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Lettre ouverte au gouvernement du Burkina Faso : Rendez-moi ma sœur !

Publié le jeudi 4 mai 2006 à 06h38min

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Dans la lettre ouverte dont teneur suit, l’auteur, Békuoné Somda, demande la révision du Code des personnes et de la famille. Le présent code méconnaît, selon lui, une forme de l’expression culturelle dagara : le système matrilinéaire.

Messieurs et Mesdames les Ministres, Monsieur le Président du Faso, la célébration de la Semaine nationale de la culture (SNC) m’offre une belle occasion pour apporter ma modeste contribution à la fête de la culture, surtout celle qui se vit au quotidien, la SNC n’étant qu’une vitrine de cette richesse nationale dont regorge le Burkina.

Nous avons félicité et récompensé les artistes à la hauteur de leurs mérites, de leur prestation du moment. Votre attachement à la culture ne souffre d’aucun doute. Mais combien plus authentique serait-il s’il embrassait toute la culture ; toutes les facettes de la culture burkinabè, car il y a des éléments culturels qui n’ont besoin ni d’exposition, ni de compétition.

Souffrez donc que je vous signale un aspect de notre culture que peut-être par mégarde ou par ignorance vous piétinez par le biais du Code de personnes et de la famille. Il s’agit du patronyme et du matronyme dagara, qui font du Dagara ce qu’il est. Ces deux entités sont aussi importantes l’une que l’autre et constituent la spécificité de l’identité dagara.

Elles ont des rôles sociaux indéniables dans le vécu quotidien dagara. De la célébration des funérailles à la médiation, le Dagara se sent vivre à travers son patronyme et son matronyme authentiques.

C’est dire que le tort que nous fait le Code des Personnes et de la famille dans son application, quant à notre identification, est incommesurable. Que !e patronyme qui est foncièrement culturel soit maintenant l’objet d’une loi d’Etat me semble on ne peut plus insolite.

Les Dagara ne doivent pas être des cobayes La culture ne s’impose pas. Les vrais changements culturels viennent et doivent émaner de la conscience communautaire de l’ethnie qui en sent la nécessité. Ainsi en a-t-il été par exemple à travers les siècles pour résoudre les problèmes de mariage quand un groupe se sentait trop isolé et avait des difficultés pour contracter des liens matrimoniaux.

On procédait alors à des rites pour scinder la famille afin de permettre à la vie communautaire de se poursuivre. Rien n’était imposé d’en haut, gratuitement. Le présent Code des personnes et de la famille a certainement des objectifs nobles, mais il pèche par endroits, et il faudrait l’admettre et procéder à sa révision.

Tenez ! Moi, je suis Somda né de mon père Dabiré et de ma mère Somda. Pourtant, je suis le fils de mon père. Ma sœur qui est du même père et de la même mère est devenue subitement Dabiré du fait de l’application du Code, à la faveur de l’établissement d’un jugement supplétif.

Or, si le code avait tenu compte des réalités socioculturelles dagara, ma sœur n’aurait pas pu devenir Dabiré, alors qu’elle a vécu Somda pendant cinquante (50) ans.

Les Dagara n’ont-ils pas le droit d’être tels qu’ils sont ? Différents des autres comme les autres le sont de nous ? je crois, moi, à l’expression plurielle de la culture ; je crois à l’unité dans la diversité.

Je crois que vous pouvez encore manifester votre âme culturelle en faisant réviser ce Code afin qu’il ne continue pas de faire des Dagara, les cobayes d’un objectif national aux contours mal définis.

En attendant d’être convaincu de la nécessité pour le Dagara de porter le matronyme de son père (Dabiré par exemple.

Ce qui est socialement une aberration) au lieu du vrai patronyme (Bèkuonè par exemple), je vous prie Messieurs et Mesdames les Ministres, Monsieur le Président, de me rendre ma sœur :

Somda Nouzawla Marie-Blanche, elle que je connais et aime depuis ma tendre enfance, fille de mon père Dabiré Donkèrè, et de ma mère Somda Nwinyerou. Dabiré Nouzawla Marie-Blanche n’est pas ma sœur.

Au nom du ciel, rendez-moi ma sœur.

Respectueusement vôtre

Bèkuonè Somda Kuuceti

Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 4 mai 2006 à 10:16, par Nogo En réponse à : > Lettre ouverte au gouvernement du Burkina Faso : Rendez-moi ma sœur !

    Cela traduit le manque d’immagination de notre élite intellectuelle, enfin celle qui est au pouvoir : ce mimétisme effréné et honteux des anciens pays colonisateurs, l’incapacité à concevoir qu’il puisse y avoir d’autres manières d’organiser la société. Autre exemple : dans nos sociétés traditionnelles, les femmes gardaient leur noms de famille même quand elles étaient mariées, comme nos lois sont des copies des lois françaises, on décide qu’elles doivent prendre le nom de leur mari. Il se trouve qu’en France, il y’ a une nouvelle qui institue la possibilité pour les femmes de garder leur nom. Je parie que dans une dizaine d’année ça sera le cas au BF. En gros il faut attendre que les autres se rendent compte de certains aspects positifs de notre système matrimonial avant même que nous nous en rendons compte.

  • Le 4 mai 2006 à 20:46, par Karim Traore En réponse à : > Lettre ouverte au gouvernement du Burkina Faso : Rendez-moi ma sœur !

    Ah que cette lettre me plait ! Elle nomme tres clairement les aberrations d’une culture neo-coloniale phallocentrique et ignorante. Le systeme Dagara peut servir de point de depart pour une discussion combien vieille, deja formulee a maintes reprises par Cheik Anta-Diop.
    Bravo, Somda, fils de sa mere !

    Karim Traore

  • Le 5 mai 2006 à 15:18, par Madiba En réponse à : > Lettre ouverte au gouvernement du Burkina Faso : Rendez-moi ma sœur !

    Je suis d’accord avec Vous Mr SOMDA quant à la sauvegarde de notre culture qui il faut le dire, n’est pas toujours mauvaise comme on a tendance à nous faire croire. Nos sociétés fonctionnaient selon des codes bien définis et jusque là ces codes ont fait leur preuve. Malheureusement, on a tendance à diaboliser nos cultures au profit de celles du colonisateur comme quoi, nous voulons être modernes.

    Mais ce qu’il faut reconnaître, est que dans le passé, chaque peuple, vivait dans une sorte de nation indépendante et vivait selon ses codes. De nos jours, nous (mossi, peul, dakara, bobo, etc.) appartenons tous à la même nation. De ce fait, bien que nous devions sauvegarder nos cultures, je pense qu’il faudra des codes standard pour toute la population. Ce qui évitera sans doute des problèmes avec des conséquences sans précédentes. Avec plus d’une soixantaine d’ethnies, il est difficile de prendre en compte toutes ces cultures dans le code des personnes et de la famille.

    Tout en reconnaissant que le code des personnes et de la famille est à revoir et que nous devons sauvegarder nos cultures, il faut aussi reconnaître que dans un pays comme le BF, il est impossible d’établir des codes satisfaisant tous les peuples. Cela demande des réflexions poussées devant représenter toutes les couches sociales.

    • Le 7 mai 2006 à 17:36, par Nogo En réponse à : > Lettre ouverte au gouvernement du Burkina Faso : Rendez-moi ma sœur !

      D’accord avec vous mais sur ce point ci, ça ne pose pas vraiment de problème à ce qu’on accepte le matronyme au même titre que le patronyme dans la mesure où même les sociétés occidentales commencent à l’autoriser. Si on ne l’a pas fait c’est parce qu’on y a pas pensé.

    • Le 4 janvier 2007 à 21:41, par dewrebié Somé Téonbaore En réponse à : > Lettre ouverte au gouvernement du Burkina Faso : Rendez-moi ma sœur !

      Je suis d’accord avec Vous Mr SOMDA quant à la sauvegarde de notre culture qui il faut le dire, n’est pas toujours mauvaise comme on a tendance à nous faire croire. Nos sociétés fonctionnaient selon des codes bien définis et jusque là ces codes ont fait leur preuve....
      ... nous devions sauvegarder nos cultures,...

      c’est quoi sauvegarder nos cultures ? si vous n’agissez pas . il faut accepter car nous au burkina on est trop different... c’est un argument un peu éculé a mon avis et dont les europeens ont usé pour nous imposer LEUR culture et pour nous africains de rester dans la paresse intellectuelle. Cette discussion n’est pas anodine du tout car cela veut dire que nous devons reflechir sur qui sommes nous (au burkina, en afrique), etc. c’est deja une honte que nous soyions en train de discuster en francais. Pourquoi pas en dioula, moré, fulfuldé, dagara ou autres ?

  • Le 9 mai 2006 à 12:24, par Manituo En réponse à : > Lettre ouverte au gouvernement du Burkina Faso : Rendez-moi ma sœur !

    Tonton, tout ceci est bon.
    On est tous d’accord que la situation périclite et que l’on devrait réagir, au plus tôt.
    Mais qu’est-ce qu’on doit faire maintenant ?

    Je suis disposé à signer le maximum de pétitions, si j’étais à Ouaga, je marcherai et dormirai même au ministère de la famille. Oui mais que préconisez-vous, qu’on agisse enfin.

    Honnêtement, je voudrai pouvoir donner un nom à mon enfant sans passer pour un apatride ou un couard.

    KUSEBLE KPODA Manituo.

  • Le 10 mai 2006 à 17:22, par Zaguè Kariyon Robert Somé En réponse à : > Lettre ouverte au gouvernement du Burkina Faso : Rendez-moi ma sœur !

    Merci Cousin,

    Il nous faut conserver et valoriser le seul trésor qui nous reste à la suite des ravages coloniaux et Néocoloniaux : La culture. Nous avons à travers ce point de notre code familial une expression manifeste de notre complexe de colonisé mental. C’est vraiment dommage. J’ai exactement le même problème que Mr Somda. car je suis Somé de par ma mère et mes jeunes frères sont nés Somda à la suite de l’application de cet aspect de notre code familial. Des faux Somda car comformément aux traditions Dagara mes frères devenus Somda ne peuvent se présenter à une rituel traditionnel de Somda.
    Zaguè Somé Kariyon Robert

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