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Burkina Faso : Trop de missions à l’extérieur pour un pays aussi pauvre !

Publié le vendredi 10 novembre 2006 à 00h00min

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La formule est désormais consacrée dans les comptes rendus des Conseils des ministres où, invariablement, il est "autorisé des missions à l’étranger". Quelques mots lâchés presque de façon anodine mais qui renferment des enjeux très importants au point de vue des finances publiques, du renforcement des capacités des cadres, des intrigues qui se nouent autour de ces missions, des retombées économiques, politiques et diplomatiques.

Ah, les missions à l’étranger ! Dans l’Administration publique, la cherté de la vie a provoqué une course effrénée pour cette source de revenus autre que le salaire. C’est à qui peut dénicher le maximum de stages, séminaires et autres conférences à travers le monde.

On recherche bien sûr celles qui sont les plus juteuses en termes de prise en charge, ce qui suppose qu’il faut aller le plus loin possible et y rester le plus longtemps possible. Les missions, c’est la loi du marché : plus la demande est forte, plus les enchères montent avec tout ce que cela comporte de compromissions pour les prétendants aux missions et d’air de suffisance pour les "gestionnaires" de ces missions. Dans l’Administration, il n’est pas rare que les dysfonctionnements des services, les frustrations diverses et même les bagarres entre agents résultent de la gestion des missions. Autant celles-ci font le bonheur des privilégiés qui en profitent, autant elles rendent aigris ceux qui les voient filer sous leur nez, pas forcément parce qu’ils sont incompétents, mais parce qu’ils n’ont pas la bonne carte ou ne font pas suffisamment preuve de servilité.

Pour certains patrons, les missions sont une chasse gardée, une expression de leur pouvoir, qu’ils utilisent en guise de prébendes. Ne sort pas qui veut. Encore qu’il est normal que les agents méritants puissent bénéficier de formations à l’extérieur. Mais tout cela doit s’inscrire dans la tradition des bonnes règles de management des ressources humaines. Il est même raconté que, récemment encore, un ministère traçait la limite entre les agents devant voyager par "voie terrestre" et ceux autorisés pour les missions par "voies aériennes". En somme, un apartheid professionnel et administratif qui ne dit pas son nom.

Mais la palme de la magouille, dans cette jungle des missions, revient à certains qui, de par leur position hiérarchique, n’hésitent pas à se fabriquer des missions ou à les détourner à d’autres fins. Ainsi, l’astuce consiste à inventer des stages, à se rendre à une rencontre qui n’apporte rien au pays ou carrément à caler une mission officielle sur des soins ou vacances à l’extérieur. Aux frais de la princesse, on se paye des séjours touristiques ou de bilan de santé ! Dans tous les cas, le résultat est le même : des frais indûment perçus, un fardeau de plus pour le budget et aucune retombée pour le pays.

Il se trouve aussi des agents qui, non contents de s’offrir des virées grassement payées, se permettent d’importuner les chancelleries burkinabè à l’étranger. Ils veulent disposer de tout gracieusement auprès de l’ambassade alors qu’ils ne sont ni diplomates ni personnalités de haut rang : voiture (plus chauffeur s’il vous plaît), logement, couvert et pourquoi pas un souvenir de la ville visitée.

Outre les dégâts que la gestion quasi-maffieuse des missions fait dans les rangs des fonctionnaires et dans le système administratif (découragement, conflits sournois, clientélisme, clanisme, etc.), s’est-on un jour interrogé sur le coût pour le contribuable burkinabè et le véritable impact de ces multiples sorties pour le pays ? Combien, à ce jour, ont coûté l’ensemble des missions ?

Il est impératif, dans le contexte actuel de raréfaction des ressources et pour une nécessité de bonne gouvernance et de justice sociale, qu’une cellule interministérielle soit mise sur pied pour faire le point. Son rôle sera d’abord de déterminer l’opportunité (avantages et inconvénients) d’une participation à tout conclave extérieur, de définir le profil des participants et leur nombre et de déceler et éliminer toutes les missions improductives pour le pays ou fabriquées de toutes pièces. Sans remettre en cause l’importance de la participation du Burkina aux réunions internationales, il est tout de même nécessaire de les rationaliser en mettant fin aux dérives qui gouvernent à sa gestion. Le principe du retour sur investissement doit prévaloir dans chaque sou engagé pour le déplacement d’un fonctionnaire.

La justice sociale aussi commande qu’un frein soit mis au système actuel. D’abord, seule une infime minorité de Burkinabè (les salariés notamment) accapare cet outil qu’ils utilisent en réalité plus pour arrondir leurs fins de mois que pour servir le pays. Ensuite, à l’intérieur même de ce cercle fermé, les coups bas et le favoritisme excluent bon nombre d’agents. Ainsi, pendant que certains ne font jamais un mois sans prendre les airs et ne comptent pas sur leurs salaires pour vivre (abondance de frais de mission oblige), d’autres rasent les murs dans les six-mètres de Ouagadougou et ne rêvent même pas de palper un jour ces fameux frais de mission. « Nous on est trop petits pour prétendre à ça », lancent-ils, impuissants, alors qu’ils n’ont rien à envier, sur le plan des diplômes ou des compétences, aux "môgôs puissants" qui ont fait de Paris une banlieue de Ouaga.

Les missions créent incontestablement une fracture entre agents de l’Administration, ce qui est source de baisse de rendement. Mais en plus, elles coûtent nécessairement cher au contribuable qui n’en perçoit pas toujours l’intérêt. Prenons donc notre courage à deux mains pour voir clair dans cette affaire (ce business, diront certains) afin d’économiser nos ressources déjà si maigres.

"Le Fou"

Le Pays

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