LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Essai politique sur Blaise Compaoré : "Faut-il tuer la liberté d’expression ?"

Publié le mardi 8 août 2006 à 00h00min

PARTAGER :                          

"L’ère Compaoré, crimes, politique et gestion du pouvoir." C’est le titre d’un essai politique de notre confrère Vincent Ouattara sur le régime de la IVe République. Mais ledit essai est bloqué à son entrée au Burkina pour des raisons que son auteur ignore. Dans les lignes qui suivent, il se demande si cette censure qui ne dit pas son nom ne va pas tuer la liberté d’expression qui est pourtant garantie par la Constitution.

Je suis un paysan des mots, c’est ce que j’ai appris à faire à l’école pour ne pas être frappé d’analphabétisme, un mal que combattent les autorités de mon pays depuis des années. Je suis un paysan, mais je ne cultive pas d’OGM, je cultive des idées, avec l’intention de contribuer au développement de mon pays. Dire que les paroles ne servent pas, c’est blaguer la mère du muet. La preuve, mon livre est pris en otage, et je ne sais pas où trouver l’autorisation qu’on me demande avant de l’avoir.

Pourtant, depuis un certain temps, j’ai entendu et j’entends encore une musique dont les refrains sonnent inlassablement : démocratie, paix, pays de liberté, progrès. Litanies maintes fois reprises dans les langues nationales à un peuple de Sahel pauvre, appauvri, souffrant et croulant sous le poids de l’analphabétisme qui fait des choux gras pour certains, à tel enseigne qu’il y a lieu de se demander s’ils veulent réellement relever le défi de la lutte contre ce fléau. Notre démocratie est en panne, le pays plonge dans le spleen, et le silence devient la règle : « Pour bien vivre, mieux vaut ne rien voir, entendre ou dire », ou il faut chanter la musique sempiternelle des maîtres : démocratie, paix, pays de liberté, progrès.

Et il est légitime de s’interroger sur la valeur de la liberté des opinions face au refus de remettre à l’auteur que je suis le produit de son intellect, tout en me demandant d’avoir une autorisation de publication. Plus de dix jours déjà écoulés depuis la saisie de mon livre, et rien. Mais ce n’est pas une kalachnikov ! Même la drogue et des fusils saisis ne mettent pas tant de temps pour avoir un dénouement. Ne s’agit-il pas là d’une censure qui ne dit pas son nom. La censure étant l’examen d’une autorité (étatique ou religieuse) sur des livres, journaux, bulletins d’informations, pièces de théâtre et films, avant d’en permettre la diffusion au public.

La censure, une atteinte à la liberté d’expression

Par extension, la censure désigne différentes formes d’atteintes à la liberté d’expression, avant et même après leur diffusion. Le livre intitulé L’ère Compaoré, crimes, politique et gestion du pouvoir n’est-il pas un cas de censure qui ne dit pas son nom ? Oui, c’est la première fois dans notre pays qu’un livre est pris en otage. Le chef de l’Etat le sait-il ? Lui qui, récemment au sommet sur la gouvernance à Kigali, a bien amusé le beau monde politique et la presse internationale en demandant aux journalistes d’être plus professionnels, et avec des promesses de créer une école internationale de journalisme à Ouagadougou. Noble promesse.

Hélas, c’est dans ce pays qui sera fier d’abriter ce futur joyau que la liberté d’opinion est violée au vu et au su de tout le monde. Le peuple burkinabè en est témoin, les représentations diplomatiques aussi, et tous ceux qui chantent l’apogée et les prouesses de nos régimes, quand bien même des signes de déclin sont perceptibles. La morale agonise et a besoin des hommes intègres, même si la diplomatie veut que l’on pèse les mots. Mais où sont-ils ? Je ne pense pas être ce philosophe grec, Diogène, surpris dans la rue, une lanterne dans la main, sous un soleil éblouissant, en train de chercher un homme « intègre ». Notre société a encore des hommes intègres qui regardent, les larmes aux yeux, le bacille de Hansen dévorer la cité heureuse

appelée « Terre des hommes ». Malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple en chantant et en buvant leur petit lait, avec des mots : démocratie, paix, pays de liberté, progrès.

Cette confiscation de livre par nos institutions rappelle la critique platonicienne de la démocratie : les hommes étant esclaves de leurs sens et de leurs pulsions, ils ont besoin d’une cité régie par des « philosophes-rois », dépositaires de la sagesse, pour prendre des décisions

ordonnées et justes à leur place. L’auteur que je suis attend la loi des « dépositaires de sagesse » de mon pays. J’ai fait mon travail, et si je ne le faisais pas, quelqu’un d’autre le ferait. Et je serais heureux si quelques passages qu’ils ont dû éplucher peuvent contribuer à faire d’eux de véritables sages, des citoyens exemplaires au service de leur peuple.

Censure et liberté d’expression

Dans notre pays, la liberté d’expression est protégée par les lois. Le code de l’information stipule, en son article premier, que le droit à l’information fait partie des droits fondamentaux du citoyen burkinabè. La Constitution, elle, garantit aux citoyens ainsi qu’à la presse la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. Dans son article 8, il est écrit : « Les libertés d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur. »

Les textes en vigueur comportent également des clauses restrictives qui concernent les cas d’incitation à la guerre, à la propagande haineuse puisqu’elles empêchent qu’un préjudice soit causé à des personnes et à des groupes... L’article 53 du Code de l’information définit les cas de restriction : en matière de secret militaire d’intérêt stratégique, lorsque l’information porte atteinte à la sûreté de l’Etat, lorsque l’information concerne les mineurs, lorsque l’information porte sur les secrets de l’instruction judiciaire.

Mais je voudrais savoir les éléments d’accusation qui privent le peuple burkinabè d’une production intellectuelle, d’un livre qui parle de la tumultueuse histoire de notre pays. Son Excellence Monsieur le Président, Blaise Compaoré, si vous êtes contre cette façon de bâillonner la liberté par des hommes qui veulent des médailles d’honneur, dites-le à votre peuple qui ne croit pas à ce qui arrive en ce moment.

Que penser dès lors que la liberté d’expression est bâillonnée ?

La question est posée aux amoureux de ces terminologies qui nous viennent gracieusement, de temps en temps, du côté de la mer, et que nous apprenons à manipuler tant bien que mal. Hier un journaliste, Norbert Zongo, a été assassiné pour ses opinions, avec à ses côtés de braves fils du pays. Huit ans après, son principal inculpé est en liberté. Durant ces dernières années, des hommes ont été poursuivis, emprisonnés, voire assassinés pour leurs opinions, mais cela empêchera-t-il les Burkinabè d’être maîtres de leur pensée et de contribuer courageusement au développement de leur pays ? Je ne le pense pas, même au prix de la mort. Notre pays a toujours su produire des hommes qui bravent le règne de l’arbitraire. C’est une noble tradition.

Et un Etat autoritaire peut-il tuer tous ses fils illustres au nom de ses intérêts égoïstes ? A moins d’être un catoblépas, cet animal si stupide qui mange ses propres organes. Et à la fin ?

Vincent Ouattara Journaliste,
Docteur ès culture

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?