L’arrestation de l’ancien ministre de la Défense, Kpacha Gnassingbé pour “atteinte à la sureté de l’Etat” nous parviens juste à l’entrée de Kara. Cette ville est le fief de Kpacha. On dit que les “bérets rouges”, le corps d’élite qui assurait la garde de feu Eyadéma père seraient du côté de Kpacha. Dame rumeur nous informe que ce corps d’élite a fixé un ultimatum d’une semaine pour la libération d’un des plus célèbres prévenus des geôles togolaises.

Un policier à qui nous avions offert une bière nous informe que des partisans de l’ancien ministre de la Défense et député à l’Assemblée étaient à un poil d’organiser un point de presse pour condamner ce qu’ils qualifient de “tentative d’assassinat du fils” de la région. Mais le projet achopperait sur des détails qui ont divisé ce groupe, selon notre source. L’annonce de l’arrestation va, elle, diviser Kara. Quand nous quittions la ville, une manifestation pro-Kpacha était annoncée. Mais une contre-manifestation était aussi en vue.

C’est la contradiction que vit le Togo d’après-Eyadéma. Comment le Nord peut-il être le fief de Kpacha et sans l’être de l’actuel président Faure ? “Tout Kara sait que Kpacha est notre “vrai” fils”, nous a confié la patronne d’une chaîne de salon de coiffure. La même source indique que le député et ancien ministre s’est battu bec et ongle pour une décentralisation de l’Université à Kara. Cet autre religieux en veut à Faure qu’il accuse d’avoir tourné complètement le dos aux dieux de son père, refusant les sacrifices qui épargneraient le pays des malheurs !

Cependant que Kpacha lui est venu implanter une radio FM privée dans “sa région”, qui était aussi celle de son défunt père et de sa défunte mère. Autant le dire, le malheur de Faure vient du fait qu’il a aussi du sang du Sud dans les veines. Sa mère à lui vient de la ville de Kpalimé, précisément de Agou. La famille de feu Eyadéma est nombreuse, si nombreuse qu’il manque assez de place à Kara pour une implantation politique de chacun d’eux, heritiers politique du père. Le président actuel a-t-il tenté d’implanter son bastion dans la localité de sa mère comme pensent certains ? On l’accuse de privilégier Kpalimé et ses environs. Le jeudi 16, le Tour du Togo nous y conduit. Initialement, nous cherchions tout comme à Kara, à faire un micro-trottoir pour recueillir l’avis des populations de la localité. Mais, personne n’a osé s’afficher.

Le beau fils attaque, la fille console !

A Agou, le président togolais a fait pousser une demeure digne du palais d’un prince de pays pétrolier, au flanc d’un pic rocheux. Dès l’entrée de la ville, les panneaux annonçant la présence de structures et d’ONG de développement foisonnent. Une septuagénaire en rigole : Le président de la République a quand même les moyens de se construire une demeure digne de ce nom, n’importe où au Togo ! Même que Kpacha pouvait en faire autant. Ce n’est pas les moyens qui lui manquent”. Effectivement, le député-prisonnier disposerait d’une force de frappe financière colossale. Du vivant de son père il disposait d’une caisse noire pour “gérer” les officiers. Ce n’est pas pour rien qu’il jouit d’une grande sympathie au sein de “la grande muette”.

De même, l’Assemblée nationale, selon notre confrère togolais “Liberté” à forte tendance RPT, la famille politique commune des “frères ennemis” serait l’œuvre de Kpacha. Selon cette source, ce dernier aurait investi des moyens colossaux pour faire le plein des voix. Pourquoi l’ancien ministre de la Défense qui, on est unanime à le reconnaître au Togo, serait l’un des acteurs majeurs de la prise de pouvoir de Faure, rame-t-il aujourd’hui à contre courant ? Il fait, selon notre confrère le “Canard indépendant”, un “concubinage politique” avec l’UFC, le parti de Gilchrist Olympio, l’ennemi juré, qui serait prêt à le soutenir pour chasser son frère du pouvoir. Le président actuel a fauché l’herbe sous les pieds de “son frangin”, en lui retirant le portefeuille de ministre de la Défense.

A en croire notre confrère “Le Régard” Kpacha a commencé à perdre la confiance de son frère et président quand il a décidé, alors qu’il était ministre de la Défense, de débarquer les officiers les plus fidèles à Faure, en l’occurrence les colonels Kadanga et Kpelinga du commandement de leur unité respective, à l’insu du chef suprême des armées. Dans quelle intention ? Toujours est-il qu’il est parvenu à se mettre sur le dos, son propre beau frère. En effet, tôt le matin du lundi 13, au rang des personnes qui sont allées consoler le député Kpacha, se trouve évidemment Babanam Gnassingbé, la fille de Kpacha. Ce qui est étonnant, c’est que l’officier qui a conduit l’opération à la tête de son unité, les Forces d’intervention rapides (FIR) n’est autre que le mari de Babanam ! Et encore, le jour où le domaine de Kpacha a essuyé les tirs, ses enfants étaient invités chez leur tante. Simple coïncidence ? Cette question préoccupe peu les habitants de la capitale. Au départ, nombre d’entre eux croyaient que cette affaire ne regardait que les “fils” de la famille. Et même, un voisin de la demeure de Kpacha, sise dans le quartier de Kégué soutient que les habitants des environs n’ont pas paniqué pendant les échanges de tirs.

Ceux-ci croyaient que des “bandits fous avaient osé s’attaquer au bunker hyper sécurisé de l’ancien ministre de la Défense”. Puis, la peur va s’emparer des “Lomévillois” qui s’imposeront eux-même un couvre-feu à partir de 18 heures. Notre confrère, “Liberté” a rebaptisé avec humour, ce couvre feu de“couvre peur”. Aujourd’hui, le débat est de savoir quelle crédibilité accorder à l’accusation de tentative de coup d’Etat qui risque, si les faits sont averrés, d’envoyer pour longtemps l’ancien ministre de la Défense en prison.

La présentation du “corps de délit” suite à la perquisition du domicile du prévenu (arsénal de guerre saisi, ouverture de radio FM sans autorisation préalable) n’est pas parvenue à clore le débat. En plus, la famille présidentielle s’est réunie immédiatement autour de Faure, le jour de l’arrestation de Kpacha. Le commandant Toyi Gnassingbé autre demi-frère du président est également en arrestation. Le lieutenant-colonel Roch Gnassingbé, commandant du groupement blindé qui a fait des mains et des pieds pour épargner la vie de Kpacha semble garder la neutralité dans cette affaire. Mais ce serait faire preuve de naïveté que de penser que la famille, déjà divisée, ne va pas s’entredéchirer davantage.
Dans son discours à la Nation, le président du Togo dira s’être opposé à ce que “le pouvoir de la force remplace la force du pouvoir”. Apparemment, son pouvoir s’est renforcé. D’ailleurs, depuis qu’il a rattaché le ministère de la Défense à la présidence, Faure a réussi, peu à peu, à conquérir l’armée. Mais Kpacha restera son cauchemar, prisonnier ou libre.

Jérémie NION , Envoyé spécial à Lomé

Sidwaya