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Croque-morts, fabricants de cercueils, gestionnaires de morgues... : Leur vie ? La mort !

Publié le lundi 17 mai 2010 à 00h28min

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Ils ont choisi comme métier de s’occuper des morts. Ils sont
croque-morts, fabricants et vendeurs de cercueils, embaumeurs, etc.
Comme les maçons manipulent au quotidien les briques, le ciment ou les
mottes de terre, eux, passent leur quotidien à manipuler les cadavres.
Leur business marche quand il y a mort d’homme. De par la nature de
cette profession, ils essuient le dédain regard de la société. Certains
les voient même comme des extra-terrestres et les craignent. Ils sont
pourtant convaincus du fait qu’ils rendent un service social de grande
importance. Voyage dans l’univers de ces gens qui, d’une façon ou d’une
autre, communiquent avec les cadavres…

A Ouagadougou, quartier Paspanga, la société Burkina sépulture
(BurkiSep) nous a hermétiquement fermé ses portes. Après plusieurs
rendez-vous manqués, le directeur général de cette grande entreprise de
pompes funèbres a fini par lâcher son verdict qui nous a été communiqué
par l’une de ses assistantes : « Le patron dit qu’il est en ce moment
très occupé à boucler ses comptes. Après quoi, il a un rendez-vous
important et ensuite, il ira en voyage ». C’est la façon la plus polie de
décliner la demande d’entretien d’un journaliste qui insiste pour faire
parler d’un sujet que l’on n’aborde que dans des circonstances
particulières : la confection-vente de cercueils. Nous comprenons
parfaitement cette attitude de BurkiSep qui a d’ailleurs fini par nous
convaincre du caractère spécial du sujet. Cela a, de fait, aiguisé notre
désir de percer le mystère du quotidien de ceux qui ont choisi de
s’occuper des morts et de vivre aux dépens d’eux…

En la matière, l’entreprise BurkiSep est une référence au Burkina. Créée
depuis le début des années 90 par feu Antoine Sibiri Tiendrebéogo,
titulaire d’un diplôme de thanatopraxie (science de la manipulation des
cadavres) obtenu en juillet 1999 en France, BurkiSep est, aujourd’hui,
spécialisée dans la confection-vente de cercueils, l’enlèvement des
corps, l’embaumement, l’enterrement, l’exhumation, bref, tous les
services classiques de pompes funèbres. A Ouagadougou, elles ne sont que
deux, les entreprises de pompes funèbres capables de fournir le service
complet. Dans les quartiers, on en trouve d’autres, plus petites, qui
sont soit des menuisiers de cercueils, soit des croque-morts, des
creuseurs de tombes indépendants, etc. Mais aucun cadre associatif ne
réunit ces différents prestataires de services, compte tenu, sans doute,
de leur petit nombre sur le terrain.

Rigobert Ouedraogo

L’autre entreprise fournissant le service complet
de pompes funèbres à Ouagadougou est tout aussi bien organisée que
BurkiSep. Elle siège au quartier Dapoya, sous la dénomination « Cercueil
moderne du Burkina », en abrégé CERMOB. Son promoteur, W. Rigobert
Ouédraogo, lui, est plutôt très ouvert. Mais aussi très occupé. C’est un
homme de terrain qui partage son quotidien entre sa scierie, sa boutique
de cercueils, les volants de ses corbillards, les morgues, les familles
endeuillées, les cimetières, etc. Il est à la fois menuisier, avec une
spécialisation dans la fabrication de cercueils en bois, embaumeur,
conseiller funéraire, conducteur de corbillard, etc. Il a une longue
expérience dans son domaine d’activité : la manipulation de cadavres dont
il dit ne pas avoir peur.

Le corps humain ne représente aucun danger

Nous avons réussi, après plusieurs tentatives, à rencontrer Rigobert un
après-midi de fin mars 2010. Il a une excellente connaissance de son
activité qu’il a bien voulu nous décrire à travers un bon niveau de
maniement de la langue de Molière. Il est aussi fier de rendre au
quotidien un service hautement social. « Prendre soin d’un cadavre humain
est un très beau geste. C’est un noble service qu’on rend à une
personne, une seule fois dans la vie. Le corps humain ne représente
aucun danger ; le germe n’étant pas volant. On risque seulement une
souillure des mains, et c’est pour cela que nous portons des gants. Le
risque n’est grand que lorsqu’il s’agit d’un corps en putréfaction »,
nous a-t-il confié.

La création de sa société de pompes funèbres,
initialement baptisée « Faso mémorial », remonte à 1993. Cette entreprise
rebaptisée CERMOB depuis 2000, offre différents types de services :
confection-vente de cercueils des plus simples aux plus luxueux, vente
de dalles, d’IPN (barre de fer servant de support au cercueil pendant
l’enterrement), location de corbillards, toilettage des corps, transfert
des corps, décor, construction de tombes, rapatriement de dépouilles
mortelles, exhumation, assistance multiforme aux familles endeuillées,
etc. Les cercueils proposés en vente dans les vitrines de CERMOB sont
fabriqués à Ouagadougou, au domicile de M. Ouédraogo qui fait office de
scierie. Il y en a de toutes les tailles, de toutes les qualités, aux
coûts adaptés à toutes les bourses. Les prix varient entre 35 000 F CFA,
pour les plus simples, et plus d’un million de francs CFA pour les plus
luxueux.

Dans cette entreprise de pompes funèbres, travaillent une dizaine
d’employés permanents et plusieurs autres travailleurs non-permanents
dont le nombre, selon Rigobert Ouédraogo, est difficile à déterminer.
CERMOB leur fait appel pour des prestations ponctuelles. La facturation
des services offerts par l’entreprise est fonction, naturellement, du
travail demandé. Il peut, par exemple, s’agir d’un service complet ;
c’est-à-dire de l’enlèvement du corps jusqu’à l’enterrement. Dans ce
cas, d’autres paramètres tels que le choix du cimetière, expliquent la
différence du coût de la prestation. Par exemple, un enterrement au
cimetière de Toudoubwéogo est beaucoup moins couteux qu’un enterrement
au cimetière de Gounghin, où le sol est plus dur à creuser.

CERMOB offre des services d’exhumation de corps dans le strict respect
de la loi (au moins 5 années après l’enterrement, sauf sur autorisation
spéciale du procureur). Un service de plus en plus rarement rendu, au
regard de sa complexité et de sa dangerosité. « Les gens ne savent pas
qu’une fois pourrie, la chair humaine devient un véritable poison »,
explique Rigobert Ouédraogo, qui précise que l’exhumation est beaucoup
plus coûteux que l’enterrement. Sauf s’il s’agit de déterrer un cercueil
en zinc.

Ne pas provoquer la colère du cadavre !

Comment se comporter face à un cadavre sans provoquer la colère de
celui-ci ? Voilà une question qui ne quitte jamais l’esprit de ceux qui
côtoient les cadavres au quotidien. A entendre Mahamadi Kaboré,
croque-mort à Gounghin, il y a une sorte de dialogue de sourd entre le
cadavre et celui qui est à ses petits soins. Et il faut être un habitué
du boulot pour décrypter certains « comportements » du cadavre, lors du
toilettage ou du transport par exemple. Il précise qu’il faut négocier
en permanence avec le corps. A ce sujet, Rigobert Ouédraogo, qui croit à
une vie après la mort, ne tarit pas de conseils à donner gratuitement
aux acheteurs de cercueils, pour peu que ces derniers lui disent ce
qu’ils veulent faire du corps. S’il s’agit d’un voyage par exemple, il
est recommandé d’accrocher au véhicule des branchettes vertes de
n’importe quel arbre. Et il en donne l’explication : « En voyageant, l’on
peut avoir affaire à n’importe quel type d’adversité. Les arbres sont
dotés d’un certain pouvoir protecteur. Et leur présence permanente sur
le trajet permet de conjurer le mauvais sort ». Pour lui, même les
Européens ont exactement cette même croyance. Et c’est ce qui explique
le fait qu’ils ornent le cercueil de fleurs naturelles lors des
transferts. En Afrique, toujours pour les transferts de corps, il est
recommandé de confier au cadavre lui-même la sécurité du voyage.

Vous transportez un cercueil ? Pissez sur les roues du véhicule !

Avant de prendre la route, lorsque la dépouille mortelle est,
par exemple, celle d’une femme d’un âge avancé, il est conseillé au
conducteur de toucher le cercueil en prononçant la phrase suivante :
« Maman, ouvre-nous la voie afin que nous te conduisions chez toi et
revenions en bonne santé ». Ce n’est pas rationnel, cela peut même
paraître banal, reconnaît Rigobert, qui croit néanmoins qu’un tel geste
peut être salutaire. Il a une anecdote à ce sujet : « L’an dernier, une
famille résidant à Ouaga a sollicité mes services pour conduire le corps
d’une vieille dame dans un village situé après Réo.

Avant de démarrer,
j’ai pris soin de prononcer la phrase magique en touchant de la main
droite le cercueil : « Maman, ouvre-nous la voie afin que nous te
conduisions chez toi et revenions en bonne santé ». A l’aller, il n’y a
eu aucun problème malgré l’état délabré de la route. Sur le chemin de
retour par contre, dans la nuit, j’ai entendu un bruit sec à l’arrière
du corbillard. C’est le roulement qui venait de se briser avant même que
nous n’atteignions Koudougou. Mon compagnon de route s’est inquiété pour
notre sort, j’ai tenté de le rassurer. Malgré cette panne, nous avons
réussi à rouler jusqu’à Koudougou où nous avons fait escale pour dîner.
De Koudougou, nous avons osé reprendre la route pour Ouaga, toujours
avec la panne. Et ce n’est qu’après le poste de péage, à l’entrée de
Ouagadougou, que le véhicule a complètement cédé. Nous étions quand-même
à Ouaga et un garagiste a réparé la panne. Je crois donc que c’est la
défunte qui a accédé à notre requête et a bien voulu nous conduire à Ouaga ».

Lors d’un long voyage, entre Ouagadougou et Bobo Dioulasso par exemple,
l’on peut être amené à observer un arrêt à mi-chemin. Soit pour se
soulager, soit pour prendre un verre, soit pour se reposer, fumer une
cigarette, etc. Et lorsque l’on transporte un cadavre, il est recommandé
au chauffeur de « faire pipi » sur les roues du véhicule avant de
reprendre la route. « C’est irrationnel, ça ne s’explique pas, mais c’est
comme ça ! », nous a confié Rigobert Ouédraogo, qui fait ces
recommandations à tous ses clients, même aux plus incrédules.

Autre précaution : pour les cas de pendaison, de suicide, de noyage, de
feu, de fusillade, bref, les cas de mort violente, Rigobert Ouédraogo
recommande aux familles de ne pas envoyer le corps à domicile. Car c’est
une âme violente qui s’y dégage et ne cherche à faire que du mal. Elle
n’est pas capable de reconnaître son domicile et peut ainsi hanter la
famille. Aussi, il n’est pas donné à n’importe qui de faire le
toilettage d’un corps. Ceux qui sont habilités à faire cette tâche sont
tenus, eux-mêmes, d’être propres, « même si le défunt a été, de son
vivant, très mauvais », nous a confié Mahamadi Kaboré.

Au regard de tous ces mystères qui entourent la mort,
peut-on se permettre de discuter le prix d’un cercueil comme on le
ferait pour une P50 au Théâtre populaire ? A cette question, Rigobert
Ouédraogo répond par l’affirmative et précise qu’à CERMOB, les prix
fixés sur les cercueils sont à débattre, bien qu’ils soient déjà
relativement bas. Notre interlocuteur accepte aussi de céder sa
marchandise à crédit aux clients qui le lui demandent. C’est un fait
rare, mais il arrive que des clients souhaitent se voir livrer un
cercueil à crédit et s’engagent à s’acquitter de cette dette avec
l’argent qu’ils espèrent récolter lors de la cérémonie funéraire.
CERMOB, qui fait dans le social, accepte des propositions de ce genre,
et les garde dans le top-secret. Et ces clients-là ont toujours honoré
leur engagement. La raison, Rigobert la connaît : « Nous travaillons dans
un domaine plein de mystères. Si vous prenez un cercueil à crédit et que
vous ne remboursez pas après, c’est le cadavre lui-même qui vous
demandera, dans un rêve par exemple, de le faire, car, ça ne lui fait
pas honneur de se reposer dans un cercueil malhonnêtement acquis ».

Toutefois, le patron de l’entreprise de pompes funèbres n’est pas
d’accord avec les familles qui, pour des questions d’honneur, se
saignent ou s’endettent pour organiser les funérailles grandeur nature.
« Certes, je vends des cercueils ; mais je préfère que l’on enterre de
façon très simple et dans les limites de ses possibilités. Le cercueil
luxueux n’est pas une absolue nécessité. Le défunt comprendra de toute
façon que vous avez la volonté de lui offrir un cercueil de qualité
exceptionnelle, et que ce sont vos moyens qui ne vous le permettent
pas », explique Rigobert.

Tant bien que mal, l’entreprise de Rigobert Ouédraogo arrive à répondre
à la demande de sa clientèle. Et comme toute entreprise, CERMOB paie les
impôts et fait face, quelque fois, à une morosité du marché. Pourquoi ?
Eh bien, parce que les gens ne meurent pas ! Le patron de l’entreprise
nous confie qu’il y a des moments où il peut passer une semaine entière
sans même recevoir de visites. Il ne s’en plaint pourtant pas. Il n’a
d’ailleurs aucune raison de se plaindre : « On n’a jamais souhaité que
quelqu’un meure. Les gens ont besoin de nos services. Aujourd’hui,
contrairement à ce qui se passait avant, on n’attend plus un décès avant
de courir voir le menuisier pour se faire confectionner un cercueil. Et
si c’était toujours le cas, avec ces coupures de courant, on prendrait
peut-être plus de 48 heures pour confectionner un cercueil. Et là, le
cadavre aurait mille chances de se décomposer, avant même que son « lit »
soit prêt », se justifie-t-il.

Le secteur des pompes funèbres est un business qui a de beaux jours
devant lui. Ça, c’est le point de vue de Marie-Laurentine Lankoandé,
sage-femme à la retraite, résidant au secteur 27 de Ouagadougou. Elle
constate, avec amertume, que notre société est en train de perdre de sa
superbe, pour ce qui est des valeurs de solidarité. « Il y a quelques
dizaines d’années, un décès était une affaire de village, de quartier.
De façon spontanée, les gens se mobilisaient pour gérer l’enterrement.
Les services de pompes funèbres n’y avaient donc pas leur place. Mais
aujourd’hui, avec l’installation du « chacun pour soi » à l’occidentale,
les familles endeuillées se voient de plus en plus obligées de recourir
aux pompes funèbres pour enterrer leurs morts, sans le moindre respect
de l’intimité coutumière », a déclaré la vieille dame, le regard plongé
dans la nostalgie de son époque.

Par Alpha Arba ROAMBA


Odeur insupportable à la morgue !

Avez-vous une fois visité l’intérieur de la morgue du Centre hospitalier
universitaire Yalgado-Ouédraogo ? C’est le pire que l’on puisse vous
souhaiter. Déjà que, généralement, on y va avec l’âme profondément
attristée, pour « lever le corps » d’un proche, on a forcément plus gros
sur le cœur avec le désordre à l’accueil. Dès l’entrée, vous êtes vite
gagné par l’odeur de chair humaine en putréfaction, quelle que soit
l’épaisseur de votre masque. A l’intérieur, vous avez la chance de
marcher sur des cadavres d’accidentés, ou ce qui en reste, abandonnés à
même le sol. Au pire des cas, vous pouvez y tomber, par suite de
glissade sur une marre de sang humain. Surtout que l’éclairage y fait
très souvent défaut. Aucune précaution d’hygiène ne semble y être
observée, en dehors de la chambre froide. Au moment où nous tracions ces
lignes, notre demande d’interview avec le responsable de la morgue » du
CHU-YO était en attente de réponse depuis plusieurs jours, à la
Direction générale de l’hôpital.


Pourquoi faut-il zinguer un cercueil ?

Zinguer un cercueil, c’est l’équiper d’une enveloppe intérieure
métallique étanche soudée appelée zinc. C’est un métal d’un blanc
bleuâtre, peu altérable à l’air. Un cercueil zingué n’est pas
dégradable, même après plusieurs années dans la tombe ou le caveau. Le
cercueil en zinc est étanche et ne permet donc aucune infiltration
d’air. Il est recommandé de zinguer le cercueil (c’est même une
obligation dans certains pays dont la France), pour un séjour provisoire
en caveau, un transfert à l’étranger, un transport aérien ou le décès
après certaines maladies.

Au Burkina, le zingage du cercueil est en plus
recommandé pour les enterrements à domicile. Dans tous les autres cas,
c’est une dépense inutile, étant donné qu’un cercueil zingué coûte 4 à 5
fois plus cher que le cercueil ordinaire. L’incinération de ce type de
cercueil peut être source de pollution, de même que lorsque le cercueil
contient des corps ayant fait l’objet de certains traitements de
thanatopraxie. D’après certaines légendes, les vampires dorment le jour
dans des cercueils, pour se protéger de la lumière du soleil. D’où
l’importance de blinder le cercueil pour protéger le cadavre de la
visite de ces êtres indésirables.


MAHAMADI KABORE :« J’ai échappé 3 fois à la mort et je suis devenu… croque-mort »

A Gounghin, l’on nous a parlé d’un croque-mort qui a rendu de loyaux
services à de nombreuses familles du quartier, dans leurs moments
d’affliction, suite au décès d’un parent. Nous l’avons rencontré et il
a accepté volontiers de faire quelques témoignages en rapport avec son
boulot. Mais avant, Mahamadi Kaboré -c’est son nom-, nous a fait jurer
de ne pas le photographier.

Le Reporter : Comment êtes-vous devenu croque-mort ?

Par expérience. Car, dès l’âge de 15 à 20 ans, (Ndlr : il a aujourd’hui
près de 44 ans), dans mon village, je faisais partie d’un petit groupe
de jeunes garçons à qui l’on avait recours pour le transport des
dépouilles mortelles, l’ouverture des tombes, etc. C’est depuis cette
époque que je me suis familiarisé avec les cadavres. En 1992, j’ai
quitté le village pour Ouaga, à la recherche de travail. Je n’ai plus
touché aux cadavres jusqu’en 1998 où j’ai repris cette activité ici à Ouaga.

N’avez-vous pas peur du cadavre ?

Pas du tout ! Parce que je me considère moi-même comme un cadavre vivant
qui va bientôt mourir.

Comment ça, un cadavre vivant ?

Oui. Parce que dans ma vie, 3 fois de suite, j’ai échappé à la mort. La
première fois, alors que je n’avais que 10 ans environ, j’ai failli
périr par noyade dans une marre de mon village. La seconde fois,
toujours au village, je suis tombé d’un arbre et j’ai failli me casser
le cou, en plus de la jambe qui, elle, n’a pas échappé. C’est ce qui
fait que je boite jusqu’aujourd’hui (Ndlr : il est infirme de la jambe
droite). La troisième fois enfin, à Ouaga, j’ai tenté de me suicider en
2004, en ingurgitant des produits toxiques. J’étais très convaincu de
réussir ce coup, mais j’ai échappé à la mort après avoir passé plus
d’une semaine à l’hôpital.

Pourquoi avez-vous tenté de vous suicider ?

Une histoire de famille

C’est aujourd’hui réglé, cette histoire ?

Non. Ce n’était pas une histoire qu’on pouvait régler.

Et aujourd’hui, l’envie de vous suicider vous est-il passé ?

Oui, l’histoire est oubliée

Et depuis lors, vous êtes un cadavre vivant ?

Oui, c’est pour cela que j’ai choisi de m’occuper des cadavres. A mon
avis, il n’y a rien de plus noble que de s’occuper de quelqu’un qui a
besoin des soins d’autrui et qui ne peut exprimer ce besoin.

Il semble que vous communiquez avec les cadavres…

(Rires !). J’ai moi-même entendu dire ça de moi. Mais les gens parlent
comme ils veulent. Ce n’est pas vrai. Personne ne peut communiquer avec
un cadavre. Il n’y a rien de plus calme, de plus doux, de plus
tranquille qu’un cadavre. Il suffit seulement de ne pas avoir peur.

Quelles sont vos tâches concrètement en tant que croque-mort ?

Je me propose d’assister les familles endeuillées dans le transport de
la dépouille mortelle, de la morgue vers les domiciles, ou des domiciles
vers les cimetières ; dans le toilettage du corps, sa mise en bière, etc.
Je participe aussi à l’ouverture de la tombe et à l’acquisition du
matériel secondaire utile à l’enterrement.

Dans quel cadre exercez-vous ce travail ? Etes-vous employé d’une
entreprise de pompes funèbres ?

Je ne travaille pour le compte d’aucune société de pompes funèbres. Je
suis, au fil des années, devenu une référence dans tout le quartier
Gounghin. Les gens savent ce que je fais et sollicitent donc mes
services lorsqu’ils ont un cadavre sous la main. Et je m’efforce
toujours à leur rendre ce service, souvent en collaboration avec
d’autres volontaires du quartier.

Est-ce à dire que c’est du volontariat que vous faites ? Si non,
comment sont rétribuées vos prestations ?

Justement, je travaille toujours dans un esprit de volontariat. Puisque
je ne pose jamais de conditions pécuniaires avant d’entamer le travail.
Je ne demande que le matériel qu’il me faut pour travailler. De même,
une fois le travail terminé, je laisse toujours le soin à ceux qui me
l’ont demandé de décider eux-mêmes du montant à me donner. Il arrive
même que l’on ne me paie rien du tout. Et dans ce cas, je me garde aussi
de réclamer le moindre copeck, tenant compte du fait que la famille
endeuillée est déjà dans une situation de tristesse qu’il faut peut-être
éviter d’exacerber. Beaucoup en profitent pour ne rien payer.

Dans bien
des cas, une fois le travail terminé, l’on oublie même ceux qui l’ont
fait. J’ai une anecdote à ce sujet : il y a quelques semaines, j’ai
apporté assistance à une famille pour un enterrement. A bord du
corbillard, j’ai suivi le cortège funèbre jusqu’au cimetière de
Gounghin, où j’ai activement participé à l’enterrement. Et pendant que
j’étais occupé à ranger le matériel ayant servi à l’ouverture de la
tombe, le corbillard est reparti sans moi. Alors qu’il devrait me
ramener dans la famille du défunt où j’avais gardé mon vélo. Et plus
personne n’a songé venir me chercher au cimetière. On m’avait déjà
oublié, ainsi que le service que je venais de rendre.

Qu’avez-vous fait alors ?

Je me suis débrouillé à pied pour récupérer mon vélo.

Et votre rétribution aussi ?

Non. On ne m’a rien donné. Et je ne pouvais rien réclamer dans cette
ambiance de tristesse et de pleurs dans la famille.

Et comment arrivez-vous, dans ces conditions, à subvenir à vos besoins
et à ceux de votre famille ?

Je rappelle d’abord que je n’ai pas de famille. Je dis ensuite
qu’au-delà du manque de considération dont je suis l’objet de la part de
certaines familles qui sollicitent mes services, certaines donnent de
l’argent, beaucoup d’argent quelques fois.

Combien par exemple ?

La semaine dernière (Ndlr : mi-mars 2010), j’ai reçu d’une famille, la
somme de 30 000 F CFA. Et la semaine d’avant, une autre famille m’a
donné 50 000 F CFA et des gadgets pour être resté aux petits soins du
corps d’un vieil homme de plus de 90 ans.

Propos recueillis par A. A. ROAMBA

Le Reporter


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Vos commentaires

  • Le 17 mai 2010 à 11:10, par ZEB En réponse à : Croque-morts, fabricants de cercueils, gestionnaires de morgues... : Leur vie ? La mort !

    Vraiment très touchant tous ces témoignages. Merci beaucoup à toutes ces personnes qui le font de bon coeur et qui dans votre noble travail respectent les corps de nos fidèles défunts et les accompagnent jusqu’à leur dernière demeure. Vous y serez un jour recompensés de votre geste si significatif. Beaucoup de courage à vous.

  • Le 17 mai 2010 à 16:34, par Didy En réponse à : Croque-morts, fabricants de cercueils, gestionnaires de morgues... : Leur vie ? La mort !

    Un métier noble quoiqu’on en pense ! Très noble ! Cela me rappelle une merveilleuse histoire dans la Ste Bible qui raconte celle de Tobie (le père) raillé parce qu’il s’occupait de la sépulture décente des morts que l’on rejetait. Il fut comblé de grâces au-delà de ses attentes. En effet, il devint aveugle de la fiente d’oiseau pour ensuite retrouver la vue grâce à Dieu, en récompense. L’histoire ne s’arrête pas là ! Bref, juste pour encourager Kaboré Mahamadi et tous ceux qui ont choisi d’embrasser ce métier, et sont souvent sujet aux railleries, à l’incompréhension, au dégoût, à la peur.
    Dieu le leur rendra au centuple, ainsi que les âmes des défunts !!!

  • Le 8 mai 2017 à 14:15, par ZOROME En réponse à : Croque-morts, fabricants de cercueils, gestionnaires de morgues... : Leur vie ? La mort !

    Toute mes Félicitations pour votre article et pour l’intérêt que vous aviez accordé à ce service de préjugés et de tabous. Je voudrais apporter une petite contribution en disant que dans ce domaine le service le plus connus est bien Burkisep mais je vous avoue que le plus expérimenter dans le domaine est la société des Pompes Funèbres Burkinabé SA créée en 1975,dont le siège se trouve au coté sud du cimetière municipal central. C’est plutôt le service qui offres tous les services de prestation funéraire et qui est agréer par l’autorité de Tutelle qui est la Municipalité. Au compte de la Commune de Ouagadougou il ; n’y a que deux structures de pompes funèbres agréer à savoir Pompes Funèbres Burkinabé ou PFB SA et Burkina Sépulture ou Burkisep. Cordialement merci

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