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Honorine Méda, procureur général de la Cour d’appel de Ouagadougou : « Je rêve d’une justice débarrassée des lourdeurs et des abus injustifiés »

Publié le mardi 20 octobre 2009 à 03h56min

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Honorine Perpétue Méda/Dabiret est magistrat depuis une vingtaine d’années. En juillet 2009, elle a été nommée procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou. Dans cette interview réalisée le 17 octobre 2009, Mme Méda lève le voile sur la tenue des assises de la Chambre criminelle de sa juridiction où près de 200 dossiers portant sur des crimes de sang et des crimes économiques seront jugés. Pour réussir sa mission, elle compte mettre l’accent sur la communication et surtout travailler de sorte que les juges tendent à harmoniser leurs pratiques face à des cas similaires pour redorer le blason de la justice burkinabè.

Sidwaya (S) : En quoi consiste la fonction de procureur général ?

Honorine Perpétue Méda/Dabiret (H.P.M.D) : Le procureur général est le chef de la police judiciaire. Il est chargé de surveiller la procédure des affaires pénales à la Cour d’appel. Le procureur général est également chargé de coordonner les activités des différents procureurs de son ressort au plan pénal, de suivre et veiller à l’application de la loi dans ces juridictions.

S : Pourquoi quand le procureur général sort pour s’exprimer, le plus souvent, c’est pour annoncer de mauvaises nouvelles ?

H.P.M.D : En réalité, le procureur général ne devrait pas sortir, rien que pour annoncer de mauvaises nouvelles. C’est parce que jusqu’à présent, nous n’avions pas un plan de communication bien défini au sein du ministère de la Justice, sinon les dossiers sensibles, les dossiers qui intéressent l’opinion publique devraient être expliqués. Et selon notre plan d’action, c’est le procureur général qui est le porte-parole des juridictions du ministère de la Justice. C’est donc lui qui doit expliquer ce que nous faisons, au plan pénal à l’opinion publique. S’il y a des crimes qui choquent l’opinion publique, le procureur général devra tenter d’éclairer le peuple.

S : Vous venez nouvellement de prendre service, comment comptez-vous réussir votre mission ?

H.P.M.D : Avec mes collaborateurs, nous avons mis en place un plan d’action. L’accent est mis sur la communication. Il est avant tout question d’une bonne communication entre nous magistrats pour qu’on ait la même vision de la justice, surtout de la justice pénale. Nous comptons faire en sorte qu’on n’ait pas de pratiques différenciées dans des cas similaires. En harmonisant nos pratiques au sein de la justice, je pense que nous pourrons redorer notre blason. Ensuite, nous entendons insister sur une bonne collaboration avec les auxiliaires de justice, notamment la police judiciaire, les avocats, les huissiers et les notaires. Dans la même dynamique, nous avons décidé de renforcer notre collaboration avec les médias parce que ce sont les journalistes qui permettent d’améliorer l’image de la justice, mais j’avoue que ce sont eux qui aggravent aussi la mauvaise perception que l’opinion publique a du système judiciaire.

Très souvent, les hommes des médias ne se rapprochent pas des juges pour savoir pourquoi telle décision a été prise, alors que l’objet du procès pénal est basé sur l’individu, non pas forcément sur l’infraction. On juge un individu et non une infraction, c’est cela l’objet de la procédure pénale. Nous tenterons autant que faire se peut, de mieux communiquer. Je pense que si cette stratégie marche, on saura ce que nous faisons et on comprendra ce qu’on entreprend. Cette année, nous allons également mettre l’accent sur la lutte contre le grand banditisme. En somme, notre action sera fondée sur la communication et l’humilité. Il faut qu’on sache qui nous sommes. Nous sommes sortis de la société et nous faisons partie de cette société. Nous allons travailler à mieux comprendre la société et nous demanderons à la société de mieux nous comprendre. C’est comme si nous étions deux camps qui se regardent et ne se comprennent pas.

S : N’est-ce pas la rétention de l’information par les juges qui fait que les journalistes se débrouillent comme ils peuvent ?

H.P.M.D : En matière de justice, tous les dossiers sont sensibles dans la mesure où cela touche à la vie privée de quelqu’un. Mais, il faut que nous l’admettions, nous avons une faiblesse, on ne nous a pas appris à communiquer. Le juge choque le plus souvent, pourtant nous avons peur de choquer ! Ce qui fait que nous sommes prudents. Donner par exemple des statistiques sur une situation, on ne sait pas ce qu’on va en faire… Voilà la réalité.

S : Il est question des assises de la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou les jours à venir. Comment ces sessions vont- elles se dérouler ?

H.P.M.D : Le Premier ministre, Tertius Zongo, après avoir visité la Cour d’appel, a vu que nous avions beaucoup de dossiers en souffrance, plus de 300 dossiers prêts et pas n’importe quels dossiers, a décidé de nous soutenir pour qu’on puisse tenir ces sessions. C’est ainsi que la Cour d’appel s’est engagée à tenir six sessions de la Chambre criminelle de Ouagadougou, d’octobre à fin décembre. Ces sessions auront lieu, du 20 au 28 octobre 2009 à Kaya, avec 22 dossiers concernés, à Ouahigouya, du 2 au 14 novembre 2009 et 37 dossiers seront jugés, à Tenkodogo, du 10 au 20 novembre 2009, avec 28 dossiers. La session de Fada N’Gourma se tiendra du 23 novembre au 5 décembre 2009 et concernera 33 dossiers, celle de Koudougou, du 30 novembre au 5 décembre, pour 15 dossiers et enfin, la session de Ouagadougou, du 1er au 21 décembre 2009, concernera 49 dossiers. Il faut préciser que chaque dossier peut concerner une dizaine d’individus, ce qui donne plus d’une centaine de personnes à juger. A travers cet acte, nous comptons ne pas consacrer l’impunité au Burkina Faso, donc juger les affaires les plus graves afin que les gens ne récidivent pas.

S : Peut-on avoir une idée globale sur les types de dossiers qui seront à la barre ?

H.P.M.D : Il y aura des affaires de viols, des coups mortels, des coups et blessures… En résumé, il s’agit de dossiers portant sur des crimes de sang et des crimes économiques, c’est-à-dire de détournements de deniers publics. Nous allons aussi juger de grands délinquants, des cas d’attaques à main armée, des cas d’assassinat et les crimes d’abus de confiance et d’escroquerie

S : Quelle est le coût de cette assise de la chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou ?

H.P.M.D : Cette assise va coûter 55 millions de FCFA. Elle va mobiliser plus de 50 magistrats, de nombreux avocats et nécessite l’implication des jurés, qui sont des non professionnels du droit dans les six localités avec tout ce que cela entraîne comme dépenses. Nous espérons marquer un coup en parvenant à des résultats satisfaisants. En 2010, nous allons organiser d’autres sessions si l’Assemblée nationale veut bien nous consacrer quelques crédits. Ces assises devraient être tenues fréquemment, parce que la loi organisant la Chambre criminelle dit qu’elle est permanente, exactement comme la Chambre civile qui juge tous les mercredis ou tous les vendredis. Mais il faut qu’on ait les moyens de les tenir…

S : Voulez-vous dire que la principale difficulté de la justice burkinabè est liée à l’insuffisance des moyens ?

H.P.M.D : Il y a l’insuffisance des moyens, bien qu’il y ait une amélioration ces temps-ci. Mais l’insuffisance de moyens limite nos ambitions, surtout en ce qui concerne la Chambre criminelle. Nous manquons de beaucoup d’éléments. Par exemple, vous avez des centaines de dossiers instruits, mais qui ne peuvent pas être saisis. Il n’y a pas de secrétaires, il y a un manque de rames de papier, pas d’encre… Le Premier ministre l’a constaté et c’est lui qui a fait l’effort de nous fournir des consommables pour nous permettre de mieux travailler, mais c’est insuffisant. Par exemple, les magistrats auraient souhaité que chaque juge ait son ordinateur, même si c’est un portable qu’on lui permet d’acquérir en lui consacrant un petit crédit, cela lui permettrait de pouvoir saisir ses décisions.

S : Quelle image de la justice burkinabè souhaiteriez-vous voir dans les années à venir ?

H.P.M.D : Je souhaite voir une justice mieux comprise, des juges plus accessibles, efficaces et efficients. Dans les années à venir, je rêve d’une justice débarrassée de certaines lourdeurs, de certains abus injustifiés que l’on voit actuellement. Mon rêve est de voir une justice proche de la population au plan physique, psychologique et économique. Pour cela, il faut de la formation et de la communication. Il faut qu’il y ait beaucoup de concertations entre le juge et ses collaborateurs pour qu’on atteigne nos objectifs. Je pense que ce n’est pas un rêve. C’est quelque chose de réalisable.

Ali TRAORE (traore_ali2005@yahoo.fr)

Sidwaya

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