’est pas pour rien que nombre de programmes et projets - suivez mon regard - annoncés et même lancés à grand renfort de publicité, soit ne démarrent pas, soit battent de l’aile à cause des vicissitudes procédurières, soit finissent dans des conditions calamiteuses. Comme quoi, Monsieur le Premier ministre, le pari est risqué de s’engager sur la base des engagements d’autrui dominateur. En somme, ce n’est pas seulement une question d’équipe gouvernementale, c’est aussi et surtout une question de système économique et social inique et mondialement tentaculaire.

2. De l’intention de respecter les engagements dans le changement et le dialogue accompagné de disponibilité...

Voilà une intention qui nous rend heureux comme des bambins, ce à la manière de ceux qui croient sans avoir vu. Il s’agira ici, simplement, de lui rappeler que son prédécesseur, monsieur Paramanga Ernest Yonli, qui a prôné aussi ces choses-là dans ses discours, s’est pourtant refusé pendant sept (7) ans à recevoir personnellement, ne serait-ce que par simple courtoisie, toute marche de protestation en provenance de la société civile et des partenaires sociaux (CODMPP, Centrales syndicales, etc.). Pourtant il ne s’agissait là, ni plus ni moins, qu’une autre forme d’expression par excellence en démocratie. Du reste, le sort récent des 105 agents du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, victimes d’un manque flagrant d’esprit de "dialogue accompagné de disponibilité", mériterait bien un réexamen dans le cadre du "respect des engagements dans le changement", préconisé à travers cette 2e intention.

3. De l’intention d’honorer les engagements pris devant le peuple durant la campagne...

Il convient de rappeler à monsieur le Premier ministre qu’il s’agit là, avant tout, de la réalisation d’un programme politique : "le développement continu pour une société d’espérance". De ce point de vue et au regard de la nature des doléances exprimées par les populations lors de ladite campagne, il s’agira essentiellement ici, d’indicateurs de suivi- évaluation d’impacts de mesures de politique sur la pauvreté. Il sera donc nécessaire de savoir hiérarchiser ces indicateurs, car, bien souvent, les plus voyants et les plus médiatisés (échangeurs, monuments, cités futuristes de Ouaga 2000, cités dites de l’impunité de Somgandé et que sais-je encore !) ne sont pas forcément les plus significatifs et les plus pertinents, notamment du point de vue de la réduction de la pauvreté. C’est pourquoi, sur ce point, la vérification des tâches sera relativement simple, car, comme l’a dit quelqu’un, "la preuve que la pomme existe, c’est qu’on la mange". Or c’est bien cette pomme-là qui est attendue ici par le peuple burkinabè et non les pilules amères, telles les récentes augmentations de 15% sur le prix du "Super 91" à la pompe, et ressenties par les consommateurs comme une véritable bombe postcampagne électorale.

4. De l’intention de faire rendre compte devant le gouvernement tout ministre qui ne sera pas organisé, et d’instaurer des sanctions à ce niveau ...

Le caractère audacieux d’une telle intention est manifeste, et le simple fait de l’énoncer est franchement progressiste. C’est pourquoi, pour qu’une telle disposition d’esprit ne reste pas du domaine de la démagogie, il est utile de rappeler que pendant sept (7) ans de primature de M. Yonli, sauf erreur ou trou de mémoire de ma part, un seul ministre d’un seul de ses trois (3) gouvernements successifs a été comme sanctionné pour "n’avoir pas été organisé". Il s’agit du célèbre Mathieu R. Ouédraogo, ex-ministre de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation. Outre cela, ajoutons-lui cet autre complément d’information également digne d’intérêt : Convoqué par le Premier ministre de l’époque M. Kadré Désiré Ouédraogo pour venir éclairer l’Assemblée générale des sociétés d’État sur la gestion apparemment peu orthodoxe de sa structure, un Directeur général s’est payé le culot de refuser d’obtempérer à ladite convocation. Croyez-vous qu’il eut quelque chose ? Rien. Pas même un avertissement. Ou plutôt si : il fut muté à la DEP d’un grand ministère. C’est dire que ces choses-là sont souvent très vite dites, mais pas nécessairement très vite faites.

5. De l’intention de combattre la fraude et la corruption sous toutes leurs formes ...

Le complément d’information sur ce point s’avère quelque peu caduque car, presque concomitamment à son énoncé, les fraudes massives au BEPC session 2007 qui continuent de défrayer la chronique sont venues comme pour narguer le Premier ministre dans ses prétentions. Il faut peut-être simplement ajouter que ces fraudes actuelles ne constituent qu’une récidive dont l’entreprise a été largement favorisée et inspirée par l’impunité qui semble avoir royalement entouré les fraudeurs et fraudeuses à la session 2004. Au demeurant, l’occasion faisant le larron, monsieur le Premier ministre qui vient par ailleurs de recevoir le mardi 26 juin 2007 le dernier rapport de la Haute autorité de la coordination de la lutte contre la corruption, dispose là d’une occasion inespérée pour son baptême du feu en la matière. Du reste, le quotidien d’État Sidwaya du mercredi 27 juin 2007, dans sa relation de l’événement, titre comme par anticipation et optimisme excessif : "Tolérance zéro pour la corruption".

Au total, nonobstant ces nécessaires compléments d’information ci-dessus, l’on peut dire que le Parlement entrant ainsi que le peuple burkinabè auront, au moins pour une fois et chacun en ce qui le concerne, la tâche suffisamment aisée dans sa mission de contrôle de l’action gouvernementale. En effet, ce discours d’entrée de M. Tertius Zongo, Premier ministre et chef du gouvernement, tel qu’il nous est apparu à travers son point de presse du mardi 12 juin 2007, semble être bâti sur le principe du GAR (Gestion axée sur les résultats). Il s’agit là en quelque sorte d’un "quite american way of view" (une façon toute américaine de voir) : une gestion facile à contrôler, et, par conséquent, des résultats attendus faciles à sanctionner dans un sens comme dans l’autre. Sur ce, il ne nous reste plus qu’à souhaiter bon vent à monsieur le Premier ministre.

O. Frank

Le Pays

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?