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Télécel sans signal : Que nous reserve encore Apollinaire ?

Publié le jeudi 10 juin 2010 à 00h02min

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L’Arce (Agence de régulation des communications électroniques) vient de frapper un grand coup ! Elle a coupé le signal à la société Télécel Burkina, membre du groupe Planor Afrique dont le PDG n’est personne d’autre que M. Apollinaire Compaoré. Savent-ils à qui ils ont à faire les gendarmes des télécommunications du Burkina ? Apollinaire Compaoré est un « tueur de lions », il est un habitué des palais : de justice c’est de notoriété publique, de Kosyam on le dit aussi. C’est un homme sûr de lui dans ce plat Faso et qui ne prend pas de gants avec les huissiers de justice. Vous voilà prévenus, messieurs de l’ARCE.

M. Apollinaire Compaoré et Mme Alizet « Gando » Ouédraogo ont été les vedettes du scandale de la transformation de la CNSS en une vache à lait pour hommes d’affaires bien introduits à la cour de Kosyam. Il est célèbre pour son OPA guerrière sur Télécel, avalisée par la justice burkinabè. Dans son immense patrimoine figure UAB, où un conflit d’actions l’a opposé à un de ses collaborateurs, que la justice a tranché à l’époque en sa faveur, comme elle l’a fait pour Télécel. C’est ainsi qu’il a racheté Télécel par la force des jugements.

Qu’a t’il fait de son trésor de guerre si chèrement conquis, pour ne pas être capable de le conserver ? Ou bien est-ce le début de la faillite d’un certain type de capitalisme privé qui ne prospère et ne s’épanouit qu’avec les fonds publics ? L’Arce qui n’a pas brillé par une administration rigoriste du secteur des télécommunications vient pour la première fois de taper du poing sur la table face aux multiples manquements et au non-respect du cahier des charges par les opérateurs GSM. Télécel Faso est un feuilleton à multiples rebondissements. Au moment où les fées semblent abandonner la première opératrice GSM privée du Burkina, découvrons ensemble, l’album des dix ans de Télécel et son histoire qui commence aux bords du grand Congo, à Lubumbashi, avec Myko Rwayitare.

C’est une histoire de gros sous, de milliards, d’actions qui se vendent et s’échangent, parfois de gré ou de force. C’est une aventure où les capitalistes qui ne connaissent pas de frontière, s’allient et s’étripent gaiement dans la presse, et devant les tribunaux par avocats interposés. Télécel Faso, c’est aussi un peu l’histoire de la IVe République où l’Etat CDP se confond avec les intérêts du clan familial, et tisse un filet de relations multiples et multiformes avec les hommes d’argent. C’est pourquoi un autre rebondissement à ce coup d’éclat de l’Arce du 25 mai 2010 ne nous surprendrait pas.

C’est en mai 2000 que Télécel International, la société de feu Myko Rwayitaré obtient la première licence GSM d’une société privée au Burkina Faso.

Cet homme d’affaires congolais (RDC) d’origine rwandaise est le premier africain à investir dans les télécommunications en 1989 et sa société qui prospère dans son pays s’étend de la région des grands lacs à l’Afrique centrale, puis l’Afrique occidentale. Le politicien et homme d’affaires Jean Pierre Mbemba incapable de gagner la bataille du marché contre Télécel au Congo va accuser M. Myko Rwayitaré de complicité avec le Rwanda dans le conflit qui oppose les deux pays en 1996, lui reprochant d’être un banyamulenge. Myko R. s’installe en Afrique du sud et face à l’évolution du secteur des télécommunications, revend ses filiales avec plus-value ne conservant que quelques unes. Télécel Burkina n’est pas resté longtemps dans le portefeuille de Myko Rwayitaré puisque en 2000 c’est la société égyptienne ORASCOM Télécom qui détenait 80% du capital de Télécel International.

Dans le premier tour de table de Télécel Burkina il y avait le groupe Soyaf de Salif Yaméogo. Le jeu de vente des actions et de prise de participation majoritaire est un jeu nouveau pour nos hommes d’affaires qui en sont à l’enfance de l’art du capitalisme international. M. Yaméogo s’est plaint à l’époque du non-respect par Télécel International d’une clause de revente de ses parts dans Télécel Burkina à Soyaf. C’est curieux la mentalité des apprentis businessmen burkinabè ! Vous êtes dans un monde impitoyable, où c’est la loi du profit maximum et vous voulez contraindre les autres à minimiser leurs profits. Par dépit, M. Yaméogo a vendu ses actions (30%). En 2001 Orascom Télécom décide aussi de se recentrer sur l’Afrique du nord et vend les filiales de Télécel en Afrique subsaharienne, et c’est ainsi que Atlantique Télécom filiale du groupe Banque Atlantique de Côte d’Ivoire devient l’actionnaire majoritaire de Télécel Faso.

C’est quelque temps après, en 2004 que l’on découvre une des grandes contributions du pouvoir de la IVè République à la science économique : le développement d’un capitalisme privé de copains avec des fonds publics. La mise à disposition des fonds publics au profit d’un cercle d’amis du pouvoir. Les Burkinabè découvrent que l’Etat CDP est au service d’intérêts privés, et hypothèque la retraite des travailleurs. Les caisses de la CNSS servent à M. Apollinaire Compaoré pour s’acheter des actions de Télécel et Loteny Télécom. Grâce aux syndicats, le scandale est sur la place publique, et ne coûtera rien à M. Compaoré qui se pressera à son bon vouloir pour rembourser son prêt de 1 milliard 800 millions de francs CFA contracté en 2003.

Volonté de Apollinaire = droit

La seule victime de ce scandale sera le DG de la CNSS de l’époque M. Zampaligré que le système a offert à l’opinion comme victime expiatoire. Depuis, le bouc émissaire Zampaligré est descendu aux enfers. En 2005, entre Planor Afrique, Atlantique Télécom la lune de miel est finie. Les associés ne s’entendent plus, surtout que le ménage est à trois avec l’arrivée d’un troisième partenaire Etisalat (Emiraties Télecomunication Corporation) opérateur historique des 7 Emirats arabes unis qui est devenu entretemps actionnaire à 50% du groupe Atlantique Télécoms. Il finira par racheter totalement le groupe Atlantique Télécom en 2008. Ce nouvel arrivant ne peut que réduire l’influence de Planor dans Télécel. Apollinaire Compaoré sent la moutarde lui monter au nez quand les fonds propres du groupe ivoirien augmentent et les résultats de Télécel s’effondrent. La guerre ne tardera pas à être déclarée. En tant que président du conseil d’administration, il attaque le DG de Télécel Faso sur l’opacité de sa gestion sur un emprunt de 7 milliards qui n’a pas profité à Télécel Faso.

Au même moment Planor Afrique devait à Atlantique Télécom 450 millions pour des actions qu’il a achetées sur un montant total de 2 411 948 000 Fcfa. Entre les associés la confiance ne règne pas et chacun a des griefs contre l’autre. Toujours est-il que c’est au tribunal que le pugilat s’achève et la décision de justice du 28 août 2008 restera toujours en travers de la gorge de Atlantique Télécom, ETISALAT et la presse ivoirienne, notamment M. Huberson Digbeu qui écrit : « L’on se souvient que dans l’opération de reprise de Télécel Faso, le groupe ivoirien Atlantique Telecom avait financé son partenaire burkinabè qui, aujourd’hui avec les complicités des autorités locales, veut éjecter les Ivoiriens de la société. En effet, Apollinaire Compaoré qui reste devoir plusieurs centaines de millions de Fcfa au groupe ivoirien, n’ayant pas payé la totalité des actions qu’il détient dans la société depuis 2003, a entrepris depuis quelque temps avec des complicités locales, d’exclure l’actionnaire majoritaire Atlantique Telecom afin de prendre le contrôle de la société.

C’est dans ces tractations qu’il vient d’obtenir des tribunaux burkinabè un jugement partisan ordonnant au groupe ivoirien de lui céder la totalité de ses parts dans Télécel Faso. Le fait curieux ici, c’est le fait qu’un tribunal oblige un actionnaire à vendre ses parts à un autre actionnaire. Est-ce parce que l’actionnaire minoritaire est Burkinabè, que la justice du pays des Hommes intègres demande à l’actionnaire majoritaire de lui céder ses parts ? Sinon comment comprendre que c’est Apollinaire Compaoré qui doit encore des centaines de millions au groupe ivoirien qui doit racheter les parts de ce dernier ? Comment comprendre qu’un tribunal qui est censé régler le litige entre associés oblige plutôt les parties à contracter aux conditions d’une seule partie ? Tout laisse à entrevoir que c’est la volonté de Apollinaire Compaoré qui est appliquée et non le droit. »

On ne peut pas dire que la réputation de notre justice a été rehaussée. L’appréciation du climat des affaires dans notre pays a aussi pris un coup. Une chose est de prendre possession des entreprises, une autre est de bien les gérer et d’en tirer profit. Si Télécel est une bonne affaire, Planor Afrique ne devrait pas avoir du mal à payer sa redevance. On est surpris que Télécel qui vient d’obtenir un prêt de 7 milliards, 150 millions de la BOAD en début du mois de mai soit insolvable quelques jours après ? Le DG de Télécel se vantait à cette occasion d’avoir fait des investissements de 21 milliards en une année depuis la reprise par Planor Afrique. Et dans le même temps Télécel devrait payer les 10 milliards à BOA pour financer le rachat forcé des actions d’Atlantique Télécom.

Si Télécel a pu dégager un tel cash flow, on s’étonne que la société du puissant Apollinaire Compaoré ne puisse pas payer les 26 330 207 000 FCFA demandés par l’Arce. Il faut se rendre à l’évidence que le business politisé, n’est pas du business et n’arrange les affaires de personne. Ce genre d’hommes d’affaires cajolés, protégés, entretenus, financés par les fonds publics, ne prospère pas, ne tient pas la route face à la concurrence sans l’aide de ses parrains, et pire ils empêchent l’excellence dans notre pays. Maintenant que l’Arce a suspendu le signal, il faut tout faire pour que par des interventions et des manœuvres de toutes sortes Télécel ne retrouve le signal sans payer.

Si d’aventure, on ouvre cette brèche, c’est un précédent fâcheux et c’en est fini de cette opportunité de faire des entrées dans les caisses du trésor par l’octroi des licences. Normalement, l’Arce devrait nous dire quand est-ce qu’elle remettrait la licence de Télécel en concurrence si elle n’arrive pas à payer. On ne doit pas attendre que M. A. Compaoré se décide à payer selon son bon vouloir. Le peuple veut de la transparence dans cette affaire. La preuve du paiement doit être fournie par le ministère de l’Economie et des finances. Le Burkina est le pays qui a le moins profité de la libéralisation du secteur des télécommunications.

Les licences ayant été accordées à un prix plus bas que dans les autres pays d’Afrique de l’ouest et le renouvellement des licences aussi n’est pas assez rémunérateur. Il ne manquerait plus que certains ne paient pas, marchandent ou demandent des délais. Il y a des opérateurs qui attendent MTN, Orange, Vodafone, l’Etat ne doit pas être au service d’intérêts privés, mais défendre l’intérêt général. Cet argent est attendu pour soigner des malades, offrir l’éducation et construire des routes. Si on commence à leur faire des concessions, comment fera-t-on pour qu’ils respectent le cahier des charges, se fassent la concurrence pour que le prix de la communication baisse ? Nous détenons le record de la communication téléphonique la plus chère. Planor Afrique doit payer ou se casser.

Sana Guy

L’Indépendant

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