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Bissiri Joseph Sirima, coordonnateur national du projet américain Millenium challenge account (MCA) : “Le drame en Afrique, c’est qu’ on n’aime pas travailler dans la durée”

Publié le mardi 1er septembre 2009 à 01h53min

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Né le 14 janvier 1953 à Niangoloko dans la région des Cascades dans une grande famille, Bissiri Joseph Sirima effectue des études en économie et en finance à Nice en France. Rentré au pays en pleine période de la Révolution, en 1983. Il commence à travailler cette année la. Un an après, il est nommé directeur de la prévision au ministère de l’Economie et des Finances. Poste qu’il occupe pendant sept ans. En 1991, il accède au poste de ministre délégué auprès de la Présidence chargé des Réformes économiques. Après cette période de transition, Bissiri Joseph Sirima est appelé à diriger le Programme d’ajustement structurel (PAS) pendant onze ans. En 2002, le poste de Conseiller-directeur et chef de département économie et finance du Premier ministère lui échoit. C’est en Février 2006 qu’il devient coordonnateur national du projet américain dénommé Millenium challenge account (MCA). Il est marié et père de quatre enfants. Monsieur “Etudes”, Monsieur “PAS” ou Monsieur “MCA”... chacun peut en toute objectivité ou en toute subjectivité coller la casquette qui lui plaît à Bissiri Joseph Sirima. C’est cet économiste financier, expert des problèmes de Développement, peu bavard mais accro des thèses économiques à qui Sidwaya a administré pendant trois heures une batterie d’une cinquantaine de questions notamment sur l’actualité nationale et internationale, sur l’homme lui-même.

Sidwaya (S.) : Qu’est-ce que les Burkinabé doivent retenir du MCA ?

Bissirima Joseph Sirima (B.J.S.) : Le MCA signifie “Millenium challenge account”. Traduit en français, c’est le Fonds pour relever les défis du millénaire. Il renvoie à une réunion de 2004 où les chefs d’Etat des
pays développés se sont rencontrés pour dresser le bilan dans l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Ils se sont donc aperçus que les pays concernés, les plus pauvres notamment, sont loin d’atteindre les OMD.

Au lieu de s’en approcher, ils s’en éloignent. La raison était que l’aide qu’ils attendent ne rentre pas comme il se doit. Par conséquent, le manque des ressources a fait que ces pays se sont éloignés des OMD. Les pays développés ont alors décidé de prendre des mesures radicales pour aider les pays pauvres à les atteindre. C’est ainsi que le président des Etats-Unis (USA) a pris l’engagement d’aider les pays qui déploient déjà des efforts par eux-mêmes. Il a insisté qu’il y ait des conditions claires pour les aider. Les USA ont dressé une batterie de seize (16) critères. Ils se rapportent à trois domaines essentiels. D’abord le domaine de l’homme, c’est-à-dire l’investissement dans l’homme, en tant que tel. Ce qui renvoie aux dépenses de santé, d’éducation (particulièrement celle de la jeune fille), de population, etc. A ce niveau, il y a quatre critères. Le pays doit avoir la moyenne pour chacun des critères avant d’être éligible. Dans ce domaine, le taux de scolarisation de la jeune fille est un critère absolu. C’est pour cette raison qu’en 2005, le Burkina Faso qui avait la moyenne un peu partout, s’est vu recaler à cause du faible taux d’éducation des jeunes filles , et avait bénéficié d’un appui spécial pour booster ce taux.

Ensuite, il y a un autre domaine qui est celui de la bonne gouvernance. Il concerne les droits politiques, les libertés civiles, la maîtrise de la corruption, l’efficacité des pouvoirs publics, l’Etat de droit, etc. A ce niveau aussi, la Maîtrise de la corruption constitue un critère absolu. Si dans un pays, on constate qu’il n’y a pas d’efforts dans ce sens, il peut avoir 15 conditions réunies sur 16, il sera recalé. Enfin, le troisième domaine concerne l’environnement des affaires, c’est-à-dire tout ce qui concerne les mesures prises relatives a la fiscalité, l’inflation, la politique commerciale pour améliorer l’environnement des affaires. A ce niveau aussi, il faut avoir la moyenne un peu partout. Si un pays remplit toutes ces conditions, cela signifie nécessairement que ce pays consent déjà des efforts pour s’en sortir. Toutes ces conditions réunies dorénavant, les Américains estiment que lorsqu’ils mettent de l’argent dans ce pays, ils sont surs qu’il y aura des résultats tangibles.
C’est pour cette raison qu’ils ont pris cette décision et le Burkina Faso a été éligible en 2006.

S. : Et quels sont les grands chantiers qui seront réalisés dans le cadre du MCA ?

B.J.S. : Dans le cadre du MCA, le processus s’appuie sur une large consultation nationale. Les grands chantiers initiés dans ce cadre répondent aux profondes aspirations des populations. Ils tournent autour des questions foncières d’abord : la question foncière englobe celle de la stabilité de la propriété foncière, donc de la production surtout celle agricole. La question foncière pose aussi celle du Genre. Il s’agit de voir comment, notamment les femmes, peuvent accéder à la propriété foncière. Ce sont des questions d’intérêt du MCA. Nous avons appuyé l’Etat pour la lecture du Code de la famille en relation avec la reforme foncière. Enfin la troisième préoccupation dans le foncier est relative aux conditions et délais d’acquisition en faisant en sorte que même au niveau décentralisé, on puisse délivrer un certain nombre de titres de propriété. Ensuite, nous avons un deuxième champ d’intérêt dans notre programme qui concerne bien entendu la question agricole. Notre programme est celui qui lutte contre la pauvreté mais à travers la croissance. C’est le maître-mot. Si on perd ce fil-là, tout devient difficile a comprendre. Il faut asseoir une croissance nécessaire pour entreprendre les autres aspects. Quand les gens soutiennent qu’on fasse le social, parce que beaucoup de bailleurs aident nos pays à construire des écoles, des dispensaires et autres, ils oublient que ces bailleurs n’ont jamais aidé nos pays à prendre en compte les charges qui s’y rattachent. C’est le même Etat qui est obligé de recruter les enseignants et les infirmiers, de payer des médicaments. Et cela avec quels moyens ?

Donc la démarche américaine consiste à aider le pays à renforcer ses ressources. Quand il va dégager ses propres ressources, il peut faire le social lui-même parce que c’est lui qui doit être maître de son social. Donc, l’un des piliers de la croissance de notre pays, c’est l’agriculture. On ne peut pas développer l’agriculture autrement qu’en augmentant les superficies emblavées, le temps de culture (cultures de contre saison), et en améliorant la productivité agricole. Augmenter les superficies emblavées, et avoir les résultats attendus en peu de temps(cinq ans), est un peu compliqué. Il sera difficile d’amener les paysans à augmenter leurs superficies. Vous comprenez mieux pourquoi nos projets sont centrés sur les domaines précis, des lieux précis. Là où il y a de l’eau où on peut aménager rapidement pour aider le pays, c’est là où on va d’abord. C’est pour cela que le Sourou est le point de mire parce que déjà il y a de l’eau et pour le MCA, c’est plus facile de creuser des digues de déversement pour retenir l’eau pendant la saison des pluies et permettre d’utiliser cette eau durant toute la saison sèche. Cela constitue donc un deuxième point de notre stratégie. Aménager pour augmenter les capacités de notre réservoir, ensuite, aménager 2033 hectares dans le Sourou. Une fois que l’on produit, il faut écouler ; et donc le troisième domaine de notre Compact concerne, les infrastructures routières.

Encore une fois quand les gens parlent de routes, ils doivent avoir a l’esprit le critère de rentabilité économique de nos projets. Les projets représentent un tout cohérent. C’est un cadre qu’on utilise d’abord avant d’arrêter nos projets. Cela signifie qu’on ne peut pas aller dans un endroit où on n’a pas effectué une étude économique. On a dit voilà là où on doit produire, il faut des pistes pour aller vers les grandes voies. Il faut des grandes voies pour aller à l’extérieur ou dans les chefs lieux. Voilà la logique. C’est pour cette raison que les routes sont construites dans les zones de production où nous sommes déjà. Voilà la démarche. Le projet d’éducation des jeunes filles constitue le quatrième. Il découle de notre projet qui avait été engagé en 2005 avant que le pays ne soit éligible. Les Américains avaient donné 12 millions de dollars US pour construire 132 complexes scolaires de toits classes, avec logements de maîtres, et aussi des locaux pour alphabétiser les mères. Mais il est évident que même si on ne fait pas du social, la logique est qu’on les normalise sinon on ne pourra pas renforcer l’éducation des jeunes filles. Voilà donc nos quatre grands projets évalués à 481 millions de dollars US.

S. : Comment le MCA va-t-il prendre en compte l’aspect environnemental dans les zones à aménager dans la vallée du Sourou ?

B.J.S. : L’aspect environnemental est l’une des clés de voûte dans l’identification de sites d’implantation de nos projets. Nous avons abandonné l’aménagement de 1500 hectares à Dankounan à cause de l’aspect environnemental. Nous avions en plus des 2000 hectares au Sourou, 1500 hectares à Dangoumana qui devaient être exploités toujours au Sourou mais à l’autre côté de la rive. Le volet environnemental l’a classe en première catégorie. C’est-à-dire la nécessité d’études préalables approfondies qui tiennent compte des nuisances avant d’accepter un endroit comme lieu du projet. La aussi compte tenu du délai d’exécution de cinq ans ce lieu a été abandonne.

S. : Pourquoi plusieurs années après la signature de la convention de financement, les chantiers ne sont-ils pas toujours lancés ?

B.J.S. : C’est vrai ! En réalité, si on regarde le processus, on a commencé en 2006. Les populations voient tout cela. Elles estiment que depuis 2006, les chantiers devaient être avancés. La démarche américaine s’inscrit dans le processus participatif. Il faut passer par les populations, savoir ce qu’elles veulent, transformer cela en projet. Ensuite, les Américains viennent procéder à des études.
On se met d’accord sur les projets et ensuite, on arrête le montant. C’est ce qui a été arrêté et signé le 14 juillet 2008. Dès que cela est fait, le pays bénéficiaire dispose d’un an pour la mise en vigueur. Et avant cette mise en vigueur, le MCC accorde un fonds qu’on appelle “CIF” (Compact Implementation Funding). C’est un fonds qui permet de commencer les activités de démarrage. Cela nous a permis de recruter le personnel, de trouver un nouveau local pour le personnel, d’acheter le mobilier, de réaliser certaines études. On a démarré déjà, comparativement à certains pays. Les marchés sont déjà attribués à des bureaux qui vont effectuer les études de toutes les routes. Tout est déjà prêt. Même pour les aménagements qui doivent être réalisées, nous sommes en train d’examiner, toutes les propositions qui sont faites. Nous avons préféré donc jouir d’un an pour nous assurer que lorsqu’on va effectivement démarrer sur le terrain, que ca ne soit pas en ce moment qu’on s’aperçoive de certaines insuffisances. En ce moment, tout est prêt pour démarrer. C’est comme un lancement de fusée. Le 31 juillet 2009, il y a eu la mise en vigueur. Donc pas de problème.

S. : Il semble que la partie américaine a revu à la baisse le kilométrage de routes à bitumer afin de privilégier la qualité. N’est-ce pas une remise en cause des projets burkinabé qui préfèrent la quantité ?

B.J.S. : Quand on résume les choses de cette manière, ce n’est pas tout à fait exact. Nous avons des manières assez différentes de voir les standards de construction d’une route. C’est normal. Chaque pays a son standard qui dépendent de ses ressources et de son niveau de vie. Les Américains intègrent beaucoup de choses dans le coût de construction d’une route. Habituellement, quand on construit une route au Burkina Faso, le coût du kilomètre de route bitumée se situe autour de 150 millions F CFA. Ce montant n’intègre pas souvent le coût du dédommagement des personnes à déplacer. Il est calculé ailleurs. En réalité c’est inclus mais comme ce n’est pas pris en compte au moment de l’évaluation, on croit que ce n’est pas pris en compte. Alors que dans notre projet, le dédommagement s’intègre dans le coût du kilomètre de route à bitumer. De même que les coûts lies aux aspects environnementaux au niveau des routes. Le coût du kilomètre de route dans les standards des Américains, se situe à environ 280 millions F CFA. C’est différent de 150 millions F CFA. Donc il y a beaucoup d’aspects pour que le goudron tienne longtemps. Quand on a peu de ressources avec beaucoup de besoins, on essaie de réaliser le minimum pour tout le monde. C’est cela qu’il faut comprendre.

S. : Que répondez-vous aux observateurs des marchés publics qui voient dans la mise en œuvre des projets du MCA des blocages dus à la différence des procédures américaine et burkinabé de passation ?

B.J.S. : Pour le moment, on ne peut pas parler de blocage. Parce que, pour êtres pragmatiques, nous avons opté au départ pour des procédures consensuelles. Ce n’est pas parce que nos procédures sont mauvaises. En réalité, lorsque vous êtes en partenariat avec quelqu’un, en l’occurrence quelqu’un avec qui c’est une première expérience, dans votre pays, et c’est le cas des Américains, cela fait qu’il vaut mieux parler le même langage. Avec nos partenaires classiques, chacun avait sa méthode. Il a fallu des années après pour qu’on puisse dire qu’il faut harmoniser les méthodes. Ce partenaire est nouveau, donc il y a beaucoup de contraintes dans sa façon de comprendre. Parce que s’il doit rendre compte, il faut que le Congrès américain ait la même grille de lecture que ce qu’ils ont dans leur pays. C’est pour cette raison, pour faciliter la situation, que nous avons opté pour leur méthode. Il n’y a rien de contraignant car il était plus facile pour nous de nous adapter a leurs procédures pour un départ. Les dépenses par exemple sont initiées au niveau du MCA. C’est le MCA qui met en place les panels d’analyse des offres. Le MCA a recruté une agence internationale de passation de marchés pour s’assurer que tous les appels à concurrence, tous les marchés passés par le MCA, respectent scrupuleusement les procédures du bailleur de fonds de manière à ce qu’il n’y ait pas de manipulation et que les deux parties aient une confiance réciproque. Le Coordonnateur National que je suis, ne signe aucun chèque pour payer un fournisseur. Nous avons su mettre tout ce qu’il y a comme structures pour parler le même langage. Les dépenses doivent se faire de la manière la plus transparente.

S. : Fondamentalement, où se situe la différence entre travailler avec des Américains, voire des anglo-saxons et les Français ?

B.J.S. : Pendant onze ans, j’ai dirigé le Programme d’ajustement structurel (PAS). J’ai vu beaucoup de choses. Nous avons même au niveau du Burkina Faso, formuler les textes de la nouvelle conditionnalité, pour harmoniser les conditionnalités. De façon globale, ce n’est pas facile partout. Chez les Américains comme chez les Français, il y a des avantages et des inconvénients. Avec les Américains, les fonds sont gérés par le pays bénéficiaire. Ils ne viendront jamais imposer des entreprises américaines, ni des conseillers techniques. Et même la représentante qui est au Burkina Faso est payée par les Américains et non pas sur les mêmes fonds alloués au pays.

S. : Pour avoir été l’un des acteurs du Programme d’ajustement structurel (PAS), quels enseignements tirez-vous de ce programme qui fut très polémique ?

B.J.S. : Lorsqu’on parle du Programme d’ajustement structurel (PAS), c’est comme quand on parle de la politique budgétaire. Quand on diabolise le PAS, c’est difficile de comprendre ce que c’est que l’ajustement. Sinon, c’est une nécessité partout. Dans toute structure, il y a de l’ajustement. Cela veut dire simplement qu’a un moment donne, compte tenu des contraintes de ressources et de l’immensité des dépenses auxquelles il faut faire face, il y a des priorités a établir et des choix a faire a travers des mesures que les gens doivent accepter de suivre avec rigueur, c’est tout. Quand nous avons commencé ce programme en 1991 au Burkina Faso, l’environnement économique était difficile. A l’époque, la machine était lourde. Pour pouvoir importer ou exporter, il fallait des autorisations préalables. Et ce programme a permis de lever beaucoup de contraintes dans notre système.

Le PAS a permis d’opérer plusieurs réformes au niveau du commerce en faveur des pays comme le nôtre. La gestion des finances publiques constitue généralement le point focal de nos programmes d’ajustement. Il faut donc une maîtrise totale de la situation des finances de votre pays. Les cadres des pays africains doivent avoir confiance en eux et prendre des décisions qui s’imposent sinon ils ne peuvent rien faire. Donc, il ne faut pas que ce soit le FMI et la Banque mondiale qui élaborent les programmes pour venir les imposer. Il faut discuter avec eux, avec des arguments techniques. C’est ce qui nous a valu de soutenir en 1991, devant le FMI et la Banque Mondiale, que nous ne pouvons pas licencier dans la fonction publique. Nous avons propose des mesures pour la maîtrise de la gestion des finances publiques et particulièrement celle des dépenses de personnel. Aujourd’hui, le PAS a été une expérience importante pour notre pays. Il a construit des fondations solides qui permettent de bâtir tout ce qui est fait aujourd’hui.

S. : Qu’est-ce qui a fait que le PAS n’a pas eu les effets escomptés ?

B.J.S. : D’abord, quand vous affirmez qu’il n’a pas eu les effets escomptés, je ne suis pas tout à fait d’accord. On n’a pas procédé à l’ajustement pour avoir de la croissance. On l’a fait pour solidifier les bases économiques du développement de notre pays.

C’est comme une maison que vous voulez construire à plusieurs niveaux, il faut que le soubassement soit solide sinon, elle ne tiendra pas longtemps. Il était prévu d’accroître les pressions fiscales d’un demi point par an. On est parti en 1991 d’un taux de pression fiscale (Recettes fiscales rapporte au PIB) de 8 % à 9 % du Produit intérieur brut (PIB) pour atteindre en 2001 un taux de 14 %. Il faut un dialogue soutenu avec les personnes qui élaborent le programme. Il faut pouvoir aider les fonctionnaires du FMI à mettre au point ensemble un programme qui convienne. Le drame souvent en Afrique, c’est qu’on n’aime pas travailler dans la durée. On entreprend rapidement et quand cela doit traîner trop, on n’est pas dedans. Alors que pour les ajustements, il faut suivre jusqu’au bout et avec la même rigueur. Les Africains n’aiment pas cela. C’est là où se trouve la difficulté.

S. : Mais comment expliquez-vous l’engagement pris un peu tardivement dans certains secteurs vitaux comme l’agriculture, l’éducation ? Doit-on comprendre par là que l’Etat s’était désengagé ?

B.J.S. : Le problème n’est pas que l’Etat s’est désengagé. Quand on organise une chose, il faut aller jusqu’au bout. L’Etat s’est désengagé de quoi ? Il a délaissé quelle société ? Il faut savoir une chose. Quand on veut redresser des finances publiques, c’est pour permettre à l’Etat plus tard de pouvoir intervenir dans les domaines qui sont les siens. C’est cela l’ajustement. Avant, l’Etat ne pouvait pas envisager ce que vous dites, parce qu’il n’y avait pas assez de ressources pour le faire. Bien sûr, c’est à cause de l’ajustement que l’Etat a arrêté de soutenir les sociétés d’Etat pour investir cet argent ailleurs dans des secteurs ayant un effet plus important. Un Etat doit produire d’abord pour nourrir sa population avant de dégager le surplus pour vendre. Il faut arriver à avoir une politique agricole claire.

S. : Ne trouvez-vous pas que le retard enregistré par l’Afrique dans certains domaines est en partie imputable au PAS ?

B.J.S. : A l’époque, j’ai même proposé un débat clair sur le PAS avec les syndicats parce que je suis confiant de ce qu’un programme peut donner ou apporter. Souvent le tort encore pour nous les Africains, c’est toujours chercher un bouc émissaire, chercher la responsabilité ailleurs, au lieu de nous regarder en face et situer nos faiblesses, nos forces afin de mieux exploiter une situation.
Le programme d’ajustement, c’est pour redresser les Finances Publiques. Comment peut-on soutenir dans ces conditions qu’un programme de redressement puisse empêcher d’avancer ? Evidemment, on ne doit pas tolérer que les dépenses de l’Etat dépassent la norme. C’est clair. Parce que, si vos dépenses dépassent vos ressources, cela n’est pas tolérable, car vous allez compromettre même l’avenir des populations par un endettement insoutenable. Voilà la réalité. Donc, Il faut que les acteurs sociaux acceptent de se former d’abord sur la compréhension, la connaissance même des rouages économiques avant de défendre quoi que ce soit. Deuxièmement, il faut que les syndicats eux-mêmes financent des experts pour étudier des questions difficiles et délicates pour eux afin qu’ils exploitent les résultats pour pouvoir discuter convenablement. Sinon, la compréhension n’est pas la même.

S. : Que pensez-vous de la suggestion de l’ex-ministre d’Etat Salif Diallo de revoir les accords conclus avec les institutions de Bretton Woods afin de sauver certains secteurs comme celui de l’éducation ?

B.J.S. : Lorsqu’on discute des institutions, il faut le faire sans perdre son sang froid. Les institutions n’interdisent pas pour interdire ; elles recommandent de ne pas faire telle chose, ou demandent quelle mesure peut-on prendre pour avoir tel résultat. Mais si le pays peut proposer autre chose, qu’il le propose ! C’est le résultat qui est visé. Ce que Salif Diallo a dit concerne le domaine de l’éducation. Au moment du programme d’ajustement, à l’époque, on a convenu de mettre l’accent d’abord sur le développement du primaire. Mais après deux, trois ans, on avait commencé à jeter les bases pour le secondaire et l’enseignement supérieur. On avait même deux axes de réflexion au niveau de l’enseignement supérieur qu’il fallait privilégier ; la bourse pour l’éducation des filles et pour encourager les branches scientifiques. Ce sont des aspects dont nous avions discuté à l’époque. Les institutions ne sont pas donc en cause, c’est nous les décideurs. Il faut se donner les moyens pour discuter. Normalement, s’il y a une discussion sérieuse sur l’enseignement, un ministre de l’Enseignement qui en fonction doit chercher à rencontrer s’il le faut, tous les anciens ministres de l’Enseignement pour qu’ils donnent leurs contributions compte tenu de leurs expériences vécues. Mais souvent on dirait que les ministres cherchent plutôt à détruire ou à dévaloriser les œuvres de leurs prédécesseurs. On ne peut pas avancer dans un tel système. En réalité, par rapport aux problèmes dans l’enseignement et particulièrement à l’Université, cela se négocie avec les institutions. Elles ne sont pas fermées. ce n’est pas seulement les institutions qui sont en cause, c’est nous-mêmes.

S. : Quelle interprétation faites-vous des récentes sorties de Salif Diallo et de Simon Compaoré, deux ténors du CDP, parti au pouvoir ? Après avoir quitté le gouvernement, le premier conseille de dissoudre l’Assemblée nationale pour instaurer un régime parlementaire tandis que le second affirme tout de go qu’il n’est pas fou pour lorgner la présidence du Faso ?

B.J.S. : Nous sommes dans un pays où chacun est libre de s’exprimer. C’est déjà important. Cela montre que nous sommes dans un pays où véritablement chacun a droit à la parole, chacun peut s’exprimer librement, dire ce qu’il veut. Maintenant, est-ce qu’on avait mis la question de la constitution en débat ? Je ne crois pas. Quel est le problème posé, quelle crise y a-t-il pour qu’un changement de régime soit proposé ? Simplement je mets ces propositions au compte des réflexions de l’homme politique à verser dans le débat politique quotidien pour prévenir peut-être.
A mon avis, choisir l’option d’un régime parlementaire plutôt qu’un régime présidentiel consent en réalité que nos pays doivent aller dans le sens de nos cultures. C’est un point de vue personnel. La colonisation a détruit nos racines. Tout ce que nous faisons actuellement, ce sont des copies qui ne correspondent en rien à nos traditions.

Aujourd’hui, un régime parlementaire ou présidentiel ne correspond pas à notre culture. Dans celle-ci, nous avons un chef qui est entouré d’un certain nombre de personnalités qui l’aident à gérer et à maintenir l’équilibre. Chacun a un rôle. On a le chef de terre, le chef de village, le chef de canton...C’est cela la réalité. Dans notre culture, les femmes jouent également un rôle important et le chef ne décide jamais sans en référer à sa première épouse. Je suis fils de chef de canton, j’en sais beaucoup. Contrairement à ce que d’aucuns pensent, que la femme n’a pas de droit dans nos cultures, de façon globale, l’Afrique a toujours mis la femme dans un rôle politique de premier ordre. Comment faire pour rapprocher cette réalité d’antan avec la réalité moderne ? Telle est la question. Si on doit réaliser des études approfondies, c’est dans ce domaine. Les Bobos ont leur façon de faire, de même que les Mossis, les Gourounsis... Au Burkina Faso, tous ces peuples ont globalement les mêmes coutumes. Si on doit mener la réflexion pour arriver véritablement à un développement endogène qui part de la base, il faut prendre en compte notre culture.

S. : Cela ne va-t-il pas entraîner une monarchisation du pouvoir ?

B.J.S. : Quand on spécule sur ces terminologies, on fausse le débat. L’Angleterre qui a une monarchie constitutionnelle a sa réalité de même que la France, les États-Unis. Dans le système que je propose, on doit pouvoir associer les forces traditionnelles et religieuses dans la gestion de la chose publique. Avant la Révolution d’Août, les forces traditionnelles exerçaient un véritable pourvoir.
Dans chaque localité, il faut associer ces forces qui ont une influence réelle dans le développement des villages. Est-ce qu’il faut instituer une assemblée qui tienne compte pour partie de ces forces traditionnelles et pour partie des modernes à savoir les intellectuels et autres ?
Même si on ne va pas constituer une assemblée, il faut arriver à trouver un système de consultation de ces chefs. Prenons le cas de la réforme foncière. Peut-on la réussir sans leur implication ? Il faut intégrer, impliquer les chefs traditionnels et religieux. En outre, il ne faut pas les débaucher parce que l’erreur que commettent certains chefs traditionnels, c’est de militer dans un parti politique.
Ils peuvent avoir des affinités politiques, c’est clair. Mais il ne faut pas que cela joue sur leur gestion courante. Pour le moment, l’équilibre global est à trouver.

S. : Les récentes déclarations de Salif Diallo ne révèlent-elles pas un malaise au CDP ?

B.J.S. : Le CDP n’est pas un parti bolchevik ! Ce n’est pas une affaire de discipline. Chacun peut s’exprimer sur un sujet et donner en tant qu’individu un point de vue. Seulement Salif Diallo n’est pas un individu ordinaire du parti, il est membre du Bureau Executif National Charge des questions politiques et idéologiques !!!!.

S. : Pour Simon Compaoré qui dit qu’il n’est pas fou pour lorgner la présidence du Faso, cela ne traduit-il pas un refus de l’alternance ?

B.J.S. : Je ne crois pas qu’il faille donner des significations autres.
Est-ce qu’aujourd’hui, Simon Compaoré peut soutenir qu’il a un projet de société différent de ce qui est proposé par le candidat désigné du parti ? En tant que membre du bureau politique du CDP, peut-il se lever pour clamer qu’il se présente sans se soumettre a une certaine procédure propre a tout Parti organise ? Je crois que c’est dans ce sens qu’il a fait sa déclaration.

S. Vous venez de dire que le CDP n’est pas un parti bolchevik, mais cela n’a pas empêché d’éjecter les refondateurs ?

B.J.S. : Les gens oublient souvent l’histoire. Regardez, tous ces refondateurs viennent du “dehors”. Tous ces gens qui s’excitent n’étaient pas dans le parti. Grâce à la vision du chef de l’Etat, qui a voulu qu’il y ait un regroupement au lieu d’une multitude de partis, l’ODP/MT a négocié à l’époque avec des partis qui avaient des visions un peu similaires à la sienne. Ils ont accepté venir. Quand ils sont arrivés, cela a été au détriment de beaucoup de militants de l’ODP/MT. Ils ont eu les premières places. Maintenant qu’ils n’ont plus ces places, ils trouvent qu’il n’y a plus de démocratie au sein du parti. Il ne faut pas faire de la politique de cette manière. Il faut accepter que dans un parti, les choix puisent porter sur des personnes autres que soi-même. On attend son jour. On ne peut pas toujours être les seuls au devant des choses, il faut accepter cette réalité. Aujourd’hui, s’ils veulent partir, qu’ils partent comme ils sont venus, mais c’est dommage.

S. : En réalité, cette vision de large rassemblement n’était-elle pas une volonté de débaucher des personnalités politiques, des cadres des autres partis, pour “tuer” ces formations, les presser comme des oranges et les jeter ?

B.J.S. : Franchement, je ne vois pas en quoi. En politique, si vous êtes sûr de votre force, vous ne rentrez pas dans une coalition. Quand on opte pour ce choix, vous acceptez les avantages et les inconvénients. Je ne vois pas où on presse pour ensuite jeter. Ils ont été appelés à intervenir directement dans la gestion de la chose publique. A un moment donné, ils en ont été un peu éloignés, mais ils ne sont pas les seuls. Parce qu’on les a mis un peu de côté qu’ils vont crier au scandale ?

S. : Quel est votre jugement de l’action gouvernementale du Premier ministre, Tertius Zongo, deux ans après ?

B.J.S. : D’abord en tant que collaborateur du Premier ministre, je trouve qu’il a apporté sa touche dans la manière de rendre notre administration efficace avec une vision beaucoup plus axée sur les résultats en mettant l’accent sur le suivi des dossiers. Du reste, quand on revient des pays comme les Etats-Unis, très organisés, il y a un fossé. C’est comme le jour et la nuit avec nos pays. Vous avez envie de faire ressembler votre pays à ces modèles. Le Premier ministre veut véritablement bousculer certaines “mauvaises habitudes”. Il le fait avec sérénité, et non pas de façon populiste. De plus, son action s’inscrit dans la durée pour que cela puisse servir d’exemple. J’ai eu à travailler aussi avec le Premier ministre Paramanga Ernest Yonli. Son approche était d’intégrer le secteur privé dans la gestion des affaires de l’Etat pour en faire le pilier de l’amélioration des finances du secteur public. Avec Tertius Zongo, on continue avec le secteur privé, on l’étend même jusque dans les localités. C’est dans ce sens que l’administration locale avait été invitée au débat sur le secteur privé. Même si ce premier essai n’a pas été très bien compris, c’est déjà très bien osé. Il faut que nos localités fonctionnent aussi comme le privé, qu’elles puissent faire appel a l’épargne privée a travers des prêts bancaires. Ces deux années d’actions gouvernementales ont donné une certaine vision à notre pays.

S. : Après ces deux années, y a-t-il des domaines sur lesquels l’accent doit être mis ?

B.J.S. : Lorsqu’on prend comme point d’ancrage l’efficacité de l’administration, il faut continuer d’insister dessus. Parce que toutes nos actions dépendent de l’efficacité de l’administration. Ce que nous posons comme acte de tous les jours qui a une incidence sur la vie du secteur privé, c’est l’efficacité de l’administration. Un privé va soumissionner à un appel d’offres, il faut peut-être avant d’obtenir le marché, donner 15 %. Ensuite, le paiement traîne. En fin de compte, le soumissionnaire sort “étalé”. Il faut continuer à mettre l’accent sur l’efficacité de l’administration.

S. : On sent que le Premier ministre est venu pour bousculer les consciences et les mentalités en s’attaquant à certains maux comme la corruption, les détournements des deniers publics. Quels sont les moyens et les soutiens dont dispose Tertius Zongo pour gagner cette bataille ?

B.J.S. : Le premier soutien est la conviction même du Premier ministre. Il est convaincu que son action va véritablement apporter un plus dans l’efficacité de la gestion de la chose publique. Ensuite, quand il agit, c’est avec le soutien de la plus haute autorité. Ce soutien ne lui a jamais fait défaut. Il n’y a donc pas de problème.

S. : Le délit d’apparence préconisé par Laurent Bado n’est-il pas une solution pour arrêter cette propension à s’enrichir facilement sur le dos de l’Etat ?

B.J.S. : En Afrique, c’est un risque. Voir quelqu’un qui du jour au lendemain devient riche... Cela doit être un déclencheur pour ceux qui sont chargés de contrôler ou d’exulter contre ce genre de maux.

Quand un fonctionnaire des impôts voit un opérateur devenir subitement milliardaire, la première des choses, c’est de faire un redressement de sa situation fiscale. Ce sont les impôts, les premiers déclencheurs. Ensuite les autres structures de lutte contre la fraude et la corruption interviennent, pas en allant s’offusquer devant la personne. C’est calmement que chacun abat son travail. On regarde tranquillement la situation de la personne et s’il y a des anomalies, on les redresse. Sinon si on a une mauvaise approche, on risque aussi de bloquer les initiatives qui émergent. Il ne faut pas interdire que des gens deviennent riches. Mais il faut que tout ce qui est institution puisse profiter de cette richesse dans les normes. Si ce n’est pas le cas, alors que ce soit redressé par ceux qui sont garants de ce contrôle.

S. : Lors des manifestations contre la vie chère, plusieurs biens publics ont été détruits. Récemment au grand marché Rood Woko, des commerçants s’en sont pris à des infrastructures qu’ils ont détruites. En tant que premier responsable d’une structure qui vise à doter le pays d’un certain nombre d’infrastructures, que pensez-vous de tels actes ?

B.J.S. : C’est déplorable. Quand un problème est posé, les gens dans le calme et la sérénité doivent faire valoir leurs droits. Il y a eu un problème certes, déplorable, mais est-ce qu’en détruisant des infrastructures du grand marché, on règle ce problème ? Non. Il fallait que ceux qui estiment être en droit de revendiquer justice, se coalisent et portent plainte contre X, et laisser la justice agir. Il faut qu’on développe ce volet de l’Etat de droit à savoir recourir au droit plutôt que le recours à la force et à la violence. Dans les quartiers, il y a souvent des individus accusés de vols qui sont pourchassés et lynchés. A-t-on tué un vrai voleur ou une innocente personne ? on ne sait pas. Il arrive souvent qu’on tue des gens qui ne sont pas des voleurs. Les gens doivent avoir confiance au droit, laisser la justice agir. Il faut mettre sur pied des groupes de défense de la société civile pour contrer ce genre d’agissements. Ce que ces gens détruisent, c’est le bien de tout le monde. On ne doit pas laisser détruire. Même pour ceux qui brûlent les pneus sur le bitume, la voie publique, on devrait avoir des groupes qui défendent la citoyenneté et qui disent non à ce genre de vandalisme.

S. : Comment les pouvoirs publics peuvent-ils arrêter les actes de vandalisme ?

B.J.S. : C’est le droit qui doit continuer à être dit. Le procureur est là. Il peut intenter une action contre les auteurs de vandalisme. Les poursuites judiciaires doivent se faire dans le silence. Si la police se lève pour tirer du gaz lacrymogène, il y aura des problèmes. Par contre si on a pu identifier les gens qui ont conduit les actes de vandalisme, nuitamment on les appréhende et on les déferre.

S : Que pensez-vous de cette phrase de Barack Obama lors de sa visite au Ghana : “L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions solides” ?

B.J.S. : Nous devons certes travailler à consolider, à renforcer beaucoup plus nos institutions. Mais quelles institutions pour quelle Afrique ?

S. : La survivance des coups de force illustrés par la Guinée-Conakry et la Mauritanie n’éloigne-t-elle pas l’Afrique de ses préoccupations actuelles ?

B.J.S. : C’est toujours le problème de la solidité des institutions malheureusement. A mon avis, nous devons chercher a trouver des institutions qui conviennent a nos réalités traditionnelles.

S. : Le président congolais Denis Sassou N’Guesso vient d’être élu avec 78,61 % des voix tandis qu’au Gabon, le fils de Omar Bango, Ali Ben Bongo vient d’être choisi par le parti au pouvoir pour briguer la succession de son père. Quel commentaire faites-vous, la démocratie avance ou recule en Afrique ?

B.J.S. : Dans ce genre de situation, on parle d’équilibre entropique ou d’équilibre nég-entropique. On l’atteint soit par l’ordre, soit par le désordre. A mon avis, nous sommes dans deux situations pareilles. Au Burkina Faso, nous sommes dans l’équilibre enthropique, l’équilibre par l’ordre, le renforcement de la construction démocratique. Dans les pays sus-cités, un équilibre par l’ordre allait être plus grave. Honnêtement au Congo, qui pouvait devancer Denis Sassou N’Guesso avec la puissance financière dont il dispose ? Encore heureux pour son pays qu’il remporte les élections. Au Gabon, le fils Bongo est dans les affaires depuis longtemps. Il a une influence réelle au sein de l’armée, et dans la vie politique de son pays. Il a été préparé en quelque sorte. A mon avis, ce serait le moindre mal parce que les autres étaient loin de la gestion de la chose politique. Est-ce qu’ils peuvent maintenir le Gabon dans un certain équilibre ? La réalité est ainsi faite. Il faut la regarder froidement. L’équilibre négenthropique est le moindre mal.

S. : Comment voyez-vous la Guinée de Moussa Dadis Camara ?

B.J.S. : Dès les premiers jours de sa prise de pouvoir quand il était en caserne, il avait véritablement des ambitions de mettre de l’ordre. Mais, force est de reconnaître que l’entourage induit souvent les dirigeants en erreur. C’est le cas de Dadis Camara. Quand vous êtes au pouvoir et on vous “pompe” à longueur de journée comme quoi vous êtes bon, vous êtes béni de Dieu, vous pouvez changer l’avenir du pays, tout est entre vos mains, grâce à vous la Guinée va décoller. Le gars va finir par croire qu’il est un dieu et que sans lui, rien ne va. C’est comme cela que les drames commencent. Il faut des conseils, sinon c’est difficile.

S. : Quels sentiments vous animent devant une Afrique affamée malgré ses riches potentialités agricoles ?

B.J.S. : Les intellectuels du développement ont beaucoup du pain sur la planche. Le travail reste immense. Tout cela est une question d’allocation, de gestion des ressources. L’Afrique à elle seule peut s’alimenter et s’auto-suffire. La plupart du temps, cette richesse est mal gérée et les ressources vont à l’extérieur du continent. Les pays les plus immensément riches qui ont toutes les potentialités devaient travailler avec les autres pays africains. Alors que toutes ces richesses sont accaparées par des individus et placées à l’extérieur, la question de la gestion des richesses de l’Afrique est à poser. Le NEPAD devait résoudre cette équation mais on constate qu’il est en train de devenir une institution budgétivore avec des études à n’en pas finir alors que des Africains ont faim.

S. : Le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) peut-il être une solution à ces dérives ?

B.J.S. : Si au moins les autres pays acceptent cet exercice auquel le Burkina Faso s’est soumis en se prêtant à cette expérience, en ouvrant le pays aux évaluateurs du MAEP, cela va amener progressivement des évolutions positives. Il ne faut pas vouloir cela du jour au lendemain, il ne faut pas se presser pour les résultats. Ce qui est sûr, quand les experts du MAEP passent dans un pays et formulent des observations, nécessairement elles sont prises en compte. Cela permet au pays de se corriger et d’avancer. Par cette voie aussi, on peut arriver à des situations positives.

S. : Pensez-vous qu’il est possible de réaliser les Etats-Unis d’Afrique à court terme comme le veut le guide libyen Mouammar Khadafi ?

B.J.S. : On peut réaliser l’équilibre par l’ordre ou par le désordre. Si on décrète les Etats-Unis d’Afrique, on peut partir de la structure pour tout mettre en place. On va bousculer beaucoup de choses mais on peut y arriver. Comme aussi on peut emprunter la voie la plus réaliste mais difficile, celle d’aller doucement. Quand on va doucement, il y a des acteurs qui n’ont pas intérêt qu’on se réunisse. Ils travailleront à saper les efforts. Il y a des coûts et il faut choisir. Au lendemain des Indépendances, Kwamé N’Krumah avait voulu qu’on réalise l’Union africaine. Il y avait des structures qui existaient comme la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF). L’initiative pouvait marcher à l’époque. Maintenant aucune de ces structures n’existent. L’Union africaine doit se réaliser avec l’accord des Etats membres plutôt que de la seule volonté d’un guide rêvant d’être le chef de l’Etat de l’Union. Il faut que ce soit une volonté réellement ressentie de tous les chefs d’Etats d’aller vers les Etats-Unis d’Afrique. Si on doit aller progressivement, on sera confronté aussi à beaucoup d’obstacles. Par exemple, l’UEMOA a débuté mais des obstacles demeurent pour une intégration réelle des populations. Si on va plus loin, la CEDEAO existe depuis longtemps mais le manque de moyens ne facilite pas les chantiers. On prend maintenant conscience qu’il faut aller vite avec la CEDEAO. Dans tout cela, il faut admettre que dans toute œuvre, surtout en économie, il n’y a pas de bon samaritain. Lorsqu’on s’inscrit dans une vision, c’est pour un objectif bien déterminé. Les pays du Conseil de l’entente ont leur réalité. L’UEMOA et la CEDEAO ont également la leur L’objectif global de la CEDEAO est d’être ensemble. Mais est-ce pour autant qu’il faut abandonner certaines réalités locales ? Je dis non. C’est en cela que le Conseil de l’entente peut être maintenu pour gérer un certain nombre de problèmes propres aux Pays membres.

S. : En tant qu’économiste, quels enseignements l’Afrique peut-elle tirer de la crise financière actuelle ?

B.J.S. : La crise financière sévit et progressivement se mue en crise économique. L’Afrique peut s’en servir pour opérer le renforcement économique de chaque pays et surtout celui des institutions financières par une discipline. A un moment donné quand les placements sont trop effectués à l’extérieur, cela amène à être fort mais faible en cas de crise. C’est ce qui est arrivé avec la crise financière. La leçon que nous devons tirer est de faire en sorte que l’Afrique investisse d’abord ses ressources à l’intérieur de son espace. Car il y a de quoi y mettre. Il ne faut pas préférer les ressources issues des placements à court terme aux investissements pour lesquels on peut aider les pays à accroître de façon globale leur force économique.

S. : Les organisations sous régionales, régionales et continentales telles l’UEMOA, la CEDEAO et l’UA sont-elles capables d’injecter des ressources financières dans l’économie de leurs pays membres à l’image des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la Chine pour relever la consommation et le crédit ?

B.J.S. : Il ne faut pas injecter pour injecter. Les Etats-Unis ont injecté des ressources pour pallier les effets de la crise financière. Par exemple, vous avez une entreprise qui a ses dépôts dans une banque donnée. Celle-ci place l’argent de cette entreprise dans une autre institution. Et là où elle a placé, cette institution tombe en faillite. De ce fait la banque ne peut plus financer l’entreprise. C’est pour pallier cela que le gouvernement américain vote un budget pour financer l’entreprise à la place de la banque pour arrêter les effets de la crise financière et éviter que l’entreprise ne tombe en faillite. Les Etats-Unis ont mis de l’argent dans leur économie qui sans doute va jouer sur les flux financiers internationaux. Le manque à gagner est dû au fait que l’économie américaine se soucie d’établir des équilibres dans son pays et ne peut plus faire face à l’extérieur. Nos institutions doivent, pour éviter que nos pays ne manquent de ressources, prendre le relais en finançant des investissements structurants qui permettent donc de booster la croissance économique.

S. : Est-ce que cet équilibre tant recherché par les Américains ne s’établit pas au détriment de certains programmes comme le MCA ?

B.J.S. : Non. Aucun impact. Il y a 18 pays dont le Burkina Faso qui ont déjà signé des compacts avec le MCC. Le budget est déjà voté. On ne le touche pas. Cependant, pour les programmes à venir, la crise peut jouer sur l’importance des fonds alloués au MCC. Mais je ne présume pas que le programme subira une influence quelconque.

S. : On a déjà MCA et AGOA, des instruments de rapprochement entre l’Afrique et les Etats-Unis. Est-ce qu’avec Barack Obama, on peut s’attendre à d’autres actions en faveur de l’Afrique ?

B.J.S. : Les actions menées sont au nom des Etats-Unis et non au nom d’un président ou d’un parti. Sur cette base, ce sont d’abord et avant tout des engagements des Etats-Unis. Cela va m’étonner que véritablement le président actuel puisse diminuer les actions américaines au profit de l’Afrique. Au contraire, il faut s’attendre à voir beaucoup d’autres actions en faveur de l’Afrique.

S. : Lors du 36e sommet de la CEDEAO à Abuja, l’Espagne a consenti un financement de 172 milliards de F CFA pour lutter contre l’immigration clandestine dans cette sous-région. Quels sont, selon vous, les projets de développement qui pourraient mieux fixer les jeunes chez eux et les détourner des risques des embarcations de fortune sur les mers ?

B.J.S. : Il faut discuter avec la jeunesse pour savoir ses préoccupations. Il faut éviter d’imposer ses vues à la jeunesse. C’est en cela qu’il faut saluer l’action de notre ministre de la Jeunesse et de l’Emploi qui entretient un dialogue permanent avec les jeunes. Il faut catalyser des projets dans les domaines porteurs. En dialoguant et en canalisant leurs besoins, on peut arriver à monter les projets porteurs pour la jeunesse.

S. : Quelles peuvent être les retombées d’une monnaie commune à la CEDEAO ?

B.J.S. : L’un des instruments pour parvenir a l’intégration des Etats de la CEDEAO, c’était la monnaie unique. Dans toute institution, il y a toujours des gens qui travaillent à ce que l’institution n’atteigne jamais ses objectifs les plus nobles. La monnaie unique est pour moi quelque chose de fondamentale pour la sous-région et pour l’Afrique. Cependant, il faut la créer pour travailler dans la discipline. On doit avoir une monnaie unique mais avec une parité libre. Nous avons une parité fixe avec l’euro. Elle a ses avantages et ses inconvénients. Dans la situation de la CEDEAO, on ne peut qu’encourager à avoir une vision monétaire pour permettre une politique monétaire commune et financer l’entreprise à la place de la banque. Mais la politique monétaire est un instrument de la politique économique. Quand on veut avoir une action sur l’offre ou sur la demande, on peut jouer sur la parité monétaire. Si on peut le faire en commun dans une sous-région, cela peut avoir un impact plus important.

S. : Unanimement, les pays africains viennent de rompre leur collaboration avec la Cour pénale internationale (CPI). Une telle décision n’ouvre pas la voie à d’autres exactions comme celles du Darfour, du Rwanda, du Burundi, de la République démocratique du Congo ?

B.J.S. : Non. Il faut chercher à savoir si la CPI donne toute l’assurance à tout le monde. Si on veut se désengager d’une institution, c’est parce qu’elle ne répond plus aux aspirations ou simplement on estime que l’institution a des tendances. La défense des droits humains devrait se faire dans chaque pays. Et, c’est à chaque pays de s’organiser pour qu’il n’y ait pas la Cour pénale internationale (CPI) qui viendrait imposer le respect des droits humains dans les différents pays.

S. : Comment avez-vous accueilli l’idée du Premier ministre de procéder à des appels à candidatures pour des nominations à certains postes de responsabilité ?

B.J.S. : C’est véritablement ce qui manquait. Aujourd’hui, il aurait fallu déterminer des conditions pour chaque poste. Ces conditions peuvent être l’ancienneté et les compétences. Donc, il faut définir et afficher clairement les critères qui s’imposent à tout le monde. Pour le MCA, tous les postes ont été mis à candidature, y compris celui de coordonnateur. Tous les agents ont été recrutés sur la base de critères bien clairs.

S : Dans le contexte actuel où certains postes sont des récompenses politiques, est-ce que parler de candidature pour des postes de responsabilité n’est pas ramer à contre- courant ?

B.J.S. : Non. L’administration doit exister au-delà des postes politiques. Une administration doit être une continuité. Cela n’exclut pas que des postes politiques soient réservés aux politiques. Non, ce n’est pas ramer à contre-courant, c’est œuvrer à asseoir une culture administrative. L’idée du Premier ministre est une bonne chose. Elle devrait être appliquée le plus vite que possible.

S. : Vous aviez été ministre, conseiller et actuel coordonnateur du MCA. A chacune des étapes, qu’est-ce que vous tirez comme enseignements ?

B.J.S. : On est content parce qu’à chaque étape, on a contribué à faire avancer les choses. Il y a des moments où on est découragé par l’environnement, par moment les choses sont mal perçues.

A chacun des postes, on a tiré le maximum de satisfaction. Pendant la transition, on a abattu un travail important. Au moment du Programme d’ajustement structurel, j’ai tiré la satisfaction d’avoir participé au premier plan à la politique économique de mon pays. Au premier ministère, en tant que conseiller, chef de département, nous avons pu donner nos points de vue sur certaines décisions. Ce qui est important, c’est de voir que souvent, nos points de vue ont été pris en compte. Encore plus avec ce programme américain où l’on voit en peu de temps, combien de milliards ont été injectés dans notre pays pour atteindre des objectifs que l’on dit satisfaisants, nous sommes satisfaits d’y apporter notre contribution personnelle.

S. : Peut-on aujourd’hui dire que vous êtes professionnellement un homme comblé ?

B.J.S. : Professionnellement parlant, je ne me plains pas parce que, j’ai toujours aimé le côté analyse économique. Voilà pourquoi, quand je suis arrivé en 1983 au ministère de l’Economie et des Finances, et que l’on m’a demandé dans quelle direction je souhaitais aller, j’ai demandé le service des études. Les gens ont commencé à rire parce que ce service était considéré comme un garage. Quand on a commencé à donner du ton, l’on a créé la direction de la prévision dont je fus d’ailleurs le premier directeur au ministère de l’Economie et des Finances. On a donné un sens à ces études. On nous appelait à l’époque la « NASA » parce que nous menions des études économiques pour des finances publiques. On faisait ce que l’on appelait à l’époque, la lettre d’orientation économique. Nous faisions une analyse économique qui précédait la circulaire du budget, pour donner le sens que devait revêtir le budget à venir. C’est ce cadrage qui doit préciser que le budget est « cyclique » où anti-cyclique, c’est-à-dire, un budget qui va dans le sens de la croissance économique ou un budget fait pour inverser la situation. Nous donnions des grands montants en dépenses et en recettes que ce budget devrait avoir pour respecter la tendance. De ce côté donc, je peux dire que je suis satisfait.

S. : Quel est le secret de votre réussite ?

B.J.S. : Personnellement, je me suis toujours intéressé aux résultats que je dois atteindre pour mon pays quand j’entreprends une action. C’est vrai que financièrement, cela n’a jamais toujours suivi, parce que pendant la période du PAS, les gens pensaient que j’étais payé par la Banque mondiale. Ils ne savaient pas qu’à certains jours, pour payer une facture, c’était difficile. Pourtant, j’étais toujours au bureau quelque soit le moment, malheureusement au détriment toujours de ma famille. Pour moi, si je peux faire quelque chose pour que ce pays sorte de la misère, avec la volonté affichée des responsables politiques, il faut accompagner cette volonté. C’est ce que j’ai toujours regardé, sans me préoccuper de ce que telle autre personne gagne plus que moi et n’en être pas content. Personnellement, je n’ai jamais suffisamment accordé de l’importance au matériel, au métal or, au diamant…. Je ne sais pas si je suis anormal. L’alliance que je porte est en or, je le concède, mais c’est parce que j’ai grandi et constaté que les alliances étaient faites en or (rires)… C’est vrai qu’il m’a été rapporté que quand j’étais petit. J’aurais refusé de marcher tant que l’on ne me mettait pas une boucle d’oreille en or. Sitôt fait, une semaine après j’ai marché. C’est après consultation qu’ils (parents) ont convenu de cela (…rires….). C’est peut-être ce qui explique que ces choses ne m’intéressent plus.

S. : Qu’est-ce qui manque, selon vous, aux cadres burkinabè pour s’affirmer dans les fonctions publique et privée internationales ?

B.J.S. : C’est surtout parce que le Burkinabè aime beaucoup son pays. On constate déjà que quand le Burkinabè part en mission, il est toujours pressé de rentrer. On dirait que quand on sort du pays, nous l’en aimons que plus. On veut rentrer. On rentre, on est dans les problèmes mais on fait avec. C’est ce sentiment qui nous anime tous quand on est à l’extérieur : servir d’abord son pays. Ensuite, ceux qui sont aujourd’hui dans des institutions à l’extérieur, le sont par des opportunités du genre, est-ce que tu peux m’accompagner à telle rencontre ou encore, il y a telle place vacante, est-ce que cela t’intéresse ? Dans le temps, il était rare de voir un Burkinabé se battre pour occuper un poste à l’extérieur. Maintenant, la situation semble s’inverser.

S. : Que retenez-vous comme bons et mauvais souvenirs dans votre carrière ?

B.J.S : Par lequel faut-il commencer ?....(rires). Les bons souvenirs, c’est ceux où nous avons pu contribuer aux débats budgétaires, où on devait faire élaborer le budget. C’est en tant que directeur de la prévision que nous avons pris l’initiative d’informatiser le budget. Le faire saisir d’abord, automatiser les additions avant de tout reverser à la direction générale du Budget. Pour moi, c’est un changement important dont on peut légitimement tirer une satisfaction morale. Autrement, quand il y avait erreur et que l’on devait reprendre sur des calculatrices d’un autre âge, c’était pénible.

Certains refusaient d’ailleurs les machines sophistiquées et ils aimaient voir les papiers enroulés pour voir les montants, alors qu’il suffisait d’une petite défaillance pour que cela se répercute sur le budget global. L’ordinateur est venu, il a fallu bousculer pour le faire accepter. En son temps, l’ordinateur de la comptabilité publique a été enfermé dans un bureau comme dans un coffre-fort. C’est seulement lorsque j’ai voulu savoir où ils en étaient avec cet outil qu’ils sont allés ouvrir un bureau pour me le montrer… (rires). Un seul du service de la comptabilité a pu faire enregistrer la balance générale du trésor. Et quand j’ai regardé, tout était en mode texte, il a fallu reprendre le tout en mode calcul… c’est des moments de réelles satisfactions. Les mauvais moments… (rires). Ce qui m’a le plus touché, c’est quand on a commencé le Programme d’ajustement structurel (PAS). A un moment donné, les gens ont estimé que le programme ne pouvait pas fonctionner. On avait fait tous les montages possibles, donné les propositions et pendant les négociations, le monsieur du Fonds monétaire qui était le chef de mission pour le Burkina qui ne parlait pas du tout le français acquiesçait quand le ministre lui parlait.

Pour ensuite dire que le Programme n’est pas pertinent. Cela nous a beaucoup choqué. C’est un jour que je n’oublierai pas. Ensuite, il y a eu la dévaluation. Quand on la faisait, nous étions ici, pas plus de cinq personnes maximum à être informées. Nous avions monté tous les calculs, fait les scénarii et il fallait attendre la rencontre des Chefs d’Etat a Dakar. Pendant ce temps, nous sommes partis à Washington pour boucler le programme et avoir le résultat de la dévaluation. Nous avions fait la proposition d’une dévaluation à 100%. Notre hypothèse n’a pas été suivie, et on a dévalué à 50%. Ce n’était pas suffisant. Il fallait que, nous autres Africains, apprenions à vivre avec nos moyens et pas au-dessus. Une dévaluation de 100% nous aurait permis de voir nos réalités en face. La dévaluation de 50% fut politique et pas économique. Le niveau de dévaluation était politique, pour ne pas trop choquer nos chefs d’Etat, sinon économiquement, il fallait aller à 100% pour que cette dévaluation ait l’impact économique réel attendu. Ce jour-là, j’étais découragé.

S : Avec la crise qui secoue le monde financier, ne devons-nous pas craindre pour une autre dévaluation du franc CFA ?

B.J.S. : Non, la crise ne peut pas amener une dévaluation. Il n’y a pas de difficultés structurelles (production, endettement…), de crise économique grave dans notre zone monétaire pour amener à une dévaluation. On ne dévalue pas pour dévaluer ou pour notamment menacer des pays mais pour rétablir des équilibres. Une dévaluation est un ajustement monétaire de parité pour répondre à une situation économique donnée. A mon avis, une dévaluation n’est pas et ne peut être à l’ordre du jour aujourd’hui.

S. : Dans quel cadre s’inscrit la mission de médiation que vous avez menée au niveau de Niangoloko ?

B.J.S. : Cette mission de médiation s’inscrit dans un cadre humanitaire et de logique objective. A Niangoloko, nous avons eu une situation malheureuse qui a pris racine depuis 2005, avant les dernières élections où les gens se sont révoltés à cause de la gestion des lotissements. Mais en plus de la question des lotissements, en réalité, nous avions eu la deuxième élection municipale qui avait connu le départ du premier maire.

A l’époque, les intrigues politiques avaient divisé même la population. Je pèse mes mots parce que je suis de la localité… On avait des gens dans un même parti qui étaient opposés. Et finalement, avec les élections, l’ancien maire qui s’estimait éjecté anormalement avait des gens avec lui qui, bien sûr, à tort ou à raison, voulait forcément revenir à la tête de la mairie. Mais là où le nouveau maire avait manqué de tact, c’était qu’au moment de faire les lotissements qui étaient décidés par l’ancien maire avec un taux donné pour les résidents, au moment de la réalisation, on était dans une situation différente. Il y avait la crise en Côte d’Ivoire et la mairie n’avait plus de ressources.Les populations non plus n’avaient pas d’argent. Mais le maire lui n’a regardé que la mairie et a augmenté les droits pour les parcelles, pour pouvoir faire des ressources, ce qui est normal. Mais il a oublié que les mêmes difficultés frappent les populations ressortissantes, quelles autres activités lucratives avaient elles ? Donc, du coup quand elles ont appris les nouveaux taux, elles ne voulaient rien savoir d’autre.

De problème de gestion, c’est devenu un problème politique, qui a été exploité comme tel. C’est ainsi que l’on a abouti à ce jour où les gens sont malheureusement allés trouver des boucs émissaires et brûler le poulailler du maire, égorger tous ces poulets… C’était triste. Je me suis rendu à l’époque avec feu Ludovic Tou, constater les dégâts. On a enfermé l’ancien maire en se disant que ce ne sont que les gens qui sont opposés au maire actuel qui sont à l’origine des dérives, souvent sans beaucoup de discernement.
Dans le temps, il y avait aussi un préfet qui a voulu jouer la division pour que la rupture soit consommée afin de devenir président de délégation.
Il a donc voulu profiter de la situation. Chacun a voulu tirer la couverture vers soi et voilà les dégâts.
La situation s’est compliquée, on a enfermé les vieux avec l’ancien maire et la justice était en cours.

Au sein de la population, les gens ne se saluaient plus, faisaient bande à part lors des baptêmes, des décès. J’y suis allé en tant que premier responsable politique, car à l’époque c’est moi qui ai amené l’OP/MT dans la Commué et à Niangoloko. Même si je n’étais pas au premier rang au niveau politique, je ne pouvais pas voir évoluer cette situation sans réagir.
J’ai dit au nouveau maire que la situation ne me plaisait guère. Il était d’accord pour le principe. C’est depuis 2007 que j’ai engagé cette procédure en mettant en place un comité de réconciliation avec à sa tête l’abbé Thomas. Ce comité a travaillé d’arrache-pied, malgré les nombreuses difficultés.
Mais finalement, il a abouti à cette réconciliation qui ne peut que faire le bonheur de la localité. Ce jour-là, il y a eu après la réconciliation une forte pluie qui a été interprétée comme l’approbation et la bénédiction des ancêtres. A ceux de l’opposition, on a tenu à préciser que ce n’est pas pour amener tout le monde dans un même parti. C’est pour que dans un village, on se donne la main pour construire le développement avec les bras de tous.

S. : Lorgnez-vous alors la place du Médiateur du Faso ?

B.J.S. : …..(rires)…. Pas du tout. (rires).

S. : Dans la vie, qu’est-ce que vous détestez le plus ?

B.J.S. : Je déteste l’hypocrisie, franchement. Celui qui va rire avec toi et planter ensuite le couteau dans le dos.
C’est la chose que je déteste le plus. J’ai le défaut de ne pouvoir cacher ce que j’ai sur le cœur. Les gens n’aiment pas toujours que l’on leur dise les choses en face. Je n’ai jamais pu m’empêcher de dire à quelqu’un, vraiment, ce que tu as fait là est mal. Je n’aime pas que l’on critique à l’absence de l’autre… J’estime qu’il faut parler comme on le ressent. Il faut être soi-même, honnête.

S. : Peut-on dire que votre nom biblique Joseph le fils de Jacob ou Joseph le charpentier vous suit ?

B.J.S. : Je suis extrêmement croyant. Je crois en Dieu, qui est au-dessus de tout. Je n’aime pas l’hypocrisie. Souvent j’ai l’impression que tous ces gens qui s’asseyent au devant des religions sont souvent des gens qui jouent la comédie. Il y a des gens qui ne ratent aucune messe, mais sont les plus mauvais dans la vie. Quand je vois cela, c’est un comportement qui m’énerve (rires)…

S. : Bissiri Sirima et les mots.

B.J.S. : L’argent, cela ne me dit pas grand-chose sauf juste pour rendre service à quelqu’un qui est dans la nécessité et aussi pour répondre aux besoins élémentaires de ma famille. La femme, je la respecte. Pour moi, la femme est l’être en qui j’ai le plus confiance parce qu’une femme ne sait pas mentir, dans la collaboration. Je préfère toujours travailler avec les femmes que les hommes car, les hommes vous tendent des embuscades, alors qu’une femme, quand vous déconnez, elle est capable de vous dire, ça ce n’est pas bien.
Mais, un homme ne vous dira jamais ça. L’amitié, je n’ai pas beaucoup d’amis, pour la simple raison que je n’aime pas l’hypocrisie. La politique, tant que l’on doit parler de développement, c’est le sens que je donne à la politique. Pour moi. la politique c’est la vérité pour émanciper les populations afin qu’elles contribuent au développement. Les enfants, il faut donner le meilleur pour les éduquer.

S. : Qu’est-ce que le MCA dans le sens de ses approches peut-il apporter à nous autres journalistes ?

B.J.S. : L’information, c’est la clef du développement. L’information comprend deux choses : la formation et les fruits de cette formation. C’est ce qui fait l’information.
Si, pour informer vous n’avez pas la capacité même de comprendre, ce que vous donnez, c’est compliqué. C’est donc fondamental. Deuxièmement, il faut informer pour former. On n’informe pas pour informer. Si quelqu’un a comme objectif en écrivant un article de donner l’information pour informer, éduquer, participer au développement etc ; c’est le sens que je donne aux médias.

Des médias comme Sidwaya qui a beaucoup contribué et contribue toujours à l’émancipation intellectuelle et morale des lecteurs.
Ce qu’une structure comme le MCA peut apporter à Sidwaya, et aux autres médias, ne se résumera pour l’instant malheureusement qu’au niveau de la formation. Il faut que l’on voie. Dans le cadre de notre programme, il est difficile qu’un journal comme Sidwaya ait des financements.
Est-ce qu’un journal comme Sidwaya peut venir demander un crédit et qu’est-ce que ça peut rapporter, je ne crois pas. Pour le moment, vous aurez des projets avec des petits montants de l’ordre de 50 à 100 millions F CFA (rires). Peut-être que pour nos rapports avec les gens, nous verrons vers qui il faut solliciter des appuis.

La Rédaction

Sidwaya

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