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CHRONIQUE : Circulation de l’information dans les médias africains : Demandez, et on vous la refusera !

Publié le vendredi 27 avril 2012 à 01h48min

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De tous les medium africains, la presse écrite est le plus vieux des médias. Elle a été introduite par le colonisateur au début du 19e siècle. Mais la fin de la guerre froide et la disparition du bloc socialiste ont contribué à livrer l’Afrique à la merci d’un capitalisme impitoyable dicté par les puissances occidentales qui, tout comme les matières premières du continent, se sont mises aussi à « filtrer » l’information sur le sol africain. Puis vinrent les indépendances. « Dans l’illusion des indépendances obtenues, les Etats, au nom du développement national affirmé comme priorité et du consensus nécessaire pour le réaliser, ont pendant trente ans dirigé l’information », écrivait dans « Feuilles d’Afrique », André-Jean Tudesq, un spécialiste des médias africains.

Trois grandes époques ont marqué le paysage médiatique au Burkina Faso. La première période va de 1959 à 1990 et qui a connu la naissance, par exemple, des titres comme Carrefour Africain, le quotidien privé L’Observateur Paalga et la presse d’Etat Sidwaya (le « journal de tous les Burkinabè » a eu 28 ans le 5 avril dernier). Le deuxième printemps de la presse burkinabè s’inscrit dans le sillon de la révolution « néo-constitutionnaliste » suscitée par l’historique appel de François Mitterrand le 20 juin 1990 à La Baule. Le journal Le Pays est un produit du vent de la démocratie africaine. Enfin, la dernière période est celle des années 2000 où on a assisté à un foisonnement de journaux indépendants assez critiques et ancrés dans l’air du temps.

Les médias africains sont donc aussi vieux que le monde. Quant aux professionnels, on trouve dans les rédactions africaines, les « historiens des temps modernes » sortis des écoles de journalisme de renommée internationale. Et pourtant… Pourquoi les journalistes africains sont, à chaque fois, « grillés » par leurs confrères étrangers sur les événements africains de proximité qui sont supposés concerner et conditionner l’existence même des citoyens africains ? Première raison, pensons-nous, l’environnement politique. Les journalistes africains sont dépendants, trop dépendants même, du niveau de développement économique et politique des pays dans lesquels ils exercent la profession.

Quelques exemples. Alors que les soldats ont arrêté le train de la fascinante démocratie malienne et transformé l’Etat de droit en un vaudeville avec des acteurs flottant dans les habits d’emprunt, les populations ouest-africaines, et particulièrement les Maliens, ont été immédiatement « sevrées » d’information sur cette « prise d’otage de la démocratie ». Mais qu’est-ce qui s’est passé exactement ce 22 mars 2012 à Bamako et où était passé précisément le président malien Amadou Toumani Touré (ATT) ? Les médias africains n’en ont jamais eu la réponse. La mise en lumière à cette question a été donnée, comme un scoop, par les médias du Nord qui, il y a seulement quelques semaines, ont réussi à faire parler ATT depuis sa « cachette ». La presse africaine s’est contentée de relayer l’information sur les sources des médias du Nord. Cette non-circulation de l’« info » en temps réel par les médias africains a donné l’occasion à la junte militaire de tester non seulement sa sympathie mais aussi d’asseoir sa propagande.

Le contrôle de l’« info » en temps de crise

Grâce aux chaînes de télévision étrangères, nombre d’Africains, et surtout les Ivoiriens, ont pu suivre, et parfois en direct, les « bénéfices de surprises militaires » savamment et discrètement développés par Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo pour gagner la bataille postélectorale. Le film de la capture de l’ancien président ivoirien avec tout son « monde », réfugiés dans le bunker V.I.P a été passé en boucle sur les médias du Nord. Grâce encore à la presse étrangère, ces images ont été gravées sur les CD et autres DVD et se vendent aujourd’hui comme de petits pains dans plusieurs capitales africaines. Alors qu’une certaine opinion le donnait pour mort, Charles Blé Goudé, depuis son aventure de loup solitaire a donné, un jour, de la voix grâce encore aux confrères étrangers qui semblent, eux, être dans les secrets du secret d’Etat africain. Oh ! inutile de babiller dans les débits de boissons sur l’authenticité ou non du message du « général de la rue ».

En tous les cas, nos confères ont eu au moins le pouvoir et les moyens d’essayer ! Chez nous au Burkina, les soubresauts sociopolitiques et militaires du premier semestre de l’année 2011 ont montré que la presse burkinabè n’a pas, en temps de crise, l’information exclusive frappée du sceau de « source A ». En effet, les Burkinabè les plus avisés ne se sont-ils pas tous rabattus sur la « radio mondiale » pour s’informer, minute après minute, sur un événement avec lequel et dans lequel ils vivaient ? La presse burkinabè était dans les faits mais elle n’a pas pu et n’a pas su moduler ces faits en une information immédiatement consommable pour les Burkinabè et une grande majorité des Africains dont l’oreille était intimement collée au transistor radio. Pourquoi donc les médias africains sont-ils tant traités au rabais ? Selon François Soudan, journaliste à Jeune Afrique, l’esprit de fonctionnariat de nombreux journalistes africains les « oblige » à jouer le rôle d’agents du développement.

Quant à la presse privée, elle est souvent privée de « déontologie et de professionnalisme » si bien qu’elle est quelque peu « dévoyée ». Il est d’ailleurs aisé d’observer que la plupart des nombreuses chaînes de télévisions africaines, avec des programmes africains, ont leurs sièges hors du continent ! A la question de savoir pourquoi cette « délocalisation » des bureaux, un confrère africain que nous avons rencontré fortuitement à Cotonou au mois de février dernier lors du mini-sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine, nous a répondu que les « nombreuses et récurrentes sautes d’humeur » des présidents africains ne sont pas gage de sécurité pour la profession en Afrique. Tout comme la liberté d’expression et d’opinion qui est un des principes du droit international (elle est reconnue aussi dans de nombreuses constitutions africaines), la liberté de la presse ne doit supporter aucune contrainte. La presse est comme la démocratie : ses principes de base sont universels, seul le mode d’emploi diffère d’un pays à un autre.

A l’image de leurs confrères du Nord, les journalistes africains se doivent donc de faire leur, cette doctrine libérale de l’information : contribuer à l’affirmation des libertés de leurs concitoyens ; veiller à l’autonomie de leurs actions et de leurs opinions dans le cadre de l’Etat de droit ; enfin, veiller au respect du jeu de l’équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Cette responsabilité sociale du journaliste africain ne peut être jaugée que si celui-ci consent à s’extraire des contraintes du contexte local pour informer. Quatrième pouvoir, aime-t-on à claironner, à défaut de bouleverser l’ordre inique du classement, la presse se doit de se battre plutôt pour contrôler les autres pouvoirs.

La précarité financière des journalistes

L’une des raisons qui fait que le journaliste africain est regardé avec condescendance par l’autorité publique et les puissances financières est sa situation de précarité socioéconomique et financière. Evidemment, ce misérabilisme morbide n’est pas le seul apanage des journalistes du Sud. Et puis aussi, et c’est connu, on ne vient pas au journalisme pour espérer être plein aux as. Comme la plupart des modestes salariés africains, torturés par la faim et criblés de dettes, le journaliste africain court quotidiennement vers ses propres intérêts stratégiques et ses besoins biologiques. Conséquence ? Il se « dépersonnalise ». Sa conviction professionnelle et son esprit d’indépendance s’en trouvent dévoyés. Sur le terrain du reportage, le choix est vite fait : il opte de traiter de la « vérité de la raison » et non de la « vérité des faits », somme toute modeste mais sacrée dans la profession.

Ainsi, progressivement les « légèretés professionnelles », et c’est une autre raison de la déconsidération du journaliste, se glissent dans la collecte et le traitement de l’information. Ce constat donne idéalement le prétexte à tous les autres pouvoirs de « traiter » le journaliste au rabais. Déconsidéré, il se retrouve ainsi privé d’informations et d’accès aux sources « autorisées ». Tant que les journalistes africains manipuleront la rumeur, le chantage et la « fanatisation du propos », leurs confrères du Nord passeront toujours aux yeux des gouvernants africains comme des journalistes crédibles et suffisamment « renseignés » sur les grandes questions africaines qui font la marche du continent.

Idrissa NOGO (idrissanogo@yahoo.fr)

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 27 avril 2012 à 09:34 En réponse à : CHRONIQUE : Circulation de l’information dans les médias africains : Demandez, et on vous la refusera !

    Merci pour cet article, mais je pense que vous passez à côté du sujet. Si les journalistes africains se font grillés par leurs confrères du nord, la raison est simple : c’est le complexe du nègre ! Si vous qui êtes à Sidwaya, demandez à vérifier une info auprès d’une source au BF en même temps qu’un confrère du nord, c’est ce dernier qui aura la réponse. Donc il donnera la vraie info et vous pas. Pourquoi ? Je vous le dis, c’est le complexe du nègre ! J’ai vu une stagiaire d’une radio étrangère obtenir une interview d’un ministre dans un pays d’Afrique centrale alors qu’il avait refusé la même demande à des journalistes de son pays ! Il faut aussi une décolonisation mentale de nos dirigeants, sinon, ça ne changera pas !

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