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Ecoles sous paillote dans le Lorum : Au péril de leur vie, les enfants luttent contre l’ignorance

Publié le mardi 6 octobre 2009 à 05h07min

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Malgré l’insécurité, la peur, l’amertume, les incertitudes dans l’achèvement des programmes scolaires, les écoles sous paillotes constituent un maillon incontournable du système scolaire au Burkina Faso. Zoom sur un univers précaire dans la province du Lorum

Kandarfo, un matin de samedi, du mois de juin. Des tas d’immondices, des pailles arrachées du toit des paillotes annoncent l’arrivée à l’école du village. Sur un vaste terrain plat, un bâtiment en matériaux définitifs de trois classes construit par la coopération nipponne domine une paillote délabrée. Cette bâtisse précaire abrite les classes de CP1, CP2 et CE1. Il est 9 heures, la classe de CE1 est vide. “Les élèves sont dans la classe de CP1” glisse Souleymane Coulibaly, directeur de l’école. “La classe risque de s’écrouler. Les poutres ont été endommagées par le vent de la veille. Nous avons donc transféré les élèves dans la classe de CP1, en attendant une éventuelle réfection” , précise t-il. Avec un air plein de compassion, il poursuit : “Ce n’est pas facile quand on enseigne dans une classe sous paillote. Les risques sont énormes et nous sommes obligés de prendre les mesures palliatives à tout moment.

A la moindre menace d’orage, nous libérons les enfants pour qu’ils rentrent chez eux. C’est une consigne de sécurité ”. Mlle Sabine Sana est titulaire de la classe de CP2. Visiblement, elle accuse un retard en lecture. Pour elle, ce retard accusé depuis le CP1 est, entre autres, lié à l’état du bâtiment. “ Mes élèves ont souvent des difficultés à voir au tableau à cause des rayons du soleil qui pénètrent dans la salle. Les tourbillons, les vents d’harmattan, les orages ont souvent raison de nos efforts. Le jour qu’il vente, les enfants n’arrivent pas à suivre les cours. On est obligé de reprendre très souvent les mêmes leçons”, souligne l’institutrice. Pour le directeur de l’école, M. Coulibaly, ces retards s’expliquent également par le début tardif et les fins précoces des cours dans les classes sous paillote. “C’est un perpétuel recommencement quand on a des classes sous paillote. Après les saisons des pluies, il faut refaire les bâtiments alors que nous éprouvons des difficultés à mobiliser les parents dès la rentrée pour remettre les classes en bon état. A cette période, il n’y a pas de paille pour la toiture, il faut attendre après les récoltes”.

Les périodes de froid et d’harmattan sont des moments difficiles pour les enfants. Pneumonies, toux, rhume, sont les allergies les plus fréquentes. Idrissa Barry est élève au CP1. Selon Mlle Sana, Idrissa Barry souffre pendant l’harmattan. “De décembre à février, il ne se passe pas une seule semaine sans que Idrissa ne s’absente pour cause de maladie ”, affirme Mlle Sana, toute désemparée.
A quelques encablures de là, Songtaaba, localité située à 15 km de Titao, chef-lieu de la province du Lorum. Là également, les mêmes réalités sont partagées. Il est onze heures trente, un temps dégagé sous un soleil de plomb. Des courants d’air humide et quelques flaques d’eau rappellent de temps à autre, l’installation progressive de la saison pluvieuse. Les paysans, pioches en main, s’affairent à leurs travaux champêtres. En ce jour de classe, l’école est calme ; pas de signe d’élèves dans la cour. “ Ici, dès que la saison pluvieuse s’installe, on ne peut plus avoir les enfants. Ils sont au champ avec leurs parents ”, s’accordent à dire Nestor Nacoulma et Mahamadi Sawadogo, tous deux, enseignants à l’école de Songtaaba. Avec les premières pluies, personne ne veut perdre le peu de temps disponible.

A Songtaaba, une salle en paillote a complètement brûlé il y a quelques mois. Adama Ouédraogo est élève en classe de CE1. En pleins travaux champêtres en compagnie de sa mère, Adama garde toujours en mémoire, le souvenir de ce dimanche noir. Comme tous ses camarades de classe, il a souffert de l’incendie de sa classe en ce mois d’avril 2009. Adama témoigne : “ Nous avons fait plus de 10 jours à la maison. Nous étions tous découragés ”. Pour cet élève du CE1, il y a des risques à travailler dans ces types d’habitat : “ dans cette classe, nous sommes beaucoup exposés au vent et au froid. Je suis très content de passer au CE1 pour me retrouver l’année prochaine, dans une bonne salle”. Même son de cloche pour Fatimata Barry de la classe de CM2 de l’école de Kandarfo. Elle a passé 4 années dans les paillotes, avant de poursuivre les cours dans le nouveau bâtiment offert par l’Empire du soleil levant. “ Les conditions de travail étaient difficiles pour nous. Il nous arrivait de tuer souvent des serpents dans la classe. De février à mars, les vents chargés de poussière nous empêchaient de bien suivre les cours. Certains de nos camarades tombaient malades. Mais actuellement, nous sommes contents de travailler dans ces nouvelles salles de classe”, soutient l’écolière.

Un mal nécessaire

Pour les parents d’élèves, il n’y a pas d’autres choix à faire. “ Nous n’avons pas le choix. C’est une question d’urgence. Nous sommes conscients des risques encourus aussi bien par les élèves que par les maîtres, mais l’essentiel est que les enfants aillent à l’école et apprennent quelque chose. Nous faisons souvent face à des maladies liées à la poussière, les enfants étant exposés à l’harmattan ”, souligne Mme Baïnata Belem, présidente de l’aAssociation des mères éducatrices et conseillère municipale du village de Songtaaba.
Des bruits d’assiettes retentissent au fond d’une maison en terre battue. En cette matinée de jour de classe, l’instituteur Moctar Nacanabo, après un rendez-vous manqué avec les élèves, se soumet à l’épreuve de cuisine. Dans cette argamasse construite par les populations à Yirvouyatenga, Moctar et son directeur cohabitent dans une chambre commune en proie à la promiscuité totale.

Un hangar en toit de paille plante le décor dès l’entrée dans la cour. L’approche de l’hivernage suscite des inquiétudes et le moindre orage, un véritable cauchemar. Non loin de là, un autre hangar, sert cette fois-ci de classes à deux cohortes d’élèves. L’insécurité est encore plus poussée. D’un ton mélancolique, Moctar raconte : “ Une fois, pendant que je dispensais les cours, un enfant s’est écrié : “ Monsieur regardez ! ” A notre grande surprise, nous apercevons dans le toit, un serpent qui se faufilait entre les tiges de mil. Nous avons pu, heureusement, le mettre hors d’état de nuire”. Ces genres de situation sont légion dans les classes sous paillote. A Kandarfo, ces reptiles constituent un danger permanent et créent un climat de peur et d’angoisses permanent chez les élèves, qui hésitent à intégrer les classes sous paillotte, notamment dès l’entame de l’hivernage.
“ Chaque enfant burkinabè doit aller à l’école. Si l’on s’en tient à cette vérité, on ne peut pas attendre que tout soit bien construit avant d’ouvrir une école. La paillotte est donc un mal nécessaire”, reconnaît Moctar Nacanabo.

A Kandarfo, Boureima Sawadogo et Inoussa Belem, respectivement enseignant et secrétaire général de l’Association des parents d’élèves, embouchent la même trompette. Nonobstant quelques difficultés, ces classes sous paillote contribuent tout de même à augmenter le taux de scolarisation. L’école compte aujourd’hui 258 élèves dont 131 dans les classes sous paillote. “ Sans la paillotte, l’école aurait dû se limiter à trois classes et beaucoup d’enfants n’auraient pas eu la chance d’aller à l’école. Ce sont des classes qui contribuent à augmenter notre capacité d’accueil, malgré leur commodité qui laisse à désirer ”, renchérit M. Belem. Une donne qui peut se vérifier avec les responsables en charge de l’Education de base dans la province.
Le vrombissement d’un groupe électrogène rompait en cet après-midi, le calme habituel qui règne à la direction provinciale de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation du Lorum. Face à une pile de documents qui réduisent la surface visible de son bureau, le directeur provincial de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation du Lorum, Amadé Ouédraogo reste préoccupé par les examens du Certificat d’études primaires.

A la tête de ce service provincial depuis décembre 2002, M. OUEDRAOGO demeure un acteur-clé et témoin de la création de ces classes sous paillote dans la province. Il explique : “ Dans le souci de bénéficier des indemnités liées aux classes multigrades, les enseignants ne dépassaient guère 20 à 30 élèves par recrutement quand j’arrivais en 2002. Depuis lors, nous nous sommes inscrit dans une logique de “ casser ” ce système de classes multigrades qui constituait une sérieuse entrave au recrutement scolaire. Nous avons alors entrepris de normaliser toutes les écoles par des recrutements massifs. Malheureusement, les infrastructures n’ont pas suivi. Plusieurs écoles ont ouvert des classes sous paillote, pour répondre à un besoin réel”. Un autre aspect de la prolifération de ces classes, selon lui, provient de l’ouverture d’écoles suite à la forte demande des populations consécutive aux campagnes de mobilisation sociale entamée dès la première phase du Plan Décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB).

Les classes sous paillottes semblent être les signes manifestes d’une dynamique éducative, d’un réveil des populations, d’une certaine prise de conscience au sein de la communauté. Elles risquent encore de perdurer, au regard de la difficile équilibre entre l’offre et la demande des populations. En janvier 2009, ils sont plus de 11 295 élèves dans les classes sous paillottes pour un effectif total de 24 440 élèves dans la seule province du Lorum. Un chiffre qui dépasse le tiers de l’effectif provincial. 133 salles de classe sur un total de 460 sont dans une précarité effroyable. Dans les provinces du Yatenga, du Zondoma et du Passoré, on dénombre respectivement 141, 65 et 71 classes. Avec 410 classes sous abris précaires, la région du Nord reste en bonne position sur l’échiquier national.

Des Cascades au Sahel en passant par la Boucle du Mouhoun, le Centre, le Gourma, les classes sous paillote constituent pourtant un maillon essentiel de la donne éducative dans l’ensemble des régions du pays. “ Certes, nous perdons des heures de cours, mais cela vaut mieux que rien, c’est le moindre mal par rapport à l’analphabétisme. Pour minimiser l’effet de ces pertes d’heures, nous demandons aux enseignants de mettre l’accent sur les disciplines fondamentales telles que la lecture ”, avoue le directeur provincial, Amadé Ouédraogo. Pour Seydou Ouédrago dit Naaba Koutou, ces écoles sont la résultante d’une difficile équation entre les prévisions d’ouverture de nouvelles écoles et les réalisations d’infrastructures. C’est une de nos priorités, à travers les plans d’action.

Des résultats satisfaisants, malgré tout…

Dans sa communication en guise de réponse à la question orale avec débat du député Yamba Malick Sawadogo sur l’exécution du programme officiel dans l’enseignement primaire au Burkina Faso du 10 avril 2009, le ministre en charge de l’Enseignement de base, Madame Marie Odile Bonkoungou, estimait à 193 heures perdues liées aux questions d’organisation.

De ce volume horaire perdu, 60 heures seraient dues au retard de la rentrée scolaire. Sans avoir la prétention d’imputer la totalité de ces heures perdues aux retards liés à la réhabilitation sans cesse des classes sous paillote et à leur fermeture précoces, il serait hasardeux d’écarter entièrement cette hypothèse.
Mihitty, 26 mai 2009, 95 km à l’Ouest de Titao. Dans cette bourgade de la commune rurale de Banh, c’est la désolation. Au détour d’une tournée de sensibilisation à la délivrance gratuite des actes de naissance entreprise par l’administration, le maire Boukary Barry en compagnie du préfet du département de Banh, a été mis devant une situation déplorable. L’école du village a été entièrement saccagée. Construite en paille, elle a servi de fourrages aux animaux en divagation.

Ceux-ci n’ont trouvé mieux, en ces temps de rareté du fourrage, que de s’attaquer à la paillotte qui servait de temple du savoir pour la quarantaine d’élèves. A une cinquantaine de kilomètres de là, l’école de Boundoumouna, a, quant à elle, volé en éclats sous le coup d’un violent orage qui a ravagé la localité, laissant 105 élèves, “orphelins” de leur classe. Murs écroulés, toits décoiffés, c’est un triste spectacle qui s’offre au visiteur après la catastrophe. “ Actuellement (ndlr : première quinzaine du mois de juin), fait remarquer le maire Barry, les écoles sous paillote ont fermé. Ceux qui tiennent malgré tout à poursuivre le programme sont obligés de le faire sous les arbres ”. Pour le maire Barry, la préoccupation actuelle se résume à la sauvegarde du matériel didactique : “ il faut mettre à contribution les parents d’élèves pour sauver les manuels scolaires, les tables – bancs et les vivres en trouvant des logis dans les villages”. Ici, démarrage tardif des cours et fermeture précoce des classes demeurent un couple solide, très connu des acteurs de l’éducation.

Ces difficultés liées à la reconstruction de ces classes constituent un frein à la couverture des horaires prévues par la réglementation. “ Nous sommes conscients des difficultés sur le terrain, et nous félicitons et encourageons les enseignants qui, malgré ces conditions, travaillent à produire des résultats. Nous souhaitons que les décideurs nous octroient plus de moyens pour construire des complexes scolaires et remplacer progressivement ces écoles sous paillote par des bâtiments définitifs ”, note Amadé Ouédraogo. Selon lui, le rythme d’ouverture et celui de construction d’écoles ne se suivent pas. “ A la première phase du PDDEB, nous avons bénéficié de 4 à 6 écoles par an, alors qu’actuellement, cette dotation se chiffre entre 2 à 3 écoles. Pendant ce temps, les ouvertures tournent entre 15 et 20 écoles par an. ”

Les écoles sous paillote sont d’un apport capital à la scolarisation des enfants. Elles constituent même un point de passage obligé pour l’atteinte des objectifs de l’Education pour tous d’ici à 2015. Réduire les distances à parcourir pour les élèves en rapprochant au maximum l’école de l’apprenant. Au niveau national, ce taux est passé de 40,9% en 1998 à 72,5% en 2008. C’est une nette croissance en moins d’une décennie. Et pour atteindre ces résultats, il a fallu compter avec les écoles ou classes construites par les populations, qui, en majorité, sont en paille. Pour Madame Odile Bonkoungou (ndlr : Invité de la rédaction de Sidwaya, décembre 2008), “ il fallait tout d’abord répondre aux besoins pressants exprimés en matière d’éducation ”.

La deuxième phase du Plan décennal de développement de l’éducation de base, prévoit de construire et d’équiper 7 190 salles de classe et 9 490 nouveaux logements de 2008 à 2010. Sur le terrain, quelques réalisations sont visibles ; d’autres sont en cours et suscitent de l’espoir chez les maîtres, les élèves et les parents d’élèves. L’Etat et ses partenaires conjuguent les efforts pour améliorer les conditions de travail des enfants. A Kaïdaré, dans la commune rurale de Banh dans la province du Lorum, l’Association Aide au Yatenga (AAY) vient de remplacer les paillottes existantes par un complexe flambant neuf. A Yirvouyatenga, les fouilles pour la construction d’un complexe scolaire au titre du budget 2009 sont terminées (ndlr : le reportage a été réalisé en juin 2009). “ C’est un effort, même si beaucoup reste à faire ”, s’est empressé de dire un observateur qui souhaite garder l’anonymat. D’autres écoles encore, sous paillote, pourraient être remplacées par des bâtiments en dur, au cours de l’année scolaire prochaine.

C’est un véritable partenariat qui se tisse et qui pourrait contribuer à soulager les milliers d’élèves sur l’étendue du territoire national ; ces élèves qui se battent incessamment contre les rayons solaires qui “ s’infiltrent ”, à travers les toits de fortune et des intempéries multiples et multiformes, les yeux écarquillés sur les pages d’un livre de lecture ou de calcul (…), attendant une main salvatrice pour améliorer leurs conditions d’apprentissage.

Abdoul Salam OUARMA

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 6 octobre 2009 à 11:38, par colonnel En réponse à : Ecoles sous paillote dans le Lorum : Au péril de leur vie, les enfants luttent contre l’ignorance

    merci pour cet article qui nous rappelle les conditions difficiles de l’éducation au Burkina ; bn courage à ces braves élèves à l’école de la vie

  • Le 6 octobre 2009 à 20:07, par Machiavel En réponse à : Ecoles sous paillote dans le Lorum : Au péril de leur vie, les enfants luttent contre l’ignorance

    Il reste à nous dire où est-ce qu’ont mets les sommes dépensées dans les différentes volets du PDDEB. Une certaine Odile disait que la situation de l’éducation n’est pas critique au Burkina Faso, je crois qu’il faut être objectif tout en restant digne par moment. Quand les enfants des autres peuvent rester à la maison 10 jours parce que les paillotes ont brûlé, je pense que même à « Kikidéni » (village de la série), le chef ou le curé allait trouver une solution provisoire. C’est dire que même la capacité de mobilisation des acteurs du terrain n’est pas assurée par votre équipe. Les paillotes, c’est le moindre mais, les bâtiments c’est encore mieux. Il ne faut pas seulement penser que toutes les infrastructures scolaires doivent être dans des matériaux définitifs avec les mêmes plans. Premièrement, vos plans d’infrastructures sont loin de donner satisfaction dans les pays du sahel. Ensuite, le coût et tel que en investiguant (il faut en avoir les moyens dans la tête), pour une seule école construite avec vos moyens actuels vous pouvez en avoir au moins 3 voire 4 ou 5 écoles (je ne parle pas des surfacturations et autres retenus sur le dosage des composantes).
    Bonne soirée

  • Le 7 octobre 2009 à 21:22 En réponse à : Ecoles sous paillote dans le Lorum : Au péril de leur vie, les enfants luttent contre l’ignorance

    Bon courage à tous, et tenez bon. Je soutiens une association de Kouritenga, et je suis plus sensible en lisant cet article. Cette année la pluie a dévasté le quartier et j’en ressens de la peine.
    B.H Nantes France

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