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Côte d’Ivoire : Jeu de dupes à Abidjan et ailleurs

Publié le mercredi 4 mai 2005 à 11h09min

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Laurent Gbagbo, président de la République de Côte d’Ivoire, vient de nous expliquer que ce qu’il fallait comprendre dans l’accord de Pretoria et la lettre du médiateur c’est que la crise ivoirienne avait une seule et unique raison d’être : "la candidature de Monsieur Alassane Ouattara" à la présidence de la République.

Et parce qu’il est soucieux de régler cette crise, Gbagbo vient donc de décider que Ouattara peut "s’il le désire, présenter sa candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2005" (cf LDD Côte d’Ivoire 0139/Mercredi 27 avril 2005).

Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que la candidature de Ouattara à la présidentielle est la conséquence et non pas la cause de la crise ivoirienne (une crise qui, d’ailleurs, est bien antérieure à l’accession de Gbagbo à la présidence de la République). Et que Gbagbo saisit l’opportunité que lui offre "l’accord" de Pretoria pour remodeler comme il l’entend l’avenir de la Côte d’Ivoire.

Revenons d’abord sur l’accord de Pretoria présenté comme le prolongement des accords de Linas-Marcoussis, Accra II et III. Il est l’expression de la "volonté commune et sincère [des leaders politiques ivoiriens] de créer un climat politique propice à l’instauration rapide d’une paix durable". Il proclame, tout d’abord, "la fin de la guerre sur tout le territoire national", ce qui signifie "le désarmement et le démantèlement des milices" ; c’est le Premier ministre, Seydou Elimane Diarra, qui est "chargé de conduire cette opération", Gbagbo se limitant à "désigner [...] des unités des Forces de Défense et de Sécurité chargées d’assister le Premier ministre".

Les chefs d’état-major des Fanci et des FAFN sont chargés de "formuler des recommandations spécifiques afin de refonder une armée [...] et de procéder à la restructuration des forces de défense et de sécurité" ; ces recommandations sont soumises au gouvernement. 600 éléments des FAFN vont ainsi être recrutés et formés en vue d’être "déployés aux côtés des forces de l ’Onuci" avant de rejoindre la gendarmerie et la police après passage par les écoles de formation. Voilà pour les éléments essentiels concernant l’aspect militaire et sécuritaire.

Au plan politique, alors que l’autorité exécutive du Premier ministre "nécessaire pour accomplir convenablement sa mission" est "réq[firmée" par le président de .la République, la Commission électorale indépendante (CEl) est modifiée dans sa composition et son fonctionnement. Les Nations unies participeront aux travaux de la CEI et, également, du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, les textes issus de l’accord de Linas-Marcoussis doivent faire l’objet de projets de loi et être soumis à l’Assemblée nationale, "tous les députés de la nation" étant invités "à soutenir ces amendements dont l’adoption est prévue au plus tard pour la fin du mois d’avril 2005".

Le principe du financement des partis politiques va être étendu aux partis non représentés au Parlement (c’est le cas du RDR) "en raison du contexte politique qui a prévalu .par le passé". Au plan de l’information, la Radio télévision ivoirienne (RTl) "doit être utilisée pour favoriser l’unité et la réconciliation nationale" ; son conseil d’administration va être renouvelé sous l’autorité de Guillaume Soro, ministre d’Etat.

Les signataires de cet accord sont Gbagbo, Ouattara, Diarra, Henri Konan Bédié et Soro pour la partie ivoirienne ; Thabo Mbeki en tant que médiateur de l’Union africaine.

Cet accord de Pretoria a été signé le 6 avril 2005. La lecture qu’en a fait Gbagbo dans son message à la nation du 25 avril 2005 est restrictive : il ramène le problème à la seule candidature de Ouattara à la présidentielle prévue, initialement, en octobre 2005 (vision restrictive également du désarmement qui, selon lui, ne concernerait que les seuls "rebelles". Or, cette question de l’éligibilité à la présidence de la République (point 14 de l’accord) avait été mise en réserve jusqu’à ce qu’elle soit évoquée avec Olusegun Obasanjo, président de l’Union africaine, et Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies. On sait ce qui a été décidé : les signataires de l’accord de Linas-Marcoussis seront autorisés à se présenter à la prochaine présidentielle.

Personne ne peut nier que Gbagbo, Bédié, Ouattara, Soro, etc. sont des acteurs essentiels. Mais, là encore, Gbagbo a une vision restrictive. Que nous dit-il : "Je décide [...] uniquement pour l’élection présidentielle d’octobre 2005, conformément à la lettre du médiateur sud-africain, les candidats présentés par les partis politiques signataires de l’accord de Marcoussis sont éligibles. En conséquence, Monsieur Alassane Dramane Ouattara peut, s’il le désire, présenter sa candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2005".

Dans l’esprit de Gbagbo il s’agit d’une entorse, sous la pression, à la Constitution et à son article 35. Cette entorse ne s’applique, dès lors, qu’à la présidentielle. Quid d’une candidature de Ouattaraaux élections législatives ? Et l’autorisation qui lui est faite de "présenter sa candidature" signifie-t-elle que cette candidature sera acceptée par les instances qui auront à en juger ? Gbagbo, diaboliquement, scinde le problème en deux : 1 - Les candidats des partis signataires de Marcoussis sont" éligibles" ; 2 Ouattara, quant à lui, "peut [...] présenter sa candidature" ; sera-t-il, pour autant, "éligible" ?

Ce n’est qu’un "décorticage" du discours de Gbagbo. Mais qui reflète son état d’esprit très éloigné de cette "volonté commune et sincère de créer un climat politique propice à l’instauration rapide d’une paix durable" à laquelle les signataires de l’accord de Pretoria se sont engagés. D’autant plus que, par ailleurs, dans ce même message à la nation, prétextant "l’urgence" et "l’absolue nécessité d’organiser les élections aux dates fixées par la Constitution ", Gbagbo "donne mandat à [’Institut national de statistiques, et à lui seule, d’établir, dans les meilleurs délais, les listes électorales pour les élections générales de 2005" ; il "ordonne" également à cet Institut d’établir les cartes d’électeurs. Ouattara ne s’y trompe pas.

Dans Le Monde daté du vendredi 29 avril 2005), il qualifie cette décision "d’inacceptable" et non conforme à l’accord de Pretoria qui n’évoque que le travail de la Commission électorale indépendante modifiée et recomposée auquel les Nations unies sont "invitées à prendre part".

C’est dire que rien n’est joué. Gbagbo a l’intention, laissant penser à beaucoup qu’il joue le jeu de l’accord de Pretoria, de décocher quelques mauvais coups à ses adversaires. Gbagbo l’affirme dans son message à la nation : "Mes chefs compatriotes, chers amis de la Côte d’Ivoire. Bien des, problèmes, soulevés par nos compatriotes, n’ont pas trouvé de solution dans ce discours. Je ne les ai pas oubliés. Je ne les ai pas occultés. Le moment venu, ils seront résolus".

Trois questions se posent :
- 1. Qui sont ces "chers amis" de la Côte d’Ivoire ? ;
- 2. Quels sont les problèmes qui "n’ont pas trouvé de solutions" ? ;
- 3. Quand le "moment [sera-t-il] venu" ?

Il n’y a qu’une vérité. La crise de 1999 est liée aux conditions dans lesquelles Bédié a été imposé, par la Constitution, à la présidence ; pas sûr de lui, après avoir engrangé les bénéfices de la dévaluation du franc CF A (conçue pour le bien-être d’Abidjan), il a cherché un exutoire à ses difficultés dans la mise en oeuvre d’une politique d’exclusion.

Cette exclusion d’un homme, Ouattara, est devenue sous Gbagbo (moins légitime encore que Bédié) l’exclusion de ceux qui étaient considérés comme des opposants. C’est cette crise politique déclenchée par Bédié et la crise militaro-politique (et sous-régionale) exploitée par Gbagbo qui ont propulsé Ouattara, à son corps défendant, sur l’échiquier politique ivoirien.

En stigmatisant, depuis plus de dix ans, l’action d’un homme et le soutien d’un peuple dont il est devenu le symbole de la résistance à l’exclusion, la haine a été institutionnalisée comme mode de production politique. L’illusion de l’organisation (problématique) d’une élection n’y changera rien. Le mal est fait. Pour longtemps !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 4 mai 2005 à 13:06 En réponse à : > Côte d’Ivoire : Jeu de dupes à Abidjan et ailleurs

    Je suis surpris de lire que G. Soro est un acteur politique aussi important. En effet en tant qu’Européen je regrette que des hommes qui ont pris le pouvoir par la force soient mis autant en avant.
    Bédié est légitime, Gbagbo aussi (c’est son prédecesseur qui a empeché les autres candidatures), Ouattara peut être (c’est un débat interne au pays et je ne pense pas être qualifié pour répondre) mais ni Soro ni ses collegues militaires .

    Vraiment la dictature par les armes est une plaie

    • Le 4 mai 2005 à 17:33 En réponse à : > Côte d’Ivoire : Jeu de dupes à Abidjan et ailleurs

      Mon cher Européen, je crois que tu te fous le doigt dans l’oeil jusqu’à la nuque quand tu veux nier que le Ministre d’Etat G. Soro n’est pas un acteur politique important. Ce que n’a d’ailleurs pas dit l’auteur de l’article. J’ai copié et collé la partie dont il est question :
      "Personne ne peut nier que Gbagbo, Bédié, Ouattara, Soro, etc. sont des acteurs essentiels." Où se trouve politique ici ?
      Personne, je l’affirme avec l’auteur, sauf vous les européens qui êtes dans un monde tellement globalisé que vous ne pouvez pas comprendre et apprécier à sa juste valeur les brimabes et marginalisations subies par une communauté à l’échelle d’un Etat. Et c’est vraiment domage. De grâce, ne vous foutez pas de tous ces millions d’ivoiriens privés de leurs droits élémentaires qui n’avaient d’autre recours que ce que les Guillaummes Soro.
      De toute façon, en Europe, les ailes politiques de l’ETA et de l’IRA sont des partis légitimes et mènent leurs activités au grand jour.
      La bouche d’un Le Pen est plus meurtrière que les pétards mouillés utilisés par les Forces Nouvelles.
      De grâce, la paille dans notre oeil gratte, mais ne nous empêche pas de voir voir la poutre qui est dans le vôtre.
      "Mon ancêtre le Gaulois, " nous n’avons pas besoin que tu distribue les distinctions ou les sanction à nos politiques ; nous avons, nous aussi, une petite capacité de discernement.
      C’est vraiment ridicule et idiot de ne pas reconnaître qu’un homme qui contrôle 60% d’un territoire n’est pas un acteur important de ce pays. Il n’y a qu’un Européen pour nier ça à un nègre.

      • Le 5 mai 2005 à 04:00, par Jean Ludovic En réponse à : > Côte d’Ivoire : Jeu de dupes à Abidjan et ailleurs

        Juste pour vous faire savoir ma reconnaissance envers lefaso.net pour avoir publie l’ecrit de notre cher "europeen" et la replique du tres cher frere Africain. Il est temps pour nous Africain de faire savoir que meme si l’Afrique regorge pas mal de probleme, il n’est pas pour autant dire que les Africains sont inconscients. Nous savons tres bien quels sont ceux qui plongent notre continent dans ses differents problemes, donc ,de grace que les europeens ne cherchent pas a nous dire qui est important ou pas, surtout quand on occupe plus de la moitie d’un pays.

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