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Burkina Faso : "Une transition démocratique manquée"

Publié le vendredi 29 décembre 2006 à 07h35min

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Dans l’écrit ci-dessous, Yacouba Gnégné analyse de façon froide l’histoire politique de notre pays depuis 1991, à la lumière des récents événements survenus dans notre capitale. Pour lui, il ne s’agit pas d’un hasard, mais le résultat d’un manque de courage et des dirigeants, et de l’opposition, mais aussi de la société civile.

Les événements qui ont affecté notre capitale la semaine dernière sont d’une gravité telle que nous ne sommes pas sûrs de si bien dire. Et contrairement à ce que nous avons pu entendre ou lire, ce n’est pas une surprise. Au contraire.

Dans un entretien, en 1964 avec le journaliste Günter Gaus, la philosophe Hannah Arendt résumait le déterminisme historique, l’une des idées dominantes de notre époque, en ces mots : c’est le sentiment, après coup, que les choses ne pouvaient pas se passer autrement. Nul ne peut prédire l’avenir en raison de l’infinité des acteurs et des facteurs. La contingence est de ce fait un facteur majeur. Cependant, il existe un nombre infini d’issues du fait de la force puissante de la réalité.

Dans son numéro 101 - mars-avril 2006, la revue Politique africaine a consacré un dossier au Burkina Faso sous le titre : Le Burkina Faso : l’alternance impossible. Le régime burkinabè y est présenté comme un régime de type semi-autoritaire. Deux universités américaines : l’université du Maryland et l’université George Mason, à travers un projet de recherche commun (Polity IV Project) fournissent de l’information sur les régimes politiques et les caractéristiques de l’autorité dans les Etats indépendants à travers le monde. D’après ces données aussi, le Burkina Faso a un régime politique hybride, à mi-chemin entre autocratie et démocratie. Elles révèlent aussi une évolution positive vers de la démocratie après 1991. Les données issues de ces différentes sources correspondent également au sentiment général que les Burkinabè et les autres Africains se font de la réalité démocratique au Burkina Faso. Cette réalité était contenue en germe dans l’acte de naissance de la IVe république.

L’étude des transitions démocratiques réussies montre que celles-ci ont trois principes communs. Si ces principes ne sont pas respectés, ils ont des conséquences négatives importantes sur le devenir démocratique. Il s’agit, d’abord, de faire du compromis l’élément fondateur du régime, d’accepter de pouvoir perdre la négociation qui s’engage alors et de travailler à inclure tout le monde dans le processus. Ensuite, il faut de l’honnêteté dans la lecture de la demande sociale. Qu’est-ce à dire ? La Constitution à mettre en place ne doit pas simplement viser à passer de l’autocratie à la démocratie. Il faut, en plus de cela, non seulement panser les blessures dues à l’ancien régime, mais en combattre aussi les causes profondes. Enfin, il faut être capable de faire un bilan courageux de la dictature. Sur ce dernier point on note que les seules solutions qui ne marchent pas sont l’amnésie et le procès- spectacle.

"Un compromis facile"

Qu’en a-t-il été au Burkina Faso ? Sur le premier point, il peut sembler à première vue qu’il n’y a pas grand-chose à dire. Or c’est peut-être là que la plus grosse erreur a été commise. Les différentes forces démocratiques sont allées à la négociation dans le cadre des Assises nationales de décembre 1990, assises à l’issue desquelles les libertés politiques et syndicales furent rétablies et la Constitution de 1991 adoptée puis promulguée. Mais ce fut un compromis facile malgré les luttes engagées tardivement dans le cadre de la Coordination des forces démocratiques (CFD). Ni les forces exogènes, encore moins le Front populaire n’ont pas vu que la feuille de route à définir par les Assises nationales devait être le premier signal fort de l’ordre nouveau. C’est ici qu’il fallait répondre à la demande sociale, convenir du nécessaire travail de mémoire. Du coup, le texte constitutionnel existera mais sans véritable esprit démocratique. Sans aucune surprise donc, le régime se contentera plus dans le cadre de sa politique clientéliste que dans le souci de panser les blessures, de mettre en place des mesures de réhabilitation. Et la question de savoir s’il fallait aller réellement vers un régime démocratique ou plutôt vers un mode de gestion autocratique survivance de nos royaumes d’antan ou, plus près, des régimes d’exception, ne fut pas tranchée clairement.

Mais Blaise Compaoré avait sa petite idée. En tout cas il gardait les cartes en main. Il rejettera l’idée d’une Conférence nationale et concédera un Forum de réconciliation qui fera long feu. Du coup, Blaise Compaoré ne fera pas le bilan de son régime, ni celui des dictatures précédentes. Sur tous ces points, le pouvoir et l’opposition n’ont pas rendu service à notre démocratie. En acceptant par la suite de jouer le jeu dans ces conditions, l’opposition et la société civile ont certainement voulu s’empresser de se saisir des concessions faites par le régime militaire en matière démocratique espérant certainement que par le travail, la démocratie s’enracinerait.

"Semi-démocratie ou semi-autocratie"

Nous nous souvenons, plusieurs années plus tard, le Professeur Ki-Zerbo disait encore de notre démocratie qu’elle n’était pas constituée mais qu’elle était plutôt constituante. Aujourd’hui, c’est la semi-démocratie ou plutôt la semi-autocratie , c’est selon, qui est consolidée. Que ce soit dans le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès) ou en dehors, nous sommes nombreux à penser que ce parti est installé au pouvoir pour longtemps. Cela dit, ainsi que nous le rappelions plus haut, personne ne peut prédire l’avenir parce que précisément l’histoire est faite par nous et non par moi.

L’assassinat de Oumarou Clément Ouédraogo le 9 décembre 1991, les tentatives d’assassinat qui ont visé Tall Moctar et Alain Ludovic Tou le même jour, et les menaces qui pesaient sur des personnes comme Train Raymond Poda ou Halidou Ouédraogo sont venus vite et clairement montrer à tous que les règles du jeu n’avaient pas changé, contrairement à ce qu’exigent les critères les plus élémentaires même de la transition. En toute logique, d’autres suivront.

A côté de cette face plus visible, plusieurs Burkinabè continueront de subir de près ou de loin les agissements anti-démocratiques des forces armées (militaires de tous corps, gendarmes, policiers, douaniers, forestiers, etc.). C’est cette même logique, consistant à faire des corps armés des citoyens d’une autre classe en matière de droits et de devoirs, qui a conduit à les exempter du port obligatoire du casque alors même qu’ils devaient être utilisés pour l’exemple. Chaque Burkinabè, ou presque, a une histoire à raconter ici. Mais pour Blaise Compaoré, on le verra, cela relève du fait divers. Or, il aurait fallu dès 1991 expliquer et imposer à tous que les choses avaient changé. C’est dès 1991 qu’il fallait fermer le Conseil de l’Entente et le Régiment de sécurité présidentiel. On aurait même pu remplacer ce dernier par une autre organisation militaire mais, insistons, avec une autre culture. C’est triste que ce soit seulement aujourd’hui que le ministre de la Défense se rend compte qu’il faut développer la culture démocratique au sein de notre Armée. Le plus triste, c’est de voir comment le régime est pris à son propre piège et peut-être avec lui le Burkina Faso. L’histoire est faite par nous, non par moi.

Les choses semblent en effet plus compliquées. Souvenez-vous, en août 1991, à l’occasion du 44e anniversaire de notre pays, le président Compaoré a accordé un entretien à la presse. A la suite du procès de militaires pour tentative de putsch, il avait été interrogé sur l’existence d’un malaise au sein de notre Armée. Il avait répondu qu’il n’y avait aucun problème réel, et que nous avons une Armée républicaine. Sauf dans l’hypothèse où chacun a son idée de la République nous ne voyons pas au nom de quoi une Armée républicaine attaquerait des institutions de la République comme ce fut le cas la semaine dernière. Nos autorités peuvent le démentir, mais de la même façon que des civiles vivent un malaise dans la République, des militaires en sont autant dépités. Nous avons tous observé qu’à la suite de la grogne de 1997 au sein des militaires, le président avait dû composer, malgré lui, avec le général Lougué avant de l’écarter en deux phases.

Le plus saisissant, c’est de voir avec quelle faiblesse le gouvernement a jusque-là traité ce dossier. Souvenez-vous, dans l’affaire des élèves policiers, il avait montré qu’il pouvait sanctionner de façon exemplaire. Ici, qu’il sanctionne ou non, et cela de façon ouverte ou souterraine, pour le régime l’histoire se fera désormais, plus qu’hier, par nous et non par moi. Dans ces conditions, les choses seront plus ou moins compliquées mais nul ne sait à l’avance avec certitude quelle en sera l’issue. La seule certitude c’est qu’il existe un nombre relativement limité de possibles.

"Ne plus transiger avec des valeurs démocratiques

La vérité, c’est aussi qu’il faut au régime burkinabè à apprendre à ne plus jamais transiger avec les valeurs démocratiques. Dans l’entretien que nous avons mentionné ci-dessus, le président avait aussi été interrogé sur le fait qu’un colonel de l’Armée avait non seulement giflé un policier mais fait incarcérer ce dernier. Il banalisa le problème et, plus grave, ajouta que c’était un fait divers et qu’il ne connaissait pas bien le dossier. Encore plus grave, il n’a sans doute rien fait par la suite alors qu’il en était désormais interpellé. Il n’y avait donc que des journalistes et de simples citoyens à s’émouvoir de ce que des principes démocratiques de base n’étaient pas respectés au sein même de notre Armée. Quand un président tient réellement à la démocratie, il monte au créneau dès lors qu’il est question des droits et des libertés fondamentales. Il défend la justice, il défend les plus faibles. Faire cela ce n’est pas s’occuper de faits divers, c’est défendre les principes qui fondent la République.

Le drame de Sapouy le 13 décembre 1998 survint tout aussi logiquement. En raison de la colère des Burkinabè, il donnait l’occasion de corriger les failles de la transition démocratique. Mais, une fois de plus, ce fut une occasion manquée. La Journée nationale de pardon du 30 mars 2001 a décidé d’un pardon sans justice, d’une dilution des responsabilités. Il s’agit cependant d’une question importante qui doit libérer à la fois les familles et les bourreaux des traumatismes. Nul besoin de règlement de comptes, et surtout pas. En Afrique du Sud, la démocratie en est sortie grandie. Mais dans notre pays, la question est mal abordée par l’opposition et le pouvoir, et suscite la peur et l’orgueil inutiles du régime. L’élan de réformes plus démocratiques qui avait accompagné cette journée semble depuis perdu et le CDP se satisfait de son omnipotence. Avec un peuple qui dans sa majorité ignore ce que sont la République et les valeurs démocratiques, se traduisant par le fait qu’il exige peu ou prou la responsabilité politique de ses dirigeants, la masse critique pour forcer à la démocratie sera difficile à réunir. Et pourtant, sur une population estimée à environ plus de 13 millions aujourd’hui dont un peu plus de 5 millions d’électeurs potentiels en 2005, seuls 1 660 148 voix ont porté massivement Blaise Compaoré au pouvoir en novembre 2005. Le pouvoir serait bien inspiré d’écouter davantage la frange du pays qui s’oppose à lui. Celle-ci, en raison de sa qualité politique, est d’ailleurs plus représentative qu’elle n’y paraît.

C’est vous dire donc à quel point le semi-autoritarisme se cristallise. D’ailleurs, qu’ils en soient favorables ou non, tous les Burkinabè l’ont compris depuis. Cette situation est la conséquence de ce que notre processus de transition démocratique a été un mouvement à dominante endogène avec un régime qui n’a pas voulu trancher entre valeurs démocratiques et un mode de gouvernement qui fait des citoyens des sujets. C’est dès lors que notre démocratie a été programmée à l’équilibre actuel. C’est dommage pour le Burkina Faso et ça l’est aussi pour Blaise Compaoré. Car, comme Hermann Yaméogo l’a souligné dans une interview récente, Blaise Compaoré a de la stature mais il a surtout dans le cadre des intérêts de notre pays manqué de courage. Quand on construit une démocratie et qu’on n’aime son pays, on ne doit pas avoir peur de perdre, au risque de se perdre.

Yacouba Gnégné

Etudiant en Thèse d’Economie, Clermont-Ferrand yacouba.gnegne@u-clermont1.fr

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Vos commentaires

  • Le 5 janvier 2007 à 23:15, par Juali En réponse à : > Burkina Faso : "Une transition démocratique manquée"

    Bravo Mr Gnégné, cette analyse est des plus justes concernant la transition dans notre pays. Une phrase que je retiendrai dans cet article pour être court est : "Quand on construit une démocratie et qu’on n’aime son pays..." La démocratie est imparfaite dans tous les pays du monde et chaque jour les acteurs des institutions démocratiques dans les vieux pays d’Europe ou en Amérique du Nord travaillent à la parfaire (par exemple à combler des vides juridiques par de nouvelles lois ou améliorer les lois existentes par des amendements etc). Mais ils sont motivés en cela par une chose fondamentale qui semble manquer au Burkina et plus généralement en Afrique : l’AMOUR DE LA PATRIE.

    J’ai eu l’occasion d’approcher l’entourage de Lionel Jospin quand il était premier Ministre de la France. Il dormait à peine 4h par jour et abattait un travail énorme. Un jour j’ai demandé à un des ses proches collaborateurs d’où il puisait cette énergie pour travailler autant. Il m’a donné une réponse qui résonne encore en moi comme avec douleur quand j’y pense et que je regarde ma chère Afrique : "L’amour de la France l’anime". En effet, matin, midi et soir, c’était les intérêts de la France qu’il avait à défendre.

    Je me demande en regardant la manière dont nous sommes gouvernés si nos premiers responsables ont comme ailleurs le souci de ce que va devenir la génération qui monte (je ne parle pas de leurs enfants et autres cousins qu’ils mettent à l’abri de tout besoin présent et futur)...

    Un message fondamental à retenir est donc : "Quand on construit une démocratie et qu’on n’aime son pays..."

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