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Succession de Blaise Compaoré : Ce n’est pas une affaire familiale

Publié le lundi 28 juillet 2008 à 11h28min

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Pour ceux qui lisent régulièrement l’Observateur, Jonas Hien est loin d’être un inconnu tant il aborde bien souvent certains sujets fort intéressants mais délicats de la vie politique. Dernier exemple en date, c’est celui-là ô combien sensible de l’éventuelle succesion de Blaise Compaoré à la tête de l’Etat par son petit frère François.

Pour Jonas Hien, François Compaoré est en train d’être préparé aux fonctions de magistrat suprême. Et voici ce qui fonde son argumentaire. Il y a de cela plus d’une dizaine d’années, une réunion secrète se tenait quelque part au Burkina Faso. Y prenait part un groupe très restreint de personnalités en charge de la gestion du pouvoir d’Etat au Burkina Faso. L’ordre du jour de cette réunion secrète portait justement sur la gestion du pouvoir d’Etat. Secrètement, les débats ont été menés pour aboutir à des décisions tout aussi secrètes : à partir de Blaise Compaoré, le pouvoir ne doit plus quitter le « centre ».

Le rayon du « centre » a été défini et renferme un certain nombre de provinces proches de Ouagadougou, qu’il conviendrait de ne pas citer. Et comme nous aussi nous ne sommes pas petit en matière de renseignements, nous avions eu l’intégralité des conclusions de cette réunion hautement secrète dès le lendemain. Certes, une telle vision peut être considérée comme étant une attitude de gens zélés, animés d’esprit d’être au pouvoir ou à côté du pouvoir tout le reste de leur vie. Néanmoins, il est bon de savoir que dans ce pays, il y a des gens qui ont des idées.

Un signe qui ne trompe pas

La stratégie de succession de Blaise Compaoré ne date donc pas d’aujourd’hui, serait-on tenté de dire. Et comme les Burkinabè s’informent toujours très tard, la rumeur d’une éventuelle succession de Blaise Compaoré par son frère cadet, François Compaoré, semble être nouvelle. En tous les cas, cette rumeur n’est pas du tout à négliger. Elle doit même être prise au sérieux. Certes, des supporters de François Compaoré ont écrit dans la presse il y a quelques mois, pour indiquer qu’une telle rumeur n’est pas fondée. Eux-mêmes se fondent sur le fait que François Compaoré est aussi soucieux de la préservation de la paix sociale au Burkina Faso.

Une telle appréciation laisse comprendre qu’une tentative de succession de Blaise Compaoré par son frère cadet pourrait compromettre la paix sociale. Une telle prise de conscience est déjà une bonne chose. Cependant, je parie fermement que cette assurance ne rassure pas. L’apparition brusque de François Compaoré dans les médias et dans les lieux publics depuis un certain temps n’est pas pour amuser une galerie. J’ai personnellement vu "en live" François Compaoré arriver à une cérémonie officielle "en grand", après que des membres de gouvernement eurent déjà pris place. J’ai également vu, à la même occasion, des ministres du Burkina Faso se lever et marcher à pas de diarrhéique pour rencontrer et encadrer le "futur président" vers la tribune officielle. Quand dans un Etat un ministre court à l’arrivée d’un conseiller, c’est un signe qui ne trompe pas.

L’éviction de Salif Diallo, avec autant de facilité, est aussi un signe qui ne trompe pas. A voir l’humiliation dont ont été l’objet des bonzes du parti au pouvoir, le CDP, on est tenté de penser que, dans ce parti, il faut éviter d’avoir des personnalités qui risquent de faire ombrage et déjouer la stratégie de préparation de la succession de l’époux de Chantal. Mais qu’est-ce qui peut pousser le Président Compaoré à vouloir se faire succéder par son frère, quand on sait que certains de ses compagnons politiques se sont plus sacrifiés pour lui que son frère, même si l’on peut nous rétorquer ce que nous en savons. Cinq hypothèses peuvent être émises.

La première hypothèse pourrait être la compréhension familiale du pouvoir actuel. Quand on ne veut pas partir, toutes considérations peuvent être admises. Ainsi, Blaise Compaoré et sa famille pourraient se dire ceci : « quand tu es arrivé au pouvoir, on t’a traité de tous les noms d’oiseau. On a dit que tu as tué ton ami pour prendre le pouvoir. Maintenant que c’est devenu bon, tu ne vas pas remettre le pouvoir dehors. Dieu merci François est là. Après toi, il peut continuer la gestion du pouvoir. Il faut commencer à le préparer, à le faire connaître ». On croit donc que le pouvoir-là c’est pour la famille. Et comme le sport mobilise, on commence par demander à François Compaoré de parrainer telle ou telle manifestation sportive. Et voilà, petit à petit, on prépare le successeur.

La deuxième hypothèse pourrait être une question de confiance. Blaise Compaoré connaît bien ses compagnons en politique. Il sait que la plupart de ceux qui crient à péter pour le soutenir ne sont pas prêts à mourir pour lui. Ils veulent profiter, faire vite et bien, surtout quand ils savent que nous sommes dans un pays où l’impunité est érigée en système de gouvernance. Il faut être inscrit dans le registre des nouveaux riches. Si Blaise Compaoré n’est plus au pouvoir, ce sont les mêmes d’hier qui défendaient sa cause qui nous relateront la laideur du pouvoir déchu. Alors, seul le frère est le protecteur sûr.

La troisième hypothèse qui est intimement liée à la deuxième, est l’après-Blaise. Nous sommes dans un pays de "Yel kayé", c’est-à-dire de mensonges. Blaise Compaoré sait que quand on dit "yel kayé" en langue moaga, cela signifie qu’on t’attend au tournant. Il n’ignore pas que les Burkinabè sont très mécontents de ce que le pays est devenu, après une ligne presque de paradis à l’avenir tracée par le Conseil national de la Révolution du Président Thomas Sankara. Il n’a aucune assurance de pouvoir bénéficier d’une protection contre la réaction populaire s’il n’est plus au pouvoir. La seule personne sur qui il peut compter à 100%, c’est son frère. Alors, il tentera par toutes les manœuvres pour imposer son frère à occuper le leadership dans leur milieu politique.

La quatrième hypothèse, c’est qu’à voir Blaise Compaoré de près ou de loin, il n’est pas malade, contrairement à l’interrogation provocatrice du journal l’Evénement. Il a maigri. A force de courir pour résoudre les problèmes des pays voisins, il n’a pas le temps de se nourrir correctement. Or, l’organisme humain n’aime pas de tels manquements. Outre cette fatigue physique, Blaise Compaoré tire vers la remise du pouvoir. Il sait au moins qu’un jour il sera obligé de quitter le pouvoir, donc la gestion de l’Etat burkinabè ne s’arrêtera pas au « centre » quand il ne sera plus président. On sait qu’en Afrique, plus on tire vers la fin du pouvoir, plus on a peur pour diverses raisons. Et pour qui est prévoyant, une succession ne se fait pas de façon bruyante. Et pour le cas du Burkina Faso, il faut du tact quand on sait qu’au CDP, des appétits ne manqueront pas. Et, ici, le gâteau conviendrait mieux au petit frère, surtout qu’il est du « centre ».

La cinquième hypothèse pourrait venir d’un simple mimétisme. Si le fils a remplacé le père au Togo voisin, pourquoi un frère ne remplacerait-il pas un frère au Burkina Faso ?

Il faut rassurer Blaise Compaoré

De l’une ou l’autre des hypothèses, l’attitude de Blaise Compaoré, si elle était avérée, est humainement compréhensible. Même celui qui n’aime pas Blaise Compaoré ne peut pas lui demander de détester sa propre personne. Ici, c’est une question de vie. Il est courant d’entendre les Burkinabè dire que le "jour viendra" sans qu’on n’en précise le contenu. Rien ne garantit que si Blaise Compaoré n’est plus au pouvoir, il aura la paix, ainsi que les membres de sa famille. On comprend que le contentieux humain, surtout, est énorme avec le régime du président Compaoré. Mais il faut reconnaître que la plupart des Burkinabè ne sont pas des hommes de parole sur ce plan. Et le président Compaoré en est conscient.

A l’étape actuelle, son avenir et celui de sa famille le préoccupent. Et tant que les Burkinabè ne montreront pas que rien n’arrivera ni à lui-même, ni à sa famille une fois hors du cœur du pouvoir, nous devons nous attendre inéluctablement à une tentative sérieuse d’imposer son frère François Compaoré pour lui succéder. Seuls les politiques peuvent dire ce qu’il peut en advenir. C’est pourquoi, il est temps que chaque Burkinabè ait le courage de se prononcer sur cette rumeur qui est à prendre au sérieux. Avec la vie chère qui vient de passer à la vie très chère, il faut prévenir et éviter la vie mortelle, avec des troubles sociopolitiques ; car les politiciens ont des raisons que la raison du peuple ignore.

Et puisque chaque Burkinabè doit se prononcer sur l’éventuelle succession de Blaise Compaoré par son frère, ma position est sans ambiguïté : de prime abord, je dois affirmer que je crois fortement à cette possibilité de succession. Le pays-là n’est qu’un seul bâtiment compartimenté dans lequel nous rentrons et sortons par la même porte. Il est donc trop petit. C’est ceux qui croient en l’existence de secrets qui peuvent continuer à rêver. Constitutionnellement, rien n’empêche le citoyen François Compaoré d’aspirer à devenir le Président du Faso. Il est même de son droit, ainsi que tous les Burkinabè, qu’ils soient du « centre » ou non.

Mais une succession aussi directe posera problème. Si humainement on peut comprendre Blaise Compaoré et les siens, il reste que la gestion du pouvoir d’Etat n’est pas une affaire familiale. En outre, ce régime a marqué négativement les Burkinabè. Une suite du pouvoir par un membre de la même famille sera perçue comme la perpétuation de la souffrance du peuple du fait d’une seule et même famille. La dernière décision de fermeture de l’université de Ouagadougou est venue ajouter et confirmer que ce régime doit trop d’explications au peuple.

Si le gouvernement n’a pas encore l’information, je l’informe que les Burkinabè ne sont pas contents de cette mesure. Les cités universitaires ne sont la propriété d’aucun membre du gouvernement, et nous ne pouvons pas accepter que les enfants du pays soient traités et maltraités de cette façon. Le peuple est donc très fâché contre la fermeture de l’université. Mais "Yel kayé". Il devient alors difficile de comprendre la succession murmurée, car "chasser le naturel, il revient au galop".

Pour ma part donc, et pour la paix sociale, Blaise Compaoré doit tout mettre en œuvre pour que ce qui est considéré comme une rumeur reste et meure au stade de rumeur. Au CDP, il y a encore des personnalités respectables et capables de gérer ce pays. Le premier ministre lui-même a de bonnes idées, et peut faire avancer les choses, même s’il parle beaucoup. Dans l’opposition, malgré l’insuffisance organisationnelle, on y trouve des personnalités d’hommes d’Etat, capables de faire mieux que le régime actuel. Dans la société civile, il y en a aussi de capables pour conduire le Burkina Faso vers le bonheur, surtout que, pour la présidentielle, on n’a pas besoin de se référer à un parti politique. Vouloir donc de François Compaoré pour succéder à son frère risque fort de faire plus de mal que de bien aux Burkinabè. Je n’ai rien contre François Compaoré. Mon seul problème est que je suis aussi soucieux de la paix sociale.

Quand on lutte contre la vie chère, il faut se battre à la fois pour la paix sociale. C’est la seule condition pour pouvoir aller à la recherche de sa pitance quotidienne. Et connaissant très bien la mentalité des Burkinabè, je parie fort que si cela s’avérait, cette succession ne sera pas aussi pacifique qu’on le croit. Mais le problème de fond se pose : rassurer le président Compaoré que rien ne sera mené contre lui une fois hors du pouvoir. Cette décision du peuple burkinabè est aussi capitale pour nous éviter une situation sociopolitique désagréable à l’avenir. Mais puisqu’il est impossible de "rentrer dans le ventre" de chacune et chacun des Burkinabè pour connaître la vérité, on peut au moins se permettre de croire aux uns et aux autres sur parole. Mais si les compatriotes se refusent de prendre un tel engagement, nous devons considérer que nous sommes assis sur une seule fesse.

Jonas Hien

L’Observateur

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