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Église du Burkina Faso : A la découverte de nos patriarches dans la foi catholique

Publié le mercredi 3 avril 2024 à 20h57min

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Église du Burkina Faso : A la découverte de nos patriarches dans la foi catholique

L’historiographie de l’évangélisation au Burkina Faso gagnerait, à la faveur des progrès scientifiques qui facilitent davantage l’accès aux sources, à prendre en compte une dimension importante, à savoir la diaspora. Certes, la phase initiale sur le territoire avec implantation de postes de mission a commencé en 1900, mais plusieurs Burkinabè avaient été baptisés ailleurs bien avant cette date.

Préambule

Par exemple la version qui fait de Gorée au Sénégal le lieu d’accueil et de formation chrétienne jusqu’au baptême du papa de M. Laurent Ghilat Paré, est un indice à ne pas minimiser d’autant plus que le développement de l’évangélisation au Sénégal date des années 1820. (Cf. Abbé Guillaume YAMEOGO, Le clergé indigène en Afrique Occidentale Française de 1825 à 1942, thèse de Doctorat, Rome 2004). L’histoire de Joseph Badoua à laquelle on a fait allusion dans un des commentaires a elle aussi un fond de vérité qui demande seulement à être clarifié.

Cela montre qu’il est possible aujourd’hui d’enrichir davantage l’histoire de l’Eglise Famille du Burkina à partir de celles de nos communautés et en prenant premièrement en compte la diaspora. Du reste, c’est un devoir qui s’impose de plus en plus car il est difficile que la foi s’enracine dans nos cœurs et nos cultures sans approfondir et promouvoir sa dimension historique comme le font nos frères musulmans. Qui a l’occasion de lire les Tarikh es-Soudan ou Tarikh el Fettach ou encore l’article de Marie Philiponeau, « Micro-histoire de la diffusion de l’islam en Afrique de l’Ouest » ne peut que rendre grâce à Dieu pour la construction des chaînes d’enseignement, des généalogies ou silsila des grands maîtres qui ont transmis la foi et leurs sciences. Par contre chez nous les catholiques, combien de communautés peuvent encore se rappeler le nom du premier catéchiste qui a commencé l’œuvre d’évangélisation chez elles ? C’est pour inviter à ce travail de reconstruction de l’histoire de nos communautés chrétiennes et peut-être même celles de nos familles chrétiennes que nous vous proposons de découvrir d’autres pionniers de l’évangélisation venus d’ailleurs.

Institut de Malte

L’institut de Malte

Face à l’éveil missionnaire au 19è siècle dans plusieurs pays d’Europe, les Papes recommandaient fortement aux fondateurs de congrégations pour l’évangélisation des Africains au sud du Sahara, de constituer un corps de collaborateurs ou auxiliaires qui seront appelés plus tard les catéchistes. Le Cardinal Lavigerie, en fondant la société des Missionnaires d’Afrique communément appelés « Les Pères Blancs » en 1868 a fait sienne cette invite des Pontifes romains tout en lui donnant une orientation originale. Mu dès cette époque par des principes comme la subsidiarité, la participation, et confiant aux capacités et potentialités de l’homme noir, il décida de former avant tout pour sa mission des catéchistes-médecins. Pour ce faire il va concevoir et mettre en œuvre une véritable structure de formation, l’Institut de Malte pour la formation des jeunes Noirs en médecine et autres sciences humaines avant la fin du 19 siècle.

Voici les raisons qu’il donne lui-même :
« Il est en effet très difficile d’envoyer dans l’intérieur de l’Afrique un nombre suffisant de missionnaires". Ils doivent être dès lors suppléés par de jeunes nègres, formés à toutes les vertus de l’apostolat et capables de les seconder efficacement par suite de l’éducation qu’ils auront reçue. C’est dans ce but que l’institut apostolique des jeunes nègres est établi. Les Pères chargés de réaliser une oeuvre si considérable. Ils prendront tous les moyens que la foi saura leur inspirer pour transformer ces enfants et en faire non seulement des chrétiens, mais de vrais apôtres c’est-à-dire les initiateurs et les conquérants religieux de la pauvre population africaine » (Cardinal Charles Lavigerie, Instructions aux Missionnaires, p.147).

C’est ainsi que les premiers Pères Blancs installés d’abord dans des postes de mission au Sahara vont choisir parmi les esclaves qu’ils rachetaient des jeunes aptes à faire de vraies études scientifiques comme la médecine. En octobre 1876 déjà, le Père Deguerry (1847-1902) avait amené des enfants soudanais d’Afrique Occidentale à l’orphelinat arabe d’Alger, fondé pendant la famine de 1867. Cette structure d’accueil est transférée le 12 juillet 1881 sur l’île de Malte où seront formés en médecine et autres sciences jusqu’en 1894, plusieurs jeunes originaires de l’Afrique occidentale dont le Burkina. (photo de l’institut de Malte) De cette école sortiront en 1888, les trois premiers médecins africains dont Adrien Atiman, un Songaï du Mali, racheté à l’âge de 9 ans. Il va travailler toute sa vie en Tanzanie jusqu’à sa mort en 1956. Son premier fils deviendra prêtre. Parmi les trois, il y a un certain Pierre Sokoro, originaire du Soudan également considéré comme un Nounouma (mais avec point d’interrogation) (Archives des Pères Blancs, Rome). (Photo des premiers médecins : Le jeune médecin Atiman Adrien couché au premier plan)

Plusieurs autres esclaves rachetés seront formés comme instituteurs-catéchistes et artisans-catéchistes à Malte et accompagneront les Missionnaires pour les fondations surtout en Afrique Centrale et Orientale. Curieusement ni la première caravane de missionnaires qui ont fondé les poste de Ségou et de Tombouctou, ni la deuxième venue en renfort, n’ont été accompagnées par ces auxiliaires africains. Par contre la troisième caravane de missionnaires partie en 1896 avec Mgr Toulotte pour la fondation du poste de Bouyé en Guinée Conakry, comportait six de ces auxiliaires précieux originaires du Soudan français. Une sorte de rapatriement car l’institut a été fermé deux ans plus tôt, en 1894. (photo de la troisième caravane)

Malheureusement nous n’avons pas les noms des six auxiliaires formés à Malte. Cependant les diaires de Ségou, Banankourou et Ouagadougou nous permettent d’affirmer avec assurance que trois d’entre eux étaient des Burkinabè : deux mossi (Félix et Alexandre) et un Gourounsi (Joseph Badoi)

Portrait de Félix

Les premiers médecins

Les archives de l’Institut de Malte ne disent rien sur la date d’arrivée de cet auxiliaire, un mossi, à l’école. Selon le diaire de Ouagadougou, il avait été fait captif dès l’enfance et emmené jusqu’à Ghardaïa en Algérie. Par la suite il a eu la chance d’être racheté par les Pères Blancs qui tenaient un au poste de mission dans cette ville. Félix arrive donc au poste de Bouyé dans le Kissidougou en 1896 où il travaille pendant trois ans. Il quitte définitivement ce poste pour Ségou où il arrive le 1er avril 1899. Le 4 avril 1899 il va au poste de Banankourou avec 5 autres jeunes esclaves rachetés.

La fondation des postes de Mission de Koupéla et de Fada en 1900 fut l’occasion pour Félix de rejoindre son pays natal auquel il avait été arraché pendant plus de 10 ans, certainement. En effet, elle avait nécessité l’envoi de deux caravanes, une partie le 19 décembre1899 avait pour chef de mission le P. Lacroix préposé supérieur du premier poste de Ouagadougou. Le lendemain 20 décembre1899, partait le deuxième convoi sous la direction de Mgr Hacquard lui-même, c’est à ce moment que le chroniqueur signale le départ de deux auxiliaires formés à Malte pour seconder les Pères dans la mission. Il écrit : « Avec Mgr part aussi le P. Lecuyer, secrétaire de sa Grandeur et qui sera son compagnon de route durant ce long voyage. Joseph, un de nos noirs chrétiens fait aussi partie du convoi comme Félix faisait partie aussi du convoi que le P. Lacroix conduit par voie fluviale » (Diaire de Ségou, 20 décembre 1899). Félix passe à peine deux ans à Koupéla où il se marie car il va plutôt se mettre au service de l’administration à Ouagadougou comme interprète tout en gardant un bon rapport avec les missionnaires.

Joseph Badoi

Comme Félix, Joseph était un ancien esclave racheté par les Pères du Sahara et envoyé à Malte dans les années 1892. On peut supposer que la fermeture de l’Institut en 1894 a mis fin à sa formation. Il faisait également partie de la troisième caravane de 1896 et accompagna les Missionnaire pour la fondation du poste de Bouyé au Kissidougou. Il quitte ce poste pour Ségou où il arrive le 20 septembre 1899 d’après le chroniqueur qui écrit : « Arrivée de Joseph et d’un ancien Sopha de Samory. Ils ont fait la route à pied depuis le Kissi en moins d’un mois et demi. Tous les deux semblent doués de beaucoup d’énergie. Nous utiliserons Joseph pour la surveillance de la maison en attendant la fondation du poste du Mossi. Quant à son jeune compagnon, les vastes champs de Banankourou lui fourniront de quoi dépenser utilement ses forces. C’est ainsi que décide Mgr à son retour de cette mission » (Diaire de Ségou, 20 septembre 1899).

Comme nous venons de le voir, il quitte Ségou le 20 décembre 1899 avec Mgr Hacquard lui-même pour la fondation des deux postes de Koupéla et Fada. On ne sait pas avec précision s’il a travaillé à Koupéla ou à Fada qui sera cédé en 1901 aux Missionnaires de Lyon installés au Bénin. Toujours est-il qu’on le retrouve à Ouagadougou en 1902 où il se marie avec une catéchumène. Le chroniqueur de ce poste relate l’événement en ces termes : « Joseph Badoi, notre instituteur adjoint, ancien élève de Malte, se marie aujourd’hui avec une jeune païenne de 16 ans environ, à laquelle il donne le nom de Marguerite. La cérémonie se fait devant le P. Templier muni des pouvoirs nécessaires par Sa Grandeur Mgr le Vicaire apostolique. Les témoins sont les Pères Canac et Chollet et Félix, lui aussi ancien élève de Malte et actuellement interprète à la résidence. Nous comptons maintenant deux ménages à demi chrétiens ; celui de Joseph et celui de Félix, dont la femme et la petite fille sont arrivées hier de Koupéla. La fille de Félix, Jeanne, née le mois d’aout dernier, a été seulement ondoyée à Koupéla. Il y aura lieu de suppléer aux cérémonies du baptême » (Diaire de Ouagadougou, 17 avril 1902).

Après son mariage, Joseph reste donc à la mission pendant trois ans certainement travaillant comme instituteur toujours et aussi comme maçon pour la construction de la première église d’après le témoignage de Dii Alfred : « Et Monseigneur BAZIN me fit appeler à Ouagadougou… C’est ainsi que je suis arrivé à Ouagadougou. J’étais avec les Pères TEMPLIER, KANAC, DIVINO, plus quatre jeunes Samos dont moi, et une cinquième personne, un gourounsi du nom de Joseph. C’est nous qui avons bâti la première église de Ouagadougou et le Frère Eugene ».

Avec le temps, il va quitter lui aussi les missionnaires et se mettre en février 1907 au service d’un commerçant blanc de Ouaga, M. Baze » (Diaire de Ouagadougou, 29 juillet, 1907). On ne trouve plus ses traces dans les archives de la mission de Ouagadougou.

Alexandre

Alexandre fait partie des six jeunes auxiliaires noirs qui ont accompagné la caravane de 1896 et ont participé à la fondation du poste de Bouyé où il s’est marié. Lorsqu’en 1901, une autre congrégation missionnaire, les Spiritains installés au Sénégal, prend la relève des Pères Blancs à Bouyé, quelques jeunes gens et leurs femmes guinéennes sui¬vent le P. Hébrard, supérieur du poste, qui rentre au Soudan. Probablement Alexandre en fait partie et reste à Banankourou dont le diaire ne parle ni de son arrivée ni de sa vie dans ce poste. C’est seulement le 14 mars 1903 que le mémorialiste du poste parle de lui pour la première fois par rapport à son transfert définitif à Ouagadougou : « Départ pour le Mossi d’Alexandre et de 6 enfants ».

Trois jours après, le 17 mars 1903, le chroniqueur du poste de Ouaga écrit : « Nous recevons le télégramme suivant : Alexandre, sa femme et 7 ou 8 enfants de la Mission partis 14 pour Ouagadougou ». Et le 27 avril 1903 il ajoute : Aujourd’hui nous arrive toute une caravane de Ségou !
1. Alexandre, né à La, au Mossi, pris comme esclave, recueilli par nos confrères du Sahara, élevé à Malte, venu au Soudan et employé à la mission de Kissi ou il s’est marié, revenu à Banakourou après l’abandon de la mission du Kissi. Il sera employé ici comme moniteur.
2. Thérèse, originaire du Kissi, chrétienne, femme d’Alexandre
3. Michel, d’origine Samo, âgé d’environ 15 ans, baptisé et confirmé le 15 août 1902, a fait sa première communion le même jour.
4. Kudugu, homme de 40 ans, originaire de Kousaga, esclave libéré et catéchumène
5. Deux autres esclaves libérés dont l’un est mossi et l’autre samo. Le premier s’appelle Tibo et le second Toro.

Malheureusement en moins de deux ans, Alexandre change casaque et quitte les Missionnaires et même la ville de Ouagadougou. Le diariste écrit à la date du 29 novembre 1904 : « Le nombre des néophytes a diminué de 3, par suite du départ d’Alexandre, moniteur à la mission, et de sa famille, pour Tenkodogo où il a trouvé une place d’instituteur". Malheureusement il a dû avoir de sérieux accrocs de santé et finalement a fini par rejoindre son village natal, La. Le 8 juin 1906, le chroniqueur du poste de Ouaga parle de sa mort en ces termes : « Nous apprenons la mort d’Alexandre, ancien élève de l’école de Malte, ancien moniteur à la Mission de Ouagadougou. Ce pauvre garçon nous avait quitté il y a deux ans ; depuis six mois, il habitait à La d’où il était originaire. Là est un village mossi à 20 km à l’ouest de Yako. Alexandre n’a pas pu recevoir les secours religieux. Il laisse une femme et une petite fille de cinq ans, tous deux malades, dit-on ».

Georges

Cet auxiliaire a été racheté sans doute par les Missionnaires de Ségou dès 1895, année de la fondation du poste. En effet, il fait partie des tout premiers catéchumènes de ce poste admis au baptême après 4 années de préparation : « Sa Grandeur est de retour de Banankourou. Mgr fait connaître le résultat des examens de catéchisme, qui ont eu lieu le 27 avril. Sur 8 garçons 6 sont reçus, ce sont Louis, Henri, Maurice, Georges » (Diaire de Ségou, 1er mai 1899). Le baptême a eu lieu le 20 mai 1899. Le rédacteur du diaire écrit : « Premiers baptêmes administrés par sa Grandeur Mgr. Hacquard dans la chapelle de N. D de la Merci. Les heureux élus sont parmi les garçons : Louis, Henri, Maurice, Georges, Elie, Arthur ; parmi les filles : Eugénie et Jeanne » (Diaire de Ségou, 20 mai 1899).

Après son baptême, Georges reste encore à Ségou plus d’une année. En effet, ce n’est que le 9 janvier 1901que le chroniqueur parle de lui en ces termes : « Une dépêche de Mgr nous prévient qu’il faudra profiter du voyage du Fr. Gonzague au Mossi pour envoyer Georges (un de nos jeunes chrétiens) à Koupéla ; où il pourra rendre quelques services à la Mission de cette localité. Les préparatifs vont bon train et probablement les voyageurs se mettent en route entre le 13 et le 14 janvier 1901 d’après le passage suivant du diaire écrit à la date du 12 janvier 1901 : « derniers préparatifs de voyage pour se rendre à Koupéla, il amènera avec lui un de nos jeunes chrétiens, Georges Ouolima, originaire du Mossi et qui pourra déjà rendre quelques services à la mission de Koupéla » (Diaire de Ségou, 12 janvier 1901). Malheureusement nous n’avons pas trouvé ses traces dans le diaire de Koupéla qui semble le plus taciturne sur la vie de ces auxiliaires.

Adolphe

Adolphe est un des meilleurs ouvriers des premières heures de l’évangélisation qui malheureusement n’aura pas longue vie. Dii Alfred nous donne quelques détails sur son origine : A la question de l’interlocuteur qui lui demandait les noms des trois autres Samo, il répond : « II y avait Adolphe, de Dian-Kassan, Jean-Pierre de To (à côté de Kouy), Michel de Kawara et Alfred, je suis de Da. Nous sommes quatre ».

Adolphe était donc un Samo arrivé probablement à la mission de Ségou entre 1897 et 1898, soit racheté par les Pères eux-mêmes, soit à eux confié comme Michel. Le diaire de Ségou ne parle de lui que le 10 novembre 1900 comme apprenti menuisier. Nous lisons : “Le Frère Eugène, bien reposé maintenant, ne demande qu’à se mettre à l’œuvre et s’offre de tout cœur pour faire la besogne qu’on lui déterminera. Il sera donc chargé de dresser nos apprentis menuisiers qui sont au nombre de trois : Louis Yékoura, Adolphe, Jean-Pierre” (Diaire de Ségou, 10 novembre 1900).

Comme Alfred, Adolphe aussi se préparait à Ségou à recevoir le baptême le 6 avril 1901 mais la mort accidentelle par noyade de Mgr Hacquard le Jeudi Saint, 4 avril 1901 a fortement terni l’évènement. Néanmoins le chroniqueur y a consacré une ligne que voici : « Baptême de Théodore Nzié, d’Adolphe (Nous n’avons pas pu déchiffrer son nom de famille), de Joséphine et de Jeannette, tous adultes ». Cet auxiliaire arrive à Ouagadougou dès le 18 décembre 1902, envoyé par Mgr Bazin où l’avait déjà devancé sa fiancée, Marie-Thérèse. Ils se marient le 7 janvier 1903 et s’occupent entre autres de l’orphelinat des filles (Diaire de Ouagadougou, 7 janvier 1903). Malheureusement Adolphe n’aura pas longue vie. Il meurt le 5 avril 1909, à la suite d’un abcès de dent (Diaire de Ouagadougou, 5 avril 1909) ».

Jean-Pierre Zerbo

Un autre cas qui constitue une des clés de lecture de la vie de Dii Alfred est celui d’un jeune samo, Jean-Pierre, qui arrive à Ségou le 18 juin 1898. Les circonstances sont les suivantes : la fameuse Colonne "Vallet’’, partie de Ségou en février 1897 pour soumettre les populations rebelles de la boucle de la Volta s’était installée à Sono en pays marka et avait créé un atelier de montage de pièces de flottille à Yayo, presqu’île du Sourou. Le sort d’un jeune Samo sera définitivement scellé par cet événement comme le raconte le chroniqueur de la mission : « le Capitaine Delacon, commandant à Sono, a envoyé à Ségou de la part du charpentier de la flottille de la Volta, un jeune Samo que celui-ci avait adopté dans le but de lui donner une éducation chrétienne et lui avait même donné le nom de Jean-Pierre » (Diaire de Ségou, 18 juin 1898).

Jean-Pierre sera formé à Ségou en menuiserie en même temps qu’Adolphe, métier indispensable pour les fondations de poste de mission. Le diaire de Ségou ne nous parle pas de son baptême mais seulement de son mariage qui a eu lieu le 23. Le mémorialiste rapporte l’événement en ces termes : « Mariage de Jean-Pierre avec Caroline : ils vont partir dans quelques jours pour le Mossi, pays du marié, en attendant, ils restent pensionnaires, l’un des Pères, l’autre chez les Sœurs » (Diaire de Ségou, 20 avril 1903)

Le jeune couple quitte Ségou pour la mission de Ouagadougou où il arrive le 17 mai 1903 comme le précise le chroniqueur du poste : « Jean-Pierre est Samo. Il a été élevé à Ségou où il a appris le métier de menuisier. Il vient s’établir à Ouagadougou. Caroline s’occupera des petites filles avec Marie-Thérèse, femme d’Adolphe » (Cf. Diaire de Ouagadougou, 17/05/1903). Comme Dii Alfred, il accompagnera les Pères fondateurs de la mission de Navrongo au Ghana en 1906. Les deux feront partie de l’équipe fondatrice de la mission de Réo en 1912. En 1914, Jean-Pierre est envoyé Bondokuy, poste créé en même temps que Toma en 1913 mais qui sera fermé à cause de la Première Guerre Mondiale et de l’insurrection de 1914-1916 que d’aucuns appellent la Révolte des Bwaba. On le retrouve à Toma en 1918 après la Révolte, puis à Ouagadougou, surtout sur les chantiers de Pabré comme menuisier et maçon. Mgr Thévenoud qui tenait beaucoup à lui, voyant sa santé péricliter, le fait déménager à la mission de Ouagadougou même où il meurt en 1925. Une de ses filles deviendra religieuse chez les SIC, Sœur Gabrielle Zerbo.

Voilà quelques bribes de l’histoire de la diaspora chrétienne du Burkina qui ne demande qu’à être enrichie, surtout par les familles des intéressés.

Rome le 1er avril 2024

Abbé Emile SIMBORO
Collaborateur de la phase romaine de la Cause de béatification d’Alfred Diban Ki-Zerbo

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Vos commentaires

  • Le 3 avril à 19:00, par Naaba En réponse à : Église du Burkina Faso : A la découverte de nos patriarches dans la foi catholique

    Merci pour cette excellente contribution à l’histoire du catholicisme au Burkina.

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    • Le 4 avril à 09:54, par Mechtilde Guirma En réponse à : Église du Burkina Faso : A la découverte de nos patriarches dans la foi catholique

      Absolument. Disons que Mr. L’Abbé a eu la chance de consulter les Diaires depuis Rome. Moi aussi j’avais voulu disposer de tels documents lorsque je rédigeais mon mémoire en Sciences Politiques et Relations Internationale et en diplomatie à l’Université Libre de Bruxelles. Le titre était : « Le rôle de la femme dans la vie politique des Sociétés africaines : des structures traditionnelles aux structures modernes (cas des Mossi de la Haute-Volta en Afrique de l’Ouest) ». Bien entendu je n’apprends rien à Mr. l’Abbé en parlant de l’œuvre missionnaire sur l’émancipation de la femme africaine dans notre pays. Les premières écoles primaires (école des filles et école des garçons) furent construites par la mission catholique. C’est alors que l’administration coloniale ayant besoin de commis expéditionnaires par jalousie confisqua toutes les écoles de l’église catholique (qui formaient non seulement les futures prêtres et religieuses mais aussi pour la fonction publique de l’administration coloniales, mais alors, avec des valeurs catholiques telles que : la justice, l’équité, la droiture et surtout la conscience professionnelle, l’honnêteté, et mise en exergue de la vocation (professionnelle je veux dire) qui passe avant tout. Les écoles catholiques ne faisaient pas de distinction ni d’exclusion, car tous les enfants étaient admis sans distinction de race, de religion ou de condition sociale et sans pression pour les obliger à se convertir. En plus l’école était gratuite. Et l’Église mis en place un service d’ophtalmologie et de dispensaire ce qui nécessita la création d’une école des infirmiers et infirmières, formant ainsi les premiers infirmiers et infirmières de la Haute-Volta et les en pourvoyait à tous les hôpitaux de la Haute-Volta.
      Monseigneur Thevenoud dû donc se battre auprès du gouvernement de la métropole pour récupérer ses écoles. Il lui fut seulement rétrocédé celle des garçons et pas celle des filles qui ne put être récupérée que bien plus tard.

      Mais cela, je vous parle tout justement d’un pan de l’histoire du catholicisme dans notre pays, de sa contribution surtout en la phase de l’émancipation de la femme qui est plus que d’actualité en ce 21ème siècle.

      Maintenant la question que je voudrais poser à Monsieur l’Abbé est la suivante : Dans la cathédrale de Ouagadougou, il y a cinq (5) autels : le principal et deux de chaque côté latéral. Son Éminence Zoungrana, un jour que j’étais partie le voir et qu’on causait tout justement des fondements de l’Église en Haute-Volta, c’est là qu’il m’a révélé que dans l’une des tombes du côté latéral nord, « ci-gît » le fondateur de l’église de la Haute-Volta. Et ajouta qu’il était allé lui-même à Ségou fouiller les cimetières et il a fini par le retrouvé, en reconnaissance de ce qu’il avait pour la Haute-Volta. Mais maintenant qui est-ce ? Je ne sais plus. Monsieur l’Abbé parle aussi de deux Monseigneurs qui semblent n’avoir pas été moindre pour l’Église. D’un autre côté ma mère m’a parlé aussi d’un père Templier qui a été aussi célèbre. Lequel des trois est-ce Monsieur l’Abbé pour en avoir le cœur ?

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      • Le 5 avril à 19:25, par Abbé Emile SIMBORO En réponse à : Église du Burkina Faso : A la découverte de nos patriarches dans la foi catholique

        Avant tout un grand merci pour votre apport qui mériterait des développements surtout l’histoire de l’enseignement catholique au Burkina qui est très complexe. Voici plutôt des éléments de réponse concernant plutôt l’identité de l’évêque en question. Il s’agit de Mgr Augustin Prosper Hacquard.
        Le Hacquard était l’un des quatre premiers missionnaires arrivés à Ségou le 1er avril 1895. C’est lui qui avec le Père Dupuis alla fonder le poste de Tombouctou en mai 1895. En ce moment le grand Soudan français faisait partie du Vicariat Apostolique du Sahara dont Mgr Toulotte était le chef de mission avec résidence dans la partie Nord. Il donna sa démission en octobre 1897. Le 5 février 1898, le Père Augustin Prosper Hacquard est nommé comme son successeur avec résidence à Ségou. Il est ordonné évêque à Paris le 28 août 1898. De retour à Ségou le 11 janvier 1899, il organise et effectue sa premier visite dans la partie Est de son Vicariat qui comprend aujourd’hui le Burkina et le Niger à partir du 26 février 1899. Très enchanté par les possibilités qu’offraient ces territoires pour la mission, il décide de la fondation de deux premiers postes en 1900 : Ouagadougou et Fada. Mais pour des raisons sécuritaires, le poste fut plutôt fondé à Koupéla. La fondation de Ouagadougou a lieu en juin 1901 à peine deux mois après la mort inattendue de Mgr Hacquard, noyé le 4 avril 1901, Jeudi Saint, dans le fleuve Niger à Ségou. Il sera remplacé par Mgr Hyppolite Bazin.
        En ce qui concerne les la question genre et les facilités d’accès aux sources, je dois plutôt dire que c’est le projet de béatification de Dii Alfred qui constitue la vraie opportunité et c’est d’abord au Pays, à la base et dans nos archives et bibliothèques que la recherche a pris corps. Celle effectuée à l’Extérieur n’aurait jamais vu le jour sans ce travail à la base. Je pense qu’il en est de même pour beaucoup d’autres types de recherches, au moins en ce qui concerne la question genre. Il faudrait d’abord partir de la culture des peuples, surtout les sociétés matrilinéaires et Cheikh Anda Diop est une référence pour cela. Ensuite on peut mieux exploiter les disciplines élaborées autour de la question tout en prenant en compte l’apport des religions. J’ai eu l’occasion d’animer plusieurs conférences sur le sujet et la dernière avec un frère musulman. En réalité, je suis arrivé à Rome il y a seulement 1 mois.
        Encore une fois, un sincère merci pour l’apport

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  • Le 3 avril à 21:40, par SABA Germain En réponse à : Église du Burkina Faso : A la découverte de nos patriarches dans la foi catholique

    Waouh vraiment très intéressant merci bien à l’Ab Émile SIMBORO pour le travail abattu. Puisse l’intercession de Dii Alfred et les patriarches de l’Eglise famille de Dieu au Burkina concourir au bon aboutissement de cette cause de béatification pour la plus grande gloire de Dieu Amen 🙏🏿🙏🏿🙏🏿

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  • Le 6 avril à 08:35, par Desire Traore En réponse à : Église du Burkina Faso : A la découverte de nos patriarches dans la foi catholique

    Travail bien fouillé par un passionné du sujet qui a eu la largesse d’être en contact avec les archives. Merci l’abbé et bon séjour à Rome Bonne chance pour la mission à vous confiée.

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  • Le 9 avril à 03:28, par Mechtilde Guirma En réponse à : Église du Burkina Faso : A la découverte de nos patriarches dans la foi catholique

    « En ce qui concerne les la question genre et les facilités d’accès aux sources, je dois plutôt dire que c’est le projet de béatification de Dii Alfred qui constitue la vraie opportunité et c’est d’abord au Pays, à la base et dans nos archives et bibliothèques que la recherche a pris corps ».
    Merci infiniment monsieur l’Abbé de ces renseignements précieux que je ne manquerai pas d’utiliser dès que j’aurai l’occasion. En effet quand j’étais à Ouagadougou, le père jésuite Ilboudo Jean, se battait à l’époque pour la reconstitution des archives de l’Église catholique. J’ai assisté aux ateliers organisés à cet effet, en tant que responsable du service des archives de mon ministère, car, et c’est ce qui était merveilleux, il n’avait pas omis l’opportunité d’une collaboration avec les archives nationales. Mais à l’époque il n’était pas encore question d’une béatification de Dii Alfred d’autant plus que je crois, je me demande même s’il était mort à l’époque. Les livres des rares jeunes qui écrivaient à l’époque restaient inaccessibles. Encore que c’était le début de la question des droits de la femme avec des thèmes comme le « genre ou gender », qui clouaient les dites « cultures néfastes et rétrogrades » au pilori et leur opposaient une lutte farouche et féroce sans aucune référence à l’œuvre missionnaire. Je crois que c’était pour cela d’ailleurs que le père Jean Ilboudo avait entamé l’œuvre titanesque qui consistait à restaurer les archives de la Mission catholique. C’était d’ailleurs du vivant de Son Éminence le Cardinal Paul Zoungrana.
    Bref pour ce qui me concerne, entre 1976 et 1981 pour la reconstitution de l’heuristique de mes recherches sur la femme, j’ai dû me contenter des bibliothèques françaises de l’Université et celle nationale de Bruxelles, de même celle de l’Université catholique de Louvain la neuve, c’est là que j’ai retrouvé les travaux traduits en français par les annales de l’Université d’Abidjan, de Léo Frobenius, le tout premier explorateur blanc allemand qui a visité le pays mossi et y a demeuré quelque temps au Yatenga. Ce qui lui permit d’observer et d’écrire avec assez de détails la culture du pays. Disons au passage également que ces Universités d’Europe ci-dessus citées et celles du Canada en l’occurrence d’Ottawa disposaient également d’une documentation, assez détaillée sur nos cultures, d’anthropologues et sociologues comme, Marcel Griaule, Michel Izard, Pierre Erny par exemple à la suite de Cheick Anta Diop sur nos pratiques culturelles. En France avec le père Mouthon qui vécut en Haute-Volta et y a gardé un très bon souvenir, j’ai pu avoir en prêt le livre fabuleux : « Vieil empire, jeune Église ».
    Ici à l’Université Saint Paul d’Ottawa, pour ma maîtrise en Science de la « Mission et du dialogue inter-religieux » en missiologie et théologie systématique et historique, toujours dans l’objectif de mes recherches sur le rôle de la femme, cette fois en Église : « comment elle pourrait utiliser ses potentialités culturelles pour la paix et la cohésion sociale » à partir du culte des Ancêtres dont elle est habitée par l’esprit de la famille et détient la sagesse de ces derniers pour toute question sociale, économique ou politique. En quelque sorte un travail d’interprétation herméneutique, d’inculturation et du dialogue inter-religieux. Thèmes précisément développés par le concile de Vatican II et qui ont été synthétisés dans les conclusions des Constitutions dogmatiques, des lettres pastorales des Papes et des différends synodes familiaux des évêques. Dans ces Universités canadiennes catholiques ou non, on retrouve aussi tous les écrits de Cheick Anta Diop, Dim Délobsom, Larllhé-Naaba Anbga, mais peut-être ou peut-être pas encore en effet la question de la Béatification d’Alfred Dii-ban étant donné que c’est un sujet tout récent. C’est sûrement le maillon très important du filet qui manquerait « sur l’œuvre missionnaire sur l’émancipation de la femme dans notre pays ».

    Merci encore Monsieur l’Abbé notre collaboration a été très fructueuse. Et merci aussi pour l’identité de l’évêque dont Son Éminence Zoungrana a ramené les restes depuis Ségou jusqu’à Ouagadougou et enterré dans notre belle et grande cathédrale. Qu’ils reposent tous les deux dans la paix du Seigneur et que tous les deux ils ne nous oublient et intercèdent pour que nous poursuivons leur belle oeuvre qu’ils nous ont léguée dans la paix et la cohésion sociale. Amen.
    Vraiment, Monsieur l’Abbé, Dieu vous en revaudra par des grâces en abondance.

    Très cordialement.

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