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Macky Sall veut verrouiller sa majorité présidentielle en confiant la présidence de l’Assemblée nationale sénégalaise à Moustapha Niasse (2/3)

Publié le mercredi 18 juillet 2012 à 16h01min

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Moustapha Niasse sera donc limogé de son poste de premier ministre le 3 mars 2001, à la veille des élections législatives qui avaient été anticipées (29 avril 2001). Abdoulaye Wade voulait surfer sur sa victoire à la présidentielle et l’impact du « Sopi » dans la population sénégalaise. Il misait sur une large victoire de son parti, le PDS, lui permettant d’avoir ainsi les mains libres vis-à-vis de ses anciens alliés. Il verra juste : le PDS remportera 89 des 120 sièges.

L’Alliance des forces de progrès (AFP), le parti de Niasse, n’obtiendra que 11 sièges. Mais l’AFP s’affirmait comme la première force d’opposition. En fait, Niasse payait auprès de son électorat son soutien pendant onze mois à Wade. Onze mois pendant lesquels il avait été dans une obligation de réserve sur son propre programme tout en devant assumer le programme de celui qui était devenu, entre temps, son adversaire politique.

Au lendemain des législatives, l’image de Niasse est politiquement troublée. Celle de Wade est claire et nette : les Sénégalais veulent le « Sopi ». Mais Wade va connaître le prix à payer pour sa victoire : les électeurs qui étaient dans l’attente sont, désormais, dans l’exigence. Wade avait tous les pouvoirs : exécutif et législatif ; il n’y avait donc aucun obstacle au changement immédiat pour lequel il avait été élu. Il se retrouvera, dans le même temps, bien seul pour le réaliser. Mama Madio Boye, Premier ministre, une magistrate politiquement inconnue, n’était pas la mieux placée pour diriger le gouvernement. Face à Wade, Niasse, leader d’expérience, savait s’imposer ; à la tête du gouvernement, il avait limité les ambitions (démesurées) des uns et des autres. Niasse out ; un vide politique va s’instaurer. Wade, fondamentalement activiste, va l’occuper. Niasse pourra alors dénoncer « une concentration excessive des pouvoirs d’Etat entre les mains d’un seul homme, chef de l’Etat, chef du gouvernement de facto, chef d’un parti politique, chef de l’administration et, de ce fait, investi de la capacité de nommer, sans contrôle aucun, à tous les emplois civils et militaires ».

Niasse avait tenu onze mois comme premier ministre. Mama Madior Noye tiendra vingt-et-un mois (plus longtemps que prévu, le drame du Joola ayant empêché tout remaniement gouvernemental). Le 4 novembre 2002, elle était remplacée par Idrissa Seck. Un des hommes les plus proches de Wade ; à plusieurs reprises son directeur de campagne ; son directeur de cabinet avant son accession à la présidence ; numéro deux du PDS depuis 1998. Un lieutenant qui aspirait à prendre du galon ; on le présentera comme le dauphin. Le chef de l’Etat resserrait les rangs autour de lui ; mais en concentrant le pouvoir, il faisait de ses ex-partenaires du deuxième tour de la présidentielle 2000, des opposants. Et renforçait l’union de l’opposition. Une opposition qui brillait alors de tous ses feux (rapidement étouffés par l’ego des uns et des autres).

Car il ne faisait plus de doute pour les Sénégalais, que Niasse, leader de l’Alliance des forces de progrès (AFP), Amath Dansokho, leader du Parti de l’indépendance et du travail (PIT), Ousmane Tanor Dieng, leader du Parti socialiste (PS), avaient une envergure personnelle et politique sans commune mesure avec celle des plus brillants des membres du gouvernement. Il n’y avait que Wade lui-même, un baobab politique, qui pouvait leur faire de l’ombre.

Niasse va réagir immédiatement à ce changement de donne politique. Le 28 juillet 2001, il va structurer l’opposition dans le Cadre permanent de concertation (CPC) qui regroupe son AFP, le PIT d’Amath Dansokho, l’URD de Djibo Kâ, le PS d’Ousmane Tanor Dieng, le RND de Madior Diouf, le MSU du vieux Mamadou Dia, etc. Le CPC va occuper le terrain politique sénégalais. Alignés comme un seul homme derrière le chef de l’Etat, les responsables politiques du PDS et de la mouvance présidentielle deviennent du même coup invisibles. Wade, qui est un libéral, aurait dû savoir que si « trop d’impôt tue l’impôt », « trop de Wade tue Wade ». Même Seck, le « fils spirituel », va être limogé le mercredi 21 avril 2004 et remplacé par… Macky Sall. Tandis que Djibo Kâ, leader de l’URD, membre du CPC, entrera au gouvernement. Mais Niasse se refusera à être dupe : « Maître Wade, dira-t-il à Afrique Diagnostic, a cherché, visiblement, à affaiblir, en le divisant, le CPC ». Et il expliquera longuement pourquoi il a « décliné la proposition » de Wade d’entrer au gouvernement avec le PIT (qui, lui aussi, a refusé) et l’URD (qui, lui, a accepté).

Premier point : il contestait « le mode de gouvernement qui a conduit le Sénégal à cette situation que nous déplorons tous aujourd’hui [caractérisée] par des dysfonctionnements graves des institutions de la République, du fait d’une concentration excessive des pouvoirs d’Etat entre les mains d’un seul homme ». Deuxième point : il préconisait le dialogue pouvoir-opposition. « Si toute l’opposition entre au gouvernement, le processus démocratique au Sénégal ne risque-t-il pas de régresser, voire de s’arrêter définitivement ? ». Il ajoutait : en tant « qu’opposition républicaine, nous constituons en face de lui un contre-pouvoir légal, avec la capacité de le critiquer objectivement, de le conduire à changer de trajectoire dans l’intérêt du peuple ». Troisième point, fondamental, il doute que « Maître Abdoulaye Wade [soit] capable de comprendre et d’adopter une telle approche républicaine de gestion de la démocratie sénégalaise et du développement de notre pays […] L’homme ne changera pas le mode de gouvernement qu’il utilise et qui porte tant de préjudices au Sénégal depuis quatre années qu’il est à la tête de notre pays ».

Le 11 janvier 2007, Niasse annoncera sa candidature à la présidentielle. Alternative 2007, regroupe une dizaine de formations politiques dont son parti, l’AFP (et le PIT d’Amath Dansokho). « Aujourd’hui, dira-t-il, la prédation financière, les marchés de gré à gré, les arrestations arbitraires, les procès à contenu politique se sont multipliés justement parce que les libertés publiques ont été méprisées. Le Sénégal n’est plus une vitrine de démocratie ou de bonne gouvernance » (entretien avec Michel Mutumbo-Cartier – Afrique Asie de février 2007). Il reprendra, en fait, l’appel qu’il avait déjà lancé le 16 juin 1999, à la veille de la défaite de Diouf et de la victoire de Wade : « Trop c’est trop ». Mais Wade va l’emporter dès le premier tour, le dimanche 25 février 2007, avec 55,90 % des voix. Niasse terminera quatrième, avec seulement 5,93 % des voix, derrière Idrissa Seck et Ousmane Tanor Dieng. Un classement qui va jouer sur la préparation de la présidentielle 2012. Dans cette perspective, l’opposition a choisi de se rassembler au sein de Benno Siggil Sénégal (BSS). Une coalition bicéphate : Tanor et Niasse.

La victoire de BBS aux élections locales de mars 2009 va accentuer les clivages entre les deux hommes soumis aux pressions de leur entourage politique. L’enjeu sera de choisir le candidat unique de 2012 capable de battre Wade si jamais celui-ci se représentait (la question de la constitutionnalité de son troisième mandat étant sujet de débat au sein de l’opposition – et plus encore d’une partie de la population –, même après que la Cour constitutionnelle ait tranché). Niasse deviendra le candidat unique de BSS rappelant que le PS est sa « famille politique » : « Je suis resté quarante-cinq ans avec les socialistes » (entretien avec Anne Kappès-Grangé – Jeune Afrique du 22 janvier 2012). Mais Tanor Dieng, finalement, se présentera à la présidentielle sous les couleurs d’une autre coalition qui lui était totalement dédiée : Benno ak Tanor.

Niasse et Tanor Dieng ont joué l’un contre l’autre. C’est finalement Macky Sall qui ramassera la mise. Qualifié pour le deuxième tour avec 26,58 % des voix, il a devancé Niasse (13,20 %) et Tanor Dieng (11,30%). Retour à la case départ : celle de la présidentielle 2000 où l’opposition n’avait fait alliance que pour « sortir le sortant ». Cette fois, le sortant c’est Wade !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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