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Eric Bayala, Burkinabè d’Autriche : « L’ambassadeur Salif Diallo est à nos côtés pour la promotion de la culture burkinabè »

Publié le mercredi 22 juillet 2009 à 11h49min

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Eric Bayala

Eric Bayala est un compatriote résidant depuis 2002 en Autriche et plus précisément à Innsbruck dans la région du Tyrol. Après une formation d’économiste-gestionnaire à l’Université de Ouagadougou et d’autres formations en Europe, il a travaillé aux Nations-Unies, à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). En Autriche, il a fait valoir ses compétences au sein d’un projet spécialisé dans la fabrication de prothèses pour corriger les problèmes d’audition. Aujourd’hui, Eric Bayala qui a épousé une autrichienne, prépare un Master en comparaison et management des structures de santé au niveau international, au Management Center Innsbruck(MCI). Cet homme au parcours atypique est également un passionné de musique et d’écriture. Il a évolué au sein de l’orchestre de l’Université de Ouagadougou et auprès de grands artistes comme Bil Aka Kora, Eugène Kounker, Kantala, Zedess et bien d’autres. Deux fois lauréat du concours de musique « Sidakataa », sa musique est à cheval entre le Reggae et le Rock avec des sonorités jazzy et la percussion Bobo. Il a à son actif plusieurs chansons et plus d’une centaine de poèmes. Nous l’avons rencontré en Autriche, le 15 juillet 2009, quelques jours après le remplacement, à la tête de l’AIEA, de l’Egyptien Mohamed El-Baradei par le diplomate japonais Yukiya Amano, favori des Occidentaux. Dans cette interview, Eric Bayala nous parle des différentes péripéties de sa carrière, de la vie en Europe, de ses rêves et ambitions, etc.

Lefaso.net : En début juillet 2009, à Vienne dans la capitale autrichienne, le diplomate japonais Yukiya Amano, 62 ans et spécialiste des questions de désarmement et de prolifération a été élu à la tête de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) contre le Sud-Africain Abdul Samat Minty. Le Prix Nobel de la Paix égyptien Mohamed El-Baradei, a renoncé à briguer un quatrième mandat de quatre ans. Comment avez-vous vécu ce passage de témoin, vous qui avez travaillé à l’AIEA ?

Eric Bayala : Mohamed El-Baradei a abattu un formidable travail dans les deux grands dossiers de la Corée du Sud et de l’Iran. Ce sont des dossiers brûlants et à lui seul il ne pouvait pas tout faire. Quoiqu’il en soit, il s’est investi pour empêcher que ces deux pays ne disposent de l’énergie nucléaire militaire mais plutôt de celle civile qui peut remplacer les énergies fossiles. Mohamed-El Baradei doit partir en décembre après que l’élection de Amano ait été formellement validée par l’Assemblée Générale de l’AIEA en septembre. Les Africains auraient évidemment voulu le Sud-Africain Abdul Samat Minty comme DG de l’AIEA mais cela ne s’est pas produit. L’élection d’Amano est due au fait que les Occidentaux veulent que l’AIEA conserve son rôle de « gendarme du monde » pour éviter que plusieurs pays ne se lancent dans une course effrénée vers l’énergie atomique militaire. Beaucoup de pays africains auraient souhaité que ce soit le Sud-Africain pour que l’application de l’énergie atomique au niveau civil et au niveau des projets de développement soit effective.

Cela fait plus de 07 ans que vous vivez en Autriche. Comment vous y êtes vous retrouvé et comment se passe l’intégration ?

J’ai rencontré ma femme qui est juriste auprès de l’Union Européenne ici en Autriche. Avant notre rencontre, elle connaissait bien le Burkina Faso. Après notre rencontre, j’ai dû aller travailler dans des projets. Par la suite, j’ai démissionné pour venir m’installer ici à Innsbruck. J’ai travaillé pendant deux ans pour un laboratoire international spécialisé dans la fabrication d’implants pour les personnes souffrant de problèmes d’audition. Après ça, j’ai eu des problèmes liés au racisme. Beaucoup de personnes m’agressaient sur mon lieu de travail. J’ai donc dû le quitter. 06 mois après, n’ayant pas obtenu un nouveau travail, je me suis inscrit à l’université pour poursuivre mes études, notamment un Master en comparaison et management des structures de santé au niveau international. L’Autriche n’a pas une très grande histoire avec l’Afrique. L’intégration est par conséquent très difficile. Quand j’arrivais en 2002, il y avait moins de 200 Africains à Innsbruck. Aujourd’hui, nous sommes plus de 1000. L’Autriche est un pays Germanophone.

Les Autrichiens sont très logiques et rationnels. Quand on vient ici, la première des choses à faire, si on ne l’a pas encore fait, c’est d’apprendre la langue pour avoir un travail. C’est difficile pour quelqu’un qui n’a pas étudié ici d’avoir du travail. Moi je me bats au quotidien. Etant également musicien, guitariste, je donne des cours de musique, de guitare, de Djembé... J’ai évolué au sein de l’Orchestre de l’Université de Ouagadougou avec Bil Aka Kora, Drabo Bass. J’étais de la même promotion que Zedess au niveau de l’orchestre. Je joue souvent lors de manifestations organisées par les Africains ou par la Caritas. Je me bats au quotidien pour faire connaitre le Burkina Faso à travers mes poèmes, mes conférences. J’ai même été surnommé « Papa Africa » parce que je connais la quasi-totalité des Africains qui sont ici. Chaque fois qu’il y a un Burkinabè de passage, lorsque j’en ai l’opportunité, je fais tout pour le rencontrer. J’ai déjà reçu St Pierre Yaméogo lors d’un festival de film, Denis Yaméogo et bien d’autres. L’intégration a plusieurs facettes ici.

Il y a le côté institutionnel, le côté social et le côté religieux. Ce dernier côté est très important au Tyrol car c’est une région très catholique. J’ai eu la chance d’avoir été élu au sein du conseil paroissial de mon village sans que les habitants n’aient pris la peine de me demander mon avis. Ils se sont basés sur le simple fait qu’ils me voyaient tous les dimanches à l’Eglise avec mes deux filles Makeda et Sidalo. J’ai donc réussi l’intégration religieuse parce que je suis catholique. En plus, mon université m’a désigné comme son représentant au sein du Conseil Catholique des Universités. J’ai également l’intégration institutionnelle par mon mariage. Avec les différents papiers, j’ai acquis le droit de résidence, le droit de travailler, le droit d’étudier, le droit aux services sociaux. Mais pour l’intégration sociale, chacun doit se battre car les gens se parlent peu ici en Europe pas parce qu’ils sont forcement racistes mais parce qu’ils sont stressés. Les Africains qui sont ici, ont toujours leurs associations. Cela leur évite la ghettoïsation. Chaque année, nous avons la fête de l’Afrique. Nous réfléchissons généralement sur un thème bien déterminé avec des professeurs d’université de divers horizons.

De nombreux Autrichiens rencontrés apprécient bien les valeurs culturelles burkinabè. Comment êtes-vous organisés pour faire rayonner la culture burkinabè en Autriche ? Avez-vous pare exemple le soutien de l’ambassade du Burkina Faso à Vienne pour vos projets ?

Absolument. L’ambassade et en premier lieu, l’ambassadeur Salif Diallo nous soutient énormément. Nous avons besoin de cet appui institutionnel pour nous légitimer davantage. Je suis actuellement le Président de l’Association Sahel-Tyrol. C’est une association qui fait la promotion des échanges économiques et socioculturels entre le Burkina Faso et le Tyrol et entre les pays Sahéliens et la région du Tyrol et l’Autriche. Dans le cadre de nos activités, nous avons eu l’honneur de recevoir Son Excellence le Dr Salif Diallo, Ambassadeur du Burkina Faso à Vienne, du 27 au 30 mai 2009 ici à Innsbruck pour la fête du Burkina Faso. Il y a eu une rencontre avec plus de 200 élèves d’une école professionnelle, il y a eu aussi le forum des Burkinabè avec un rencontre avec les Tyroliens et Tyroliennes qui ont été au Burkina Faso ou qui s’intéressent à notre pays. Le forum était constitué de professeurs d’université, de médecins, de chercheurs qui financent des projets au Burkina Faso.

Il y a par exemple le projet biogaz avec l’Université Polytechnique de Bobo-Dioulasso. Le 03 novembre 2008, nous avons été invités à présenter des projets à des investisseurs tyroliens qui veulent intervenir au Burkina Faso, dans les secteurs miniers et de la production agro-alimentaire. Nous comptons donc sur le soutien de l’ambassade du Burkina Faso à Vienne pour faire aboutir tous ces projets. Ce n’est pas que le côté des affaires. Il y a des gens qui veulent aussi aider à construire des écoles, des CSPS au Burkina Faso, et même à donner des bourses. Il y a déjà la faculté de théologie d’ici et une école de formation en Sciences Sociales et en Sciences de la santé qui veulent donner des bourses à des Burkinabè. Nous travaillons aussi à faire venir des Burkinabè ici. Je demande simplement aux Burkinabè de rester intègres car nous jouissons d’une belle image à l’extérieur. J’espère que ces écrits sur la corruption, ou les gens qui sont escroqués au Burkina ne vont pas ternir l’image du pays.

De façon générale, comment les Africains vivent-ils dans cette région autrichienne du Tyrol ?

Je suis également le délégué à la communication de l’Association des Africains d’Innsbruck. Ce n’est pas facile, mais les Africains essaient de se faire une place au soleil. Nous avons un grand frère Nigérian qui est Psychiatre et Chef de Service, nous avons des médecins Ethiopiens, Ghanéens et d’autres professeurs d’université qui sont Africains. Mais ce n’est qu’une dizaine de personnes sur 1000. Pour les autres, c’est vraiment la débrouillardise. Tout est payé ici. Quand on a des enfants, il y a un qui est obligé de rester à la maison pour prendre soin d’eux. Si vous décidez de prendre une nounous, vous devez la payer à l’heure en plus des charges sociales. C’est comme si vous étiez entrepreneur et que vous employiez la personne. C’est au minimum 60% de votre salaire. Ce n’est pas l’Eldorado mais lorsqu’on a fait des études pointues en biologie, en biochimie ou dans d’autres domaines, on peut s’en sortir. Nous avons beaucoup d’exemples de Burkinabè qui ont réussi à l’AIEA, aux Nations-Unies… Quand on n’a pas de diplôme, c’est très dur. Mais comme le Burkinabè sont des battants, ils s’en sortent partout.

Vous avez été initié chez les Bobos et vous connaissez le langage des masques. Aujourd’hui, vous êtes entrain de réaliser un documentaire sur les masques. De quoi s’agira-t-il exactement ?

J’ai été ému d’avoir vu des masques à Eames, le village où je suis. Je suis né à Bobo. J’ai grandi à Tounouma. Bien que Gourounsi, j’ai été initié chez les Bobos parce que mes parents y vivaient. Je connais le langage des masques. Un jour dans mon village autrichien, alors que j’allais payer du pain le matin, j’ai vu des masques à fibre et des masques sculptés comme chez les Bobos. Je croyais rêver mais c’était bien la réalité. Cette découverte a aiguisé ma curiosité. Après en avoir échangé avec ma femme, j’ai alors entreprit des recherches et j’ai pu me rendre compte que le premier parchemin qui parle de masques ici date de 1638. Cela fait donc plus de 400 ans qu’ils ont des masques ici. J’essaie donc de faire un film sur les masques de Bobo qui ont un caractère plus ou moins sacré lié à un rite cyclique et les masques du village autrichien.

L’idée c’est d’établir une comparaison indirecte entre la morphologie, la sémiologie et l’expression des masques. Depuis 15 ans, les habitants d’Eames qui avaient perdu leur tradition de sortie des masques sous l’influence de l’Eglise, essaient à nouveau de se la réapproprier. Au Burkina Faso, beaucoup de gens continuent à penser que les masques ont une connotation païenne. Ce n’est pas juste car les masques renferment beaucoup de richesses. C’est cette richesse que je veux montrer aux Autrichiens et aux Burkinabè à travers une comparaison sur l’importance accordée aux masques dans chacun des deux pays. Au Burkina Faso, les masques jouent un grand rôle dans l’accompagnement des morts. Leur sortie donne lieu à des réjouissances qui peuvent permettre de ressouder les liens entre les villages, les clans… Le film devrait être disponible en janvier 2010. Nous l’avons tourné au Burkina Faso avec une équipe professionnelle, des interviews avec des professeurs d’Université comme Millogo Antoine, Sanon Alain, l’Archevêque de Bobo-Dioulasso Mgr Anselme Titianma Sanon, Blaise Sanou, l’Abbé Johanny, des chefs de village de Tounouma, de Dogona et de Borodougou. C’est un projet qui entre en droite ligne des objectifs fixés par notre association Sahel-Tyrol. Le projet de film documentaire comporte aussi un projet de livre parce que j’ai été accompagné par un professeur d’université, un psychologue, philosophe et socio-anthropologue.

Vous vous battez pour la promotion de la culture burkinabè en Autriche. Les ruines de Loropéni viennent d’être inscrites sur le patrimoine mondial de l’UNESCO. Qu’est-ce que cette consécration vous inspire ?

C’est une grande émotion et je tiens à féliciter toutes les autorités et toute l’équipe de chercheurs avec à leur tête le Pr Jean-Baptiste Kientega. Cette reconnaissance internationale témoigne de la richesse et de la vitalité de la culture burkinabè. Les ruines de Loropéni prouvent que le Burkina Faso a eu un passé glorieux n’en déplaise à tous ceux qu’ils veulent nier à l’Afrique son histoire. Ce pas qui a été franchi me réconforte dans mon combat quotidien pour faire connaitre le Burkina Faso dans la région du Tyrol. Nous comptons, avec l’ouverture d’un Consulat honoraire dans cette région, faire davantage la promotion de la culture burkinabè à travers un festival de films burkinabè que nous voulons organiser ici avec l’ambassade du Burkina Faso à Vienne. Nous avons également un projet culturel pour 2011. Il traitera de la géomancie, l’art divinatoire burkinabè. Comment les gens prévoient l’avenir, comment ils scrutent l’horizon ? Comment ils cherchent à se prémunir des mauvais sorts ..?

Interview réalisée en Autriche par Arsène Flavien BATIONO (bationoflavien@yahoo.fr)

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