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Pr Luc Marius Ibriga : "Le document de Ouagadougou n’a pas la forme d’un accord"

Publié le mercredi 3 février 2010 à 01h05min

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Enseignant de droit public à l’Unité de formation et de recherche (UFR/SJP) de l’Université de Ouagadougou, membre du Mouvement des intellectuels pour la paix, Luc Marius Ibriga est un homme de convictions. Aux lendemains de la déclaration de Ouagadougou signée le 15 janvier dernier pour la mise en place d’un gouvernement de transition en Guinée, Bendré a voulu interroger ce spécialiste pour en savoir davantage sur la portée juridique du document. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, cet homme qui n’a jamais fait tabou un débat allant dans le sens du renforcement de notre processus démocratique passe au scanner cet "accord". Avec son regard de juriste, avec sa jauge de citoyen africain. Lisez plutôt !

Bendré : Etes-vous d’avis avec ceux qui pensent que la Guinée est un pays maudit ?

Luc Marius Ibriga (LMI) : Non, la Guinée n’est pas un pays maudit. L’histoire de la Guinée est tout simplement une suite de rendez-vous manqués, d’espoirs déçus. Ce pays est l’espoir de l’Afrique quand on remonte dans l’histoire au "non" retentissant à la France. Malheureusement, cela s’est terminé par la dictature et les tortures. Le cri de 1958 était un cri de liberté, mais après la dictature de Sékou Touré, on a eu le système de Lansana Conté fondé sur la ploutocratie, une collusion entre les pouvoirs d’argent et le politique qui est avérée… Je ne crois pas en la capacité des coups d’Etat à libérer les peuples, mais il y a eu un semblant d’espoir avec l’avènement du capitaine Moussa Dadis Camara. Cela a tourné court. La Guinée est un pays de griots.

Lorsque j’ai vu les femmes de ce pays porter des tee-shirts à l’effigie de Dadis Camara pour accueillir son épouse et faire allégeance au Conseil national pour le développement et la démocratie (CNDD), j’ai compris que l’expérience tournait au culte de la personnalité. Cela ne pouvait qu’aboutir à une situation où plutôt que de mettre un système en place et de travailler à ce qu’il travaille pour les intérêts du peuple, on est, comme du temps de Sékou Touré et de Lansana Conté, à la glorification du président du CNDD. Dans tous les systèmes, il y a des gens qui préfèrent faire l’apologie des nouveaux maîtres du pays pour espérer pouvoir remplacer les hommes qui régnaient dans le système antérieur. La Guinée c’est aussi un pays où l’opposition comme dans la plupart des pays africains est caractérisée par un émiettement. Cela a donné le résultat actuel.

Le 15 janvier dernier, le président du Faso, le médiateur désigné par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) arrachait un accord aux protagonistes de la crise en Guinée. Quelle analyse juridique faites-vous du contenu d’un tel document ?

LMI : d’aucuns parlent d’accord de Ouagadougou mais il s’agit tout simplement d’une déclaration. Du point de vue juridique, ce document publié le 15 janvier dernier n’a pas de valeur contraignante. Juridiquement, le document de Ouagadougou n’a pas la forme d’un accord. Quand vous lisez le document, vous vous rendez compte à la fin qu’il s’agit belle et bien d’une déclaration et non d’un accord. Il est écrit entre autres " clôturant leurs fructueuses concertations, …expriment leur totale solidarité… ".

Cette formulation n’a rien d’un accord. C’est une déclaration. Or en droit, une déclaration n’a pas une force obligatoire. Si on considère ce document comme un accord, il se trouve qu’il s’agit d’un accord entre les membres du CNDD. A la fin du document, en effet, ne signent que le capitaine Dadis Camara, président du CNDD et son intérimaire. On peut considérer que cette déclaration, si on la considère comme un accord, n’est rien qu’un octroi que le CNDD fait à la Guinée. C’est une solution octroyée par le CNDD à la Guinée. En aucune façon, les Forces vives, ne sont parties prenantes à cet accord. Si demain le CNDD revient sur des dispositions de cet accord, ce serait sans doute normal. Il n’y a pas d’obligation qui leur est faite d’appliquer de bout en bout les dispositions de cette déclaration. S’il y avait la signature du président Dadis Camara et d’un représentant des Forces vives au moins là il y aurait obligation d’appliquer les dispositions du document.

Est-ce à dire que vous êtes d’accord avec le Premier ministre, Jean Marie Doré lorsqu’il déclare qu’il n’y a pas d’accord à Ouagadougou, dans la mesure où les Forces vives n’étaient pas signataires du document final du 15 janvier dernier ?

LMI : Il a raison. Il n’y a pas eu d’accord à Ouagadougou. C’est le CNDD qui a résolu ses crises internes. D’ailleurs il paraît bizarre que le président Dadis signe et que son intérimaire aussi soit signataire de cet accord. Si le président Dadis Camara reste le président de la Guinée, c’est lui seul qui doit signer. Pourquoi son intérimaire doit lui aussi apposer sa signature alors que le CNDD ne l’a pas dissout et qu’il n’est pas dissident de ce Conseil ? En tant qu’intérimaire, il signe parce qu’il est chargé de faire appliquer les décisions qui sont prises mais quand le président est là, il ne doit plus signer. En fait, ce document engage le CNDD mais nullement les autres forces en présence sur le terrain politique.

Il ressort de la déclaration qu’il faut un Premier ministre issu des Forces vives de l’opposition et deux vice-Premiers ministres issus respectivement du Forum des forces vives et du CNDD, pensez-vous qu’un Exécutif bien garni au sommet peut être la panacée pour cette sortie de crise au pays de Sékou Touré ?

LMI : Tout ce montage institutionnel est véritablement de la poudre aux yeux. Ce scénario prouve que le Premier ministre qui est chef du gouvernement est tout simplement sous contrôle de ces forces opposées. En ce moment, ce ne sont pas les Forces vives qui ont la totalité du pouvoir au niveau de l’exécutif. Ce qui veut dire que le partage du pouvoir est encore inégalitaire. Le CNDD reste majoritaire à la tête de l’Etat. Non seulement, il a la présidence, mais il a encore un vice-président. Dans ce cas, le Premier ministre et le vice-prémier ministre issus des Forces vives sont deux personnes à qui l’on n’a pas confiance au point d’en affecter un autre vice-prémier ministre du CNDD censé contrôler leurs actions. C’est un montage institutionnel qui ne sert à rien. Cela est révélateur de la division qui existe au niveau des Forces vives. Si elles acceptent le contenu de la déclaration de Ouagadougou pendant qu’elles ne sont pas partie prenantes de la discussion, cela peut signifier qu’on instrumentalise les Forces vives en vue d’une sortie de crise. En réalité, elles n’ont pas eu leur mot à dire dans la solution qui a été proposée.

Elles prennent le train en marche sans savoir ce que les protagonistes ont mis derrière cette sortie de crise. C’est dommage, cela est monnaie courante en Afrique. Nous avons des partis de l’opposition qui sont prompts à courir aux postes sans véritablement poser les conditions. Par exemple, il est mentionné dans la déclaration que le Premier ministre doit organiser les élections dans six mois cependant, aucun échéancier n’est fait. Trouvez-vous que six mois suffisent à organiser des élections dans une Guinée qui règne dans un tel imbroglio ? Ces élections doivent être organisées dans un pays où tout doit venir de l’extérieur. Pensez-vous qu’il soit réaliste de refaire les listes électorales dans un délai de six mois ? Soit on veut aboutir à des élections bâclées avec tous les risques que cela comporte, soit on veut calmer les Forces vives en faisant croire aux différents ténors qu’ils iront aux élections sous peu. Ces Forces vives n’étant pas partie prenante on ne sait pas jusqu’où leurs décisions vont peser dans la balance. Et cela d’autant plus qu’en leur sein, ils ne semblent pas avoir une véritable cohésion pour pouvoir peser sur la sortie de crise.

Quel rôle peut jouer une structure comme le Conseil national de Transition (CNT) dans le processus de la transition ?

LMI : Il s’agira d’une grosse machine pour contenter les uns et les autres. En six mois qu’est-ce qu’une telle structure peut abattre comme travail conséquent ? Une fois de plus, on ne définit pas les prérogatives de cette structure. On dit d’elle qu’elle est un organe politique délibérant. Jouera t-elle le rôle d’une Assemblée nationale ? Est-ce elle qui doit voter des lois ? S’elle doit voter des lois uniquement, pensez-vous que les ténors de la vie politique s’y retrouveront pour qu’il y ait des débats qui aboutiront à des décisions bénéfiques pour le peuple ? Ce Conseil est bien parti pour être un organe où siègeront des petites gens, des sous-fifres. On déclare que les membres de cette instance ne peuvent pas se présenter mais en retour on en appelle à des considérations régionalistes dans sa composition. Il faut qu’on prenne garde à ne pas répéter ce que les occidentaux ont l’habitude de dire. Celui-là est de la Guinée forestière, tel autre est de la basse Guinée…Je ne voit pas pourquoi on aurait pas une structure de gouvernement qui décide. Il s’agit d’une période exceptionnelle. On peut donc légiférer par voie d’ordonnance. Et ce, dans la mesure où le gouvernement qui sera mis en place est un gouvernement d’union nationale qui regroupe toutes les parties.

Il y a un Premier ministre qui préside le Conseil des ministres, donc les actes du gouvernement seront ratifiés par le président de la république par intérim. Sinon cela va être une structure qui sera là et qui ne fera rien. Si le CNT doit fonctionner, on ne sait pas comment ses membres seront choisis. Seront-ils élus ou désignés ? Toutes ces questions ne sont pas précisées. Quel est le délai pour la mise en place de cette structure ? Quel est son rôle ? Comment il va intervenir dans l’élection ? Sans compter que dans les délais, il sera demandé la mise en place d’une commission électorale. Il y a un certain nombre d’institutions qui doivent être mise en place et qui font que le délai de six mois me paraît court au regard de tout ce qu’il faut mettre en place pour que ça fonctionne dans le sens d’aboutir à une sortie de crise pacifique. Pour moi, ce CNT est en fait une caisse de résonance pour contenter certains, pour faire croire qu’on a pu suivre l’évolution des choses.

Compte tenu de la convalescence du président Moussa Dadis Camara, ne peut-on pas reconnaître juridiquement le Général Sékouba Konaté comme le président de la république de Guinée ?

LMI : C’est cette réalité qui me faisait dire que cette déclaration est un arrangement entre deux camps du CNDD. Jusqu’à la tentative d’assassinat de Dadis Camara on n’a pas vu d’autres membres du CNDD s’afficher. C’est pourquoi à mon sens, la déclaration de Ouagadougou est une sorte de partage du pouvoir au sein du CNDD pour permettre à Dadis Camara de se sauver la face. On argue qu’il est toujours le président de la Guinée mais pour l’instant il est convalescent. Mais cet accord permet en réalité de donner au président intérimaire la réalité du pouvoir. C’est en cela qu’on peut comprendre qu’il signe aussi le document de Ouagadougou.

C’est lui qui sera chargé d’exécuter les dispositions de ce document. Le fait de dire que les membres du CNDD ne peuvent pas se présenter à l’élection présidentielle ne veut pas dire que Dadis est hors du jeu politique. Il peut agir par personne interposée. Du reste, il y avait des structures de soutien organisées en perspective de son élection, il ne serait pas étonnant que ces différentes structures ne se coalisent pour former un parti politique qui veuille prendre part aux élections. On peut porter à la tête de ce parti une personne que Dadis Camara aura choisie. Rien ne dit du reste que Dadis Camara ne reviendra pas sur la scène politique s’il guérit totalement. Si cela n’est pas une réalité immédiatement aux premières élections, rien ne dit aussi que cela ne se fera pas plus tard. Le seul obstacle serait que la justice internationale mette le grappin sur lui. Cette question du reste, la déclaration de Ouagadougou n’en fait pas cas dans ses lignes.

Or, ce qui arrive est lié aux évènements du 28 septembre 2009 au Stade. L’ONU qui brandissait les conclusions de cette enquête n’en parle plus. Aujourd’hui, tout le monde se réjouit du fait qu’on éloigne Dadis de la gestion du pouvoir. C’est dommage que la société civile, les partis politiques guinéens réfléchissent en terme de personne et non en terme de système. Le CNDD lui monnaie son pouvoir pour sans doute avoir la paix avec les juridictions internationales. Le marchandage qui risque d’arriver, c’est que pour avoir laissé le pouvoir, on vote une loi d’amnistie pour qu’il ne soit plus poursuivi. C’est pourquoi aussi je condamne ceux qui soutiennent que Dadis ne doit pas retourner en Guinée. C’est un citoyen guinéen. En tant que tel, il n’a pas besoin de visa ou de tout autre autorisation pour rentrer dans ce pays dont il est lui-même un fils. C’est en fait faire de lui un apatride. Alors qu’aucune loi au monde ne l’empêche de rentrer dans son pays. Jusqu’à présent, Dadis n’a pas été condamné, ni déchu de sa nationalité guinéenne. Je ne vois pas pourquoi il ne peut pas rentrer dans ce pays. Les organisations de la société civile ont véritablement fait un mauvais procès au chef de la junte.

Le Burkina Faso prête ses services à l’extérieur dans la résolution des conflits. Qu’est-ce que cela peut apporter à un pays pauvre comme le nôtre ?

LMI : Au plan international, cela nous fait des lauriers. Il n’y a pas longtemps en effet, des rapports de la communauté internationale faisait de nous un "Etat voyou". Aujourd’hui si nous pouvons travailler à transformer ce qualificatif de "Etat voyou" en "faiseur de paix", c’est tout à notre honneur. Encore faut-il que nous arrivions à capitaliser, à formaliser cette réputation en mettant en place des structures qui auront pour spécialité les négociations dans les conflits. C’est pourquoi nous appelons à ce que la structure qui va remplacer l’Institut diplomatique et des Relations internationales (IDRI) puisse œuvrer dans ce sens. Si l’on peut régler des conflits à l’extérieur, que l’on puisse appliquer ces qualités aussi à l’intérieur pour prôner le dialogue en cas de crise au lieu que ce soit le diktat comme on le laisse voir le plus souvent.

Par Roger Niouga SAWADOGO

Par Bendré

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Vos commentaires

  • Le 3 février 2010 à 11:40, par line7 En réponse à : Pr Luc Marius Ibriga : "Le document de Ouagadougou n’a pas la forme d’un accord"

    bravo mon cher professeur, votre conclusion est parfaite. En effet il faudra capitaliser afin que ce que nous faisons ailleurs puisse servir aussi au pays mais aussi que l’oeuvre soir perrenne et survive à son géniteur. ça sera tout à son honneur. si seulement il pouvait prendre ce conseil au serieux le pays tout entier en gagnerait.

  • Le 3 février 2010 à 19:16 En réponse à : Pr Luc Marius Ibriga : "Le document de Ouagadougou n’a pas la forme d’un accord"

    Et pourquoi pas faire du Président COMPAORE un prix Nobel de la Paix puisque nous sommes passé "d’un Etat voyou" à un "Etat Faiseur de Paix". Au Burkina, même ceux qui pensent qu’ils ont la science infuse en Droit Public comme Monsieur Luc Marius IBRIGA n’iront jamais jusqu’au bout de leurs idées, soit par mesquinerie ou nieserie soit par calcul politique partisan. L’avenir de la Guinée passera par les Guinéens et Dadis n’a plus rien à faire en Guinée après tous ses massacres. Laisse manoeuvre le Président COMPAORE mandaté par l’UA et l’ONU.

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