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Suspension des activités juridictionnelles : Le calvaire des justiciables

Publié le mercredi 6 avril 2011 à 02h39min

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- « La réintégration immédiate et sans condition de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou par les militaires condamnés le 22 mars 2011 sur décision de justice et libérés en violation de la loi ;
- la prise de mesures sécuritaires pour les acteurs de la justice ;
- la convocation urgente d’un Conseil supérieur de la Magistrature extraordinaire élargi pour se pencher sur la situation et le renforcement de l’indépendance de la justice ». Ce sont là les trois revendications fondamentales sans la satisfaction desquelles « toute reprise du travail est suicidaire », à en croire le secrétaire général (SG) du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM), René Bagoro (cf. L’Observateur Paalga n°7856 du lundi 4 avril 2011). Depuis le 24 mars dernier, en effet, les magistrats, le personnel judiciaire et les avocats regroupés au sein du Syndicat des avocats du Burkina Faso ont décidé de la « cessation de toutes les activités juridictionnelles dans toutes les juridictions et ce, sur toute l’étendue du territoire national jusqu’à nouvel ordre ».

Dans la pratique, les conséquences de cet arrêt de travail se multiplient pour les justiciables de Ouagadougou, bien qu’un service minimum soit assuré comme nous en avons fait le constat hier mardi 05 avril.

Un communiqué émanant du ministre de la Défense et des Anciens combattants stipule que « suite aux évènements survenus dans notre pays au cours du mois de mars 2011 », la date limite de dépôts des dossiers du concours d’entrée en classe de 6e au Prytanée militaire de Kadiogo, session 2011, prévue pour le jeudi 31 mars 2011 à 17h 30 mn, est repoussée au vendredi 08 avril 2011 à 17h 30 mn. Il précise également que « les dossiers sont exceptionnellement recevables sans le Certificat de nationalité burkinabè dans les centres de dépôt habituels.

Pour les candidats qui seront déclarés définitivement admis audit concours, le Certificat de nationalité et la copie légalisée du CEP ou l’attestation de réussite seront complétés au plus tard le 1er septembre 2011. » Cette mesure « exceptionnelle » est sans doute la conséquence de la « cessation de toutes les activités juridictionnelles dans toutes les juridictions et ce, sur toute l’étendue du territoire national jusqu’à nouvel ordre », observée par les magistrats, le personnel judiciaire et les avocats depuis le 24 mars dernier par suite des manifestations de la soldatesque qui a pris pour cible entre autres les palais de justice de Ouagadougou et de Fada N’Gourma.
« Tout le monde en souffre ! »

Affluence moindre, salles d’audience closes, parking clairsemé, tout portait à croire que le « mot d’ordre » était respecté au palais de justice de Ouagadougou, sis sur l’avenue Kwame-N’Krumah, hier mardi 05 avril 2011 aux environs de 08h ; au grand désarroi de Yakaria Sawadogo, qui fulminait dans les couloirs : « Chaque jour que Dieu fait, je fais un tour ici pour compléter mon dossier d’immatriculation de véhicule, mais on me dit de revenir le lendemain parce que la personne qui doit signer le document observe l’arrêt de travail. Cette situation me gêne beaucoup parce que ça m’empêche de vaquer librement à mes occupations ». Bon nombre de justiciables ressentent la même exaspération en ressortant, explique Justin Ouédraogo, l’un des parkeurs installés le long du mur.

Ce qui leur vaut même des prises de bec quotidiennes : « Tous les jours, c’est la bagarre ici ! Les clients arrivent et, comme nous, on n’a pas d’information sur la situation, on les laisse entrer, mais quand ils ressortent, ils se fâchent contre nous en nous reprochant de les avoir laissé garer leurs engins et entrer pour rien pour juste avoir notre argent. » Tout en les plaignant, Justin, qui jure la main sur le cœur que les intentions qu’on leur prête sont fausses, affirme qu’ils payent également les pots cassés dans cette situation : « Les gens souffrent.

Il y en a qui veulent aller rendre visite à leurs parents à la MACO, déposer leurs dossiers pour des concours ou établir leur certificat de nationalité. Nous les comprenons parce que, nous aussi, on en souffre. Tout le monde souffre. Nous sommes 7 personnes à travailler dans ce parking pour nourrir nos familles et c’est de leur affluence que dépend notre pain quotidien. Depuis le début de l’arrêt de travail, nos affaires tournent au ralenti. » Ainsi, ils ne recevraient plus qu’une vingtaine de personnes par jour alors que 4 souches entières de 100 tickets à 50 F CFA l’unité étaient utilisées quotidiennement auparavant, soit une recette journalière de 20 000 F CFA.

Les parkeurs ne sont pas les seuls à pâtir du manque d’affluence des justiciables : vendeur de cartes de recharge téléphonique devant le palais de justice, Assouako Koyiré a vu également son chiffre d’affaires baisser : de 25 000 à 30 000 F CFA de cartes vendus par jour, soit 1500 F CFA de commissions, il atteindrait difficilement 5000 F CFA de vente quotidienne à présent, soit 250 F de ristourne. « Quand les gens venaient nombreux, nous aussi on gagnait notre pain, mais maintenant, je ne sais plus quoi laisser à ma femme et à mon enfant en sortant de chez moi !

On a entendu que le Président et eux se sont concertés, alors on prie Dieu que leur rencontre se traduise concrètement sur le terrain et que les activités reprennent. » Si le parking du TGI est clairsemé, celui de la Cour d’appel à Ouaga 2000 est totalement désert : point de parkeurs. Alors qu’il est 10h ce mardi, les justiciables ne cessent de défiler à la guérite pour s’informer. « Ils n’ont pas encore repris ? » est la question qui est posée à chaque fois aux agents de sécurité qui se contentent de secouer la tête. « Aaah ! », s’écria un homme à qui on venait de signifier que l’arrêt de travail était encore en vigueur. « C’est pas possible ! » lâcha Bernard Kafando, puisque c’est son nom, avant de remonter sur sa moto.

Entrepreneur en bâtiment, il nous explique l’urgence de son cas : « J’étais venu établir un certificat de non-faillite et une attestation d’inscription au Registre du commerce parce que j’ai soumissionné à un appel d’offres et qu’il me faut ces documents. Au dépouillement, ils y ont fait d’ailleurs allusion, et j’ai demandé leur indulgence compte tenu de la situation. Selon les textes, je dispose de 72 h pour compléter les pièce manquantes, ce qui me donne le jeudi prochain comme dernier délai (demain). Mais voilà que la justice n’a pas encore repris alors qu’il me faut urgemment ces pièces, indispensables pour mon dossier de soumission et je ne sais pas comment je vais faire. »

De quoi « décevoir » Bernard de l’évolution de la situation nationale. A cet effet, il ne manque d’appeler au dialogue : « Il faut que nos dirigeants voient dans quelle mesure ils vont asseoir toutes les parties prenantes de cette crise pour y trouver une issue afin que tout le monde y gagne et que, dans le futur, nous n’ayons plus affaire à ce genre de problème. »
Vivement la fin !

L’un des rares bureaux du bâtiment de la Cour d’appel à compter ses occupants est celui du Procureur général de Ouagadougou, Honorine Méda. « Il y a des principes qui gouvernent les services publics, notamment la permanence, la continuité, la gratuité et j’entends les respecter. C’est pour cela que je suis là avec mon personnel », nous explique-t-elle entre deux dossiers. Fournir des informations aux justiciables et établir certains documents administratifs tels que le casier judiciaire seraient leurs principales activités, lesquelles visent à assurer un « service minimum ». Les audiences, elles, n’ont pas lieu.

« Je suis franchement navrée pour les justiciables, puisque si je suis magistrat, si je suis fonctionnaire, c’est parce qu’il y a des justiciables. C’est l’usager des services publics qui fait le fonctionnaire. C’est le justiciable qui fait le magistrat », affirme Honorine Méda, qui espère que cette situation va connaître un dénouement très prochain afin que tout le monde puisse bénéficier des services de la justice. Un espoir que nul ne peut s’empêcher de partager.

Hyacinthe Sanou

L’Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 6 avril 2011 à 11:44, par Verita En réponse à : Suspension des activités juridictionnelles : Le calvaire des justiciables

    Oui, c’est ça le Ministère Public. Vraiment madame le Procureur Général, vous faites honneur à tous les magistrats du Parquet. Responsables, vos sorties médiatiques le sont toujours. C’est tout comme votre collègue du parquet général de Bobo-Dioulasso au temps des échauffourés de Gaoua. Vous êtes de valeurex magistrats. Le service minimum doit être assuré, car si les magistrats suspendent toutes activités, les délinquants eux, ne suspendent pas les leurs. Le service minimum devrait être assuré dans toutes les juridictions si le personnel n’encourt aucun danger. Ce n’est pas se desolidariser de la lutte. Mes respects à vous deux. Que Dieu vous protège.

  • Le 6 avril 2011 à 17:33, par citoyen En réponse à : Suspension des activités juridictionnelles : Le calvaire des justiciables

    je pense qu’il est indispensable d’assurer un service minimum dans les tribunaux car nous sommes dans une république où il y a des justiciables.
    Nul n’est au dessus de la loi ! donc si les gens ne sont pas en grève ils doivent travailler et s’il y a des problèmes de sécurité le gvt pourrait prendre des mesures pour assurer la sécurité des infrastructures et personnels judiciaires.
    surtout n’oublier pas que tout est lié c’est par ce que les commerçants paient l’impôt que les salaires tombent et que les armes sont payés, etc. donc le blocage n’est pas la solution pour des gens qui sont sensé lire le droit et éclairer le peuple.
    Si vous retardez à ouvrir les tribunaux alors ne soyez surpris des conséquences perverses à court moyen et long terme sur la justice

  • Le 6 avril 2011 à 20:45, par thetruth En réponse à : Suspension des activités juridictionnelles : Le calvaire des justiciables

    Chers compatriotes c’est bien de revendiquer vos droits. Mais en ce qui me concerne je pense que chacun de nous se doit de mettre un peu d’eau dans son vin.
    Nous sommes dans une phase tampon où à tout moment nous pouvons basculer d’un côté à l’autre. Nous sommes tous témoin des évènements que vit l’humanité. Je crois que personne ne voudrais vivre cette peur quotidienne que vit nos voisin ivoirien.
    Je n’ignore pas que nul n’est au dessus de la loi. Mais aux vues de certaines tournures des évènements je pense qu’il est plus préférable de recourir à des pourparlers.Je pense que le langage nous a été donné pour résoudre des situations comme celle-ci.
    Chers magistrats je pense que pour des hommes de lettre vous êtes les mieux placés pour convaincre votre interlocutoire. Votre antagoniste connait le sens de la discipline. Je pense qu’il doit occuper le premier rang dans ce sens.
    « SVP pour le bien de la nation mettez un peu d’eau dans votre vin. »

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