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Luanda : Modibo Diarra, le boutiquier de Kifangondo

Publié le vendredi 5 février 2010 à 01h35min

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A Luanda ils sont nombreux, les Ouest-Africains, et on les reconnaît par leur style tout à fait particulier. Dans le quartier Martires do Kifangondo, ils ne passent pas inaperçus et parlent leur dialecte en fonction des interlocuteurs qu’ils ont en face. La plupart de ces étrangers sont dans le business, un mot qui a tout un sens. Mais certains sont dans le commerce et parmi eux, il y a le Malien Modibo Diarra qui tient une boutique de parfumerie. Il se tire bien d’affaire comme le Burkinabè Oumar Traoré, le chauffeur du consul du Burkina en Angola, Issa Tago.

Si des Ouest-Africains sont passés par des passeurs pour se retrouver en Angola à partir de la frontière congolaise, ce n’est pas le cas de Modibo Diarra qui est dans ce pays depuis 2002. Né dans la région de Koulikoro au Mali, il a séjourné en Côte d’Ivoire pendant six mois où il a pu avoir un visa à l’ambassade d’Angola. Celui qui l’a aidé à entrer en possession du précieux document est un ami de son père. C’est avec un vol d’Air Gabon qu’il a atterri un après-midi à l’aéroport du 14-Février. Les choses se passent bien pour lui et il est accueilli sans problème par Modibo père, qui vit depuis 1995 dans le pays du président Agostino Neto. « J’étais content de revoir mon papa. Nous avons longuement parlé de la famille et il m’a demandé les nouvelles de ses frères et sœurs », dit-il.

A peine arrivé, le jeune Modibo, aujourd’hui âgé de 30 ans, rejoint son père qui tient une boutique de cosmétique dans le quartier populaire de Kifangondo. Papa Modibo, qui n’a pas vécu les atrocités de la guerre dans la capitale entre les soldats de l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola) Et ceux du MPLA (Mouvement populaire de Libération de Angola) en 1992, prodigue des conseils à son fils.

Il l’a rejoint dans un pays qui n’est pas stable et pour éviter des problèmes, il doit avoir un comportement exemplaire. Modibo, six mois seulement après son arrivée à Luanda, parle le portugais. C’est ce qu’on appelle avoir l’oreille fine. « Quand j’arrive le matin dans la boutique du vieux, je ne sors presque jamais. A force de côtoyer les clients dont la plupart sont des femmes, j’ai fini par me débrouiller et je parle cette langue, même si j’estime que je la maîtrise pas encore », précise le jeune commerçant.

Selon lui, vivre en Angola sans apprendre le portugais n’est pas une bonne chose si vous êtes dans le milieu des affaires. Il y a des Ouest-Africains qui ne s’intéressent pas à la langue, et il pense que ce n’est pas bien, surtout quand des problèmes surviennent en ville. L’aventure forme l’homme et à un moment, il faut songer à ne pas passer toute sa vie à l’étranger. Pour l’avoir compris, le vieux Modibo est rentré définitivement au Mali en 2004. C’est donc le fils qui est désormais chargé de gérer les affaires puisqu’entre-temps, son père avait ouvert une autre boutique dont s’occupe un de ses frères.

Au cours de cette même année, Modibo obtient un visa de travail qui lui a coûté 2500 dollars soit environ 1125 000 FCFA. Chaque année, il débourse 100 dollars pour le renouvellement de sa carte. Envisage-t-il un jour de demander la nationalité portugaise ? Modibo révèle qu’on peut l’obtenir après avoir résidé pendant plus de cinq ans, mais il n’y pense même pas. Depuis 8 ans qu’il est en Angola, il n’est plus rentré au pays, mais il est toujours en contact avec sa famille.

L’enfant de Koulikoro a même agrandi la première boutique qu’il est venu trouver, et il a eu à faire un voyage en Chine pour acheter des marchandises. Comme on le voit, Modibo a vite appris et il est en train de diversifier ses activités. Est-ce à dire que depuis le départ de son père, les affaires marchent encore plus et qu’il gagne beaucoup d’argent ? A cette question, Modibo répond que grâce à Dieu ça va et le plus important pour lui est de ne pas oublier sa famille qui est loin de lui. Sa boutique, qui est bien située, offre une grande diversité de prix.

La veille de mon départ de Luanda, j’ai vu des femmes qui n’achetaient que des produits cosmétiques. A chaque fois qu’elles faisaient leur choix, j’entendais : « Modibo ». Un nom que les clientes prononçaient d’ailleurs très bien, et le vendeur leur répondait en portugais. Chaque mois, Modibo verse à la commune de Kifangondo 5000 kwanzas soit 25 000 FCFA. On rencontre beaucoup d’étrangers dans ce quartier et ils sont de nationalités différentes : Congolais, Maliens, Sénégalais, Guinéens, Somaliens, Sierra-Léonais, Ethiopiens, Burkinabé, Ivoiriens, etc.

Les Angolais, m’a dit Modibo, les appellent les Ouest-Africains et ils ont le sentiment que leur pays est envahi. Ils n’ont pas oublié les atrocités de la guerre, et pensent même que des Etats de ces étrangers avaient soutenu Savimbi dans son fief de Huambo. Modibo m’a confié que beaucoup d’Africains commencent maintenant à se rendre compte que l’Angola, ce n’est pas l’eldorado comme ils le pensaient avant de venir là-bas.

Aujourd’hui, beaucoup tirent le diable par la queue et s’ils avaient un billet d’avion, ils retourneraient chez eux. Mais ce qu’ils ne veulent pas, c’est d’être expulsés et se retrouver dans un autre pays. Les Ouest-Africains qui s’en sortent, ce sont ceux qui se sont installés à leur propre compte. Il y a aussi ceux qu’on trouve dans le petit commerce, et qui espèrent voir leurs affaires prospérer pour se lancer dans d’autres activités. Modibo, lui, a eu la chance grâce à son père et c’est avec une 4X4 bien aménagée qu’il se déplace pour ses commandes.

Il lui arrive même de la mettre en location, ce qui lui procure encore quelque chose. Selon lui, ils sont plus de 500 les Maliens qui vivent à Luanda et beaucoup de ses compatriotes font le commerce. Avec ceux qui sont originaires de sa région, Koulikoro, ils ont constitué une association et chaque dernier dimanche du mois, ils se retrouvent dans le cadre d’une réunion. « Nous cotisons chacun 10 dollars par mois et quand un membre a des problèmes, l’association lui vient en aide », explique-t-il.

Depuis 2009, Modibo vit avec une jeune femme. Elle est Malienne, et il pense qu’il savait que l’élue de son cœur viendrait de son pays. Mais après ces années passées à Luanda, une Angolaise n’a pas troublé son sommeil un seul instant ? Selon lui, il est difficile de s’entendre avec les Angolaises parce qu’elles ne s’habillent pas bien. La religion qu’il pratique n’admet pas cela et il ne peut pas vivre avec une femme avec qui il y aura toujours des histoires au foyer. « Aujourd’hui, si vous voulez prendre une Angolaise pour femme, elle acceptera. Mais votre union n’ira pas loin », m’a-t-il fait remarquer tout simplement.

Oumar Traoré : De la boutique au volant

Ces quatre dernières années, l’Angola est aussi devenu une autre destination pour les Burkinabè. Ils sont nombreux et on ne connaît pas leur nombre exact. Selon le consul du Burkina dans ce pays, Issa Tago, c’est quand les choses vont se mettre en place qu’il sera bien situé. En attendant, c’est maintenant que certains commencent à se faire connaître alors qu’ils sont là il y a trois ou quatre ans.

La nouvelle vague, ce sont ceux qui ont « déserté » à la faveur de la 27e CAN 2010 et ils sont au nombre de 25. Ils ont rejoint les anciens comme on dit et parmi eux, il y a Oumar Traoré qui est à Luanda depuis 2006. Originaire de Ouahigouya, il a vu le jour en Côte d’Ivoire en 1975. C’est de là-bas qu’il a projeté son voyage pour l’Angola. L’aventure, dit-il, est dans la tête et on prend les risques si on veut atteindre son but.

C’est ainsi qu’il a pu voyager après avoir obtenu un visa au Mali pour le Congo-Brazzaville. Mais ça n’a pas été facile pour lui parce qu’au départ, un « coxer » lui a escroqué 1 500 000 FCFA. Pendant deux mois, il espérait quand il a appris que celui qui voulait l’aider a disparu. A Brazzaville, il est passé par le fleuve Congo pour se rendre à Kinshasa et de cette ville, il lui fallait encore un autre visa. Son problème réglé, il a pris une barque pour Kayemba où il a pu rallier Luanda.

Auparavant, Oumar a travaillé à Kafofo, une zone minière, pendant un an et c’est quand le gouvernement angolais a ordonné sa fermeture qu’il est parti pour la capitale en 2007. A son arrivée, il est entré en contact avec Issa Tago qui n’était pas nommé consul du Burkina en Angola. Il a entendu parler de lui grâce à un Malien. Selon lui, Issa lui avait envoyé 200 dollars pour faire le transport à Luanda. Avec cet argent, il n’a pas rejoint son bienfaiteur et a il préféré retourné dans une autre zone minière parce qu’il estime qu’il y a de l’argent à gagner.

C’est avec le temps qu’il s’est décidé à retourner à Luanda où Issa l’a hébergé. « Issa est un homme de cœur et quand il entend qu’un Burkinabè est à Luanda, il fait tout pour le connaître. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de monde chez lui », révèle-t-il. Depuis lors, Oumar a commencé à travailler avec lui et il gérait un de ses supermarchés. Détenteur d’un permis de conduire avant son départ de la Côte d’Ivoire, il ne pouvait pas l’utiliser dans ce pays.

Avec le temps, Issa l’a aidé à passer le permis de conduire et il faisait les courses avec un camion (dix tonnes) pour l’achat de marchandises. Aujourd’hui, il est devenu le chauffeur du consul et il pense qu’il a eu beaucoup de chance. Il perçoit un salaire par mois et, selon lui, il ne se plaint pas parce que le consul qu’il ne connaissait pas avant l’a pris comme son propre petit frère. Ne compte-t-il pas un jour de voler de ses propres ailes ? Oumar, à cette question, nous a répondu carrément non. Pour le moment, il se sent bien chez le consul et il n’est pas prêt à le quitter.

Issa a un visa qui est arrivé à expiration, mais il a un papier qui le protège. Quel genre de document ? Il n’en souffle pas mot et à le regarder, on sent qu’il est bien intégré. Il parle bien le portugais et il connaît les coins et les recoins de Luanda. Lors de mon entretien avec lui à mon hôtel, son portable n’a cessé de sonner. A un moment, je me demandais qui ça pouvait bien être.

A la fin de notre causerie, je lui ai tiré les vers du nez. Oumar m’a confié que ce sont des joueurs de l’équipe nationale du Burkina qui l’appellent pour qu’ils les amènent dans une boîte de nuit. C’était au lendemain de l’élimination des Etalons face aux Black Stars du Ghana (0-1). Une façon d’oublier la défaite et d’aller se recréer quelque part dans la ville.

Justin Daboné

L’Observateur Paalga

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