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Jean-Baptiste Natama, secrétaire permanent du MAEP : "Il y a une crise de confiance entre le justiciable et la justice"

Publié le mardi 23 juin 2009 à 02h10min

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Jean-Baptiste Natama

Le secrétariat permanent du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) remettra officiellement le rapport du Burkina Faso au président Blaise Compaoré le 24 juin 2009. En attendant cette remise officielle de ce rapport de 557 pages, son secrétaire permanent Jean-Baptiste Natama livre à travers cet entretien les aspects de ce document attendu par la société civile, le secteur privé et public.

Sidwaya (S) : Le forum extraordinaire du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) a examiné le rapport du Burkina Faso depuis le 25 octobre 2008 à Cotonou. Pourquoi avoir attendu près de huit (8) mois avant de le lancer ?

Jean-Baptiste Natama (JB.N). : Selon la procédure normale qui a cours au MAEP, la période requise pour la publication du rapport après l’examen par les pairs est de 6 mois. Comparé à ce que nous vivons au niveau du Burkina, nous pouvons dire que nous avons un retard de deux mois mais ce retard ne dépend pas de notre volonté. Le sommet de Cotonou a eu lieu pratiquement en fin d’année et l’on sait que la plupart des institutions fonctionnent au ralenti en fin d’année. Le rapport d’évaluation avant d’être publié doit comporter quatre parties, à savoir, le rapport national, les commentaires du gouvernement et le rapport du forum des chefs d’Etat.
Lorsque nous allions à Cotonou, nous avions les trois éléments et ce n’est qu’après le forum que le 4e élément devrait être intégré pour donner le rapport global d’évaluation du Burkina qui devait être celui qui doit être publié. Compte tenu des questions de réorganisation administrative comme les publications de postes par voie de presse, le renouvellement des membres du panel etc., le secrétariat et le panel ont eu du mal à fonctionner normalement pour respecter les délais de six mois que chacun devait observer à son niveau pour rendre le document final disponible à la publication. Ce sont là des explications qui ne dépendent pas de notre volonté mais plutôt des circonstances qui prévalent au niveau du secrétariat exécutif et du panel.

S. : Que peut-on retenir de ce rapport ?

JB.N. : Ce rapport va permettre à nous Burkinabè de voir quelles sont les insuffisances qui caractérisent notre système de gouvernance à la fois sur les plans politique et démocratique, économique et de gestion financière, sur le plan de la gouvernance des entreprises que sur celui du développement socioéconomique. Il doit nous permettre également de prendre conscience du fait que dans notre pays, il y a des atouts que nous devrions essayer d’exploiter au mieux pour aller vers le progrès auquel nous aspirons légitimement. Ce rapport identifie aussi les défis et les enjeux qui se posent à notre société aujourd’hui et que notre pays doit relever pour réussir son pari pour le développement.
Un autre aspect c’est que le rapport, sans occulter la nécessité de mettre en évidence les insuffisances ou les lacunes qu’il y a dans notre système de gouvernance a identifié aussi les bonnes pratiques qui existent et qui doivent être renforcées ou perpétuées dans le cadre de l’amélioration de nos performances sur les plans politique, économique et des entreprises afin d’enregistrer des résultats satisfaisants.

Tous ces éléments seront disponibles dans le rapport et à chacun d’aller puiser l’information utile pour les besoins ou toute cause qu’il aura envie de défendre. Ce qui est sûr, c’est que grâce à ce rapport, chacun de nous disposera d’un référentiel qui peut lui permettre de voir quelles sont les mesures que nous pouvons prendre, tant au niveau du secteur privé, de la société civile qu’au niveau du secteur public pour mieux orienter nos actions au bénéfice de la société.

S. : Quelles sont les lacunes et les performances du Burkina relevées par le rapport ?

JB.N. : Les lacunes tout comme les performances sont assez nombreuses. Nous avons identifié en gros 197 recommandations. Il va être difficile dans le cadre d’une interview de pouvoir les énumérer. Cependant nous pouvons dire que dans la mesure où ce sera publié, nous allons nous atteler à publier les bonnes pratiques qui ont été identifiées mais aussi les lacunes de façon intégrale pour que les uns et les autres comprennent. C’est un rapport de 557 pages ; l’exploitation ne va pas être facile pour le commun des mortels mais en extrayant les éléments qui sont importants au niveau de la gouvernance des entreprises ou celle du développement sociéconomique nous pouvons publier ces aspects pour faciliter l’exploitation.

Une question récurrente c’est celle de la corruption qui a été abordée. Notre pays a certes fait des progrès ces dernières années en matière de lutte contre la corruption mais il n’empêche que c’est un phénomène qui reste encore en l’état et qu’il faut continuer à combattre pour l’éradiquer. Il y a également des questions liées par exemple au fonctionnement de la justice à savoir la relation entre le citoyen et la justice, la crise de confiance qu’il y a entre le justiciable et la justice. Au niveau de la presse il y a le statut des journalistes. Il est vrai qu’il y a eu des progrès qui ont été faits récemment avec l’adoption de la convention collective et la carte de presse mais tous ces éléments avaient été abordés dans le rapport et nous sommes heureux de constater que déjà le gouvernement a entrepris un certain nombre d’actions.

Le rapport a également mis en évidence qu’il y a une insécurité juridique pour les Burkinabè parce qu’au moins un quart des Burkinabè qui naissaient n’avaient pas d’acte de naissance. Cela est un problème non seulement pour l’avenir même de notre démocratie mais aussi pour la réalisation même d’un ensemble de programmes. Par exemple, pour des enfants qui n’ont pas d’acte de naissance, vous ne pouvez pas les orienter dans un circuit de production bien déterminé.

Ce sont des lacunes de ce genre qui ont été identifiées, fort heureusement certaines d’entre elles font déjà l’objet de prise en compte au niveau du gouvernement à travers la recherche de solutions. Les bonnes pratiques relevées sont d’abord une grande liberté au niveau associatif. Ce qui constitue une richesse. On a une société civile assez dynamique. Il y a des concertations annuelles du chef de l’Etat avec la paysannerie, le gouvernement rencontre le secteur privé, etc. Ce sont des canaux de discussion qui permettent d’asseoir un véritable consensus autour d’un certain nombre de questions qui auraient pu d’une manière ou d’une autre favoriser l’éclosion de certains conflits dont on aurait pas nécessairement besoin dans notre société parce qu’en définitive, il faut une société de paix, de stabilité, de sécurité pour aborder sérieusement les questions de développement.

S. : Après le lancement, quelle suite concrète donnera-t-on à ce rapport ?

JB.N. : L’approche du MAEP est une approche fortement inclusive et participative. Que ce soit dans la phase de l’autoévaluation ou dans celle de l’évaluation nous avons associé les forces vives de la nation. Nous ne les avons pas associées pour faire plaisir à qui que ce soit, c’est le mécanisme même qui exige cela et il est tout à fait normal qu’après les avoir associées à tout le processus, que nous puissions encore retourner vers elles pour présenter les conclusions auxquelles nous sommes parvenus. Ce rapport doit être mis à la disposition du grand public afin que les populations se l’approprient, connaissent son contenu et voient ce qu’elles ont dit au cours des fora que nous avons tenues avec elles et se rendent compte que ce n’est pas un rapport complaisant mais plutôt un rapport qui prend en compte leurs préoccupations et qui formule des recommandations pertinentes pour leur permettre de contribuer chacun à sa manière à la réalisation de l’objectif commun de développement que nous poursuivons.
Il y a ensuite que ce n’est pas un rapport pour un rapport. Il y a un programme d’action national qu’il faut mettre en œuvre.

Pour le mettre en œuvre, il y a deux aspects. II y a non seulement la mise en œuvre du programme d’action national mais également le suivi-évaluation de la mise en œuvre de ce programme. Dans la mise en œuvre, il y a des volets qui relèvent de la société civile, du secteur privé et enfin du secteur étatique. Dans le suivi-évaluation, on trouvera aussi des volets relevant de la société civile, du secteur privé et des volets qui relèvent du secteur public. Cela veut dire que nécessairement autour de ce rapport et de son programme d’action national les acteurs de développement doivent consolider le partenariat et les cadres de dialogues qui existent entre eux pour pouvoir s’assurer qu’il y a une concertation régulière et que les uns et les autres s’interpellent de façon indépendante sur telle ou telle lacune ou défaillance dans la mise en œuvre de tel ou tel aspect. Il y aura toute une dynamique qui va se développer autour du rapport pendant les années à venir. Comme on l’a dit, le chef de l’Etat doit présenter annuellement un rapport à ses pairs sur la mise en œuvre du programme d’action national. Au bout de trois à quatre ans, une mission reviendra encore pour s’assurer que le rapport présenté par le chef de l’Etat traduit réellement les progrès ou les avancées en matière de gouvernance dans notre pays. Ce n’est donc pas un rapport qui va rester dans le tiroir, bien au contraire, c’est maintenant que le plus difficile commence.

S. : Comment le Burkinabè d’en bas pourra-t-il ressentir l’importance de ce rapport et de votre institution sur sa vie quotidienne ?

JB.N. : Déjà le premier enseignement c’est la méthode. Généralement les gens sont assez critiques envers les nouvelles initiatives surtout quand elles sont prises par les plus hautes autorités. Mais petit à petit les gens ont vu que c’était une approche tout à fait différente au niveau de la méthode qui les impliquait, les associait et qui faisait qu’ils se sentaient engagés dans le processus. Nous devons donc entretenir cette confiance qui est née entre le citoyen d’en bas ou lambda et nous, afin qu’il comprenne que ce mécanisme est pour lui, dans son intérêt. Et tout ce que nous allons mener comme action a pour objectif final l’amélioration de la gouvernance. En améliorant la gouvernance, nous réussirons mieux la mise en œuvre de nos programmes d’action ou programmes de développement.
Lorsque nous sommes allés dans les régions, il y a eu ce besoin qui a été ressenti par les populations à savoir le besoin de discuter, de dialoguer, de participer à la conception, à l’élaboration des projets et programmes.

Que chacun se sente pour une fois utile parce qu’il a une opinion qu’il peut émettre sur tel ou tel sujet, telle ou telle préoccupation. Chacun a sa perception de ce que peut être la démocratie dans ce pays et il peut le faire. Vous constaterez qu’après ces fora que nous avons organisés sur toute l’étendue du territoire, ce n’est pas une coïncidence mais c’est une conséquence de mon point de vue, de ces fora qui fait qu’aujourd’hui il y a un foisonnement de panels, de rencontres qui traitent des questions qui sont sectorielles mais qui contribuent à mener le débat au quotidien pour faire avancer les choses. Il n’y a rien de plus important que la capacité qu’une société a à s’asseoir pour discuter de ses problèmes. Lorsqu’on s’assoit pour discuter de nos problèmes, il y a de forte chance qu’on fasse l’économie d’un certain nombre de crises qui jouent négativement sur le développement, l’avancée de nos pays. Je pense personnellement que si nous arrivons à améliorer notre système de gouvernance à partir des recommandations qui ont été faites, si nous arrivons à consolider les cadres de dialogue entre les acteurs de développement, chacun de nous va ressentir le bénéfice parce que, je ne cesse de le dire, la question de la gouvernance n’est pas celle d’une seule personne mais une question de tout le monde en ce sens qu’en définitive c’est la citoyenneté même en action.

C’est cela qui peut favoriser la réussite des programmes de gouvernance. On concevrait le meilleur programme de bonne gouvernance s’il n’y a pas une adhésion citoyenne, il y a des risques que cela ne marche pas. Lorsque nous parlons d’intégrité, de corruption, c’est un changement d’attitude de chacun de nous. S’il n’y a pas ce changement d’attitude de chacun de nous ça ne marchera pas. Lorsque nous parlons, par exemple, de corruption dans le domaine politique, si chacun de nous s’attend à recevoir quelque chose pour accomplir son devoir de citoyen ça ne changera pas. C’est donc le changement de chacun de nous qui pourra rejaillir positivement sur nos programmes. Et ce que nous sommes en train de faire va dans ce sens.
Nous souhaitons que l’enthousiasme qui a accueilli la conduite de l’évaluation de notre pays dans toutes ses étapes soit maintenu sinon renforcé. Nous souhaitons aussi que les Burkinabè accueillent ce rapport comme étant le leur. Certes toute œuvre humaine peut avoir des lacunes, mais l’important c’est de voir ce que chacun de nous peut tirer de ce rapport. Que ce soit la société civile, le secteur privé, le secteur public, nous souhaitons que chacun essaie de s’approprier le rapport pour en tirer le meilleur pour le bénéfice de notre pays. Nous ferons de notre mieux pour le rendre public en le publiant et en organisant toute une communication sociale autour,, mais il faut que le public continue sur le même élan et nous pensons que nous allons tirer tout le bénéfice que nous pouvons attendre de cet exercice.

Entretien réalisé par Enok KINDO

Sidwaya

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