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Entretien avec Florient Pajot, jeune chercheur français : " Ki-Zerbo est un personnage marquant de l’histoire africaine "

Publié le vendredi 22 janvier 2010 à 00h46min

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Le 4 décembre dernier marquait le 3è anniversaire de la disparition du Pr. Joseph Ki-Zerbo. L’historien a laissé une œuvre monumentale saluée à travers le monde. Il continue d’inspirer de nouvelles générations d’historiens et de chercheurs. Florien Pajot fait partie de ces jeunes chercheurs qui estiment qu’il faut davantage vulgariser son œuvre et faire aussi connaître l’homme. C’est pourquoi, après avoir soutenu son mémoire de maîtrise sur Ki-Zerbo, il a décidé, avec le soutien de son université, de publier ce travail sous la forme d’un livre. Nous l’avons rencontré pour qu’il nous en dise davantage sur son travail.

Pourquoi avez vous consacré votre thème de mémoire à Joseph Ki-Zerbo ?

J’ai découvert le Burkina par le chantier humanitaire il y a 10 ans et je me suis toujours efforcé à lier mes études supérieures au continent africain. Il s’est trouvé que j’avais choisi l’Histoire comme angle d’approche et Ki-Zerbo est incontestablement un des monuments de l’Histoire africaine. Mon professeur d’Histoire, Sophie Duluc m’a suggéré une étude sur ce personnage et c’est ainsi que je me suis retrouvé à faire la biographie de Joseph Ki-Zerbo. C’était à l’été 2003.

Sur quoi a porté précisément votre recherche ?

C’était une biographie. Une biographie c’est une autre manière d’écrire l’Histoire. On essaie d’écrire la vie d’une personne insérée dans le contexte où le personnage a évolué. Pour cela, on colle à la vie du personnage, on essaie de voir les événements extérieurs qui ont influencé son parcours. Ce qui m’a amené à passer en revue l’Histoire du Burkina, mais aussi l’historiographie africaine.

Selon vous, qu’est-ce qui a pu influencer Ki-Zerbo pour qu’il s’intéresse à l’Histoire de l’Afrique ?

C’est son père qui lui a donné le goût de l’Histoire. Celui-ci était considéré comme le premier chrétien de la Haute-Volta. Ki-Zerbo a été influencé par des histoires racontées dans les soirées des discussions menées en famille, il a été marqué par des épisodes anciens. Ça été aussi une mentalité de militant qui s’est forgé jeune lorsqu’il a bougé de la Haute-Volta pour se retrouver au Mali, ensuite au Sénégal. C’était un militant engagé à l’époque pour l’émancipation des colonies et pour lui, cette lutte émancipatrice passait par la restauration du passé africain pour rendre à l’Afrique son identité, longtemps niée par les historiens occidentaux. Pour lui, c’était faire œuvre de militantisme que de s’engager dans le domaine de l’historique.

Dans ce sens, quels rapports Ki-Zerbo a-t-il entretenu à l’époque avec le monde universitaire en France ?

Il était à Paris dans les années 50. Il a rencontré Fernand Braudel, un éminent historien français qui a d’ailleurs préfacé son œuvre majeure " Histoire de l’Afrique Noire, des origines à nos jours ". Ki-Zerbo était très impliqué dans les associations étudiantes voltaïques, surtout catholiques. Il a été professeur dans plusieurs villes françaises, à Orléans, Paris.

L’un des grands combats de Ki-Zerbo, c’est la reconnaissance de l’oralité comme source importante dans la recherche historique. Comment cela était-il apprécié par ses collègues occidentaux ?

Ça été le grand travail de Joseph Ki-Zerbo dans la réhabilitation de l’Histoire africaine, c’est-à-dire faire accepter la source orale comme une preuve scientifique pouvant permettre de relater le passé africain. Dans les années 1970, il s’est attelé à cette tâche, notamment dans le premier volume de "l’Histoire générale de l’Afrique" commandité par l’UNESCO. Auparavant, il avait réuni des experts et lancé des campagnes de recueil de la source orale dans les villages avec plusieurs méthodes intensives et extensives. Ils ont vraiment essayé de fouiller la connaissance d’une ou de plusieurs personnes pour ensuite essayer de faire des recoupements avec des études plus extensives sur des zones plus répandues. Joseph Ki-Zerbo avait entièrement raison puisqu’à partir du moment où il arrivait à faire reconnaître cette source qui est volatile comme étant une preuve scientifique dans la manière d’écrire l’histoire, alors là, c’était une voie ouverte pour la reconnaissance d’une histoire africaine.

Est-ce qu’il y a eu une adhésion des universités occidentales à considérer cette source orale ?

Oui parce qu’elle est justement recoupée avec des traces archéologiques, avec quelques documents écrits, mais elle reste une adhésion à demi mot. Il est vrai que même aujourd’hui, il y a encore des zones d’ombres qui persistent et persisteront toujours vu le manque de matériaux écrits. Dans tous les cas, la négation du passé africain s’est estompée. La négation du passé africain par les auteurs du 19ème siècle qui ont érigé comme postulat qu’il n’y avait pas de passé en Afrique relève vraiment du passé.

Où est-ce que vous situez la rupture entre Ki-Zerbo et les historiens d’avant lui, ceux qu’on appelait les Africanistes ?

Les Africanistes ont contribué à leur façon aussi à la reconstitution du passé africain, mais ces africanistes à l’époque étaient moins des historiens que des ethnologues. Ils ont plutôt contribué à recueillir des données, mais maintenant la reconstitution du passé africain à partir de ces données qui sont elles-mêmes de l’histoire a été l’œuvre des historiens.

Quel lien faites-vous entre l’œuvre de Joseph Ki-Zerbo et celle de Cheik Anta Diop ? Vous avez parlé de militantisme, Cheik Anta Diop a aussi été identifié comme un historien militant qui fait selon ses détracteurs, de l’idéologie…

Leur combat a trouvé son expression dans un contexte où la culture africaine était considérée soit comme inférieure soit primitive. L’un est contemporain de l’autre. Je pense que c’est plutôt dans les années 1950 que Cheik Anta Diop s’est révélé. Le contexte était aussi celui de la Négritude qui veut, encore une fois, réhabiliter la culture africaine par la promotion de l’art, de la culture,… Joseph Ki-Zerbo est arrivé juste un peu plus tard et il n’a pas voulu s’identifier totalement au concept de Négritude. Il a voulu faire un concept un peu évolutif où il n’a pas voulu opposer une culture noire à une culture occidentale, mais plutôt essayé de faire évoluer cette culture noire vers un développement qui allait s’inspirer de diverses choses pour s’inventer une nouvelle identité mondialisée.

Revenons un peu en arrière, comment avez-vous connu Joseph Ki-Zerbo, de quand cela date t-il ?

Quand je suis venu au Burkina, j’ai forcément entendu parler de Joseph Ki-Zerbo puisqu’à travers les chantiers humanitaires, je m’étais retrouvé dans des villages et j’avais eu la chance de me procurer un livre CM dans lequel il y avait de nombreux extraits des œuvres de Joseph Ki-Zerbo et donc à ce niveau là, il était clair que c’est un personnage majeur ici au Burkina. J’ai étudié l’histoire, mais très peu l’histoire africaine. En voulant m’intéresser à l’histoire africaine, je me suis donc intéressé à ce personnage marquant et qui a eu des implications diverses dans l’histoire de son pays.

Vous évoluez actuellement dans les chantiers de l’humanitaire. Joseph Ki-Zerbo avait une autre vision du développement de l’Afrique, à savoir le développement endogène. Est-ce que vous vous inscrivez dans cette approche ?

Bien sûr et c’est là qu’on voit que Ki-Zerbo avait une vision avant gardiste. Il a développé ce concept il y a une quarantaine d’années. Ce concept qui veut qu’on ne développe pas, on se développe. C’est-à-dire que le développement ne doit pas venir comme ça d’une intervention extérieure gratuite, mais plutôt d’une aide, d’une assistance pour que la personne se développe elle-même. D’où son expression aussi, si on dort sur la natte des autres, c’est comme si on dormait par terre. Le développement endogène est directement le contraire de tout ce qui a pu se faire dans les grandes lignes depuis les indépendances sous l’influence étrangère des puissances ex-coloniales qui ont financé des projets, des programmes qui finalement, venant de l’extérieur, étaient comme des greffes qui ne prennent pas. Mais aujourd’hui, trente ou quarante années après, des projets vraiment hors contexte ont cassé la dynamique et ont fait qu’il est maintenant difficile de faire un vrai développement endogène.

On sait que Ki-Zerbo n’a pas été qu’homme de science, historien, mais il s’est aussi engagé dans la politique. Quelle appréciation faites-vous de son engagement politique ?

Quand on étudie sa vie, on croule sous des informations de son engagement politique puisque c’est un engagement qui a commencé depuis qu’il était en France à Paris dans les années 50. Il a créé son parti politique en 1958 pour prendre part au Référendum sur la Communauté française. Mais vous savez, son combat politique a été fait de hauts et de bas et d’une implication sans retenue. Ce qui reste de son engagement politique, j’ai essayé de le souligner dans la préface de mon mémoire, c’est qu’il y a un goût d’inachevé qui a peut-être même conduit ici à une perte de considération de son œuvre de la part des universitaires, des jeunes et des citoyens lambda, tout court. Alors que son parti a quand même eu ses chances dans les années 60 et 70.

Est-ce que Joseph Ki-Zerbo ne s’est-il pas retrouvé dans un hors cadre puisque son parti, le MLN, a été créé pour porter un projet panafricaniste alors qu’il s’était retrouvé dans un micro Etat ?

C’est exact. Mais il a quand même tenté de maintenir des antennes dans d’autres pays, même si très vite, il a dû se résoudre au combat local.

Le dernier combat de Joseph Ki-Zerbo a été la lutte contre l’impunité au sein du Collectif créé à la suite de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en décembre 1998. Comment jugez-vous cet autre engagement ?
Cela va toujours dans la droite ligne de son engagement pour la bonne gestion, la bonne gouvernance. Vu son engagement de vie qui a toujours été dicté par la mesure, la tolérance, il ne pouvait pas ne pas prendre part à ce combat qui a quand même agité une grande partie du pays et certainement à juste titre suite aux événements de fin 98.

Au terme de votre étude, qu’est ce que vous retenez finalement de l’homme Ki-Zerbo ?

C’est un homme avant-gardiste qui a lancé des concepts qui sont encore valables aujourd’hui. A ce titre, son héritage doit encore être cultivé, perpétué, diffusé parce que pendant encore de longues années, ses œuvres véhiculeront des idées modernes qui collent toujours aux réalités.

On dit souvent chez nous que nul n’est prophète chez soi. Avez-vous l’impression que les Burkinabè connaissent bien Ki-Zerbo ?
Certainement que non. C’est difficile quand même de perpétuer son œuvre. C’est vrai que chaque année, au moment de la date anniversaire de son décès, il y a des manifestations qui sont organisées en vue de perpétuer sa mémoire. Il a eu un combat panafricain et finalement on le résume presque ici à un combat politique. La lisibilité de son combat pour la réhabilitation de l’histoire, pour l’éducation, etc. est souvent occultée pour laisser voir uniquement son engagement politique qui, au vu de sa longueur, a connu un relatif échec. Cela conduit peut-être le Burkinabè moyen à ne pas mesurer à sa juste valeur l’ensemble de son œuvre. J’aurais aimé que les jeunes s’intéressent davantage à son œuvre comme ils le font pour Thomas Sankara par exemple. Ils trouveront beaucoup de similitudes dans leurs idées, même si leurs méthodes d’action ont été différentes, voire opposées.

Interview reéalisée par Merneptah Noufou Zougmoré et Boukari Ouoba

L’Événement

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Vos commentaires

  • Le 23 janvier 2010 à 23:05, par Konaté de l’Espagne En réponse à : Entretien avec Florient Pajot, jeune chercheur français : " Ki-Zerbo est un personnage marquant de l’histoire africaine "

    Courage à mr Florient et tous les historiens du monde.Ki-zerbo a été une somité dans la reconstitution de l’histoire africaine en adoptant une méthodologie particulière qui est la tradition orale ou la tradition de bouche à oreille basée sur la mémoire collective.Il mérite une bibliographie digne de ce nom.L’UO doit aussi porter son nom même s’il s’est opposé durant toute sa vie à tous les régimes politiques du burkina.

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