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Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

Publié le mercredi 25 août 2010 à 02h22min

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C’est une nécropole au patrimoine remarquable, et il se trouve à Paris, dans le 18e arrondissement. Le visiteur qui y arrive pour la première fois est frappé par ce qui s’offre à ses yeux : chapelles de tous les styles et de toutes les dimensions, profusion de sculptures, en majeure partie de la deuxième moitié du 19e siècle et du tout début du 20e siècle. Un lieu particulier, de repos et de recueillement pour les uns, de promenade et de découverte pour les autres. Parmi les personnes enterrées au cimetière Montmartre, Alfred de Vigny, Alexandre Dumas fils, les frères Goncourt, Hector Berlioz, Théophile Gautier, Emile Zola, Alphonsine Duplessis dite la Dame aux camélias, Dalida et de nombreux autres défunts célèbres. Trois heures de promenade m’ont suffi pour pénétrer l’univers de ces célébrités d’outre-tombe. Dans ce monde du silence, j’ai pu réaliser un vœu qui me tenait à cœur depuis longtemps : voir la sépulture de Vigny, mon auteur préféré du XIXe siècle.

Cela faisait six ans que j’étais allé à Paris, en France. Depuis lors, je me demandais si je reverrai un jour cette ville que beaucoup de gens rêvent de visiter ne serait-ce qu’une seule fois dans leur vie. Mon dernier séjour dans l’Hexagone, c’était alors en 2004, à la faveur d’un stage de préparation de la sélection nationale de football, les Etalons du Burkina, à Lens. J’avais passé une semaine dans cette ville charmante qui a un grand club : le Racing club de Lens. Lors de mon séjour là-bas, je projetais de faire une excursion au cimetière Montmartre pour me recueillir devant la tombe d’un poète qui est mort depuis longtemps. Mais j’étais occupé toute la semaine et, pratiquement, je ne m’appartenais plus. Savez-vous à quel poète je fais allusion ? Eh bien, c’est Alfred de Vigny, celui-là que j’ai toujours admiré parce qu’il a laissé des œuvres monumentales qui font autorité.

Je l’ai lu et relu plusieurs fois, et je connais parfaitement ses poèmes, son roman historique, Cinq-Mars, ou Une conjuration sous Louis III et bien d’autres titres tels que Stello, Chatterton et Servitude et grandeur militaires. L’auteur de l’Esprit pur, je le considère comme le chef de file du romantisme au XIXe siècle après Lamartine, Hugo, Musset, Gautier et autres. Le poète-officier qu’il était savait, dans ses vers bien frappés, donner vie aux idées par le symbole ; et il faut lire La Colère de Samson, une œuvre posthume, pour mieux apprécier son talent poétique. Et voilà ! En ce mois d’août, le sort a voulu que mon premier voyage de l’année 2010 soit en France. Une mission de 5 jours à Enghien-les-Bains, une commune du département du Val-d’Oise, dans la région Ile-de-France. Elle est à 11 kilomètres au nord de Paris.

Comme d’habitude, c’était dans un cadre sportif, et j’avais été invité par le ministère des Sports et des Loisirs à couvrir le match amical des Etalons du Burkina contre les Diables Rouges du Congo au stade municipal de Senlis. Une ville distante de 50 km d’Enghien-les-Bains. Nos lecteurs ont pu lire le compte-rendu de cette rencontre, qui a eu lieu le 11 août, dans notre édition du vendredi 13 août 2010. Avant ce match, j’étais descendu à l’hôtel Marie-Louise avec deux autres confrères, Victorien Marie Hien et Roger Kam, tous deux de la RTB. Je suis arrivé à Enghien-les-Bains le 8 août, le voyage s’étant effectué la veille avec un appareil de la compagnie d’Air France.

Le retour étant prévu pour le 12 août, et sachant que j’avais deux jours de repos avant de me rendre à Senlis, je me suis dit pourquoi ne pas en profiter pour réaliser mon rêve ? C’est-à-dire aller au cimetière Montmartre. J’imagine que des gens vont se gausser de moi, et certains diront peut-être que ce Justin Daboné-là n’a vraiment pas de goût. Au lieu d’aller voir la Tour Eiffel ou se promener du côté des Champs-Elysées, il n’a pas trouvé mieux que de se rendre dans un cimetière. Peu m’en chaut de ce que penseront les uns et les autres. Voyez-vous, chacun suit ce que la destinée lui a tracé, et rien ne peut empêcher le désir de l’âme. Ce désir, c’était la cristallisation d’un de mes rêves.

Je suis dérouté par un appareil

Lundi 9 août. Je suis debout de bonne heure. Il doit être sept heures. Avec le décalage horaire (2 heures), ils ne sont pas nombreux à Ouagadougou ceux qui sont sur pied. Je déjeune d’un bol de café au lait et de deux croissants. A Marie-Louise, j’ai pris le soin, la veille, de m’informer d’où se trouve la gare de départ pour Paris. Une charmante dame, que Victorien appelle « Maman », m’a donné toutes les informations, me conseillant de faire attention aux pickpockets. Comme pour se montrer disponible, elle m’a même remis un petit dépliant sur la ville de Paris pour me permettre de m’orienter, car sait-on jamais.

Je sors de l’hôtel et je regarde le ciel. Le temps est superbe et invite à la ballade. De toutes les façons, mon petit manteau est dans la chambre et je n’ai rien à craindre. Les rues sont calmes et seules quelques voitures circulent. De Marie-Louise à la gare de train située à proximité du centre-ville, une dizaine de minutes. Je n’ai plus les jambes d’il y a vingt ans, et c’est avec nostalgie que je me rends compte que la jeunesse passe vite. J’achète mon ticket à 3 euros et quelques centimes. Mais pour être sur le quai, il faut le faire valider par un appareil, que je n’ai jamais vu depuis le temps que je voyage.

A Ouaga, il n’en existe pas, et je suis dérouté. Pour ne pas donner l’impression d’être un « gaou », je m’arrête un instant et regarde comment les autres voyageurs en partance pour Paris procèdent pour passer. Ayant compris le système, je les imite et ça marche comme sur des roulettes. Une fois sur le quai, j’attends tranquillement, comme si je suis un habitué du train omnibus. Peu de temps après, le train de voyageurs siffle pour annoncer son entrée en gare. J’y monte et prends place. Je suis seul dans mon compartiment. Cela me rassure, puisque la locomotive n’est pas bondée. Mes euros en poche, je me demande comment un pickpocket peut me les soutirer. Je consulte mon calepin pour ne pas oublier ce qu’on m’a dit à Marie-Louise : descente à la gare du Nord. Le train bouge, puis s’éloigne de la gare. Sa vitesse m’effraie.

La jeune fille inconnue

En un laps de temps, il s’immobilise à une station. Sa rapidité m’enchante. Du coup, je me mets à penser aux trains de chez nous, qui vont à l’allure d’un escargot. Les voyageurs qui vont à Abidjan en savent quelque chose ; car, en plus de la lenteur de ces trains, les tracasseries ne manquent pas sur la route. Ici, c’est autre chose, et la différence est nette. En moins de deux minutes, la locomotive se remet en route et, à la deuxième station, une jeune fille monte du côté où je suis et vient s’asseoir en face de moi. Je pense à mes euros. Elle ne me salue même pas. Après tout, elle n’est pas obligée de le faire. Dans mon coin, je n’ose pas non plus ouvrir la bouche. Mais n’ayant pas d’autre voisin que cette inconnue, je me dis quand même qu’elle peut m’être utile dans ma destination. Son silence ne m’a pas pour autant offusqué et ça arrive quand on se lève du pied gauche.

Je me dis intérieurement qu’il y a un moyen de la faire parler, et j’ai déjà ma petite idée dans la tête. Mais ma compagne de voyage va m’humilier par la suite et, soyez patients en continuant la lecture. L’omnibus, à un moment, redouble d’allure. Il s’arrête à une autre station et je jette un coup d’œil dehors. Sur un mur, je vois, écrit en grands caractères, « Saint-Denis ». Je cherche du regard où se trouve le fameux stade de Saint-Denis, où le onze de France accueille ses adversaires dans le cadre d’un match amical ou d’une compétition officielle. Mais je ne l’aperçois pas ; peut-être que ma position y est pour quelque chose. Ma voisine m’épie de temps en temps.

Quand je lui ai demandé enfin si la gare du Nord n’est pas loin, elle n’a même pas daigné répondre. C’est une Africaine. Un silence significatif qui fut, pour moi, le comble de l’humiliation. Je vous le dis, elle a mille raisons de ne pas m’adresser la parole si elle pense que je suis quelqu’un qui fait la manche dans le métro. Même si je n’en avais pas l’allure. Après Château d’Eau et la gare de l’Est, on entre dans celle du Nord. Je descends. Ma voisine de train a disparu. Il y a plusieurs sorties et je suis des gens sans savoir où je vais. Ils prennent des escalators et je m’arrête un moment. J’ai horreur de prendre les escaliers dont les marches sont entraînées mécaniquement. Je vous disais tantôt que cela faisait 6 ans que je n’étais pas allé en France et que je me sentais un peu dépaysé. Vais-je pour autant m’arrêter là ?

Personne ne sait que je suis confronté à un problème ; et m’étant enfin décidé, je pose mon pied sur une des marches tout en évitant de paniquer. En quelques secondes, je me retrouve quelque part là où des gens font des va-et-vient. Je ne suis pas au terme de ma mission puisque, de la gare du Nord, je dois prendre un autre train pour me rendre à Blanche. C’est ce qu’on m’a dit de faire à Marie-Louise. Mais où se trouve la ligne de métro ? J’accoste des voyageurs pour m’informer.

On m’indique le lieu mais, une fois là-bas, on me dit de redescendre et de continuer à ma droite. Ce que je fais ; mais je ne me retrouve toujours pas. Et quand mon calvaire est sur le point de prendre fin, le fameux appareil refuse de me laisser passer. J’explique ma situation à quelqu’un qui demande à voir mon ticket. Il ébauche un sourire et m’explique qu’il n’est plus valable après une heure. Je comprends maintenant, puisque j’ai perdu trop de temps à la gare du Nord. Il m’invite à le suivre et je passe sans problème. Je remercie mon bienfaiteur. Je me presse sur le quai de départ et me voilà parti pour Blanche que je joins rapidement. Ce lundi 9 août est assurément un jour de chance pour moi. Si un contrôle avait été effectué, j’aurais eu sûrement des ennuis, mon ticket ayant perdu sa validité.

Une nécropole fascinante

Sorti de la station, je suis dans le 18e arrondissement. Je consulte mon dépliant. Je ne suis plus loin du cimetière Montmartre. Il se trouve au 20, avenue Rachel. Les rues sont nombreuses ; et c’est à moi de savoir prendre la bonne direction si je ne veux pas me retrouver ailleurs. J’en emprunte une par hasard, et je croise des couples arrêtés près d’un café. Je leur demande ce que vous savez. Ils me répondent qu’ils sont des touristes étrangers et qu’ils ont dû apercevoir un cimetière dans les parages. Je poursuis mon chemin.

A l’angle d’une rue, je vois une voie qui conduit vers un lieu souterrain. Au fur et à mesure que je presse le pas, je n’ai plus de doute que je suis dans la bonne direction. A l’entrée de la porte principale du cimetière Montmartre, des visiteurs prennent des renseignements. Je m’approche pour écouter ; peut-être que ça peut aussi me servir. On leur indique un panneau qui donne toutes les informations. C’est un plan détaillé qui vous permet de localiser les tombes. Je note ce qui me paraît important, et ma visite peut maintenant commencer. Ce monde du silence est un lieu pittoresque.

Il se trouve en dessous d’un autopont et, à première vue, on pourrait penser que les morts n’ont plus de repos. Mais détrompez-vous ! C’est une nécropole bien tranquille et fascinante. Le cimetière Montmartre, appelé également cimetière du Nord, s’étend sur 11 hectares, et compte 750 arbres de toute espèce. Il a une histoire qui remonte dans le passé. Au XVIIIe siècle, c’était un terrain qui servait d’accès aux nombreuses carrières de plâtre de la colline. Transformé en fosse commune pour les victimes des émeutes sous la Révolution, il a gardé cette vocation de nécropole d’assez sinistre mémoire, sous le nom de « cimetière de la Barrière Blanche ».

Les Parisiens exilés de la capitale après la fermeture de tous les cimetières intra-muros pour raison d’hygiène y sont inhumés dans des conditions déplorables. Officiellement ouvert le 1er janvier 1825, le cimetière du Nord est désormais protégé contre les pilleurs de sépultures. On dit que, le 15 janvier 1856, il avait perdu l’un de ses conservateurs, Vaulabelle, inventeur d’un système de pièges avec mise à feu, victime de son devoir de protecteur du lieu pour s’être envoyé une décharge mortelle en pleine poitrine. Quel triste sort ! Une affiche m’informe que 47 agents travaillent dans le cimetière et que les concessions sont plus de 22 000.

C’est à midi (10 h TU) que je suis arrivé dans cette ville des morts. Vu le nombre de concessions, je présume que les choses ne seront pas aisées. Le plan indique l’avenue Saint-Charles, 13e division, où est enterré Vigny. Je prends la direction de l’avenue à gauche, un chemin grimpant qui me fait transpirer un peu. Pendant le trajet, je me crois dans une petite agglomération. Le tracé est impeccable et les tombes bien disposées, avec des espaces où l’on peut passer tranquillement.

Ce qui m’impressionne davantage, c’est que ce cimetière a des rues comme la ville des vivants. Tout est bien aménagé et l’ombre des arbres doit certainement faire du bien aux tombes. Des oiseaux gazouillent dans les feuilles des arbres. De loin, les agents d’entretien s’emploient à nettoyer les voiries, les allées et les divisions funéraires. Ils portent des gilets verts et ramassent des feuilles, évacuent et renouvellent les sacs-poubelles. Tout à coup, j’aperçois un chat près d’une tombe. Il me regarde avec des yeux noirs. Que fait-il là ? S’est-il égaré ou bien est-il venu voir son maître ou sa maîtresse dont il ne peut se séparer ? Au moment où je me pose ces questions, à quelques mètres de lui, d’autres chats passent. Le temps de sortir mon appareil, les félins ont disparu.

On les rencontre un peu partout ; et il semble (c’est l’explication qu’on m’a donnée plus tard à Marie-Louise) que des Parisiens viennent nuitamment les jeter en ces lieux. Il y a quelques années, les chats du cimetière Montmartre, comme on les appelle, étaient capturés à la demande de la ville de Paris, mis en fourrière et euthanasiés après le délai de garde réglementaire. Mais ces animaux prolifèrent du fait que les chattes mettent bas. Voilà une bonne nouvelle à Ouaga pour les mangeurs de chats qui aimeraient sans doute être à Paris.

En chemin, j’ai l’impression d’être entré dans un univers poétique. Des chefs-d’œuvre de la sculpture ne passent pas inaperçus. En divers endroits, chapelles de tous styles et de toutes dimensions, profusion de sculptures, en majeure partie de la deuxième moitié du 19e siècle et du tout début du 20e siècle. Somme toute, des statues de marbre qui honorent la mémoire de personnages célèbres.

Le recueillement

Après des tours et des détours, je ne parviens pas à localiser la sépulture de Vigny. Le temps passe et je suis inquiet à l’idée qu’on vienne m’annoncer qu’il est l’heure de la fermeture. Je n’ai pas demandé les horaires, ce qui me tracasse un peu. Au détour d’un chemin, je croise un employé sur une machine. Je lui fais signe de la main et il s’arrête.
- Bonjour, monsieur !, lui dis-je. Je suis là depuis une bonne heure et c’est la tombe de Vigny que je cherche.
- Vous êtes à 500 mètres de la tombe. Prenez votre droite et n’allez pas plus loin, me dit-il.

A peine s’est-il éloigné que je suis sur le lieu. Le tombeau de Vigny est bien là, devant moi. Je suis ému jusqu’au tréfonds de l’âme. Un caveau de famille où il fit préparer sa propre tombe quand il sentit qu’il souffrait comme les naufragés de la Méduse. La mère du poète et son épouse, Lydia Bunbury (c’était une Anglaise) reposent là respectivement depuis 1837 et 1862. Vigny les a rejointes le 17 septembre 1863. Il était miné par une maladie cruelle (cancer de l’estomac), qui le rongeait depuis deux ans alors qu’il était le garde-malade de sa femme.

Quand il avait senti les premières attaques, il ne quittait plus le lit, et dans une correspondance à Louise Lachaud, il avait confié à celle-ci que ses souffrances étaient bien vives. L’auteur de La Maison du Berger, dans un des codicilles de son testament relatifs à la cérémonie funèbre en cas de décès à Paris, avait ajouté ceci : « Je désire et j’exige même que, sur ma tombe, aucun discours ne soit prononcé, et que l’église seule accompagne de ses paroles, de ses prières et de ses cantiques mes restes mortels. Devant la douleur, les larmes sincères, les regrets profonds, tout éloge est froid et insuffisant ».

Laissez à l’église le choix de ses paroles et de ses chants sacrés. L’ignorance universelle des hommes n’a le droit de parler que de ses doutes et de ses sciences complètes ». Pour Vigny, la tombe ne veut entendre que la prière.

Pour ne pas offenser sa mémoire, je me mets dans un profond recueillement. Après quelques patenôtres, je reste là pendant un bon moment à jeter un regard morne sur cette tombe avec le petit enclos qui l’entoure. Tout est resté intact, et il y a un pot de fleurs à l’intérieur. A un moment, je m’en veux de n’être pas venu avec un bouquet de chrysanthèmes pour fleurir sa dernière demeure. Mais, après tout, je me dis que ma visite est significative et que, dans son éternité, le poète sait qu’il n’a pas écrit l’Esprit pur pour rien. Un poème composé dans les derniers mois de sa vie et daté de mars 1863. La dernière strophe en dit long :

« Jeune postérité d’un vivant qui vous aime ! Mes traits dans vos regards ne sont pas effacés ; Je peux en ce miroir me connaître moi-même, Juge toujours nouveau de nos travaux passés ! Flots d’amis renaissants ! Puissent mes Destinées Vous amenez à moi, de dix en dix années, Attentifs à mon œuvre, et pour moi c’est assez ! »

Le goût de la poésie

Je l’ai admiré à 24 ans, quand j’ai commencé à lire ses œuvres. L’homme auquel je suis venu rendre hommage m’a donné le goût de la poésie. Le recueil des Destinées, qui a été publié après sa mort, est un livre d’une belle élégance de pensée. Vigny est un poète philosophe qu’on ne peut se lasser de lire quand on a une âme poétique. Homme d’ordre, il avait rangé ses poèmes en trois livres : le livre mystique, le livre antique (qui comprend à la fois des poèmes inspirés de l’antiquité classique et des poèmes bibliques) et le livre moderne. Dans le premier, les poèmes les plus célèbres sont Moïse, Eloa et le Déluge. Moïse est déjà l’expression éloquente d’une des idées maîtresses du pessimisme de Vigny. Eloa ou la Sœur des Anges est une épopée mystique ; une créature angélique née d’une larme du Christ ; elle est toute innocente et heureuse parmi les anges, elle ne peut goûter au bonheur parce qu’elle a entendu raconter l’histoire de l’ange maudit, Lucifer. La suite de l’histoire est très émouvante…

Le livre antique, La Fille de Jephté, poème plus court et plus décanté, reproduit le mouvement et la couleur biblique : Vigny ajoute à son modèle une idée qui se retrouve dans son Déluge et qu’il exploitera plus tard dans les Destinées, le malheur de l’innocent qui est pour lui un mystère douloureux.

La Dame aux camélias

Le poème que je ne cesse de lire à mes heures perdues, c’est La colère de Samson. Le poète a été trahi par une femme et il s’est inspiré de l’histoire du Nazaréen, qui a confié son secret à Dalila qui l’a livré aux Philistins. Ceux-ci lui crèvent les yeux, mais Samson, dont les cheveux ont repoussé, renverse les colonnes du temple où il s’ensevelit en même temps que ses trois mille ennemis. Ce poème est un chef-d’œuvre et, pour le symbole, la source principale est dans la Bible : (Juges XVI).

Avant de jeter un denier regard sur la tombe du gentilhomme, je me suis rappelé qu’il fut grand de cœur et bon ! Trois mois avant sa mort, il avait fait de Louise Lachaud la légataire universelle de tout ce qu’il possède : immeubles et meubles, terres, capitaux mobiliers, etc. La propriété littéraire de ses œuvres a été léguée de père en fils à Louis Ratisbonne, un homme de lettres dont il avait étudié l’excellence d’esprit et de cœur. Georges Lachaud, son filleul, disait dans son Histoire d’une âme que : « Sa renommée grandit devant la postérité à mesure que celle de ses rivaux diminue ».

Au cimetière Montmartre, il n’y a pas que les écrivains, artistes et hommes politiques. La deuxième tombe que je vais visiter n’est pas loin de celle de Vigny. C’est à la 15e division, et je n’ai eu aucune difficulté à la découvrir. Le tombeau devant lequel je suis en face est celui d’une célèbre courtisane morte à 23 ans. Trois pots dans lesquels se trouvent des camélias ornent sa sépulture. Je me penche pour les toucher, et je vois des mots sous forme d’épitaphe : « A Marie Duplessis dite la Traviata. Nous t’aimons, Alphonsine ». A ce que je vois, elle n’est pas tombée dans l’oubli. Marguerite Gautier, de son vrai nom Alphonsine Plessis, dite Marie Duplessis (1824-1847), est l’héroïne de La Dame aux camélias. Un roman écrit par Alexandre Dumas fils, qui raconte la liaison amoureuse de cette femme avec Armand Duval, son jeune amant. Mais le père de celui-ci s’oppose à cette relation, surtout que Marguerite mène une vie de courtisane.

Elle appartient successivement à plusieurs amants. Armand va l’abandonner sous la pression parentale, malgré lui, et la jeune fille continue de vendre ses charmes. Atteinte d’une maladie de la poitrine et après un mariage raté à Londres, elle meurt dans la pauvreté, complètement ruinée. Enterrée dans un premier temps dans un endroit de ce cimetière, Marguerite sera exhumée pour le lieu où je me trouve. Une concession achetée à perpétuité par Armand. J’ai encore en mémoire le récit des passages de cette translation. C’est terrible, la scène que relate Dumas fils. La vie de Marguerite est une histoire touchante et, en fait, c’est sa propre aventure qu’il retrace dans son roman. Il lui a même dédié cette strophe pathétique :

« Pauvre fille ! On m’a dit qu’à votre heure dernière, Un seul homme était là pour vous fermer les yeux, Et que, sur le chemin qui mène au cimetière, Vos amis d’autrefois étaient réduits à deux ! » Je n’ai pas connu Alphonsine, mais sa destinée me touche. Son histoire est semblable à celle de Manon Lescaut, et elle a certainement lu le volume de l’Abbé Prévost. Un destin commun sauf qu’à la différence, Manon était morte dans un désert, dans les bras de l’homme qui l’aimait avec toutes les énergies de l’âme. Son amant lui avait creusé une fosse et l’arrosait de ses larmes. Marguerite, elle, avait mené un train de vie luxueux avant de mourir dans une extrême pauvreté.

J’ai lu quelque part que Dumas fils avait été enterré à quelques mètres d’Alphonsine. Mais tout autour de moi, je ne vois rien. C’est à la division 21 que se trouve sa sépulture. Il est représenté en marbre, couché sur sa propre tombe. C’est fabuleux, ce que l’artiste a réalisé ! Dans cette nécropole, j’ai aussi vu les tombes des frères Goncourt (tous deux romanciers), de Théophile Gautier (l’auteur du capitaine Fracasse), d’Emile Zola (l’auteur de Germinal) dont les cendres ont été transportées au Panthéon, d’Hector Berlioz (compositeur et écrivain).

Dans ma promenade, je suis tombé sur la tombe de la chanteuse Dalida, de son vrai nom Yolanda Gigliotti, née en Egypte et d’origine italienne. Coïncidence, il y a un groupe d’hommes et de femmes qui sont venus voir où elle repose (division 18). A côté d’eux, un interprète explique aux visiteurs la vie de cette chanteuse qui s’est suicidée le 3 mai 1987. Un peu à l’écart, je dresse l’oreille. L’interprète parle en bien de Dalida, qui avait obtenu, de son vivant, 55 disques d’or. Selon lui, l’actrice avait déclaré un jour « qu’elle porte malheur aux hommes ». Les visiteurs, par moments, prennent des notes et secouent la tête. Pendant ce temps, j’observe la tombe de Dalida avec sa sculpture taille réelle et ses rayons dorés. Il semble que cet endroit est le plus visité et le plus fleuri.

Je quitte ce monde du silence vers 15 heures (13 h TU). En m’éloignant, un sentiment m’oppresse : quand je mourrai, dans quel cimetière vais-je reposer au Burkina ? Un cimetière du même style que celui de Montmartre, ce n’est pas du tout évident. Pour le moment, je suis en vie ; et un caveau, c’est possible dans mon petit village à Sassema. Mais après tout, l’homme n’est qu’un voyageur sur terre, et on n’accède que par son œuvre à l’immortalité.

Justin Daboné

L’Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 25 août 2010 à 07:04, par maurice melliet En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    c’est merveilleux de remettre toutes ces célébrités à jour. Bravo pour votre admiration pour Alfred de Vigny. Il est vrai que ce cimetière parisien est un lieu enchanteur où l’on peut rêver de voir autant de célébrités en un seul lieu.
    les souvenirs et leurs œuvres reviennent au fil d’un parcours comme vous le dites si bien en citant certains auteurs et artistes.
    Très bel hommage à la culture française qui doit rester "universelle" pour le bien et l’élévation intellectuelle des humains.
    Sans oublier votre propre culture car c’est en allant "picorer" dans toute les cultures du monde que l’on s’enrichit l’esprit et que l’on comprend mieux "l’autre"....
    encore merci pour ce beau témoignage
    Maurice Melliet

  • Le 25 août 2010 à 08:21, par Magnan En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    Bravo, c’est simplement bien narré et très intéressant.

  • Le 25 août 2010 à 08:55, par caurie En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    Quel plaisir de lire votre article, je suis une Burkinabe qui habite Paris depuis plusieurs années, tout est bien exprimé, j’ai aussi visité le cimetiere de montmartre, je vous félicite tout simplement

  • Le 25 août 2010 à 09:06, par Un africain décomplexé En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    Mon cher Justin, je me demande franchement ce que votre article apporte aux lecteurs. Quelle utilité ? Quelle valeur ajoutée ? Je comprends bien que c’est les vacances et qu’il n’y pas suffisamment d’info à mettre sous les dents pour des quotidiens comme vous, au détail près, votre visite sur la tombe d’un poète, de surcroît, les contemporain de ceux-là qui nous ont colonisés, cela parait frustrant pour un lecteur comme moi. A la réalité, on n’apprend rien à la lecture de votre article. A la limite, vous étalez, sans peut être le savoir, votre complexe vis-à-vis de l’oeuvre du blanc. J’aurais mille fois préféré que vous me relater le quotidien d’un paysan de Falagountou, du Nayala ou encore du Plateau Central en cette période hivernale, que de rapporter intégralement, comme vous l’avez fait, votre visite à Paris.
    Travaillez à rendre plus crédible votre journal.
    Vive mon Faso natal.
    "Si Dieu juge les nations, qu’Il le mette à sa droite."

  • Le 25 août 2010 à 09:43, par Donmozoun En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    Quel intérêt pour nous ? Je trouve scandaleux qu’un journal sérieux publie ce récit. Combien de fois êtes vous allés vous recueillir sur la tombe de votre ancêtre ou d’illustres personnalités de votre pays ? Si chacun devait faire un récit de ses voyages et de ses aventures, je crois qu’on n’en finirait pas de noircir les colonnes des journaux. Désolé mais à titre personnel je ne trouve aucun intérêt à votre récit.

  • Le 25 août 2010 à 13:01, par Nampoga En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    Il n’a pas changé, Daboné ! S’il pouvait voyager fréquemment pour nous rapporter des carnets de voyage ! C’est toujours les larmes aux yeux (de rire) que je le lis. Mais pourquoi il ne se mettrait pas à l’écriture de romans ? Il en a le don. Mais ce Bissa aux orteils écartés ne le sait peut-être pas.

  • Le 25 août 2010 à 14:28 En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    Tout simplement bravo pour cette belle page pleine de sensibilité et d’érudition. Vous devriez écrire car vous en avez le talent.

  • Le 25 août 2010 à 14:32 En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    J’avoue que j’étais vraiment dégoûté de la première partie du récit que j’estimais très personnel mais j’ai fini par bien me marrer !
    C’est une chance, Monsieur Daboné !

  • Le 25 août 2010 à 16:58, par anta En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    Mr Daboné, vous devriez écrire. Chapeau !

  • Le 25 août 2010 à 18:09, par soré chantal En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    SUPERBE COMMENTAIRE SUR VOTRE VISITE PARISIENNE.

    JAI BIEN APPRECIE.
    IL ME SEMBLE AUSSI QUE JE RISQUE DETRE DECONNECTEE CELA FAIT 10 ANS QUE JE NY SUIS PAS RETOURNEE ET DE LIRE QUE LE SYSTEME DACCES AU METRO/TRAINS A CHANGE DIMINUE MON ENTHOUSIASME A Y ALLER.
    NEANMOINS, QUAND LOCCASION SOFFRIRA C AVEC PLAISIR QUE JIRAI VISITER CE FAMEUX CIMETIERE ET JE ME MUNIRAI DE VOS COMMENTAIRES QUI ME PERMETTRONT SANS DOUTE DE MORIENTER.
    MERCI

  • Le 25 août 2010 à 19:25, par mado06 En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    Il ne faut surtout pas rater le cimetière du Père Lachaise, beaucoup plus grand et plus prestigieux que celui-ci, qui se trouve dans le 20ème arrondissement.Il est classé "monument historique". Y sont inhumés des personnages illustres lointains comme La Fontaine, Molière (côte à côte), Daudet,Appolinaire, Chopin, Delacroix, Gericault et de plus proches comme Edith Piaf, Simone Signoret, Yves Montant, Gilbert Bécaud, Henri Salvador, Freddy Mercury, etc ... etc ...
    C’est le plus grand cimetière de Paris et le plus visité.

  • Le 25 août 2010 à 22:26, par JF En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    Beau voyage - pour le lecteur aussi. Merci

  • Le 27 août 2010 à 10:51, par boudwarba En réponse à : Cimetière Montmartre : Ces célébrités d’outre-tombe

    comme il doit être agréable d’y mourir comme l’a dit haut un ami un jour.
    Mais que de détour pour nous raconter votre avanture, en mettant l’accent sur votre vrai africanité en ne lisant pas mais en passant le temps à demander. civilisation de l’oralité oblige. Mais après un séjour vous devez vous connaitre en civilisation non orale.

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