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Félix Boyarm, secrétaire permanent du Comité national de jumelage

Publié le mercredi 5 décembre 2007 à 13h05min

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Félix Boyarm1

Administrateur civil, secrétaire général de la mairie de Ouagadougou pendant 22 ans, Boyarm Félix occupe le poste de secrétaire permanent du Comité national de jumelage (CNJ)depuis 1996, la structure qui a piloté depuis 1967 toutes les activités de la coopération décentralisée.
A l’heure de la communalisation intégrale intervenue depuis les dernières élections municipales, les élus locaux sont devenus les principaux acteurs de la coopération décentralisée.

Comment les animateurs des 155 comités locaux de jumelages jugent-ils cette nouvelle donne ? Quel type de rapports doivent-ils entretenir avec les maires et n’ont-ils pas le sentiment d’avoir été dépossédés de leur chose ? Explication avec celui qui constitue à lui seul toute la mémoire de l’histoire de la coopération décentralisée au moment où se déroule du 3 au 5 décembre, la dixième édition des Journées de la Commune burkinabè

Qu’attendez-vous de ces journées de la commune burkinabè ?

C’est pour nous une occasion propice d’échanger avec les maires surtout que nous sommes à l’heure de la communalisation intégrale et cela commande que nous travaillons en synergie avec les 351 élus locaux. Nous n’avons aucune opposition contre qui que ce soit si ce n’est contre le sous développement et la pauvreté. Depuis 1967, date du premier jumelage entre Ouagadougou et Loudun jusqu’en 1995, nous nous battons avec les comités locaux de jumelage sur le terrain de la coopération décentralisée . Puis en février 1995, les maires élus sont arrivés, ce qui est leur terrain naturel d’évolution, mais nous qui étions avant eux n’avons aucune prétention d’être des décideurs à la place de qui que ce soit car nous sommes seulement chargés d’accompagner les élus locaux dans leurs tâches de développement local. Concrètement,t nous sommes en train prêcher à tous les comités locaux de jumelage qu’il y a une mutation et que les choses ne sont plus les mêmes qu’avant et que désormais les priorités doivent être définies par les élus locaux à travers leur plan local de développement.

Avec la communalisation intégrale, n’avez-vous pas le sentiment d’être dépossédés de votre chose ?

Pas du tout, car le jumelage n’était pas vraiment notre chose, appartient à toute la population et nous ne sommes que des serviteurs et celui qui croit qu’il a un pouvoir se trompe. Mais comme nous ne nous sommes pas trompés, nous n’avons aucun problème. Au contraire, nous savons qu’avec maintenant la validation des projets par les élus locaux, le partenariat va être consolidé avec nos amis extérieurs

Donc les comités locaux sont sous le contrôle des maires…

Evidemment ! Puisque le maire est élu pour gérer les affaires communales qui englobent tout y compris la coopération décentralisée. Il ne viendrait pas à l’idée d’un membre d’un comité de jumelage président ou pas de croire qu’il peut subordonner le conseil municipal à un comité local de jumelage qui n’est en réalité qu’une association. Comment une association peut-elle être au-dessus des élus locaux ?

Dans le passé, des associations ont été créées pour contourner les élus. Pareilles situations existent-elles encore ?

Sans langue de bois, je dis que nos amis du Nord sont en train de semer la pagaille et j’emploie le mot pagaille à dessein. Pourquoi ? Le Comité national de jumelage (CNJ) est une association mais pas comme les autres puisqu’il ne peut pas faire quelque chose qui n’est pas prévue par les communes. Nous sommes sous le contrôle des élus locaux alors qu’une ONG est absolument libre et nous avons vu des gens du Nord qui créent des associations alors que la loi de chez nous dit que le jumelage ne peut se faire qu’à travers un comité local de jumelage. Nos partenaires sont en train de vouloir contourner cette loi en créant des associations chez eux et une chez nous qui est leur correspondante.

Et comment se passe la coexistence entre ONG et élus locaux ?

Il ne faut pas seulement s’accrocher à la coopération institutionnelle à travers les CLJ. Dans les ONG, il y a des expertises, des compétences à revendre et qui peuvent être utiles aux collectivités. Il faut donc prendre contact avec elles pour renforcer cette coopération institutionnelle qui, à elle seule ne peut pas nous mener loin, d’autant que nous en sommes conscients. D’ailleurs nous avons écrit au Secrétariat permanent des organisations non gouvernementales (SPONG) pour leur dire que nous avons les mêmes finalités et qu’il faut que nous nous rencontrions, ONG, élus et CLJ pour travailler en synergie. Mais jusqu’à l’heure où je vous parle, nous n’avons pas eu de réponse à notre lettre qui date de 7 ans. Nous sommes désespérés, mais pas fâchés et sommes toujours prêts, aujourd’hui comme demain à rencontrer les ONG. On doit pouvoir discuter ensemble et conjuguer nos efforts car il y a des compétences qu’il ne faut pas gaspiller

Comment jugez-vous l’action des partenaires du Nord et dans lesquels ils secteurs interviennent-ils principalement ?

En fait, leurs interventions sont multiformes. Depuis 1994 nous avons dit à tout le monde qu’il fallait s’orienter vers des programmes pluriannuels et multisectoriels et ne plus perdre le temps avec les actions ponctuelles. Depuis, tout dépend du dynamisme de chaque coopération et des problèmes locaux qui se posent à chaque collectivité. Certains préfèrent avoir une retenue d’eau, d’autres des établissements, des forages…Il y a même eu des Collèges d’enseignement technique qui ont été construits, ce qui ne pouvait pas se faire avant. Avant la loi la loi de juillet 1992, les collectivités territoriales françaises ne pouvaient pas aider des partenaires amis, et maintenant grâce à cette loi, et grâce au co-financement, on arrive à mener des actions qui sont quand mêmes respectables. Je peux en témoigner pour avoir été responsable des projets de la ville de Ouagadougou pendant six ans.

Je sais que le maire de Ouagadougou a fait une option pour les galeries marchandes car les gens occupaient de façon anarchique les rues et il fallait construire des boutique, ce qui a été fait grâce à la coopération avec Loudun. Nous avons même reçu 75 000000 F CFA une année. Et c’est nous qui sommes acteurs de notre développement car c’est à nous de définir nos priorités, puis les discuter avec les partenaires

Etes-vous certains qu’on impose plus des projets déjà montés au Nord ?

Franchement si je vous dis qu’à l’heure actuelle, on ne connaît plus ce problème, j’aurais menti. Certes je ne sais pas exactement tout ce qui se passe partout, mais je sais qu’il y a encore des poches de résistance à ce que nous avons prêché et les échos nous parviennent que des gens disent : on vous donne ça ou rien du tout !
Entre Ouagadougou et Loudun, il y a eu des périodes où nos amis apportaient des médicaments à spécialités qu’ils donnaient à l’hôpital. Entre-temps, le Burkina a opté pour les médicaments génériques et il fallait donc suivre la politique définie par notre pays. Les choses sont claires : celui qui ne veut pas nous aider dans ce sens, on en veut pas ! Alors, moi qui vous parle, j’ai été catégorique avec nos amis en leur disant : si vous voulez nous aider, vous devez nous écouter et si vous nous écoutez, vous saurez ce que nous voulons et vous changerez votre fusil d’épaule. Vous comprendrez pourquoi nous voulons aller vers les produits génériques qui peuvent être administrés par des infirmiers d’état d’autant que nous n’avons pas de docteurs partout. Mais si vous nous apportez des spécialités, nous serons obligés de les donner à l’hôpital où il y a les médecins et ce n’est plus Ouagadougou qui est aidé, mais tout le Burkina, même si, au final, c’est la même chose.
« J’ai rougi les yeux » comme on dit chez nous et j’ai été écouté car au voyage suivant, ils sont venus avec l’argent et nous avons acheté ensemble les médicaments et les distribuer.

Si on veut aider quelqu’un il faut l’écouter et je regrette que l’écoute manque aujourd’hui à certains partenaires du Nord et il y en a mêmes qui se comportent comme s’ils étaient des savants qui connaissent les problèmes de notre pays mieux que nous-mêmes. Ce que je n’admets pas car je ne peux pas prétendre connaître la France mieux que les Français. Par conséquent, on ne peut pas nous imposer des choses que nous ne voulons pas et en tant que secrétaire permanent du CNJ depuis 1996, ma position est restée la même. Nous voulons bien recevoir des aides, mais celles qui sont inadaptées où on a le sentiment qu’on constitue un dépotoir de choses dont les autres n’ont plus besoin pour ensuite les comptabiliser dans les bilans de l’aide au développement

Vous répétez ce message à chaque occasion ?

Bien évidemment ! J’ai participé à toutes les rencontres internationales consacrées à la coopération décentralisée et à chaque fois je n’ai pas manqué l’occasion de dire. La vérité rougit les yeux mais ne les éclate pas

Avez-vous le sentiment de donner quelque chose en retour à vos amis du Nord ?

Je vous remercie pour cette question que j’attendais depuis longtemps ! Enfin l’occasion m’est offerte de dire ce que nous apportons aux autres.
En 1990, à Kongoussi, nous avons eu une rencontre avec des amis de la Seine Maritime et il était question de l’évaluation de leur coopération. A la fin, nous nous sommes concertés pour demander à nos amis ce qu’ils voulaient qu’on fasse pour eux car nous voulons aussi que ce soit le donner et le recevoir. Quand nous leur avons posé cette question, ils ont tous rigolé et leur chef de délégation, tout sourire a pris la parole et nous a dit ceci : « vous imaginez bien que si on avait aucun intérêt, nous ne payerions pas tout le temps nos frais de transports et de séjour pour venir chez vous ! Nous enregistrons à chaque fois des richesses immatérielles, car quand nous arrivons chez le chef de village et qu’il fait tuer un mouton pour nous faire un méchoui, nous sommes bien conscients qu’il ne mange pas le mouton tous les jours, que c’est un sacrifice qu’il a consenti pour nous faire plaisir. Et cela nous touche profondément.
Et puis de retour chez nous , ce que nous avons vu nous donne envie de vivre, de relativiser nos problèmes car nous savons que nous ne sommes pas les plus malheureux.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Lefaso.net

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