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Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (6)

Publié le mardi 25 novembre 2014 à 15h00min

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Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (6)

Dimanche 23 novembre 2014. Le « gouvernement de mission » formé par le tandem Kafando/Zida n’affiche pas vraiment sa « révolution » : 24 ministres*, hormis Kafando/Zida qui le sont également, très peu de femmes (quatre dont une seule dans le top 20), moins encore de militaires (trois, sans compter Zida, mais deux dans le carré d’as), des intitulés qui reprennent ceux du dernier gouvernement à de rares exceptions près**.

La disparition des ministres d’Etat et de la moitié des ministres délégués ainsi que la captation du portefeuille des Affaires étrangères par le président du Faso (Blaise Compaoré avait en charge la Défense nationale et les Anciens combattants depuis les « mutineries » de 2011, portefeuille aujourd’hui entre les mains du Premier ministre) fait, quantitativement, la différence. Au plan qualitatif, difficile d’y voir clair aujourd’hui : hormis Michel Kafando, Joséphine Ouédraogo, Garde des sceaux, et, dans une moindre mesure, Auguste Denise Barry, ministre de l’Administration territoriale, aucun des promus n’a d’expérience gouvernementale.

C’est d’ailleurs, aujourd’aujourd’hui, l’arrivée de Joséphine Ouédraogo comme numéro un du gouvernement, qui est l’événement majeur. C’est une femme d’exception, intellectuelle engagée (bien plus en faveur de la société civile africaine que politiquement), ancienne ministre de l’Essor familial et de la Solidarité nationale dans les gouvernements de Thomas Sankara du 31 août 1984 jusqu’au 31 octobre 1987, candidate, présentée par l’armée, au poste de présidente du Faso (cf. LDD Burkina Faso 0452/Mardi 18 novembre 2014), s’inscrivant dans l’Histoire de son pays puisqu’elle est née Guissou, sa famille a donné des hommes politiques majeurs au temps de la Haute-Volta (Henri Guissou) comme du Burkina Faso (Basile Guissou). Joséphine Ouédraogo prend en charge la justice mais aussi les droits humains et la promotion civique qui étaient jusqu’à présent dévolus à un ministère à part entière. Dans la situation qui prévaut actuellement au Burkina Faso, ce ne sera pas la chose la plus facile.

Kafando a beaucoup évoqué la lutte contre l’injustice et la corruption. On sait que « l’incivilité » a été un sujet de débat au Burkina Faso au cours des dernières années. Et s’il y a nombre d’affaires en suspens, il y en a, aussi, de nouvelles. Le président du Faso l’a dit lors de la passation de charges le vendredi 21 novembre 2014 : « Toute ma vie, je me suis toujours fait une haute idée du respect du bien public et milité pour l’avènement d’une vraie justice sociale. L’on comprendra donc pourquoi avec ceux qui ont méprisé cette justice, et qui pensent qu’ils peuvent impunément dilapider les derniers publics, nous règleront bientôt les comptes ».

« Régler bientôt les comptes » ! Pourtant, dans un entretien accordé à Africable Télévision et Radio Oméga, au lendemain de sa désignation comme chef de l’Etat, Kafando, interrogé sur le sort réservé à l’ancien président Blaise Compaoré et à ses proches, a refusé de se prononcer : « Je ne peux pas m’aventurer sur ce dossier-là parce que c’est tellement frais et c’est récent ». Mais, manifestement, dès lors qu’il veut « ramener la morale à la première place dans l’exercice du pouvoir politique », il lui faudra être intransigeant à l’avenir mais aussi dans la gestion des dossiers du passé. D’autant que « l’éthique et la déontologie » sont aussi les chevaux de bataille du colonel en charge de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité.

Ce « grand » ministère de l’Intérieur coiffe, au-delà, de l’Administration territoriale et de la Sécurité, la Décentralisation qui était confiée dans le précédent gouvernement au ministère de l’Aménagement du territoire (qui passe à la trappe dans ce gouvernement). Le « grand » ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité est le colonel Auguste Denise Barry, qui est ainsi le numéro deux du gouvernement. Ce n’est pas une surprise. Tout au long des journées qui ont suivi la démission de Compaoré, Barry a été omniprésent aux côtés de Zida.

Colonel, ministre de la Sécurité dans le gouvernement Tertius Zongo en 2011, Barry avait été de 2007 à 2009 le patron de l’Académie militaire Georges Namoano (AMGN) au sein de laquelle il a plaidé pour une approche éthique et déontologique de la fonction militaire (cf. LDD Burkina Faso 0448/Mercredi 12 novembre 2014). Ministre de l’Intérieur, il devient aujourd’hui un acteur majeur de la vie politique burkinabè, plus encore dès lors qu’il a également en charge la politique de décentralisation du pays (c’est lui aussi qui vient de décider aujourd’hui, lundi 24 novembre 2014, la levée du couvre-feu sur l’ensemble du territoire national).

Le numéro trois du gouvernement est le ministre de l’Economie et des Finances, Jean Gustave Sanon. Ce n’est ni un militaire ni un politique. Titulaire d’un DES banques et finances, c’est un technicien des finances publiques qui occupait, jusqu’à sa nomination, le poste de représentant-résident de la commission de l’UEMOA à Lomé. Si vous n’êtes pas un lecteur attentif de la Revue française des finances publiques, vous avez peu de chances d’avoir vu sa signature. Il a été directeur des études et de la législation financière puis directeur des affaires monétaires et financières au ministère des Finances avant d’intégrer la Commission de l’UEMOA en 2001 en tant que directeur des finances publiques.

En 2007, il rejoindra le FMI en tant que conseiller-résident en gestion des finances publiques auprès du Centre régional d’assistance technique du FMI pour l’Afrique du centre à Libreville, puis pour celui pour l’Afrique de l’Ouest à Abidjan. En avril 2013, il a repris du service à l’UEMOA en tant que conseiller technique du commissaire chargé des politiques économiques et de la fiscalité intérieure avant d’occuper son poste à Lomé. Si Sanon est un inconnu dans la maison « Burkina Faso », c’est pire encore pour le ministre des Mines et de l’Energie, Boubacar Ba. Ce colonel, chef de la division de l’état-major général des armées, s’est révélé, au cours des dernières semaines en étant porte-parole de Zida. Il prend ainsi le contrôle d’un secteur clé de l’économie burkinabè sans que l’on sache quelles sont les orientations du nouveau régime en la matière.

Quatre colonels et un paquet de surdiplômés et autres agrégés de l’université composent ce gouvernement qui va avoir la rude tâche d’être en rupture avec les formations gouvernementales précédentes tout en débouchant sur une « révolution » politique d’ampleur. Le Burkina Faso ne fait pas que tourner la page de son histoire. C’est une page totalement vierge qu’il va désormais falloir remplir avec des personnages qui émergent subitement dans cette histoire tandis que les acteurs précédents sont tous « out ». Ce n’est pas le plus évident ; mais c’est le lot des « révolutions ». Espérons simplement que parmi ces nouveaux promus il y aura quelques « révolutionnaires » totalement conscients de la tâche… politique à mener.

* 24 ministres seulement contre 32 dans le précédent gouvernement mais le président du Faso détient les Affaires étrangères et la Coopération régionale et le Premier ministre est chargé de la Défense nationale et des Anciens combattants. Ajoutons à cela qu’Alain Thierry Ouattara est secrétaire général du gouvernement et du conseil des ministres avec rang de ministre.

** Sont passés à la trappe le ministère chargé des Relations avec les institutions et des Réformes politiques (c’est le ministère de la Communication, également porte-parole du gouvernement, qui est « chargé des relations avec le Conseil national de la transition »), le ministère de l’Eau, de l’aménagement hydraulique et de l’Assainissement (c’est le ministère de l’Agriculture et de la Sécurité alimentaire qui récupère les « ressources hydrauliques et l’assainissement »), le ministère des Droits humains et de la Promotion civique (désormais sous l’autorité du ministre de la Justice), le ministère de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation (on ne parle plus « d’aménagement du territoire » et la « décentralisation » est confiée au ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité). Le ministère des Ressources animales perd les ressources « halieutiques » confiées au ministère de l’Environnement qui, lui, perd le « développement durable » dont on ne parle plus. Disparaissent également les ministères délégués chargé de l’Alphabétisation et des Transports, chargé des Transports.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 25 novembre 2014 à 20:36, par Les burkinabè d’Italie En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (6)

    Toutes nos félicitations aux nouvelles autorités de notre très chère FASO.
    Nous vous recommandons de rappeler urgemment les Ambassadeurs caméléons si vous voulez réussir votre mission à l’extérieur. Ils faisaient la promotion du CDP avant le départ de COMPAORE. Maintenant c’est le MPP de ROCH ou rien. Le notre se soule la gueule à longueur de journée et n’est jamais au bureau. Il a raison puisqu’il était le chef du protocole de Roch M. C. KABORE lorsque celui-ci était Président de l’Assemblée Nationale. C’est certain qu’il va influencer les résultats en faveur du MPP.
    Faso.net faites passer mon message svp !!!!!!!

  • Le 26 novembre 2014 à 16:02, par l’impartial En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (6)

    TOUT SEMBLE BON, MAIS ON DIT TOUJOURS QUE C’EST DANS LES DETAILS QUE LE DIABLE SE CACHE ; ON ATTEND DE VOIR LA FACE CACHEE DU SYSTEME CAR AUCUNE RELATION MALICIEUSE AVEC LE SYSTEME DEGUERPI NE SERA TOLEREE.

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