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La crise malienne donne une nouvelle visibilité à la Cédéao.

Publié le samedi 2 mars 2013 à 12h47min

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La crise malienne donne une nouvelle visibilité à la Cédéao.

Ce n’est pas l’OTAN, ni même l’ONU, mais la Cédéao échappe désormais au qualificatif de « Rambo de pacotille » que lui avait décerné le quotidien privé burkinabè L’Observateur Paalga, voici quelques années, quand les « petits poucets » de l’organisation régionale (le Béninois Thomas Boni Yayi, le Sierra-léonais Ernest Bai Koroma et le Cap-Verdien Pedro Pires) s’étaient pris pour des « rois mages » s’efforçant (sans conviction) de convaincre Laurent Gbagbo d’abandonner un pouvoir qu’il avait perdu dans les urnes.

Quinze mois plus tard, c’était justement le vainqueur de cette confrontation électorale qui avait dégénéré en affrontement militaire, Alassane D. Ouattara, qui était porté à la présidence de la Cédéao (cf. LDD Cédéao 008/Jeudi 16 février 2012). Et il vient d’être réélu à ce job, à Yamoussoukro, en cette année 2013 qui est celle du vingtième anniversaire de la mort de Félix Houphouët-Boigny. C’est d’ailleurs dans le cadre de sa Fondation que cette consécration a eu lieu.

Bien sûr, on ne peut pas dire que la Cédéao a, désormais, les moyens de sa politique, loin de là. Le fait que ce soit le Tchad qui assure la charge (africaine) de la reconquête du Nord-Mali en est la preuve. Son président, Idriss Déby Itno, invité d’une organisation dont son pays n’est pas membre, l’a fait remarquer : ce sont des Tchadiens qui meurent au combat et personne d’autre au sein de la Cédéao ! (je redoute que l’affront ne soit pas tel, pour les officiers maliens, qu’un seul d’entre choisisse la mort plutôt que la honte en se faisant hara-kiri dans son bureau : cela risquerait de « dégueulasser » la moquette !).

Mais c’est l’entregent de Ouattara sur la scène africaine et internationale et la fermeté de l’axe Ouagadougou/Abidjan (le Burkinabè Kadré Désiré Ouédraogo préside la commission de la Cédéao et Blaise Compaoré en est le médiateur pour le dossier malien), qui a poussé la France à s’engager militairement sur le terrain. Ce qui n’est pas, diplomatiquement et politiquement la meilleure des choses, mais permet de masquer, justement, les insuffisances militaires (pour ne pas dire les incompétences) des pays membres de la Cédéao.

Le « Rambo de pacotille », parce que justement il est de « pacotille », n’a pas eu d’états d’âme à appeler au secours, cette fois, un « Rambo » considérablement moins désarmé et, surtout, plus motivé. Mais il est vrai que Paris à fait à Sévaré, Gao, Tombouctou et Kidal ce qu’il avait fait à Abidjan en 2011.Ce que j’appelle de la « stratégie de substitution » ; autrefois on disait purement et simplement « impérialisme » au pire, « ingérence » au mieux. Le processus de « substitution » va d’ailleurs être renforcé dès lors que la Cédéao appelle à la transformation de la MISMA en opération de maintien de la paix sous la férule des Nations unies.

Mais, enfin, tout le monde est content. Déby parce qu’il a trouvé une tribune depuis laquelle il peut donner des leçons aux autres (ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps) et une occasion d’affirmer sa « responsabilité face à l’histoire » (il ajoute même, sans rire, pour la défense des « valeurs de paix et de liberté »). Et ceux des pays membres de la Cédéao qui, sans trop avoir bougé le petit doigt, se réjouissent, comme le dit Ouattara, que « l’intervention militaire de la France aux côtés de l’armée malienne et des troupes du Tchad et de la MISMA a permis d’inverser la courbe dramatique des événements et de sauver la forme républicaine de l’Etat malien ». Le poids des mots l’emporte sur la réalité du terrain : affirmer que ce sont les troupes françaises « accompagnent » l’armée malienne et la MISMA est un abus de langage. Quant au républicanisme de l’Etat malien, il est discutable aujourd’hui et incertain demain.

La satisfaction est aussi celle du roi Mohammed VI. Le Maroc n’est que membre observateur de la Cédéao ; et n’est plus membre de l’UA depuis une éternité, ce qui limite son panafricanisme. Mais dans un très long message, dont la lecture a été donnée par son chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, il a souligné l’importance que ce regroupement régional représentait pour le royaume qui se « hisse au premier rang des investisseurs africains dans la sous-région ».

Si les cinq pays de l’Union du Maghreb arabe (UMA) ont su dialoguer avec les cinq pays européens de la Méditerranée occidentale (dans le dialogue dit « 5 + 5 »), « pourquoi hésitent-ils encore à l’instaurer avec leur voisinage immédiat du Sud avec lequel ils partagent tant, en termes de défis et de menaces, mais aussi et surtout en termes de fraternités, de potentialités et de proximités en tout genres ? », s’est interrogé le souverain chérifien.

Mohammed VI a ainsi évoqué la situation au Mali, avec un ton didactique mais ferme qui laisse entendre que le temps des récréations est terminé (« les fragilités croissances de l’Etat, affaibli par les divisions politiques et les dissensions militaires ») : « Aujourd’hui, a-t-il dit, au moment où le règlement de la crise malienne est entré dans une phase opérationnelle nouvelle et différente, la Cédéao est encouragée à poursuivre ses actions de médiation, de facilitation, de protection et de stabilisation post-conflit. Durant les étapes décisives et délicates à venir, les initiatives de la Cédéao seront déterminantes pour accompagner le Mali, pays souverain, dans la réalisation de sa ‘Feuille de route de transition’, et dans l’accomplissement des différents objectifs définis par le Conseil de sécurité […] L’approbation par tous les acteurs maliens du modèle à construire, des étapes à franchir et des modalités à mettre en œuvre est, en effet, d’une importance capitale ». « Voisin solidaire », « partenaire pour la paix et la sécurité dans la région », le Maroc est engagé dans la résolution de la crise « malo-malienne » mais entend être, également, aussi omniprésent (et exigeant) que possible dans la « post-crise ». Il s’agit pour le Maroc « d’approfondir davantage sa coopération avec la Cédéao, en élargissant à de nouveaux horizons son statut de membre observateur, lui conférant un contenu significatif et singulier, sur les plans politique, économique, socio-culturel et stratégique ».

Obnubilée par le Mali (et dans une moindre mesure par la situation en Guinée-Bissau), la Cédéao (qui, hormis le président tchadien et le premier ministre marocain a accueilli les chefs d’Etat du Burundi et de la Mauritanie) n’a pas oublié ses fondamentaux : l’intégration régionale dont la priorité, a rappelé Ouattara, est « l’achèvement de la construction du marché commun pour lequel des progrès tangibles sont chaque jour réalisés ». Il a, par ailleurs, rappelé que la condition siné qua non de la finalisation de ce projet de marché commun était « la réalisation des projets régionaux d’interconnexions entre nos Etats […] qui s’inscrit dorénavant dans des initiatives à la fois bilatérale et multilatérale ».

Là encore, il faut reconnaître que la Côte d’Ivoire joue, plus que d’autres pays, sa partition, Ouattara étant en position de mobiliser des moyens financiers considérables pour des projets qui concernent les grandes infrastructures d’interconnexions routières, ferroviaires, électriques, énergétiques, câblées… Sur ce terrain le chef de l’Etat ivoirien retrouve le roi du Maroc. Et ce ne saurait être un hasard. Dans le contexte actuel, ce sont les deux pays phares de la zone ouest-africaine « élargie ».

Le Maroc bien plus que l’Algérie (malgré ses énormes richesses pétrolières et gazières), la Côte d’Ivoire bien plus que le Nigeria (malgré, là encore, ses énormes richesses pétrolières et gazières). C’est que Rabat et Abidjan savent « extravertir » (autrement dit séduire les investisseurs étrangers) leur économie et parviennent, malgré les soubresauts politico-sociaux, à éviter le chaos.

C’est pourquoi aussi Mohammed VI et Ouattara sont préoccupés par la résolution de la crise « malo-malienne » et de la situation au Nord-Mali. Ils savent qu’en ce domaine ils n’ont pas les moyens de leurs ambitions : Mohammed VI n’oublie pas la question jamais résolue du « Sahara occidental » ni le fait que son gouvernement est perçu comme « islamique » tandis que Ouattara est confronté à une improbable « réconciliation » qui pèse sur la vie politique de son pays. Ils sont donc engagés dans une course de vitesse : croissance économique contre subversion politique. Et il n’est pas sûr que la ligne d’arrivée soit encore loin… !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 3 mars 2013 à 13:33, par dibi En réponse à : La crise malienne donne une nouvelle visibilité à la Cédéao.

    C’est sur le terrain de la mobilisation des fonds (financement de grands projets) et surtout la capacité à attirer les investisseurs étrangersque nous attendons plus notre président.Jusque là sur ce terrain, COMPAORE est transparent, il excelle surtout dans les médiations (lol !) et la libération des otages (encore lol !).
    Emergence emergence, quand tu nous tient !!!

  • Le 3 mars 2013 à 22:17 En réponse à : La crise malienne donne une nouvelle visibilité à la Cédéao.

    Endormez nous. Mais tout le monde sait que c’est la France et le Tchad, tous hors CEDEAO qui combattent au nord Mali. Les autres figurants sont en attente.

  • Le 4 mars 2013 à 09:13, par Ranini En réponse à : La crise malienne donne une nouvelle visibilité à la Cédéao.

    La CEDEAO fait honte avec ses vélléités de transformer sa force initialement destinée à casser du djiadiste en force de maintien la paix !

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