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Yacouba Konaté, universitaire ivoirien : “Il faut demander à Dadis où il veut prendre sa retraite”

Publié le mercredi 18 novembre 2009 à 02h18min

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Yacouba Konaté est professeur de philosophie à l’université d’Abidjan. De passage à Ouagadougou dans le cadre d’une formation de journalistes culturels de l’espace UEMOA, nous avons échangé avec lui sur la crise ivoirienne et la présidentielle à venir. Pour lui, le capitaine Moussa Dadis Camara est en train de reprendre une à une, les erreurs que le Général Robert Guei avait commises, lesquelles ont contribué à enfoncer la Côte d’Ivoire dans la crise. Et pour notre interviewé, la seule question qui vaille, “c’est de demander à Dadis dans quel pays il veut prendre sa retraite”.

On a beaucoup épilogué sur la crise ivoirienne attribuée, notamment, au concept de l’ivoirité et aux difficultés économiques que connaît le pays. En tant que philosophe et intellectuel, quelle lecture faites-vous de la situation ?

• Dans ce genre d’analyse, il faut éviter les causes uniques. Evidemment, cette crise a quelque chose à voir avec l’ivoirité et les problèmes économiques ; mais il ne faut pas oublier les aspects sociaux y compris la question de la terre. Tous les économistes vous diront que plus la terre se fait rare, plus les conflits sont susceptibles de germer. C’était le cas en Côte d’Ivoire depuis que les députés ont décidé, en 1997 ou 1998, de faire une nouvelle loi foncière.

La Côte d’Ivoire, qui était un pays où la force de travail de base était essentiellement constituée des bras des fils de la sous-région, n’avait plus un code de nationalité capable d’absorber progressivement les nouvelles générations ou, tout au moins, les fils des parents immigrés. La crise ivoirienne n’est donc pas seulement économique et sociale, elle est aussi socio-juridique. Il y a eu une mauvaise adaptation de ce que j’appellerais les superstructures juridiques avec la base économique.

Il y a également les causes politiques et politiciennes, en ce sens que cette crise a été aggravée par les querelles de succession liées à la mort de Félix Houphouët-Boigny. A cela, il faut ajouter le manque de sagesse des politiciens. Je rigole ces jours-ci parce qu’on vient de reporter pour la énième fois la date des élections.

Si en 2000, on avait eu la sagesse de reporter les élections législatives d’au moins une semaine, peut-être que le RDR y aurait participé et l’Assemblée nationale n’aurait sans doute pas eu cette configuration. Et la question du pouvoir et de sa répartition aurait été réglée en partie. C’est dire que les hommes politiques au pouvoir à l’époque ont manqué de sagesse en ce sens qu’il aurait fallu donner la chance à toutes les forces de s’exprimer. Enfin, il y a les causes plus ordinaires qui sont liées aux petites frustrations et la mauvaise appréciation de certains faits.

Je me rappelle encore que quelques mois avant la guerre, certains ministres et même le président Laurent Gbagbo disaient, parlant des soldats qui étaient recherchés depuis la chute de la junte : “Les petits gars qui s’excitent à la frontière doivent savoir qu’on les surveille et qu’on sait à quels feux tricolores ils s’arrêtent et dans quels restaurants ils mangent”.
Cette crise ivoirienne a connu plusieurs médiations infructueuses. Finalement, c’est à Ouagadougou qu’un consensus a été trouvé. Comment expliquez-vous cela ?

• A un certain moment, le président Gbagbo a eu ce sursaut qui a consisté à dire que tout ce qui paraissait comme exclu doit être pris en compte. A Marcoussis, on ne voulait pas d’un représentant de la rébellion comme ministre. Il y a eu des palabres interminables.

Même le Premier ministre Seydou Diarra qui n’avait rien en particulier avec la rébellion, quand Marcoussis l’a désigné, les gens ont empêché son avion d’atterrir et c’est par la route qu’il a rejoint Abidjan. On ne voulait même pas que ce type de changement arrive. Tout le pays est donc revenu de très loin après avoir essayé plusieurs solutions.

Le président Gbagbo, et c’est son mérite personnel, a compris qu’il fallait un dialogue direct. Il a en quelque sorte retourné le dossier, utilisé toutes les hypothèses qui étaient exclues de manière affective ou politicienne par son entourage, y compris par lui-même. Il a pris une solution radicale qui consistait à discuter avec la rébellion et avec Blaise Compaoré qui, au début de la crise, était considéré comme le commanditaire ou le soutien des rebelles.

C’est vrai qu’il y a un registre burkinabè de la crise ivoirienne qui peut être déployé de plusieurs façons telle que la rente foncière dont je parlais tantôt. De mon point de vue, s’adresser à Blaise Compaoré et avoir sa confiance pour régler ce problème résolvait aussi la confiance que les Forces nouvelles avaient à l’endroit du président du Faso. Blaise Compaoré était dans une position idéale après avoir été dans une position qui était la plus inconfortable. C’est ce retournement, un peu dialectique, qui représente pour moi un sursaut et qui a permis de faire les avancées que nous connaissons.

Blaise Compaoré est-il dans la même “position idéale” dans le dossier guinéen qui l’occupe en ce moment ?

• Les positions ne sont pas les mêmes. En Côte d’Ivoire, Blaise Compaoré était beaucoup plus proche des différentes parties prenantes. N’oubliez pas que lui et Laurent Gbagbo sont des anciens camarades et se connaissent depuis longtemps même si, à un certain moment, ils s’étaient perdus de vue.

Le dossier guinéen est nouveau, mais en même temps, c’est un cas ancien parce que c’est exactement les erreurs que Robert Guéi a commises que Moussa Dadis Camara est en train de reprendre une à une sauf que jusqu’ici Guéi n’avait pas fait de répression comme Dadis avant d’être chassé du pouvoir.

Mais en même temps, Blaise Compaoré a une belle carte à jouer tout simplement parce qu’il bénéficie des bons points qu’il a engrangés dans les autres médiations. C’est à lui de se donner les moyens de faire fructifier tout ce passé qui plaide en sa faveur. Il faut comprendre qu’il n’y a pas de médiation possible si le médiateur n’est pas respectable. Le président burkinabè a le respect des deux parties, c’est à lui de faire prospérer ce respect et surtout de ne pas le perdre. S’il prend une décision qui n’est pas réfléchie, il peut perdre la confiance des deux parties et la médiation va s’arrêter.

Mais, de mon point de vue, la seule chose qui vaille, c’est de demander à Dadis dans quel pays il veut prendre sa retraite. Les médiations et la communauté internationale peuvent l’aider dans ce sens en attendant que le Tribunal pénal vienne le chercher un jour pour qu’il rende compte de tout ce qu’il a fait ou laissé faire. Ce genre de tueries dans un espace clos est une aberration qui ne doit pas rester impunie.

Justement, la menace du Tribunal international ne va-t-elle pas le pousser à s’accrocher au pouvoir ?

• Il peut faire ce calcul et gagner du temps. Mais, ce n’est pas seulement le TPI qui l’attend, il y a la mobilisation des Guinéens. Quand les gens ont perdu des parents en si grand nombre, ils deviennent désespérés et à partir d’un moment, ils sont prêts à mourir parce que justement leur raison de vivre a été tuée dans des conditions inadmissibles. Sans compter qu’avant cette crise, la gestion du pouvoir de Dadis n’était pas exemplaire à part la lutte qu’il a pu mener contre les narco-trafriquants. Je suis du domaine de la culture et je suis scandalisé par ce qu’il a fait du camp Boiro qui a été rasé alors que c’est un lieu de mémoire, non seulement pour la Guinée, mais aussi pour toute l’Afrique.

Quelqu’un qui est intelligent devrait préserver ce lieu et en faire un musée et/ou un mémorial. Quand j’ai appris cette nouvelle, j’ai compris que c’est quelqu’un qui ne comprend pas les réalités ordinaires de la construction nationale. Il avait besoin de bons conseillers et surtout des gens qui puissent l’amener à respecter le minimum.

Malheureusement, j’ai l’impression qu’on n’a pas pu le canaliser ou qu’il est entouré par des gens plus enflammés que lui. L’autre chose qui ne rassure pas, c’est que le patron du CNDD ne peut pas parler sans crier pourtant crier, c’est l’aveu d’une certaine faiblesse. Plus on manque d’arguments, plus on crie. Il faut qu’il apprenne à parler à son peuple de manière très calme au lieu de jouer toujours sur une note de surexcitation très stridente.

Revenons à la Côte d’Ivoire. Pensez-vous qu’une élection, même apaisée, pourrait cicatriser définitivement les plaies de la crise ?

• Des plaies comme celles que nous avons connues, sont très graves dans la mesure où il s’agit d’une expérience unique et personne ne pensait que cela pouvait arriver. Cette crise ne peut donc pas se régler par une élection même si elle se passe très bien. Il faut se dire que ce genres de plaies se guérissent sur la moyenne durée. C’est pour ça que dans des pays comme l’Afrique du Sud, il y a eu des Commissions Vérité-Réconciliation.

C’est un processus qu’il faut engager et une élection apaisée en fait partie. La présidentielle va mettre la Côte d’Ivoire sur une voie de guérison plus rapide. De ce point de vue, il faut se dire que des élections sont autant une source de conflits que de gestion de conflits. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la manière dont l’élection présidentielle sera organisée et les précautions qui sont en train d’être prises.

Tout cela contribuera à faire en sorte que les résultats qui vont sortir soient à peu près acceptables. Je pense qu’ils ne seront pas acceptés par tout le monde parce qu’on sort d’une tradition démocratique passable. On ne peut pas faire un saut du jour au lendemain. Mais pour moi, l’enjeu sera le fonctionnement des institutions après la présidentielle. Si celui qui est vainqueur n’arrive pas à faire fonctionner la République, si la justice n’est pas égale pour tous, les rancœurs vont refaire surface.

Le report sans cesse de la présidentielle ne donne-t-il pas raison à ceux qui pensent que la crise, en l’état, arrange beaucoup plus certains acteurs ?

• Une crise comme celle-là arrange toujours beaucoup de gens de part et d’autre. Il y a des rentiers de la crise. Mon hypothèse est que tant que tous ceux qui ont bâti une sorte d’économie de guerre n’auront pas fini de convertir leurs ressources de guerre en ressources de paix, on ne peut pas sortir d’un tel conflit. Mais les gens ne rejettent pas les dates seulement parce que ça les arrange. Il y a aussi des problèmes réels et les dates qui ont été fixées, tout le monde y a cru tout en sachant qu’on ne peut pas les respecter.

Ce sont des politiciens, et personne ne veut prendre le risque de dire que l’élection peut se tenir avec ce calendrier. On rejette la responsabilité sur la Commission électorale indépendante (CEI), mais depuis au moins trois ou quatre mois, tous les observateurs savaient que le 29 novembre ne sera pas respecté sauf miracle.

Maintenant, il faut se donner un délai raisonnable parce qu’il ne faut pas s’amuser à reporter sine die les dates et se dire qu’au lieu de forcer les choses pour les faire en décembre ou janvier, il faut se donner février ou mars afin d’y aller de manière un peu relax. Personnellement, ça ne me pose pas de problème particulier dans la mesure où le pays connaît des progrès réels, les tensions se sont un peu apaisées, les gens se parlent, les communutés qui, avant, avaient du mal à se reconnaître comme ivoiriennes, recommencent à résoudre leurs problèmes ensemble.

Au moment où on s’achemine cahin-caha vers la présidentielle, on apprend d’un rapport de l’ONU que le Nord comme le Sud se réarment. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

• Ça me paraît effectivement paradoxal. La guerre telle qu’on l’a connue montre que ce n’est pas une question d’armes. Les conflits indiquent que tant que vous n’avez pas une cohésion nationale dans un pays comme le nôtre, personne ne peut gagner une guerre contre une partie de la Côte d’Ivoire.

C’est pourquoi celui qui va gagner l’élection présidentielle doit discuter avec les perdants pour voir éventuellement comment on peut construire un système dans lequel les différentes parties prenantes qui comptent puissent avoir un rôle à jouer. S’armer est une perte d’argent parce qu’on a vu que les armes n’ont pas fait la décision dans cette crise. Si cela est vrai, c’est vraiment dommage.

L’Afrique ne connaît que des crises politiques qui compromettent son développement. Faut-il finalement repenser la politique ?

• Une grande partie de nos problèmes est liée à la gouvernance. La manière dont nous gérons nos Etats est une des conditions de notre appauvrissement. Je pense en particulier à toute la culture administrative telle qu’elle se développe qui fait que la corruption est d’emblée structurelle.

Il y a aussi mauvaise gouvernance en ce sens que l’on fait comme si on ne pouvait pas prévoir les inondations, par exemple. Les données scientifiques sont telles que l’on peut tout savoir ; même si on ne peut pas l’éviter. Laissons même la question des inondations qu’on met au compte des catastrophes naturelles. A supposer qu’on n’ait pas les moyens de lutter contre les inondations, on a quand même les moyens pour lutter contre l’insécurité alimentaire. La FAO et plusieurs analystes avaient longuement expliqué qu’il y aurait une crise alimentaire.

Je ne peux pas comprendre que nos technocrates qui sont très nombreux, n’ont pas songé à relever le défi en produisant le riz et en mettant en place une politique pour essayer de résorber la question. Le problème aussi, c’est que nos prétendus hommes d’affaires n’ont pas compris qu’il y avait de l’argent à gagner dans le riz, dans la conjoncture 2007-2008, et qu’ils ne se soient pas positionnés dans la production. Ils ne l’ont pas fait parce que ce sont des gens qui sont liés au quota que l’Etat leur donne pour aller acheter du riz avec l’argent public afin de faire leur marge bénéficiaire en vendant ce riz aux populations. Nous sommes dans des pays où il pleut et où il y a des bas-fonds. Mais on n’a pas à manger parce qu’on encourage l’importation du riz plutôt que de soutenir la production locale.

Mais il y a aussi que les intellectuels et les spécialistes de certaines questions choisissent soit le silence, soit l’alignement derrière les plus forts du moment.

• Cela est effectivement un problème. Dans la crise que nous avons connue en Côte d’Ivoire, c’est parfois les intellectuels qui ont fait la promotion de l’ivoirité. Certains ne travaillaient même plus, ils n’animaient que des conférences sur le sujet. De ce point de vue, nous avons notre part de responsabilité. Mais dans les ministères il y a des techniciens qui peuvent donner leur appréciation des problèmes.

Tous les manuels de développement de l’Afrique insistent sur le développement endogène. C’est une théorie à laquelle tous les intellectuels de gauche comme de droite croient. Tout le monde sait en Afrique que la solution, c’est d’importer de préférence. C’est pour cela que la promotion des espaces d’intégration comme la CEDEAO sont à l’ordre du jour depuis les années 80.

Il y a une semi-lucidité, mais on n’en tire pas des conséquences pour construire des projets durables et ambitieux. Parfois on se demande s’il y a des projets de développement tout simplement dans certaines régions. Voyez-vous, dans une ville comme Abidjan, il y avait un pont avant Houphouët-Boigny.

A son arrivée au pouvoir, il a fait construire un autre pont. Bédié a voulu faire un troisième, mais il a perdu le pouvoir. Et jusqu’ici personne n’a songé à poursuivre l’ouvrage. Un président, un pont, c’est incohérent pour une ville lagunaire comme Abidjan. Pourquoi ne pas en faire plusieurs à la fois quand on sait que le besoin est réel ? Il faut bâtir un pays sur la base de ce que son prédécesseur a fait. Comme dit le proverbe africain : “C’est au bout d’une vieille corde qu’il faut tisser la nouvelle”.

C’est pour toutes ces raisons que je suis à la fois optimiste et indigné de certains comportements puériles. Aujourd’hui, beaucoup de gens sont obligés de prendre un seul repas par jour, et sans les produits chinois qui valent ce qu’ils valent, une partie des enfants de nos pays ne trouveraient pas à s’habiller. En même temps, les Chinois ont détruit notre industrie textile et nous regardons sans réagir. Maintenant on fait le pari de tout jouer avec ces Chinois sans poser au préalable ces questions de base qui doivent nous permettre de maintenir nos outils de production

Entretien réalisé par (Adama Ouédraogo Damiss)

L’observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 18 novembre 2009 à 19:09 En réponse à : Yacouba Konaté, universitaire ivoirien : “Il faut demander à Dadis où il veut prendre sa retraite”

    belle analyse de la situation en Afrique de l’ouest
    nous avons en effet toutes les solutions de résolutions de nos crises quelqu’elles soient mais surtout socio-économiques à notre portée, pour peu qu’on veuille vraiment prendre ensemble la voie d’un développement endogège et durable.
    en effet, nous nous faisons du mal et plus encore, nous en causeront aux générations futures, en retardant la gestion et la résolution des conflits, en n’élaborant pas des projets et programmes de développement qui fassent la propotion réelle de nos potentialités, etc.
    j’ai toujours apprécié l’idée qui stipule qu,au lieu de donner du poisson à quelqu’un tous les jours, il faut lui apprendre à pécher ; en effet, la plupart des projets financés dans les pays ouest-africains particulièrement au Burkina Faso, se répètent et ne s’élaborent pas dans une perspective de long terme ni de valorisation des connaissances locales, des acquis d,autres projets, etc.
    c’est comme si c,est un perpétuel recommencement
    pour cela je me demande à quand le développement intégré et durable pour l’Afrique particulièrement celle occidentale ?
    l,avenir de nos pays, se trouve entre nos mains ! le dévelovement peut être soutenu par des actions exogènes mais il faut la propulser d,abord du dedans !
    merci Mr Konaté pour ces éléments d,analyses que je trouve pertinentes.

    une Étudiante burkinabé à l’Étranger !

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