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Jean-de-Dieu Somda : "Il n’y a pas un programme alternatif au NEPAD".

Publié le lundi 30 mai 2005 à 08h51min

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En juillet prochain, cela fera quatre (04) ans que le Nouveau partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) a vu le jour. Le programme, à son lancement, a suscité et suscite toujours beaucoup d’espoirs pour certains. D’autres n’y croient plus ou n’y ont jamais cru.

En quatre (04) ans, qu’est-ce qui a été fait concrètement ? Doit-on croire à cette nouvelle vision du développement de l’Afrique fondée sur le partenariat ? Ce sont entre autres, les questions que nous avons posées au ministre délégué chargé de la coopération régionale, Jean-de-Dieu Somda qui est le coordinateur national du NEPAD au Burkina Faso.

L’Hebdomadaire du Burkina : Monsieur le ministre faites-nous un rappel de l’historique du NEPAD.

Monsieur Jean-de-Dieu Somda (JDS) : Le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) a vu le jour les 06 et 07 juillet 2001 à l’issue du sommet des chefs d’Etat de l’OUA à Lusaka en Zambie. Pour arriver à cette création, il y a eu toute une démarche. La toute première a commencé par le sommet du G8 en 2000 au Japon.

Au cours de ce sommet, les chefs d’Etat africains, mandatés par leurs pairs, étaient les présidents Obasanjo du Nigéria, Bouteflika de l’Algérie et M’Béki de l’Afrique du Sud. Ils se sont rendus à ce sommet et ont été reçus par le G8. Ils ont développé à l’occasion un plaidoyer sur l’annulation de la dette des pays africains. Les pays membres du G8 les ont écoutés, mais n’ont pas accordé grande importance à leurs propos. C’est au retour de ce sommet, très déçus par le peu de cas qui est fait des préoccupations liées à la dette des pays africains, qu’ils ont décidé de proposer quelque chose de concret.

C’est ainsi qu’un sommet extraordinaire a été convoqué à Syrte en mars 2001. Ils ont fait le rapport de leur mission à ce sommet qui a mis en exergue la déception et le peu de cas que les pays du G8 font de la question de la dette en Afrique et en même temps, ils ont proposé un plan de développement de l’Afrique. Ce plan est constitué essentiellement de la fusion du Millenium African Plan (MAP) du président Thabo M’Béki et du Plan Omega du président Abdoulaye Wade du Sénégal.

Ces deux plans ont été fondus et une synthèse a été élaborée sous forme d’un programme unique pour l’Afrique. C’est en octobre 2001 à Abudja que définitivement, cette synthèse, qu’on a appelée à l’époque la Nouvelle Initiative africaine (NIA), a été transformée en New Partnership for Africa’s Dévelopment (NEPAD). Voilà le cheminement qu’a pris le NEPAD.

Depuis ce temps-là, régulièrement, les chefs d’Etat fondateurs du NEPAD ont continué d’assister régulièrement aux différentes rencontres du G8. Maintenant le NEPAD a pris son envol et à toutes les rencontres du G8, les chefs d’Etat fondateurs sont des invités pour faire le point de l’évolution de la mise en œuvre du NEPAD.

H.B : Concrètement, quelles sont les actions qui ont été menées depuis le lancement du NEPAD ?

JDS : Les actions qui ont été menées se situent essentiellement à deux (2) niveaux, il y a d’abord la mise en place des structures opérationnelles du NEPAD. C’est ainsi que le comité de mise en œuvre a été mis en place. Ce comité est composé des chefs d’Etat initiateurs à savoir les présidents M’Béki d’Afrique du Sud, Olesegun Obasanjo du Nigeria, Bouteflika d’Algérie, Moubarak d’Egypte et Abdoulaye Wade du Sénégal.

A ces cinq (5) chefs d’Etat, on a adjoint deux (02) représentants par sous-région. Il y a cinq sous-régions. Ce qui fait dix (10) représentants plus les cinq (05) chefs d’Etat. Donc quinze (15) membres au total. On a mis en place ce qu’on appelle le comité de pilotage qui regroupe les représentants personnels (les sherpas) des chefs d’Etat qui est le suivi plus rapproché des programmes du NEPAD. Il y a ensuite le secrétariat permanent du NEPAD qui a été mis en place et qui est fonctionnel à Pretoria en Afrique du Sud.

Il y a aussi le comité Paix et sécurité parce qu’on ne peut pas promouvoir le développement sans s’être au préalable assuré de la paix et de la stabilité. Donc les institutions ont été mises en place. C’est la première chose qui a été faite.

La deuxième tâche a été d’expliquer le NEPAD, de passer à l’appropriation du NEPAD par les Africains. Ce travail a été mené à travers des conférences, des ateliers etc. La phase actuelle du NEPAD, c’est de passer à ce qu’on appelle "l’implémentation" c’est-à-dire le démarrage effectif des projets du NEPAD dans le concret. A cette phase-là, la Banque africaine de développement (BAD) a sérié les projets qui ont été soumis par l’Union africaine. Les projets ont été transformés en projets bancables. Nous sommes donc à la phase de la mise en œuvre effective des projets sélectionnés au niveau du NEPAD.

H.B : Citez-nous quelques-uns de ces projets.

JDS : De ces projets, il faut retenir pour l’Afrique de l’Ouest le gazoduc qui doit rallier le Nigeria au Bénin, au Togo et au Ghana et à terme qui devrait se prolonger vers les pays de l’"hinterland" comme le Burkina et continuer sur la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Le gazoduc est actuellement en chantier.

Cent soixante-dix (170) kilomètres de tubes ont déjà été fabriqués et la pose effective va démarrer incessamment. Ce projet devrait être achevé aux environs de fin 2006. Il y a aussi le projet de transport de containers africains qui est maintenant fonctionnel. Ce projet est dénommé "Ecomarine". Il y a enfin le câble optique pour l’amélioration de la communication entre le Cap en Afrique du Sud et Casablanca au Maroc, le "câble sous-marin" qui est en cours de raccordement pour rejoindre l’Afrique de l’Est avec bien sûr des interconnexions avec l’"hinterland". On peut observer cela sur la route de Bobo-Dioulasso. Ça va se poursuivre au Niger, au Ghana, et au Mali. Voilà les trois (03) chantiers que je peux vous citer.

H.B : Les critiques formulées à l’encontre du NEPA concernent entre autres son financement dont la majeure partie est assurée par l’extérieur. Qu’en dites-vous ?

JDS : C’est vrai que pour le moment, l’essentiel des financements qui ont été annoncés pour les projets du NEPAD, provient des pays industrialisés. Il s’agit du financement japonais dans le cadre de la Tikad III, le financement canadien, l’Union européenne et le Millenium Challenger count des Etats-Unis qui sont les plus gros contributeurs. L’Inde a aussi annoncé des contributions de deux cents (200) millions de dollars pour le financement du NEPAD, etc. Les financements qui ont été annoncés de façon concrète, viennent essentiellement des pays industrialisés. Mais il ne faut pas perdre de vue que le secteur privé africain est extrêmement actif actuellement dans le financement du NEPAD. Mais cela est beaucoup moins médiatisé. Nous avons tenu ici même à Ouagadougou le Forum du secteur privé sur le NEPAD.

Ce qu’on a appelé l’IPS/NEPAD qui a mis en place des structures pour sensibiliser les opérateurs économiques à la participation des structures du NEPAD. Le secteur privé est actuellement mis à contribution, mais ce n’est pas seulement le financement en termes d’argent. Il y a aussi la participation du secteur privé local, burkinabè, africain aux projets du NEPAD. J’ai parlé d’Ecomarine, de la construction du gazoduc, du câble sous-marin... A tous ces niveaux, ce sont des opérateurs africains qui sont actionnaires.

Mais cela est moins médiatisé. Il est vrai que tout est une question de proportion. Dans les pays développés, il y a beaucoup plus de disponibilité de financement des grands projets par rapport au secteur privé africain, mais cela existe déjà. Ce qu’il faut retenir aussi c’est qu’il y a le partenariat. Nous encourageons beaucoup le système de partenariat sous forme de joint-ventures entre les grandes entreprises internationales et les opérateurs africains. Nous encourageons également la vente de l’expertise africaine au niveau de la participation des pays africains.

S’il n’y a pas d’argent frais, il y a au moins le savoir-faire que les Africains ont et ils peuvent parfaitement vendre leur savoir-faire au niveau de ces grands projets. Il y a d’ailleurs des études qui sont actuellement en cours au niveau du secteur privé pour identifier et quantifier l’expertise africaine en vue de la mettre à la disposition de ces grands projets du NEPAD. C’est aussi une forme de participation.

H.B : Qu’en est-il des querelles de leadership entre certains promoteurs du NEPAD, notamment entre les présidents Wade et Obansajo ?

JDS : Les gens vont trop fort en parlant de querelles. Franchement, il n’y a pas de querelles à ce niveau. Il y a des réunions très régulières qui se tiennent entre les différents membres du comité de mise en œuvre. Vous savez, les attentes sont très nombreuses. Quand on a attendu quarante (40) ans, cinquante (50) ans ... On a attendu le développement de l’Afrique pendant tout ce temps, c’est clair qu’il y a de l’impatience dans la mise en œuvre. Et suivant la sensibilité des uns et des autres, la manière d’envisager les solutions idoines pour aller vite quant à l’application pratique du programme du NEPAD, cela peut amener certains à croire qu’il y a des divergences.

Mais je puis vous assurer qu’au contraire, le comité de mise en œuvre travaille dans un esprit de coopération et de collaboration. C’est simplement une question de langage et de mise en concordance des systèmes. Entre le système anglophone et le système francophone, ce n’est pas toujours la même façon de voir, ni la même façon de procéder. Ce qui fait que quand les deux (02) chefs d’Etat s’expriment, on a l’impression qu’il y a une opposition entre eux. En fait, c’est une lecture différente de la même et unique réalité qui est la mise en œuvre du NEPAD.

H.B : Quel est le rôle du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale dans la mise en œuvre du NEPAD ?

JDS : L’application des programmes du NEPAD a fait l’objet d’une déclinaison de l’Union africaine vers les sous-régions.

En ce qui nous concerne, c’est la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui est l’espace opératoire du NEPAD pour l’Afrique de l’Ouest. Au niveau de la CEDEAO, il y a une déclinaison au niveau de chaque Etat. Au niveau de l’Etat, c’est effectivement le ministère en charge de la coopération régionale qui anime, stimule et coordonne les activités de mise en œuvre du NEPAD.

Nous sommes actuellement très avancés en ce qui concerne par exemple le fonctionnement des structures du NEPAD. Nous avons en place une cellule nationale du NEPAD. Nous organisons régulièrement des conférences-débats et nous rencontrons la société civile, toujours dans le cadre de l’appropriation du NEPAD par les Burkinabè eux-mêmes, car tout programme de développement qui ne fait pas l’objet d’appropriation, n’a aucune chance de réussir. Nous participons aussi à toutes les rencontres sur le NEPAD, soit au niveau ministériel, soit avec les chefs d’Etat pour le Forum des chefs d’Etat du NEPAD. Voilà les actions de suivi au quotidien.

Nous participons également à la finalisation des études des projets du NEPAD et nous participons énormément aux rencontres de restitution avec la BAD pour évaluer l’avancement des projets à l’étape actuelle. Nous suivons également les projets en cours d’exécution du NEPAD. Nous avons réussi à ramener les cent vingt (120) projets de la CEDEAO éligibles au titre du NEPAD à vingt et un (21) projets prioritaires dans un premier temps pour amorcer la pompe. Nous avons un suivi au quotidien de ces vingt et un (21) projets dont trois (03) comme je le disais sont déjà en chantier. Enfin, nous avons sur le plan institutionnel complété notre dispositif.

Nous avons préconisé la mise en place d’un secrétariat permanent pour le Mécanisme africain d’évaluation des pairs (MAEP). Le conseil des ministres a adopté notre proposition et très prochainement un secrétaire permanent sera désigné pour s’occuper de ce volet spécialisé du NEPAD. Ce n’est qu’un volet spécialisé. D’autres seront créés par la suite. Mais nous restons le coordonnateur, le stimulateur, l’animateur et le correspondant principal du NEPAD.

H.B : Qu’est-ce que le mécanisme africain d’évaluation des pairs auquel vous venez de faire allusion ?

JDS : Parmi les super-prioriotés du NEPAD, en premier lieu il y a la bonne gouvernance. Bonne gouvernance politique, bonne gouvernance économique. Bonne gouvernance publique et bonne gouvernance privée. C’est le B. A Ba. Si vous n’avez pas de bonne gouvernance à l’heure de la mondialisation, vous ne pouvez pas être performant. Il était donc opportun que les pays africains se dotent de ce label de qualité de telle sorte que quand un pays ou un groupe de pays présentent un projet, il y ait ce label qui vient rassurer les partenaires financiers, économiques et techniques de ce projet. Le mécanisme africain d’évaluation des pairs est un instrument que s’est donné le NEPAD pour lui permettre de s’auto-évaluer.

Cette évaluation se fait à deux niveaux : d’abord l’Etat lui-même s’auto-évalue avec toutes les forces vives du pays. Après cette étape, les structures du NEPAD constituées d’un panel d’experts et du Forum des chefs d’Etat envoient une équipe qui va à son tour évaluer cet Etat et une comparaison est faite à ce moment entre l’auto-évaluation nationale et l’évaluation par le panel des experts approuvés par les chefs d’Etat pour sortir un diagnostic précis de l’Etat concerné.

L’évaluation se fait à tous les niveaux. Ce n’est pas seulement une évaluation économique. C’est l’évaluation à tous les niveaux, tous les paramètres qui concourent à un bon développement, à une bonne gestion d’un pays. Le mécanisme d’évaluation par les pairs permet d’éviter l’immixtion extérieure.

H.B : Est-ce que vous croyez sincèrement au NEPAD et en ce qu’il peut être un véritable moteur pour le développement de l’Afrique ?

JDS : Je crois au NEPAD. Je n’ai pas le choix de ne pas croire au NEPAD tout simplement parce qu’actuellement il n’y a pas un autre projet aussi cohérent pour le développement de l’Afrique. Ensuite, ce n’est pas parce qu’il y a des difficultés liées à une certaine forme de mauvais management de la mise en œuvre du NEPAD qu’il ne faut y croire. C’est une nouvelle vision parfaitement adaptée au 21e siècle, à la mondialisation qui doit permettre à l’Afrique de s’arrimer au train de la mondialisation. Nous n’avons pas un autre schéma aussi clair que le NEPAD.

Donc qu’on le veuille ou pas, on est obligé de croire au NEPAD. Il n’y a pas actuellement un programme alternatif au NEPAD. Tout en reconnaissant les lourdeurs, le mauvais management même des structures du NEPAD, je pense que ce sont toutes choses imputables à toute activité humaine qu’on peut corriger sans remettre en cause fondamentalement le NEPAD qui est un plan clair et précis.

Entretien réalisé par Kévin KPODA
L’Hebdo

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