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Après le Mali, la Cédéao ne devrait-elle pas s’intéresser à Boko Haram, massacreur au Nigeria ? (1/2)

Publié le jeudi 11 juillet 2013 à 18h18min

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Après le Mali, la Cédéao ne devrait-elle pas s’intéresser à Boko Haram, massacreur au Nigeria ? (1/2)

Il n’est pas un lendemain de week-end sans que la presse n’annonce, en quelques lignes, un massacre de civils au Nigeria, dans les Etats du Nord-Est. C’est que les week-ends sont propices aux monstruosités de Boko Haram qui n’hésite plus à cibler les établissements scolaires. Dans la nuit du vendredi 5 au samedi 6 juillet 2013, c’est le lycée de Mamudo, dans l’Etat de Yobé, qui a été le cadre de ses exactions. Bilan : une quarantaine de victimes !

Depuis l’éradication des groupuscules terroristes dans le Nord-Mali, à la suite de l’opération « Serval », on ne les évoque plus guère. Un temps, on a signalé le regroupement de certains d’entre eux du côté du Sud-Libye. Mais, à l’exception de celles menées par Boko Haram, aucune action terroriste n’aurait été répertoriée en Afrique de l’Ouest au cours des dernières semaines. Le Nigeria est membre de la Cédéao ; c’est un pays pétrolier, la première puissance économique d’Afrique de l’Ouest ; il possède des frontières avec le Bénin, le Niger, le Tchad et le Cameroun ; c’est aussi une puissance maritime confrontée à la piraterie dans le golfe de Guinée. Goodluck Jonathan, le président de la République fédérale, a été médiateur associé dans l’affaire malienne ; c’est dire qu’il n’est pas indifférent à ce qui se passe dans la région du fait des actions terroristes et séparatistes. On n’a pas, pour autant, l’impression que l’Afrique ni même la « communauté internationale » se préoccupent vraiment de ce qui se passe au Nigeria.

Goodluck Jonathan, lorsqu’il a décrété l’état d’urgence dans certains Etats du Nord-Est (Borno, Yobe, Adamawa), a évoqué « la récente avalanche d’attaques terroristes » et les « très grands défis liés à la sécurité, particulièrement dans les Etats du Nord-Est ». Pour Abuja, Boko Haram est non seulement une organisation terroriste qui « tue et mutile d’innocents citoyens » mais qui vise à « déstabiliser l’Etat nigerian et même à contrôler et à exercer son autorité sur certaines parties du pays ». Autant dire qu’il n’y a que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre AQMI et Boko Haram quant à la finalité des actions menées, sauf que Boko Haram le fait avec une barbarie sans frontière. Barbarie liée à l’idéologie de celui qui avait décidé, voici une dizaine d’années, d’ancrer son groupuscule dans la terreur.

Mohammed Yusuf, né au début des années 1970, était l’archétype du prophète illuminé mais charismatique. « Fou de Dieu », certes, mais surtout fou tout court avec ses convictions pseudo-scientifiques anti-occidentales : la terre n’est pas ronde et la pluie, création de Dieu, ne saurait résulter d’une condensation-évaporation de l’eau… Mohammed Yusuf est mort après avoir mené, en juillet 2009, un mouvement insurrectionnel qui, pendant quatre jours, a semé la terreur dans cinq Etats du Nord : Bauchi, Borno, Kano, Katsina et Yobe. Sans doute plus d’un millier de morts. Capturé, Yusuf sera rapidement exécuté au camp Giwa, à Maiduguri. Il n’avait pas 40 ans. Son exécution conduira cinq officiers de police devant les tribunaux.

Dans un dossier publié, voici quelques mois, par Africa Defense Forum (ADF)*, Freedom C. Onuoha, chercheur au Centre africain de recherches et d’études stratégiques, du Collège de la défense nationale d’Abuja, la secte serait apparue en 1995 sous la dénomination de Muhajirun puis de Yusufiyyah, Tabilans puis Boko Haram. Selon Onuoha, elle compterait environ 280.000 membres présents dans les Etats du Nord du Nigeria mais également au Niger et au Tchad.

Plusieurs centaines de milliers d’adhérents ? Cela semble considérable pour un groupuscule « terroriste ». Mais il faut souligner leur ancrage dans les Etats du Nord du Nigeria où, déjà, la Charia est appliquée et le fait que le Nigeria soit, et de loin, le pays le plus peuplé d’Afrique. La question de son recrutement est fondamentale. Selon Onuoha, la secte « recrute en priorité ses membres dans la jeunesse désenchantée, les diplômés au chômage et les anciens Almajiris (enfants des rues), principalement dans le nord du Nigeria. La secte compte également dans ses rangs certains chargés de cours de l’université et des étudiants. Le recrutement visant à l’appartenance à Boko Haram est largement basé sur l’endoctrinement ». On comprend mieux dès lors que le président Goodluck Jonathan ait évoqué une « avalanche d’attaques terroristes » ; il aurait pu, tout autant, évoquer un « tsunami » dès lors que Boko Haram ne cesse de monter en puissance dans la terreur. Ce qui, d’une part, rend les populations plus soumises à la secte et, du même coup, facilite le recrutement : la toute puissance « occidentale » affichée par Abuja est battue en brèche. D’autant plus facilement que la frustration est forte au sein d’une population soumise au « certificat d’indigénité ».

C’est d’ailleurs un aspect du problème sur lequel insiste Africa Defense Forum (ADF), le considérant comme une des « causes profondes du conflit ». « La distinction, souligne Chris Kwaja, chercheur à l’université de Jos cité par ADF, était initialement conçue pour atténuer les inquiétudes de groupes minoritaires redoutant que leurs coutumes traditionnelles et leurs structures relatives à l’autorité soient bouleversées et laminées par l’expansion de groupes ethniques d’importance croissante. Toutefois, en pratique, cette classification a souvent été utilisée pour déterminer qui « appartient » à une localité particulière, ce qui à son tour détermine quels citoyens peuvent participer à la politique, être propriétaires terriens, obtenir un emploi ou faire de études. Il en ressort que le certificat « d’indigénité » est un document déterminant dans la vie de tous les jours de nombreux Nigérians ». « Un tel environnement, commente ADF, est un vivier fertile de recrutement pour les groupes extrémistes tels que Boko Haram ».

Dans quelques mois, le 24 décembre 2003 (on ne peut pas trouver, pour une secte, un jour plus symbolique de « l’Occident »), il y aura dix ans que, pour la première fois, Boko Haram a conduit une attaque meurtrière. C’était à Geiam et Kanamma (Etat de Yobe). Les cibles étaient un poste de police et des bâtiments publics. Ces attaques visaient d’abord à se procurer des armes et des munitions. Boko Haram va alors tenter le soulèvement insurrectionnel de juillet 2009 (à l’occasion duquel Mohammed Yusuf sera capturé), entreprendra de libérer ses membres emprisonnés avant de s’engager dans des actions hautement symboliques et criminelles : le 24 décembre 2010, lors des veillées de Noël, des attentats à la bombe dans des églises de Maiduguri et Jos vont faire 86 morts et 100 blessés. 2011 sera une année d’intense activité meurtrière avec le premier attentat-suicide à la bombe au Nigeria, à Abuja (16 juin 2011), à la direction générale de la police (la cible a été Hafiz Ringim, inspecteur général de la police), et la frappe, avec une voiture piégée, contre le siège des Nations unies dans la capitale fédérale (26 août 2011).

Le mode d’action de Boko Haram porte alors la marque d’Al-Shebab, qui aurait formé en Somalie un certain nombre de « djihadistes », formation revendiquée par la secte dans un communiqué en date du 15 juin 2011. On évoquera alors une « transnationalisation » de Boko Haram, des connexions avec AQMI. On suggérera sa présence dans le « corridor sahélo-saharien » à la veille de « Serval », l’intervention français au Nord-Mali, sans que jamais celle-ci soit avérée, le mode d’action de Boko Haram n’ayant rien à voir avec celui d’autres groupuscules sur le terrain qui sont, d’abord, des groupes armés.

* Africa Defense Forum (ADF) est un « magazine militaire professionnel trimestriel » édité par l’Etat-major unifié
des Etats-Unis pour l’Afrique dont le QG se trouve, jusqu’à présent, à Stuttgart, en Allemagne. ADF est un 68 pages disponible, aussi, en français qui traite « des stratégies de lutte contre le terrorisme, les opérations de défense et de sécurité, la criminalité transnationale, des problèmes affectant la paix, la stabilité, la bonne gouvernance et la prospérité ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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