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LUC ADOLPHE TIAO, À PROPOS DE LA COOPÉRATION AVEC TAÏWAN : « Nos amis chinois investissent dans des domaines qui nous permettent ­de nous développer »

Publié le mardi 29 mai 2012 à 01h24min

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Outre sa participation à l’investiture du président de la République de Chine (Taïwan), Ma Ying-Jeou, le Premier ministre burkinabè, Luc Adolphe Tiao, a mis à profit son séjour pour visiter des infrastructures socio-éducatives et échanger avec des acteurs-clé de la coopération entre les deux pays. Dans cet entretien, il dresse un bilan positif de son séjour et dessine les perspectives de l’Hôpital national Blaise Compaoré. Mais avant, Luc Adolphe Tiao revient sur les motivations de son voyage à plus de 17 000 km du Burkina Faso.

Luc Adolphe Tiao (L.A.T) : J’ai été honoré par le Président du Faso, son Excellence Blaise Compaoré, pour le représenter à l’investiture du président de la République de Chine, son Excellence Ma Ying-jeou. La République de Chine est un grand ami du Burkina Faso avec lequel nous entretenons des relations de plus de 15 ans. Le Président Ma qui a été réélu au mois de janvier dernier a invité les chefs d’Etat des pays avec lesquels son pays entretien des relations diplomatiques. Et c’est dans ce cadre que le président Blaise Compaoré m’a demandé de le représenter à cette investiture.

Sidwaya (S.) : Vos objectifs pour ce voyage ont-ils été atteints ?

L.A.T : D’abord, je dois vous avouer que c’est la première fois que j’effectue une visite dans cette partie du monde et particulièrement en République de Chine (Taïwan). Sur le plan personnel, j’ai été comblé parce que ce voyage m’a permis de découvrir ce pays dont on disait beaucoup de bien. Je n’avais pas une idée assez précise de son niveau de développement. Et quand on sait qu’il y a 50 ans, ce pays était au même niveau que beaucoup de pays africains, il y a de quoi être émerveillé. Sur le plan bilatéral, cette visite a été l’occasion de réaffirmer nos relations avec ce cher pays et nous avons pu faire le point des différents domaines de coopération. Nous avons renouvelé, de part et d’autre, l’engagement d’approfondir cette coopération. Nous pouvons donc affirmer que nos objectifs ont été pleinement atteints.

S. : Vous avez eu de nombreux entretiens avec de hautes personnalités taïwanaises. De quoi a-t-il été question ?

L.A.T : Je puis vous dire que nos amis taïwanais sont très soucieux de la qualité des relations qu’ils entretiennent avec le Burkina Faso. Ils s’assurent toujours que les différents projets que nous mettons en œuvre atteignent effectivement leur objectif. Avec le ministre des Affaires étrangères, Timothy Chin-Tien Yang, nous avons fait le point de la coopération. Nous avons aussi insisté sur un certain nombre de projets sur lesquels nous allons travailler davantage. Le ministre des Affaires étrangères a surtout réitéré les remerciements du Président Ma à son homologue burkinabè, le Président Compaoré.

Les discussions avec le conseiller spécial du Président de la République de Chine (Taïwan), qui est d’ailleurs un ancien ministre de la Santé, ont essentiellement porté sur l’avenir de l’Hôpital national Blaise-Compaoré. Vous savez qu’il s’agit d’un hôpital d’un niveau d’investissement très élevé. Il se trouve que cette structure sanitaire est confrontée à quelques difficultés. Nous avons essayé d’explorer, ensemble, les voies et moyens de redresser la situation, pour en faire véritablement un hôpital de référence qui pourrait accueillir, non seulement des patients burkinabè, mais aussi ceux de pays voisins et d’ailleurs. Nous avons fait des propositions réalistes. Et dès que nous serions de retour à Ouagadougou, je m’investirai pour qu’une nouvelle orientation soit donnée à cet hôpital, avec les conseils et les directives du Président du Faso.

Il faut que l’hôpital qui a coûté la bagatelle somme de 30 milliards de F CFA joue pleinement son rôle. Nous avons également échangé sur les possibilités de mettre l’accent davantage sur la formation. C’est l’un des volets qui nous paraît important et nous allons faire en sorte qu’il y ait plus de Burkinabè qui viennent étudier en République de Chine. En plus des connaissances académiques, je pense que, sur le plan culturel, ce pays peut être proche de nous.

S. : Concrètement, qu’est-ce qui bloque le fonctionnement de l’Hôpital national Blaise-Compaoré et quel est le remède trouvé à l’issue de ce séjour ?

L.A.T : Il y a plusieurs raisons qui expliquent que jusqu’à présent, deux ans après l’inauguration de l’infrastructure, de nombreux services ne soient pas encore ouverts. D’abord, je pense qu’il y a eu des problèmes au départ. Je crois que la partie burkinabè ne s’est pas suffisamment appropriée de ce projet. De telle sorte que nous avons eu une infrastructure clé en main sans que toutes les dispositions ne soient prises pour accompagner le projet. Il y a aussi le problème du statut de l’hôpital. Dans la conception des Chinois, il s’agissait de faire un hôpital à gestion privée. Effectivement, il le faut. Il y a également des machines que nous n’avons pas pu mettre en marche ; soit parce qu’il n’ya pas de spécialistes pour les manipuler, soit parce que ces appareils ne sont pas adaptés. L’hôpital est confronté à un problème de personnel.

Evidemment, si vous voulez travailler dans un hôpital de référence, qui a de nombreuses exigences, et qu’on vous propose un salaire quasiment égal à celui du public, cela ne peut pas vous inciter à y aller. Au niveau du génie civil, il y a quelques problèmes. Au vu de toutes ces difficultés, nous avons décidé de donner une nouvelle orientation à cet hôpital. Pourquoi ne pas en faire un exemple de partenariat public-privé, c’est-à-dire une structure qui aura une gestion autonome, totalement indépendante du gouvernement. Nous allons approfondir l’idée avec des partenaires chinois et burkinabè. Nous n’avons pas vraiment d’autres choix. Si nous voulons que l’hôpital fonctionne, nous devons augmenter ses frais de fonctionnement.

Actuellement, l’Etat y injecte environ 1 milliard de F CFA par an. Or, selon les gestionnaires, il faut un minimum de 4 milliards. Donc, si nous créons une société de gestion, chaque partenaire apportera ses fonds pour assurer ces coûts. Mais au préalable, nous discuterons avec le personnel de l’hôpital, les spécialistes burkinabè en la matière… Il faut que cet hôpital soit une réussite. Le Président Ma, lui-même, a dit qu’il faut que l’hôpital national Blaise Compaoré soit un éléphant blanc et encore moins nous-mêmes. La volonté est forte de part et d’autre pour que dans les mois à venir, nous trouvions les solutions les plus adéquates.

Mais en même temps nous ne voulons pas que dans la conception publique que l’on dise qu’il s’agit exclusivement d’un hôpital pour riches. Certes que ceux qui ont les moyens pourront y aller se soigner. Néanmoins, j’estime que l’Etat a le devoir de voir comment garantir la prise en charge d’un certain nombre de patients qui sont dans des situations de vulnérabilité. Il faut que nous gardions ce caractère social de l’hôpital tout en permettant sa rentabilité.

S. : Vous avez effectué des visites dans des centres de santé au cours de votre séjour. Est-ce à dire que vous accordez une importance particulière à la coopération médicale avec la République de Chine (Taïwan) ?

L.A.T : Tout à fait. S’il y a quelque chose que j’ai retenue, c’est que ce pays est très en avance dans le domaine de la santé. En discutant avec les responsables du pays, je me suis rendu compte que la santé est l’une des raisons de leur succès. Aujourd’hui, c’est un pays où la santé est pratiquement gratuite et bien assurée. Alors que cela reste un grand pari pour nous. Il nous est donc indispensable de nous inspirer de ce que nous avons vu ici pour améliorer notre politique de santé. C’est pourquoi ce secteur m’est paru capital. Il faut que nous apportions une amélioration sensible et forte au secteur de la santé publique au Burkina Faso. Pas de santé, point de développement. Pour ma part, j’ai beaucoup plaidé pour que nos amis chinois nous accompagnent encore plus dans notre politique sanitaire.

S. : Vous avez également échangé avec les étudiants burkinabè vivant en Taïwan. Que retenez-vous de ces échanges ?

L.A.T : Nous avons rencontré des jeunes pleinement conscients et responsables. Ces jeunes sont venus avec une nouvelle vision. Dans leurs différentes interventions, ils nous ont fait des propositions concrètes pour aider le gouvernement à améliorer la gouvernance politique et économique. Ils ont donné des idées au gouvernement pour améliorer sa vision dans des secteurs-clé comme l’énergie solaire, les mines. Nous avons eu des échanges très riches avec ces étudiants qui ne sont pas venus pour un affrontement avec le gouvernement. Ils se sont dits : « Cela fait quelques années que nous sommes dans ce pays que nous voyons grimper chaque jour les marches du développement. Nous avons constaté que Taïwan a de la vision et nous voulons partager cette vision avec la délégation gouvernementale ».

Du reste, nous sommes prêts à accueillir la plupart de ces jeunes ayant des projets viables. Nous reconnaissons, en tant que gouvernement, d’avoir l’obligation d’aider à préparer le retour de ces étudiants, aussi bien ceux qui sont dans d’autres pays. A ce titre, nous devons mettre en place une politique qui s’intéresse davantage aux diplômés pour permettre, soit d’intégrer ceux qui le désirent dans les institutions nationales, soit de trouver la possibilité pour accompagner les jeunes désirant s’installer à leur propre compte. Dans cette optique, nous avons convenu avec nos amis taïwanais de mettre en place un fonds qui pourrait aider les jeunes qui rentrent avec l’intention d’entreprendre. Nous avons pu nous en rendre compte que ces jeunes n’ont pas l’ambition de travailler au compte de l’Etat, mais de créer, chacun, sa petite entreprise. Au Burkina Faso, nous avons aussi le Programme spécial de création d’emplois qui devra contribuer à résoudre le problème des jeunes diplômés en situation de chômage.

S. : Dans la coopération entre les deux pays, le secteur privé semble latent et les choses se passent d’Etat à Etat. Qu’est-ce qui peut être fait pour corriger cette donne ?

L.A.T : Il est vrai que lorsqu’on fait le bilan de cette coopération, c’est davantage le secteur public qui est mis en avant. Toutefois, il y a des hommes d’affaires burkinabè et chinois qui travaillent ensemble. Les relations sont formalisées entre les chambres de commerce des deux pays. Le volume annuel des échanges est estimé à 13 millions de dollars, surtout en faveur du Burkina Faso (7-8 millions de dollars). Parce que la République de Chine (Taïwan) nous importe le coton, le sésame, le beurre de karité, entre autres. Sans oublier qu’il existe d’autres perspectives à explorer. De nombreux hommes d’affaires chinois veulent investir au Burkina Faso. Nous avons le devoir de les accompagner pour lever les freins apparents à leur désir : fiscalité, barrière linguistique… Je vais demander au gouvernement de s’investir davantage pour rapprocher le secteur privé des deux pays qui, à mon avis, peut être le moteur du développement du Burkina Faso. Surtout que dans le cadre de la SCADD, nous allons privilégier le partenariat public-privé, parce que l’Etat peut se désengager de beaucoup d’autres domaines.

S. : Que répondez-vous à ceux qui estiment que la coopération entre la République de Chine (Taïwan) et le Burkina Faso ressemble plus à de l’assistanat au profit du second ?

L.A.T : Ce qui est sûr, nous ne volons pas. Vous avez des amis qui ont décidé de vous apporter leur appui, pourquoi refuser ! Grâce à cette coopération, nous avons pu réaliser des progrès dans beaucoup de domaines. Les centres de formation professionnelle (Ziniaré, Koudougou et bientôt Bobo Dioulasso) que nous avons acquis, à travers la République de Chine (Taïwan), vont mettre à la disposition du Burkina Faso, des professionnels aguerris dans des métiers-clés qui ont toujours été notre maillon faible. C’est vous dire que nos amis chinois investissent dans des domaines qui peuvent effectivement nous permettre de nous développer. Il ne s’agit pas là de l’assistanat. Nous devons plutôt saluer cette coopération que je dirais désintéressée. Nous devons être fiers de cette coopération et surtout l’assumer. En contrepartie, nous avons le devoir de soutenir la République de Chine Taïwan dans toutes les instances internationales. Aujourd’hui, nous sommes plus à l’aise avec le Président Ma qui a, comme orientation politique, de privilégier le dialogue avec son voisin, de la Chine continentale.

S. : Cette visite a eu lieu à deux semaines de la 9è commission mixte Burkina-Taïwan prévue pour les 7 et 8 juin prochain. Qu’est-ce que cela va apporter aux discussions en perspectives ?

L.A.T : Cette commission mixte ne sera pas comme les précédentes, pour deux raisons. Elle se tient au moment où le président de la République de Chine (Taïwan) a effectué une visite dans notre pays. Une visite qui l’a profondément marqué, parce qu’il a rencontré un pays sérieux, un peuple laborieux, vivant des difficultés. Ce vécu va l’amener à défendre la cause du Burkina afin que son pays puisse y accroître les investissements. Aussi, cette session intervient au moment où j’ai eu le privilège de visiter ce pays et d’évaluer notre coopération. Sur cette base, je pense que nous allons donner un coup de fouet plus fort à la prochaine commission mixte : consolider les investissements déjà acquis et ouvrir des perspectives nouvelles. Nous espérons qu’à l’occasion, notre partenaire puisse augmenter son volume d’appui à notre pays.

S. : Que retenez-vous des Taïwanais à l’issue de ce séjour avec eux ?

L.A.T : Un peuple ouvert et courtois. Je n’ai pas eu l’impression d’être regardé comme un étranger. C’est aussi un peuple travailleur. Dans la journée, il est difficile de voir des gens au dehors, tout le monde étant concentré quelque part en train de travailler. Le pays est certes loin, mais si les Burkinabè pouvaient avoir l’occasion d’y séjourner, ils repartiraient avec beaucoup d’idées pour leur permettre d’améliorer, eux-mêmes, leur quotidien.

S. : Comment avez-vous trouvé la gastronomie chinoise ?

L.A.T : En matière de goût, il n’est pas toujours aisé d’apprécier. Tout de même, j’ai trouvé une gastronomie très variée. Nous avons bien mangé. Mon épouse a estimé que j’ai pris quelques kilogrammes en plus (rire).

Propos recueillis à Taïpei par Koumia Alassane KARAMA
(karamalass@yahoo.fr)

Sidwaya

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