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"Injustices au MEBA" : Un enseignant assène ses vérités

Publié le jeudi 18 mai 2006 à 08h17min

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Il n’est pas d’accord avec le contenu de l’écrit d’un acteur du secteur de l’Education, Lazare Tapsoba, publié dans notre édition du 8 mai 2006. Dans la note qui suit, Saïdou Kafando, enseignant dans la circonscription de Tougan, déballe ses arguments sur les "injustices au MEBA". Et il n’y va pas avec le dos de la cuillère.

C’est avec un enthousiasme particulier, à la vue de l’intitulé de l’écrit que j’ai parcouru, la réflexion de M. Lazare Tapsoba dans le numéro 3616 du journal "Le pays" paru le lundi 8 mai 2006, accordant le même intérêt que l’auteur à propos du sujet évoqué, je me permets d’apporter ma contribution à sa préoccupation "soumise à la méditation de l’opinion publique en général". Mon but n’est pas d’apporter des réponses à ses inquiétudes, mais modestement d’exposer une manière de voir.

D’entrée de jeu, je ne partage pas cette conception de M. Lazare qui sous-tend son écrit, ni l’opinion qui y est soutenue.

Mais je le félicite pour être sorti de la torpeur générale dans laquelle se trouvent les inspecteurs de l’enseignement primaire, pour dire ce qu’il pense sincèrement dans le cadre de sa profession. Car il y a longtemps qu’on a oublié ces cadres de l’éducation qui ne savent rien d’autre que fonctionner au rythme de la machine administrative. Loin des débats passionnants concernant leurs outils de travail que des grands enjeux de l’humanité. Ils ne savent plus parler donc un autre langage, si ce n’est les GAP, les CASEM et les Conférences pédagogiques. Fasse Dieu que d’autres inspecteurs suivent les traces de M. Lazare Tapsoba.

Pour ce qui est de l’écrit, je le trouve d’un ton grave et plein d’exagérations injustifiables : "Il existe un fait atypique qui suscite tant et tant d’interrogations, tant son horreur révolte toutes les âmes nobles, et indigne tous les hommes libres épris de paix et de justice."

Je suis troublé car il y a tellement de faits atypiques au MEBA et dans ce pays que comparativement, votre problème n’est qu’une goutte d’eau dans la mer :

- ne trouvez-vous pas atypique le scandale financier au sujet du PDDEB qui hypothèque l’avenir de millions d’enfants ?

- ne trouvez-vous pas atypique, au terme de la décentralisation, la prise en charge des enseignants par les collectivités locales (cf. PDDEB) ?

- ne trouvez-vous pas atypiques les PAS qui laminent le pouvoir d’achat des populations déjà pauvres ?

- ne trouvez-vous pas atypiques les privatisations avec leur cortège de malheurs ?

- ne trouvez-vous pas atypique l’objectif de diminution des dépenses publiques de l’Etat à travers, entre autres, le désengagement de l’Etat et des mécanismes de baisse des masses salariales ?

- ne trouvez-vous pas atypique la contractualisation de la Fonction publique ?

- ne trouvez-vous pas atypique l’augmentation du prix des hydrocarbures avec plus de 60% de taxes au litre payé par le consommateur ?

- Ne trouvez-vous pas atypique l’intrusion de la gendarmerie dans les locaux des Editions "Le Pays" avec à la clé la confiscation de matériel ?

Cela m’emmène ainsi à dire que le sujet qui vous intéresse tant jusqu’au délire est anachronique. Et ce que vous qualifiez d’injustice n’est rien en fait de justice.

"C’est injuste !"

Ecoutons donc Denis Didérot dans les réflexions sur le droit naturel qui aborde la complexité du terme justice.

II dit qu’à la question posée à un philosophe : "Qu’est-ce que la justice ?, celui-ci répond : "C’est l’obligation de rendre à chacun ce qui lui appartient". Et son interlocuteur qui revient à la charge : "Mais qu’est-ce qui appartient à l’un plutôt qu’à l’autre dans un état de choses où tout serait à tous ?" Compliquée la notion de justice ; M. Tapsoba Lazare !

Cependant Didérot nous suggère que "c’est à la volonté générale que l’individu doit s’adresser pour savoir jusqu’où il doit être homme, citoyen, ..." Donc la référence au droit comme expression de la volonté générale, "fondement ou la raison première de la justice". Et le droit selon Mahamadé Savadogo ? Dans sa réflexion sur "le droit et les droits de l’homme", il dit que le droit est d’ordinaire un avantage auquel un individu ou un groupe, une personne physique ou morale en langage juridique, est également fondé à prétendre.

Or dans aucun passage de l’écrit de M. Lazare Tapsoba, aucune démonstration argumentaire conformément au droit pour montrer que les corps professionnels dont il parle sont lésés.

Il s’est plutôt contenté d’incidence logique par rapport aux mesures prises par le gouvernement : du fait des mesures qui autorisent les IC et les IP à faire le concours de l’inspectorat, Lazare Tapsoba vitupère : "Les CPI issus du corps des IP pour avoir totalisé trois (3) de formation après le B1 devraient être reclassés dans le corps des inspecteurs de l’enseignement du premier degré catégorie A1, sans autre forme de procès."

Attention Monsieur l’inspecteur ! La logique n’est ni forcément juste ni nécessairement raisonnable. Sur quoi fondez- vous l’injustice de laquelle vous êtes victime ? User des concepts tels que justice et injustice, bien et mal, avec passion et sans circonspection, aboutit à un autre crime : celui de la condamnation "sans autre forme de procès". C’est injuste !

En effet, pensez au pogrom juif au nom d’une certaine justice raciale, au camp de goulag pour le rétablissement de la justice sociale en URSS, à la terreur jacobine au nom de la vertu sublimée, à la révolution démocratique et populaire qui a exproprié et jugé des innocents au nom de l’égalité donc de la justice. Le paroxysme est atteint avec le déicide (le fait de tuer Dieu) de la pensée nihiliste pour rendre justice à l’homme. Je voudrais montrer par là que l’usage de tels concepts dans une réflexion nécessite de la rigueur intellectuelle. Alors qu’ils ont été abordés de façon simpliste, étroite et subjective.

"Toute tentative de riposte autre que collective est vouée à l’échec"

Comment comprendre, dans la logique qui vous tient, que même en réparant "l’injustice qui a duré huit (8) ans", on ne sera pas injuste envers d’autres couches professionnelles ? En suivant votre logique de l’effet de répercussion, il serait aussi juste que les chômeurs revendiquent une allocation chômage. Question de justice !

Mais imaginez le désordre et même le chaos que peuvent provoquer de telles revendications à tout point de vue légitime.

C’est pourquoi Didérot nous interpelle en ces termes : "L’homme qui n’écoute que sa volonté particulière est l’ennemi du genre humain".

Abordons la question de l’anachronisme de l’écrit qui ne prend en compte que l’intérêt de quelque corps professionnel de l’enseignement. Il me plaît de dire à M. Lazare Tapsoba, inspecteur de la circonscription de Tambaga, que l’ordre socio- politique et économique à changé. Nous vivons désormais dans une société libérale caractérisée par la globalisation. C’est l’heure des grands regroupements. Des nations jusqu’aux individus. Car les préoccupations s’internationalisent. L’exemple du coton est là pour le prouver. Les syndicats scellent des alliances avec d’autres syndicats sur le plan mondial. Parce que seules, les organisations nationales sont impuissantes face au diktat du marché régenté par les grands puissants financiers. Les revendications prennent désormais des dimensions mondiales. Les alter- mondialistes en sont les icônes. Cela signifie que les gouvernants de nos Etats nations n’ont plus les leviers de commande depuis qu’ils ont signé les PAS. Ceci se résume dans la déclaration du sous- commandant Marcos : "La politique en tant que moteur de l’Etat nation n’existe plus. Elle sert seulement à gérer l’économie, et les hommes politiques ne sont plus que des gestionnaires d’entreprise. Les nouveaux maîtres du monde n’ont pas besoin de gouverner directement. Les gouvernements nationaux se chargent d’administrer des affaires pour leur compte... ". Sachez donc que des préoccupations atomisées par catégorie professionnelle contiguë et exiguë, permettez- moi l’expression, le gouvernement n’en a cure.

En rappel, les licenciés de Faso Fani dont 47 sont déjà morts, de SITARAIL,... sont éreintés à force de déclaration. Ils sont descendus dans la rue, ont crié justice pour l’accès en l’éducation de leurs enfants. Hélas, rien ne semble bouger à leur faveur. Pour mieux comprendre, écoutez Margaret Thatcher, une des icônes du capitalisme qui résume le caractère assassin de l’idéologie néolibérale : "Les herbes doivent mourir pour alimenter le baobab." Et Norbert Zongo de peindre cette société lors d’une conférence, avec si peu de mots : "C’est une société où les requins mangent les alevins". Au cri donc de Marx : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous," nous dirons plutôt lâches et victimes de tous tes pays, unissons-nous. C’est là notre seul salut. Toute tentative de riposte autre que collective est vouée à l’échec. Conduisant à la lâcheté, à la victimisation sans responsabilité dans un refus de "réprouvé convenable" ou de "vaincus décents".

"Si la justice sert un individu, un clan, une classe..."

Par ailleurs, l’écrit pèche par sa légèreté et son imprécision. Car accusant à tour de bras le MEBA et les syndicats, sans appel et sans distinction, sans pourtant situer les responsabilités de cette injustice. Telles ces affirmations infondées qui frisent des contenus de tracts : "Contre toute attente, le gouvernement, de connivence avec un homme d’affaires à la tête d’un des syndicats du MEBA décident d’ouvrir le concours de l’inspectorat aux IC et aux IP par un protocole d’accord." Qu’est-ce qui peut tant vous faire mal, si on peut accorder des avantages aux autres sans vous en retirer aucun. Dans ce sens, Dieu serait injuste : pourquoi les autres meurent et pas vous ? Pourquoi d’autres sont estropiés et pas vous ? ... C’est encore pour vous dire que le concept de justice est une valeur universelle. Son usage et sa fonction doivent être au service de l’humanité. Car du moment qu’elle sert un individu, un clan, une classe, elle se dénature, perd un de ses principes fondamentaux qu’est l’égalité, et devient tyrannique.

Enfin, M. Lazare Tapsoba, vous avez le sens de l’humour dans les complaintes et les supplications. Vous qui êtes un républicain, je vous rappelle qu’en république, les citoyens ne sont pas des sujets où la justice leur est rendue par la grâce du roi, représentant divin. Ceux-ci ont également leur contribution dans la quête de cette justice. Et elle peut ne pas être effective comme vous le voulez de votre vivant. Ainsi, le salut, dans le présent comme dans le futur, n’est ni dans la victimisation passive et sans responsabilité, ni dans une quelconque lâcheté revendiquée et assumée. Le moment n’est plus au cri du cœur pitoyable. Il faut agir et œuvrer dans l’unité d’action avec les syndicats et tous les mouvements associatifs qui se battent pour l’émergence de la justice. Soyez un acteur plein dans cette dynamique sociale. Cessez les lamentations individuelles dans l’espoir d’une pitié ou d’une compassion. Comme le dit si bien Kwamé N’Krumah, "Le secret de ta vie est de ne jamais avoir peur."

Saïdou KAFANDO,
Enseignant dans la circonscription de Tougan

Le Pays

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