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Technologies : L’Afrique doit-elle rester éternellement entubée à l’Internet mondial ?

Publié le lundi 18 mars 2024 à 21h15min

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Technologies : L’Afrique doit-elle rester éternellement entubée à l’Internet mondial ?

Pour Dr Sylvestre Ouédraogo, entre autres président de l’association Yam Pukri nouvelles technologies, responsable du réseau Burkina-ntic et membre de l’Initiative sur la gouvernance de l’Internet au Burkina, les problèmes sur les câbles sous-marins ne devraient pas impacter grandement le Net africain. Il explique dans la tribune qui suit que si c’est le cas, c’est que notre infrastructure est toujours à la traine. Lisez plutôt !
Résumé.

Les problèmes sur les câbles sous-marins ne devraient pas impacter grandement le Net africain. Si c’est le cas, c’est que notre infrastructure est toujours à la traine. Les échanges intra villes intra pays et intra-Afrique dans le domaine des télécommunications sont plus importants que les échanges avec l’occident. Comme les réseaux ne sont pas intégrés, un simple message part en occident avant de revenir chez nous à quelques mètres. Cela accroit les coûts de communication et sature les réseaux qui se bousculent tous pour sortir et entrer. Dans ce papier, j’essaie d’expliquer, de situer les responsabilités et des solutions possibles.

L’Internet est le réseau des réseaux dans le domaine des télécommunications. Il doit me permettre normalement d’envoyer un message à une personne qui est à côté de moi ou à une personne qui est éloignée. La distance ne compte pas. Ce n’est donc pas normal que le fait que des câbles endommagés dans la mer à des milliers de kilomètres soient un frein aux Africains d’envoyer leur message même à une personne juste à proximité et de faire leur travail quotidien.

Pourquoi en est-il ainsi ?

Parce que l’Afrique est toujours à la traine en matière d’intégration des réseaux et de valorisation/collaboration des réseaux locaux. Comme nos réseaux sont faiblement interconnectés, une petite panne a des répercussions sur l’ensemble du système.
Cela n’est pas normal que depuis les années 1990 ; période d’implantation de l’Internet grand public en Afrique, nous en sommes à toujours pleurer et à être handicapé par la coupure de câbles.

Pour expliquer simplement à monsieur tout le monde le principe de fonctionnement de l’Internet, prenons l’exemple du simple téléphone. Vous avez 5 personnes dans votre maison et que chacun a son numéro de téléphone. Quand vous appelez une personne, l’appel passe par la centrale téléphonique de la localité et revient à votre ami juste à côté de vous. Cet appel va occasionner des frais pour l’envoi et la réception du message. Imaginez que vous installez un standard chez vous. L’appel que vous faites à votre ami reste dans la maison et vous ne payez rien, sauf l’électricité.

L’Internet fonctionne de la même manière. Les terminaux ou ordinateurs, téléphones fonctionnent entre eux par l’intermédiaire des réseaux filaires ou sans fil et transitant par les réseaux de télécommunication, les providers (fournisseurs d’accès Internet) et les hébergeurs de contenus logés dans des fermes à serveurs (le plus souvent ces serveurs sont aux USA, Canada et en Europe ; il existe peu de serveurs en Afrique). La communication utilisant les réseaux locaux est qualifiée d’Intranet. Dans l’espace d’une ville ou d’un pays, on peut appeler ce réseau Extranet. Au niveau mondial, on appelle le système réseau des réseaux ou Internet.

De la même manière que vous payez de mégas de communication, les opérateurs paient ou possèdent des réseaux et pour les interconnecter aux providers et hébergeurs, il faut payer les bandes passantes et cela coûte excessivement cher et les consommateurs qui sont en bas de l’échelle paient des sommes élevées.

Aux USA, l’Internet a commencé par des réseaux locaux de type local (réseau Intranet avec l’armée ensuite les universités et les entreprises) ensuite des réseaux de type (réseau extranet) et après l’Internet est venu plus tard reliant les pays et les continents avec un système hautement redondant- la même information est dupliquée à plusieurs niveaux. Une coupure accidentelle d’une partie du réseau ne peut donc empêcher les informations de continuer à cause de la multiplicité des copies.

En Afrique, l’Internet a commencé par l’Internet et il n’existe presque pas de réseaux locaux pour affiner le système contrairement à l’Occident qui a commencé par des intranets.
La régulation de l’Internet est assurée par une organisation tripartite dans le monde et dominée par les USA. En Afrique, nous avons Afrinic avec des démembrements dans les pays comme le Burkina avec IGF Burkina.
Pourquoi l’Afrique est toujours à la traine et toujours entubée aux réseaux occidentaux ?

Parce que les opérateurs de télécommunication en Afrique refusent d’intégrer et d’utiliser les points d’échange Internet locaux (Ce sont des dispositifs qui permettent de raccourcir la course des communications et permettre qu’une information envoyée soit redirigée rapidement sans passer par la racine) et le législateur a des difficultés pour les faire marcher au pas. Ainsi, nos réseaux, au lieu d’être dans un système de maillage qui permet de communiquer en local, sont restés un réseau plus ou un loin parallèles ou chacun possède ses propres infrastructures, les prêtant au prix offrant.

Pour Intersociety les points d’échange Internet sont essentiels pour le développement de l’accès à Internet et la réduction des frais de connexion en Afrique, indique un nouveau rapport de l’Internet Society. Un nouveau rapport publié aujourd’hui par l’Internet Society décrit les grands axes de l’infrastructure Internet en Afrique et explique le rôle essentiel que jouent les points d’échange Internet (IXP) dans le développement de l’accès et de la réduction des coûts. Ce rapport, intitulé « Vers une Afrique interconnectée : l’initiative 80/20 », étudie l’écosystème Internet en Afrique.

Il est urgent d’améliorer l’accès à Internet sur tout le continent, en particulier à la suite de la pandémie du coronavirus. Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, moins d’un foyer sur cinq a accès à Internet. Un accès fiable et abordable à l’Internet favorise également la croissance économique. Une étude récente estime que l’économie de l’Internet est susceptible de contribuer à hauteur de 180 milliards de dollars américains au produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique, à l’horizon 2025.

Un IXP est une infrastructure technique grâce à laquelle de nombreux réseaux, y compris ceux de fournisseurs d’accès à Internet, d’opérateurs de réseaux mobiles, de réseaux d’entreprise, de réseaux pour la recherche et pour l’enseignement, de services d’administration en ligne et de réseaux de diffusion de contenu (CDN) concourent pour se connecter et échanger du trafic Internet.

Les IXP permettent l’échange local de trafic Internet, au lieu de recourir à l’usage d’onéreuses routes de transit international. Cela rend l’accès à Internet plus abordable, mais aussi améliore la qualité de l’accès, en offrant des connexions au réseau qui sont plus directes. Les vitesses d’accès au contenu peuvent devenir jusqu’à 10 fois plus rapides avec un IXP, car le trafic est acheminé localement plutôt que par des routes de transit international. https://www.internetsociety.org/fr/news/press-releases/2021/internet-exchange-points-are-critical-to-improving-internet-access-and-lowering-connectivity-costs-in-africa/
L’Internet ou les télécommunications est un bien public et stratégique. Nous ne devons pas laisser les opérateurs de télécommunications faire ce qu’ils veulent et comme ils veulent ;

Les autorités de régulation sont jeunes en Afrique et ne peuvent pas inverser la tendance malgré le dispositif règlementaire mis en place et les associations de consommateurs de produits électroniques ne sont pas suffisamment organisés pour faire face aux opérateurs qui sont très puissants. Les opérateurs historiques dans les pays malgré la présence de l’État conservent une certaine force.

Au Burkina Faso, malgré des sommes faramineuses investies ces 15 dernières années pour mettre en place un backbone national avec un bon maillage, un système d’atterrissement virtuel de l’Internet qui permettra de continuer de travailler en local même si l’Internet est coupé du monde, les résultats sont en deçà des attentes.
Dans les faits, on ne sent pas un réel changement et les coûts de communication ne baissent pas sensiblement parce que les opérateurs ne sont pas suffisamment interconnectés.

Quoi faire pour ne plus dépendre de l’Internet mondial en Afrique ?
En prenant l’exemple du Burkina Faso, nous devons continuer le projet d’interconnexion des villes par fibre optique et obliger les opérateurs à utiliser le système de point d’échange Internet. Les points d’échange Internet permettent de router les communications en interne et de réduire les frais de communication et d’accroitre leurs performances.

Au niveau associatif, nous devons continuer le travail de sensibilisation et de formation des acteurs de la société civile aux enjeux et au hacking éthique. Il est possible actuellement de créer locaux performants avec peu de moyens pour suppléer aux déficiences des opérateurs et continuer à partager de l’information en local.

L’Afrique doit concrétiser son Internet, son Africanet pour être indépendant
Cela est encore plus dangereux et plus crucial que ELON MUSK a lancé ses milliers de satellites qui permettent à toute la planète d’accéder à ce l’Internet haut débit n’importe où sur la planète.

Cela pose des problèmes sérieux parce que cela va accroître l’extraversion des réseaux au Burkina Faso et une domination décuplée de l’Internet international avec un grand affaiblissement des opérateurs locaux et du régulateur. Elon MUSK veut donner de l’Internet à toute personne possédant un téléphone portable et la miniaturisation des équipements satellitaires, il deviendra de plus en plus difficile d’effectuer un contrôle sur les terminaux. A terme, nous allons acheter tous nos paquets de données et les Intranet vont disparaitre.

Les opérateurs de télécommunication vendent juste les connexions et laissent les services aux terminaux à d’autres acteurs qui souvent sont de l’informel. En effet, une personne ou une entreprise qui souscrit à une offre de service de télécommunication devrait bénéficier d’un minimum de service comme la messagerie, une page web gratuitement et le reste pourra être capté par les hébergeurs nationaux en cas de saturation de l’espace octroyé.

Il en est de même de la gestion des noms de domaine Internet pays. Chaque fonctionnaire devrait posséder une adresse électronique officielle et un espace web qui le présente synchroniser avec son plan de carrière. Les associations et entreprises également devraient l’avoir gratuitement pour les premières années et la récupération financière sera progressive.

Avec des systèmes de messagerie locale, il deviendra plus facile de réguler le système et de l’améliorer.
Un concours devrait être fait pour la mise en place de réseaux sociaux locaux dont le serveur se trouve au Burkina avec un soutien public pour supporter les premières années de pratique en attendant le rendement. Cela permettra de suppléer aux déficiences des réseaux sociaux externes et d’avoir des alternatives viables en cas de faiblesse des réseaux ; les ressources du Fonds de Service universel pourraient aider à supporter ce genre d’investissement.
Le projet de mise en place de technopoles traine en Afrique parce que l’Afrique copie toujours mal en partant du général vers le local au lieu de partir du local vers le global.

Le soutien aux initiatives locales existantes entreprises par des associations qui possèdent des projets structurants doit également recevoir des soutiens pour aider à faire du codage et des expérimentations numériques et exécuter des marchés locaux et internationaux.
L’Afrique doit se réveiller et aller dans le fond, mieux expliquer aux consommateurs et à la population les enjeux et les rouages du système au lieu de continuer de pleurer et d’accuser les autres éternellement.

Sylvestre OUEDRAOGO
Président association Yam Pukri nouvelles technologies
Responsable du réseau Burkina-ntic
Membre de l’initiative sur la gouvernance de l’Internet au Burkina
Membre du réseau Africanet
Directeur régional IPD-AOS

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