Alassane Drabo : L’unité artistique dans la différence
Lorsque nous l’avions découvert en novembre 2003, Alassane Drabo, sculpteur designer nous a donné l’impression d’un artiste engagé, pour ne pas dire révolté par l’actualité de son peuple et tout ce qui lui barre la voie du développement. A travers une exposition au titre sans ambages, L’Afrique sous perfusion, il avait donné un autre visage au jardin et à la Rotonde du Centre culturel français Georges Méliès (CCF-GM) du 07 au 22 novembre 2003. Sa présentation d’œuvres d’art avait plutôt l’allure d’une campagne de sensibilisation.
Il poursuivra sa lancé en réunissant ses compères à travers l’expo itinérant Gar’art, ce bus galerie que de nombreux Ouagalais ont pu apercevoir dans des lieux de la ville et même plus loin. Plus jeune que lui, Sylvo Zoungrana, passionné de dessin depuis l’école primaire et pensionnaire du Hangar 11, du côté de Kolog-naaba, avait en décembre 2007, en compagnie d’autres camarades, impressionné le public ouagalais avec sa caravane expo dénommée Vous êtes en infraction !
La sensualité expressive de ses toiles qui utilisent des corps de femmes pour dire des messages forts avait donné des indications certaines sur l’étendu d’un talent naissant. Idée regroupement toujours, Pierre Garel, professeur d’art plastique au Lycée français de Ouagadougou, qui encadre les jeunes artistes du Hangar 11, en fait son cheval de batail, afin de permettre aux savoirs divers de se frotter et de s’améliorer à travers l’échange et la promiscuité féconde et temporaire.
C’est donc en commissaire bien averti qu’il a regroupé du 27 mars au 11 avril 2009, deux sculpteurs (Drabo et Xavier Sayago), trois peintres (Sylvo, Segson, Pytha Nikiéma) autour d’une exposition originale au thème plutôt banal : BF, ici et maintenant. Les mastodontes aux dix milles pièces reliées finement de Drabo occupent le plancher de la rotonde avec majesté tandis que les hommes insectes de Sayogo disent la maîtrise du chalumeau d’un tôlier d’un autre genre qui sait rendre beau la ferraille. Côté tableaux, Silvo exprime les 3B (baise, bière, brochette) rendu célèbre par le professeur Laurent Bado, avec une sensualité savoureuse sur fond de sensibilisation. Ses toiles côtoient celles expressionnistes d’un Pytha très en verve et l’art naïf au réalisme rigolard de Segson.
Voilà la substance du regroupement de la diversité artistique de quatre plasticiens qui jettent un regard vrai sur leur société, chacun à sa manière. Une diversité qui dit ce qu’est véritablement l’art. Tantôt fleur tantôt fusil, l’expression artistique est du domaine de la liberté tout simplement. C’est pourquoi il est le lieu où s’explosent facilement des talents autodidactes. Ce que nous prouvent une fois encore ces plasticiens aux méthodes et outils différents. Au delà du regard qu’ils portent sur leur société, ils attirent les regards sur leur propre existence et expriment la place qui devrait être la leur dans leur milieu de vie.
En bousculant de la sorte les habitudes des Burkinabè face aux expressions artistiques dont ils ne sont pas forcement friands dans leur grande majorité, ces artistes jeunes et téméraires, parviendront sans nul doute à déplacer des montagnes. Annie Verger dans Encyclopédie Universalis 2004 écrivait ceci : "Le champ de la production artistique n’est pas sans contradiction ; défini comme univers de croyance, il participe de cette "alchimie sociale" qui engendre, en même temps, l’artiste et la croyance en la valeur de son œuvre. De ce fait, il tend à justifier le miracle de la création par le don révélé et nourri par la vocation." Voilà de quoi fouetter la conviction de ces Albatros (cf. le poète Baudelaire), afin qu’ils poursuivent leur envol avec courage et conviction.
Ludovic O. Kibora
L’Evénement