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Cameroun : Et si c’était dans les prisons de l’opération « Epervier » que se prépare « l’après-Biya » ? (2/2)

Publié le lundi 4 février 2013 à 15h00min

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Cameroun : Et si c’était dans les prisons de l’opération « Epervier » que se prépare « l’après-Biya » ? (2/2)

Au Cameroun, on pourrait former quelques gouvernements en puisant dans les prisons de l’opération « Epervier » lancée voici quelques années pour éradiquer la corruption. En fait, pour écarter du pouvoir des personnalités trop influentes. Parmi celles-ci Marafa Hamidou Yaya dont le parcours a été exceptionnel (cf. LDD Cameroun 063/Jeudi 31 janvier 2013). Une « élite » peule du Nord-Cameroun qui, plus est, est particulièrement apprécié par les « occidentaux », Américains (il a été formé aux Etats-Unis) et Français en tête.

Limogé du gouvernement le 9 décembre 2011, mis en cause dans « l’affaire de l’Albratos » le 31 janvier 2012, arrêté le 16 avril 2012, en même temps qu’Ephraïm Inoni (Premier ministre de 2004 à 2009), et condamné le 22 septembre 2012 à vingt-cinq ans de prison ferme. « Une forme de justice extrême proche de l’extrême injustice » écrira François Soudan dans Jeune Afrique du 30 septembre 2012. Marafa affirme avoir été condamné pour « complicité intellectuelle » dans un détournement de fonds publics et ses textes (il multiplie les déclarations depuis son incarcération alors qu’il est resté bien muet pendant que les arrestations arbitraires se multipliaient au Cameroun au cours des quinze dernières années) semblent lui donner raison.

Marafa est en prison et Biya est à Paris. Ce pourrait être l’inverse et cela ne choquerait personne au Cameroun tant il est vrai que les Camerounais ont l’intime conviction (à juste titre d’ailleurs) que la corruption est le mode de production du pays, de la rue jusqu’en haut des buildings administratifs, sans oublier les bureaux du palais présidentiel d’Etoudi. Et la corruption n’est pas, dans ce pays, que le détournement d’argent mais également un jeu pas toujours subtil de pressions de toutes sortes dans lequel la déshumanisation de l’individu est totale (et je ne parle pas de ce que doivent y subir les femmes… !).

Les prisons camerounaises ne sont pas celles (pour les « élites » s’entend) que l’on connaissait au temps de la bureaucratie soviétique triomphante en URSS et dans les pays satellites d’Europe de l’Est. La preuve en est que Marafa peut encore écrire et même faire publier dans Le Monde daté du 31 janvier 2013 une tribune sur « l’après-Biya ». Il est vrai qu’il est temps d’y penser : le chef de l’Etat a entamé le 9 octobre 2011 son 6ème mandat (il est au pouvoir depuis le 6 novembre 1982 !), qu’il a fait abolir, le 10 avril 2008, la limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels, et qu’il va souffler ses 80 bougies le 13 février 2013 (il est né en 1933 !).

Marafa écrit (il n’est pas le premier : j’ai quelques rayons de ma bibliothèque occupés par les « écrits de prison » des Camerounais) alors que son président – qu’il a servi, jour après jour, pendant quelques décennies – est en visite à Paris. Pas pour se plaindre de son sort, par pour gémir sur l’injustice d’une justice aux ordres. Non, étonnamment, pas de lamentation, pas d’invective, une simple leçon d’histoire et de politique qui résonne comme un programme présidentiel : sauf que le candidat est pour l’instant en prison et que le président est, quant à lui, au pouvoir pour encore une flopée d’années. Sauf, aussi, qu’il faut prendre en compte « l’âge du capitaine » et son mode de production politique. Marafa l’affirme : « La question n’est pas de savoir si cette situation de repli autarcique est déplorable, elle n’est simplement plus tenable ». Autant d’éléments qui laissent penser qu’au Cameroun, il ne faudrait pas grand-chose pour que la situation bascule et que les portes des prisons s’ouvrent.

Marafa, avec sérénité, dresse un état des lieux du Cameroun qui est une prise en compte de son passé (il rappelle les « horreurs de la répression des maquisards de l’UPC »), de la gestion de Biya (dont la présidence « n’a connu que trois menaces sérieuses en 1984, 1991 et 2008, rapidement contenues ») et de la personnalité du chef de l’Etat (enclin au « repli autarcique »). Selon lui, le pays « vit dans la stabilité, mais cette stabilité est stérile, et à terme insoutenable ». Il ajoute : « Il faut donner son vrai nom à la paix civile qui règne au Cameroun, une sorte d’équilibre de la terreur entre le gouvernement et le peuple. Les racines en sont dans l’histoire du pays. La tentative de coup d’Etat de 1984 et les émeutes de Douala en 1991 et 2008 ont été vécues par le président Biya et son entourage comme de profonds traumatismes qui les ont enfermés dans une obsession unique : ne pas s’exposer, préserver le statu quo ».

Depuis sa cellule 10 du quartier 13 de la prison de Kondengui, Marafa reste dans la ligne : ne pas « exposer » le chef de l’Etat car ce serait exposer le Cameroun. Concernant le Cameroun, il dit que son « pays est entré avant le reste du continent dans l’ère postcoloniale […] Il a bien été dominé par les puissances coloniales, mais sans jamais avoir été une colonie et jamais au point que l’esprit d’indépendance qui caractérise son peuple, et que celui-ci place avant toute autre valeur, ait pu être éteint ». Concernant Biya, s’il évoque une situation qui n’est « plus tenable », une « confrontation crispée entre l’Etat et la société civile », etc., c’est « l’après-Biya » qu’il entend préparer. Parce que d’ici 2025, le Cameroun passera de 20 à 35 millions d’habitants, et que le pétrole, qui « a contribué à hauteur de moitié aux recettes budgétaires du pays, donnant à l’Etat les moyens de se retrancher dans sa sphère », s’épuise (Marafa note que les réserves pétrolières* sont tombées de 3 barils/hab. en 2000 à 1 baril/hab en 2011).

Ce texte est fondateur. La stabilité n’est plus une « obsession » ; juste un objectif. Et quelqu’un ose, enfin, évoquer « l’après-Biya » au sein de sa propre nébuleuse. On me rétorquera que là où il se trouve, condamné à vingt-cinq ans de prison (il aura 84 ans quand il en sortira s’il accomplit totalement sa peine), il ne risque pas grand-chose (ce qui n’est pas une certitude compte tenu des « pratiques » camerounaises). En filigrane, dans ce texte, Marafa, qui connaît la situation qui prévaut au palais d’Etoudi, laisse penser que la prochaine échéance présidentielle (2018) pourrait être avancée du fait de la nécessité d’empêcher le pays de sombrer dans le chaos. Marafa, homme d’expérience, pose son diagnostic avec ce qu’il faut de retenue mais prend le contrepied de ceux qui affirment (parce que cela les arrange) que ce ne peut être que « Biya ou le chaos ». Marafa dit que c’est, déjà, un chaos social ; qu’il ne tardera pas à devenir un chaos économique et que cela prépare, si on n’y prend garde, le chaos politique.

Marafa n’a pas caché son ambition présidentielle. Son emprisonnement, aussi douloureux soit-il, en fera, le moment venu, une victime politique dès lors que les faits qui lui sont reprochés n’ont pas été prouvés. René Owona, brillant intellectuel, un proche de Biya (il a été son témoin de mariage), emprisonné lui aussi mais sous Ahidjo (pour sympathie « communiste »), plusieurs fois ministre de Biya, décédé voici quelques années (cf. LDD Cameroun 018/Vendredi 29 octobre 2004), me disait le 7 mai 1998 à Paris (il m’avait, l’année précédente, sorti des griffes de la DST camerounaise qui tentait de me « mettre au vert » sous l’accusation d’être « un espion de France Télécom » ; c’était au lendemain de l’arrestation de Titus Edzoa qui, lui, est toujours en prison) : « Il ne faut pas faire d’erreur psychologique, le problème majeur c’est celui de la stabilité du Cameroun ; il faut s’efforcer de ne pas fragiliser le système. C’est le souci permanent de Biya : ne pas prendre de décisions qui soient déstabilisatrices pour un pays où le tribalisme est vivace. Les Camerounais sont atypiques ; il faut les accepter tels qu’ils sont ». Marafa semble penser que ce temps-là est révolu et que c’est « repli autarcique du pouvoir » qui déstabilise le pays. Evidemment, Marafa étant ce qu’il est, il y aura du monde pour dénoncer un complot Peul. Les Peuls y sont, hélas, habitués.

* La dernière édition des Cahiers économiques du Cameroun, publiée par la Banque mondiale, souligne cependant qu’en 2012, la production pétrolière a été à la hausse.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 4 février 2013 à 15:29 En réponse à : Cameroun : Et si c’était dans les prisons de l’opération « Epervier » que se prépare « l’après-Biya » ? (2/2)

    bon ok,l’ami du mnla se dévoile juste à la fin de son article avec encore ses insinuations ethniistes mais quant au fond de l’article proprement dit,il suffisait de gommer le nom du pays,les personnages et on se croirait au burkina à la seule différence que paul biya ose faire des opérations éperviers alors que chez vous,on détourne vis à vis et y a rien,c’est meme devenu un sport national plus qu’au cameroun.

  • Le 4 février 2013 à 17:38 En réponse à : Cameroun : Et si c’était dans les prisons de l’opération « Epervier » que se prépare « l’après-Biya » ? (2/2)

    Marafa est un farceur, sa démarche n’a aucune crédibilité car il a servi et s’est servi du régime Biya pendant toute sa carrière. Il a découvert le peuple camerounais le jour où le régime qu’il a si largement contribué à construire s’est retourné contre lui. Vous parlez d’ethnicisme, c’est vrai, les camerounais reconnaissent qu’il y a 2 ethnies au Cameroun, l’ethnie minoritaire constitué de ceux qui sont au pouvoir et qui mangent et l’ethnie majoritaire du petit peuple qui crève de faim.

    • Le 4 février 2013 à 19:41, par Camerounaise anonyme En réponse à : Cameroun : Et si c’était dans les prisons de l’opération « Epervier » que se prépare « l’après-Biya » ? (2/2)

      Entièrement d’accord avec vous. Mr Marafa se découvre subitement une nouvelle virginité, après avoir servi et maintenu le pouvoir devenu aujourd’hui cannibale avec lui, après avoir notamment fait tirer sur des manifestants désarmés en 2008, après avoir organisé les élections en tant que ministre de l’administration territoriale. Qu’il arrête de prendre le peuple camerounais pour une bande d’imbéciles à la mémoire courte.

      • Le 5 février 2013 à 09:49, par patmos En réponse à : Cameroun : Et si c’était dans les prisons de l’opération « Epervier » que se prépare « l’après-Biya » ? (2/2)

        Marafa c’est un vendeur d’illusions.Il veut prendre le peuple comme sa marionnette.Paul Biya lui a ouvert toutes les vannes de confiance et il l’a poignardé au dos.Ses ambitions étaient trop volumineux.Les Camerounais ne veulent pas d’un président orgueilleux,parcque Biya ne l’est pas.Il n’arrive même pas à garder les secrets internes de notre pays.Le code électoral c’est lui.Ce gangster voulait rouler le peuple dans la farine.Il en a eu pour sa part.Ce pantin est incapable de faire l’éloge du silence comme mme Haman Adama Kil a piégé et envoyer en prison.

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