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Ghislain Toé : « A Haïti, la vie n’est pas rose … mais ce n’est pas non plus l’enfer »

Publié le vendredi 8 avril 2011 à 18h40min

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Ghislain ToéDe la faculté de Droit et de Sciences juridique set politiques de l’Université de Ouagadougou il rejoint l’Ecole nationale d’administration et de la magistrature (ENAM) d’où il sort Magistrat depuis bientôt 8 ans. Il commence sa carrière comme juge au tribunal pour enfant de Bobo-Dioulasso avant d’être nommé juge au siège au Tribunal de Grande Instance de Bobo cumulativement avec ses fonctions de Juge des enfants.

Ghislain Toé, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est entré depuis février 2008 à la Mission des Nations unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) comme Officier des affaires judiciaires et un an plus tard comme coordonnateur régional de la section justice pour la Région des Nippes (Sud de Haïti). C’est d’ailleurs cette position qu’il occupe depuis deux ans. Ce bourreau du travail bien fait, marié et père d’une petite fille de 4 ans, nous plonge dans son univers bâti sur l’espoir d’un monde meilleur.

Magistrat, ce n’est pas donné au Faso, on est tenté de demander que diable êtes vous allé chercher dans cette galère ?

Ghislain Toé : Tout l’intérêt se résume en l’acquisition d’expériences nouvelles tant sur le plan personnel que professionnel et je ne regrette rien car j’ai été bien servi de part et d’autre. L’Essentiel du Faso :

Qu’avez-vous remarqué de différent avec le Burkina dès votre arrivée sur place ?

Ghislain Toé : Le plus frappant reste ce sentiment d’instabilité et de désordre. C’est visible et palpable. La différence est encore plus frappante quand vous rentrez au pays après quelques mois passés en Haïti. A la limite, vous êtes heureux quand un policier vous met une contravention parce que vous avez brûlé un feu. Vous vous dites « au moins ici ça fonctionne ». Je n’entrerai pas trop dans les détails mais je dirais aussi qu’il ya une grande différence de culture, et de conception de certaines valeurs. Ici par exemple certains vous salueront indifféremment de la main gauche ou de la main droite, on ne vous dira pas forcément merci si vous rendez service ou faites un cadeau, on ne vous raccompagnera pas à la porte quand vous rendez visite…Autant de petites choses qui choquent un peu au début mais à la longue on finit par intégrer ce nouvel environnement et s’y adapter.

Vous étiez à Haïti le 12 janvier 2010, sur place, pouvez- vous nous dire comment vous avez vécu le séisme ?

Ghislain Toé : Il était 17h 30 environ (22h30 au BF). Je venais juste de raccrocher le téléphone avec la famille au pays. Je suis sorti de mon bureau pour aller dans un autre bureau situé à une cinquantaine de mètres. Je devais pour cela traverser un espace dégagé. C’est là que j’ai été pris de vertiges. J’ai d’abord cru à un malaise physique, et pendant que j’essayais de retrouver mon équilibre, j’ai entendu un grondement qui s’approchait très vite et juste après le sol et tout ce qui était autour de moi s’est mis à bouger : les maisons, les voitures, les arbres... Tout ce qu’il était possible de voir à l’œil. C’est comme si vous étiez sur une planche elle-même posée sur des roulettes et qu’on la secouait. Vous perdez l’équilibre et vous tombez. Les gens autour de vous également. Tout de suite après la première secousse les plus avertis ont commencé à crier « tremblement de terre ! » d’instinct tout le monde est sorti des bureaux. 03 mn plus tard, c’était la seconde secousse, plus violente mais les gens s’étaient déjà rassemblés sur un espace dégagé.

Dans notre Base il y avait quelques dégâts matériels mais pas de blessés. Les bureaux et les bâtiments ont tenu sans problème. On ne se doutait pas que le pays venait de basculer dans l’horreur absolue. Toutes les communications étaient coupées évidemment. C’est vers 21h (02h du matin au BF) que les spécialistes de la Base ont réussi à établir une liaison satellite et chacun se précipitait pour essayer de joindre sa famille pour la rassurer. Pour ma part, parmi tous mes proches, c’est ma mère que j’ai réussi à joindre. J’ai juste eu le temps de lui dire que la terre avait tremblé ici mais que j’allais bien et qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter pour moi. Ensuite, ça s’est coupé. Mais j’étais rassuré car elle allait faire passer le message au reste de la famille, mon épouse notamment.

Ensuite nous avons été confrontés à une des nuits les plus longues que j’aie connues. Avec les répliques ça secouait toutes les 5 minutes. J’avais le sentiment à chaque secousse que la terre s’ouvrirait et que ce serait la fin. Tout le staff national comme international s’est rassemblé à la Base. Le lendemain, je suis allé chez moi pour voir l’état de mon domicile. La clôture s’était écroulée et la maison elle-même fortement endommagée. Elle menaçait de s’effondrer à tout instant. Et dans ce stress absolu il fallait continuer à travailler. J’étais sollicité de toute part car il fallait parer à certaines urgences comme empêcher les détenus de s’évader des prisons, faire le point des pertes humaines et matérielles et des effectifs disponibles, mettre en place un plan d’action d’urgence….

A quoi pense-t-on quand on est loin des siens et qu’on vit une situation pareille ?

Ghislain Toé : On pense qu’on est trop jeune pour mourir. On se demande ce que diable on est bien venu chercher dans cette galère comme vous l’avez dit au début. On se dit surtout qu’on n’a pas été assez là pour les siens et on se promet que si on s’en sort on va se rattraper. Mais on réalise surtout qu’on est bien peu de chose. Une fois on est et… pouf !... une fois on est plus. On remet pas mal de choses en question.

A part les casques bleus de l’ONU, arrive-t-il que le personnel civil subisse des actes de xénophobie ?

Ghislain Toé : Dans une mission de maintien de la paix c’est sûr que votre présence ne peut obtenir l’assentiment de tout le monde. Il y a des ultras nationalistes qui estiment que vous n’avez rien à faire chez eux et que votre simple présence est une insulte à la souveraineté de leur pays. Alors oui il ya des gens hostiles mais pas au point de poser ouvertement des actes xénophobes. Personnellement je n’ai jamais été directement confronté à des cas pareils. Néanmoins tout concours quand même à vous montrer que vous n’êtes pas chez vous, qu’on vous tolère seulement et qu’il faut faire attention à ce que vous dites et faites.

Quelle est l’ambiance générale actuellement ?

Ghislain Toé : Il ya un apaisement de la situation sociale vu que le candidat le plus contesté (Jude Célestin) a été écarté des élections. Disons que le climat est plus serein. On va au 2e tour des élections avec moins de stress mais il faut rester prudent car ici il suffit d’un rien et c’est le chaos.

Certains observateurs pensent que l’élection présidentielle pourrait constituer un nouveau départ pour Haïti. Quel est votre avis sur la question ?

Ghislain Toé : Ces élections sont certainement très attendues par la communauté internationale et le peuple haïtien. Les élections sont le point de départ indispensable au rétablissement de l’Etat de droit et des institutions. La stabilisation se fait essentiellement à l’aide de lois. Ces lois il faut les voter et pour ce faire il faut élire ceux qui interviennent dans le processus législatif (président, députés et sénateurs). Tout nous ramène donc aux élections. Pour la présidentielle il est certain que le peuple attend énormément de celui qui sera élu.

On ne peut en vouloir à personne mais quand on attend trop également on risque d’être déçu. C’est ma préoccupation actuelle. Le président élu a beau être compétent et travailleur il n’arrivera jamais à assumer immédiatement tout ce qu’on attend de lui (ou d’elle). Il faudra être patient et travailler main dans la main. Tout le monde ne comprend pas cela malheureusement. Les gens ont tellement soif de changement qu’ils vont vouloir tout à la fois et tout de suite. Ce sera à mon avis le principal problème à gérer après les élections. Sensibiliser et discipliner les populations afin qu’elles regardent désormais dans la même direction. Ce ne sera pas facile car les scissions sont assez profondes. Mais ceci n’est que mon humble sentiment.

Qu’est-ce qui selon vous constitue l’urgence dans la situation chaotique que connaît le pays ?

Ghislain Toé : Tout est urgent et prioritaire à mon avis. Il est difficile de hiérarchiser les besoins. Mais s’il faut vraiment commencer quelque part je dirais que le plus urgent c’est la mise en place des lois et des institutions adéquates. C’est sur cela que tout le reste va se construire. Sans cela on va rester dans le chaos et le désordre car il n’y aura pas de références sur lesquelles s’appuyer.

Haïti a une forte communauté à l’extérieur notamment aux Etats Unis. Comment cette communauté contribue-t-elle à améliorer la situation ?

Ghislain Toé : C’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre. C’est vrai que la communauté aux Etats-Unis et au Canada est assez forte. Je pense que leur appui consiste essentiellement en l’envoi de subsides pour leurs familles. Certains investissent également dans le pays. Il ya aussi des communautés organisées de Haïtiens qui mènent des actions humanitaires et sociales en Haïti mais aucun n’envisage dans le court terme de revenir s’y installer.

Qu’est-ce qui constituent les entraves aussi bien sur le plan social que politique, à l’amélioration de la situation ?

Ghislain Toé : Je pense que l’ensemble des problèmes peut se résumer en l’absence de sentiment national et de volonté politique. Les Haïtiens sont des gens fiers. Ils aiment leur pays. Mais tous les événements vécus ces 20 dernières années les ont convaincus qu’il n’y a pas d’avenir, pas d’espoir pour Haïti. Ils le disent souvent avec beaucoup de tristesse et de mélancolie. Alors chacun essaie de sauver ce qui peut l’être encore sans vraiment se préoccuper des autres. Ils avancent donc en rangs dispersés et sont par conséquent plus affaiblis. Il faut donc une réelle prise de conscience d’appartenir à un même peuple et une volonté de s’en sortir tous ensemble et non individuellement.

Ensuite, il faut que les politiques affichent une réelle volonté de sortir le pays de sa situation actuelle. Il faut que les postes politiques cessent d’être des récompenses ou des moyens de pression seulement accessibles à un milieu très restreint. Qu’on mette les hommes qu’il faut à la place qu’il faut et surtout que chacun assume ses responsabilités et ce à tous les niveaux.

Est-ce qu’il vous arrive d’avoir envie de tout lâcher pour rentrer au pays ?

Ghislain Toé : Ah oui bien souvent. Ce n’est pas rose la vie ici pour nous contrairement à ce que certains peuvent croire. Vous travaillez sous des pressions parfois extrêmes dans un environnement hostile. Pour vous donner une idée rien que dans cette période électorale nous avons été évacués d’urgence plusieurs fois et confinés à la Base pendant plusieurs jours. Ce sont des choses qui arrivent fréquemment. A tel point que j’ai fini par garder dans mon bureau un matelas, des vêtements de rechange et le nécessaire de toilette. J’en avais marre d’être chaque fois obligé de les amener et les ramener.

Quand il ya le moindre problème en Haïti c’est d’abord à la communauté internationale qu’on s’en prend. On a accusé la Minustah, Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti(NDLR) d’avoir amené le choléra en Haïti, d’être de connivence avec le parti au pouvoir, d’être à la base de la mort de certains haïtiens, d’avoir pollué des sources d’eau … et j’en passe. Tout ceci est bien évidemment faux mais quand ca va mal il faut des boucs émissaires et c’est la communauté internationale qui déguste en général.

Au quotidien les règles de sécurité sont strictes et la moindre erreur peut vous être fatale. Si vous êtes impliqués dans un accident par exemple, dès qu’on voit l’insigne « UN »sur votre véhicule on cherche déjà à vous lyncher sans même chercher à comprendre. La moindre erreur constitue une faute grave que vous pouvez payer de votre vie. Vous déprimez facilement et fréquemment quand vous travaillez dans les missions.

Il vous faut une bonne hygiène de vie pour pouvoir tenir. Côté familial c’est tellement loin du pays qu’au meilleur des cas vous voyez votre famille 02 à 03 fois par an. Si vous n’y prenez garde vous devenez un étranger dans votre propre maison, vos enfants ne vous reconnaissent plus et votre conjoint souffre également de cette séparation. Vous êtes absent à la plupart des événements sociaux qui touchent votre famille.

Bien évidemment ce n’est pas non plus l’enfer même si c’est dur il ya aussi des moments de satisfaction et de joie, de solidarité, d’amitié et de partage. Alors oui on a bien souvent envie de tout lâcher et rentrer chez soi. Personnellement ma famille et moi nous prions beaucoup et ça nous aide à tenir. Dans tous les cas à un moment donné il faudra faire un choix.

Que pouvez-vous donner comme conseils à quelqu’un qui aimerait se lancer dans l’humanitaire ? D’abord est-ce un choix conseillé ?

Ghislain Toé : Je dirais que ça dépend de vos plans de vie et de vos objectifs. Sur le plan professionnel c’est extrêmement riche d’expérience car vous vivez dans un milieu où vous êtes sollicités au maximum de vos capacités. Vous partagez également des expériences diverses et venues d’horizons diverses. Si vous êtes marié et avez des enfants c’est délicat. Pour un jeune couple ce n’est pas vraiment facile de se lancer dans l’international. Cela exige beaucoup de sacrifices et de compréhension mutuelle. Alors il faut mettre les choses en balance et choisir. C’est donc au cas par cas.

Comme conseils que je puis donner pour quelqu’un qui veut se lancer dedans je dirais qu’il faut avoir de l’ambition et n’avoir pas peur du travail. Il faut être persévérant et pouvoir se relever à chaque fois car les échecs sont nombreux. Il faut aussi avoir du sang froid, de l’humilité et des capacités d’adaptation élevées. Vous travaillez avec des gens de cultures et de conceptions diverses, vous travaillez dans des environnements changeant du jour au lendemain. Il faut pouvoir gérer tout cela. Si vous êtes arrogant et prétentieux vous n’y arriverez jamais. Pour mon travail spécifiquement il faut avoir en plus de bonne aptitude de communication, de négociation et de diplomatie. Vous allez à l’ encontre de personnes qui ne sont pas toujours accueillantes et pourtant vous avez des objectifs et des résultats à atteindre avec ces gens-là. Ce n’est pas toujours facile d’arriver à gagner leur confiance.

Votre mot de fin ?

Ghislain Toé : Je vous remercie pour cette opportunité que vous m’accordez de partager mes sentiments et réflexions. On trouve souvent que ceux qui travaillent dans ce genre d’organismes n’ont pas à se plaindre et que leur vie est de tout repos. Ce n’est pas évident. C’est vrai c’est un choix. Mais il faut aussi des burkinabè dans ces institutions. Nous devons exporter et faire connaître notre savoir-faire et nos expériences. Egalement s’enrichir de celles des autres.

C’est difficile d’entrer dans des structures comme les Nations Unies. Il faut encourager ceux qui y sont parvenus afin qu’ils portent haut et loin le flambeau du pays. C’est extrêmement important. Quand vous vous présentez à quelqu’un ici, la question qui vient juste après votre nom c’est de savoir de quel pays vous venez. Cela veut dire que ça a une importance primordiale dans votre identité. Il ya plusieurs manières d’aimer son pays. Porter son nom et ses valeurs à l’extérieur de ses frontières est l’une d’elles.

David Sanon
L’Essentiel du Faso

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