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libre circulation des personnes : Un préalable vers les Etats-Unis d’Afrique

Publié le jeudi 5 février 2009 à 02h27min

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Les chefs d’Etat africains au sommet d’Addis-Abeba tenu, les 1er et 2 février 2009, ont raté dans leur ordre du jour un sujet qui est sur le fil vert, le problème de la libre circulation des personnes sur le continent, corollaire d’un développement intégré et durable. La question touche les populations africaines mais elle a été souvent éclipsée par nos dirigeants et ne fait pas l’objet d’une très grande attention des géniteurs et défenseurs de l’intégration africaine.

Dans l’univers des organisations d’intégration telles que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD), la Communauté économique et monétaire des Etats d’Afrique centrale (CEMAC), l’Union économique et monétaire Ouest-africaine (UEMOA)..., la libre circulation des personnes signifie des droits reconnus à un citoyen d’entrer sur le territoire d’un autre Etat dont il n’a pas la nationalité, d’y séjourner, résider ou de s’y établir soit pour rechercher un emploi et l’exercer sans discrimination, soit pour créer une activité commerciale ou de profession libérale.

Cet accès sur le territoire de l’Etat dont on a pas la nationalité s’effectue en principe de façon libre, sans visas et à l’aide de simples documents de voyage à savoir par exemple un passeport, un carnet de voyage ou une carte d’identité ordinaire. L’article 59 alinea 1er du traité de la CEDEAO dispose à cet effet : "Les citoyens de la communauté ont le droit d’entrée, de résidence et d’établissement et les Etats membres s’engagent à reconnaître ces droits aux citoyens de la communauté sur leurs territoires respectifs conformément aux dispositions des protocoles y afférents...". Mais force est de remarquer qu’en Afrique, on ne fait de l’intégration que pour les marchandises.

La suppression de visas et le démantèlement des barrières

Les hommes, eux, sont bloqués par le cloisonnement des frontières et les prérogatives souveraines des Etats. Pourtant, la libre circulation des personnes est un facteur d’une véritable intégration, de l’interpénétration des peuples et un préalable indispensable pour le projet des Etats-Unis d’Afrique et de ses institutions. Pour faire de la libre circulation des personnes sur le continent une réalité, il faut supprimer les visas et démanteler les barrières frontalières entre les Etats africains.

Affirmée aussi à l’article 4 du traité constitutif de l’UEMOA, la libre circulation des personnes est entravée par de nombreuses difficultés en Afrique. Aujourd’hui, à cause des problèmes de visas, des barrières frontalières douanières, de la carence d’infrastructures, de compagnies aériennes de transport, de routes..., il est plus difficile de partir de la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou à N’djaména au Tchad que d’aller à Paris en France. Lorsqu’on traverse l’Afrique, du Tchad au Mali en passant par le Cameroun, le Nigéria ou le Niger, le Bénin, le Togo et le Burkina Faso, les tracasseries et arnaques sur les routes, le désordre, les arrêts intempestifs, les pertes de temps et le prélèvement excessif de taxes sont monnaie courante sur ces voies. C’est un vrai casse-tête chinois de vouloir traverser certains de ces pays pré-cités. Selon un acteur de l’immigration, le commissaire de police Ousmane Sawadogo, "l’Afrique de l’Ouest a franchi un pas dans la libre circulation des personnes, voire des biens, des marchandises, des services et de capitaux".

L’une des preuves de la volonté de l’UEMOA d’aller à la libre circulation des personnes est que celle-ci a pris une directive sur l’égalité des chances dans les universités publiques pour tous les étudiants ressortissants de cette zone. L’UEMOA a de surcroît autorisé une procédure assez spécifique et sectorielle sur le droit d’établissement pour les fonctions d’avocat, médecin, pharmacien et expert comptable. Cependant, la grande partie de l’Afrique s’arc-boute toujours dans le privilège national contre-productif qui d’après l’universitaire Luc Marius Ibriga consiste à discriminer en pointant d’un doigt accusateur l’étranger comme celui qui vient s’emparer du pain des nationaux. L’élimination des barrières et la suppression des visas vont redonner confiance aux citoyens africains de pouvoir s’établir là où bon leur semble comme le font les ressortissants de l’Union européenne. De plus, promouvoir la mobilité des populations africaines par des garanties normatives est un gage pour l’unité.

Promouvoir la libre circulation des personnes

Quelques textes existent déjà, notamment les protocoles de Dakar, d’Abuja et la décision de Banjul des ministres de la CEDEAO en matière de libre circulation des personnes, sur les droits de résidence, d’établissement et la carte de résidence qu’il suffit d’appliquer. A ce stade, l’engagement des Etats doit être clair et inconditionnel. Et le Burkina Faso est un modèle à encourager. Tout en étant membre de l’UEMOA, il a signé une convention bilatérale avec un pays de la CEMAC, le Gabon, sur la libre circulation de leurs ressortissants entre les deux Etats et bientôt il paraphera une deuxième convention de même nature avec la Guinée Equatoriale. Qu’attendent les autres Etats pour suivre cet exemple ? Le Tchad, avec ses centaines de ressortissants, majoritairement des étudiants qui déferlent au Burkina Faso en quête du savoir n’a pas besoin d’échéances pour obtenir une convention du même type avec le pays des Hommes intègres afin de les disculper de visas et faciliter leurs déplacements.

Dans le sens d’une maîtrise de la situation d’insécurité aux frontières de nos Etats, il est souhaitable d’avoir des conventions multilatérales sur le blanchiment d’argent, le terrorisme, l’extradition et le transfert des fonds. Pour faire face à certains maux qui gangrènent le continent notamment la criminalité, le trafic de drogue et de stupéfiants par les "réseaux mafieux", la formation des polices de frontières dans ces domaines et la synchronisation de leurs actions, informations et renseignements permettront de restaurer la sécurité.

Le commissaire de police de l’immigration Ousmane Sawadogo invite les masses médias à inciter les Etats à créer des pools sécuritaires pour ne pas faire de la libre circulation des personnes, un moyen de propagation du banditisme.
La sensibilisation des citoyens sur les enjeux du droit communautaire et de la libre circulation des personnes les aiderait à penser africain avant de penser national. Ce qui amènera l’Afrique a rompre avec les vieux comportements et changer "ses mentalités rétrogrades" en évoluant vers une réelle intégration.

Les juristes africains de tous bords peuvent participer à la promotion de la libre circulation des personnes par leur contribution à harmoniser et unifier les textes de nos différentes structures d’intégration. Cela est primordial dans ce sens que l’harmonisation des textes d’intégration sous régionale et régionale peut enclenchée la construction des Etats-Unis d’Afrique chère à certains de nos dirigeants.

L’universitaire et secrétaire général du Centre d’études européennes et de l’intégration (CEEI), Luc Marius Ibriga s’interroge sur l’utilité de l’Union africaine qui ne met pas en valeur la libre circulation des personnes, les projets d’un développement durable du continent et qui n’a aucune emprise sur les réalités sociales.

Les Etats-Unis d’Afrique

La suppression des visas et le démantèlement des barrières, l’engagement des Etats à promouvoir la libre circulation des personnes ne suffisent pas à réaliser l’idéal des Etats-Unis d’Afrique.
Pour lui, il est important de faire sentir la nécessité d’intégrer à la base des populations en développant à leur profit des projets bénéfiques.

La mobilité des étudiants, de la jeunesse et de toutes les couches sociales africaines exige des infrastructures de communication dont des routes, des voies ferroviaires aériennes et navales ainsi que de l’énergie pour relancer nos économies et désenclaver le continent. Le projet de création de l’Institut Ouest-africain d’intégration régionale (WAIRI) décidé à la 61e session des ministres de la CEDEAO en novembre 2008 à Ouagadougou est illustratif. C’est un précédent qui va permettre de comprendre les mécanismes d’intégration en Afrique de l’Ouest. Pour qu’ils puissent être crédibles, les Etats-Unis d’Afrique doivent être le couronnement de ces grands chantiers de développement durable sinon, souligne M. Luc Marius Ibriga, "ils constitueraient un mythe de bureaucratie budgétivore".

"Une fois la libre circulation des personnes réussie pour que l’Africain soit en mesure d’aller d’Alger au Cap-Vert et du Caire à Monrovia, sans visas dans des conditions sécuritaires, il faut dès lors ouvrir des pans d’intégration sous régionale, régionale et successivement continentale", a souhaité M. Luc Marius Ibriga.
Parvenir aux Etats-Unis d’Afrique suppose construire une fédération c’est-à-dire l’unité dans la diversité qui impose l’acceptation de l’autre et le vouloir-vivre ensemble. Or la fermeture des frontières fait que les Etats africains et leurs peuples ne sont pas reliés. L’Afrique, si elle est unie, aura la capacité de mettre en relief ses ressources minières, pétrolières et ses potentialités humaines pour être forte et faire face aux grands défis. Cela demande une volonté politique.

Mais, on ne peut pas sonner le tocsin de l’unité, d’un gouvernement africain et en même temps utiliser des charters pour rapatrier systématiquement les non nationaux dans leurs pays d’origine comme le font la Libye et le Gabon en matière d’immigration. Il y a comme un hiatus et une inadéquation entre le discours panafricaniste du Guide libyen Moammar Kadhafi et les réalités sur son sol. Pourtant, il a été élu à la tête de l’Union africaine au dernier sommet des dirigeants africains d’Addis-Abeba. Lui qui prétend être le chantre des Etats-Unis d’Afrique avait provoqué un tonnerre de protestations des autorités maliennes et de toute l’Afrique pour avoir rapatrié des Maliens et des ressortissants d’autres nationalités africaines taxés d’immigrés indésirables. Il est crucial pour l’Afrique d’avoir une approche concertée dans les accords de gestion des flux migrations entre ses Etats et vis-à-vis des pays de l’Europe.

Aussi, la démarche constitutionnaliste envisagée par la Libye pour la construction des Etats-Unis d’Afrique est moins judicieuse et M. Luc Marius conseille le procédé fonctionnaliste aux dirigeants, qui vise à entreprendre d’abord la libre circulation pour une interpénétration des peuples d’Afrique et des travaux de développement intégré et durable, capables de donner un essor à l’économie.
Les Etats africains qui sont empêtrés dans des crises sociopolitiques et économiques criantes vont-ils accepter que la gestion de la diplomatie, de la défense et de la monnaie soit confiée à l’Union africaine comme à l’Union européenne ?
Quand on sait qu’ils sont jaloux de leur souveraineté et ne veulent pas ouvrir leurs frontières.
En tout état de cause, pourvu que la libre circulation des personnes soit au cœur des préoccupations au centre des débats de nos dirigeants .

Arnaud Djinkmbaye NANGMBATNAN (Collaborateur)

Sidwaya

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