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Hamadou Marvin Sawadogo, manager général de Optim’arts : "Je suis né décorateur" !

Publié le lundi 7 avril 2008 à 10h59min

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Hamadou Marvin Sawadogo

Hamadou Marvin Sawadogo est le manager général de la société Optim’arts, spécialisée dans la communication et la décoration. Infographiste, peintre, décorateur, expert en communication, il est aussi sénateur de la Jeune chambre internationale (JCI). La renommée de Marvin Sawadogo est surtout due à sa maîtrise de l’art du décor des plateaux de télévision comme de spectacles. Son art lui a d’ailleurs valu un trophée à la première édition de Showbiz Awards en 2006.

Sidwaya Mag. Plus (S. M. P.) : Selon vous, qu’est-ce qu’un décorateur ?

Amadou Marvin Sawadogo (A. M. S.) : Le décorateur est d’abord un artiste. Et tout le monde est décorateur dans l’âme, parce que tout le monde aime le beau. En attestent nos beaux habillements, nos touches personnelles sur nos motos et nos voitures pour les faire remarquer. Maintenant ceux qui exercent le métier de décorateur, ajoutent l’aspect technique à l’aspect artistique. Un troisième aspect qui est la pratique utile vient s’ajouter. Aussi, il y a plusieurs types de décorateurs : il y a des décorateurs d’intérieur, de plateaux de télévision, de scènes, de cinéma, d’espace, etc.

S. M. P. : Et vous, qu’elle est votre spécialité ?

A. M. S. : Moi je fais toutes ces décorations, mais je suis spécialisé dans la décoration de plateaux de télévision, cinéma, scènes, spectacles.

S. M. P. : Depuis combien d’années exercez-vous ce métier ?

A. M. S. : Je suis né décorateur. C’est ma mère qui a décelé ce talent de décorateur en moi. Je marchais à peine que je modelais déjà l’argile pour faire des formes. Et quand j’avais du charbon dans la main, je dessinais. A partir du moment où je suis entré à l’école, la décoration était devenue une profession pour moi. Je décorais des voitures, etc. Ce qui m’a poussé à m’orienter plus tard, dans des écoles d’art et de décoration après mon BEPC (Brevet d’études du premier cycle).

S. M. P. : Quelles écoles d’art avez-vous fréquentées ?

A. M. S. : J’ai étudié à l’Institut national des arts en Côte d’Ivoire, qui est devenu INSAT aujourd’hui. Après je me suis retrouvé au Burkina Faso pendant la période révolutionnaire. J’avais de l’engouement pour les arts en général et l’art plastique en particulier. Les autorités de l’époque avaient créé une école qu’on appelait Académie populaire des arts où j’y ai passé un temps. Par la suite, je suis allé en Europe pour l’école des beaux arts. Là, j’ai fait la pratique dans de grands ateliers d’artistes. Je voudrais ajouter que l’on naît artiste. Il y a beaucoup d’artistes qui ne sont pas allés à l’école, mais qui sont de très grands. Il faut d’abord développer son talent et aller à l’école ensuite pour l’affiner.

S. M. P. : On vous connaît depuis peu sur les scènes de spectacles. D’où tenez-vous votre inspiration pour décorer des scènes qui ne répondent pas aux mêmes objectifs ?

A. M. S. : La première des choses est de situer le contexte dans lequel la situation doit évoluer. Si j’ai une scène musicale, je discute avec les promoteurs pour voir comment ils veulent s’asseoir car tout part du rêve. Parfois, je pars dans la salle qui abrite le spectacle, je vois comment elle est faite, combien de personnes elle peut contenir et je monte ma scène par rapport aux éléments en présence, pour que le tout soit en harmonie. Parce qu’on intègre un décor dans un environnement qui existe déjà. Je regarde la salle, les couleurs qui sont déjà dans la salle, le sol, les lumières, etc, puis je rentre chez moi, je me calme, j’écoute la musique et je vois comment faire la scène. Parfois, je m’inspire des formes, des dessins que je peux voir sur une chemise et les intégrer dans un décor. Sinon je peux m’inspirer des formes sur un arbre et même sur le visage de quelqu’un. Mais tout part du rêve.

S. M. P. : Le public sent-il votre décor ?

A. M. S. : Oui, parce que, lors des "Kundé" il m’est arrivé plusieurs fois de me mettre dans le public et avec les premières personnes qui entrent dans la salle, je sais si mon décor est bon ou pas. Il m’est arrivé plusieurs fois d’entendre des gens dire au téléphone : "tiens, viens parce que le décor est balaise". Aussi, je sens que le public est très capté par le décor et je fais très attention. Il est si souvent capté qu’il ne voit plus le sujet. Là je corrige l’éclairage avec le directeur photo de la télévision ou de celui qui est chargé de faire la lumière. Car le décor a pour objectif d’embellir la salle et de mettre en valeur les sujets qui vont évoluer sur la scène. Mais si techniquement, vous n’êtes pas bien aguerri, nous mettons l’accent sur le décor.

S. M. P. : Pour tel ou tel autre décor, en matière d’investissements, est-ce que vous vous mettez d’accord avec le demandeur ?

A. M. S. : Parfois, je me mets d’accord avec les demandeurs. Parce que, quand on discute et lorsque je vois ce qu’ils veulent, je m’arrange toujours pour être dans le budget. Car, les gens aiment dire ici "ce n’était pas prévu dans notre budget", alors que c’est faux. On ne peux pas organiser une grosse cérémonie et dire que le décor n’est pas prévu dans le budget. Mais j’essaie de comprendre les uns et les autres. Les gens ont envie du beau, seulement ils ne veulent pas dépenser pour l’avoir. Mais quand on veut avoir une cérémonie prestigieuse, on met les moyens pour qu’il n y ait pas de couacs. La sonorisation peut lâcher, etc., mais si la décoration est attrayante, vous avez 60% de gagné. Si vous êtes dans un bon décor, vous vous sentez bien. Il m’arrive parfois de faire des décors avec le budget qu’on me présente. Si vous me dites de faire un décor d’une telle dimension, je vous présente un budget. Mais si vous me dites que vous avez un budget déjà prédéfini, je vous fais un décor qui entre dans ce budget. Cela ne veut pas dire que le décor ne sera pas beau, mais il sera à la hauteur de votre budget. Il m’est arrivé d’aider des gens à rendre leur décor plus beau avec mon propre argent. Parce que j’ai compris qu’ils voulaient quelque chose de beau, mais n’avaient pas assez d’argent. Sinon le décor, il y en a pour toutes les bourses.

S. M. P. : Avez-vous souvenir d’un décor qui vous a marqué ?

A. M. S. : Je dirai les décors qui m’ont le plus marqué, parce que tout ce que vous concevez c’est comme vos enfants. Au fond, vous vous dites que vous préférez tel enfant par rapport à tel autre. Mais, si on vous dit qu’on va battre un, vous n’allez pas accepter. De tous mes décors, je garde en mémoire le premier décor des "Kundé". Parce que ce monsieur a appris quelque chose qui lui a permis de réaliser son rêve. Et ça fait bientôt sept ans que nous cheminons ensemble. Il y a aussi le premier décor JT (journal télévisé) de la première rentrée télévisuelle. On peut nous critiquer, on peut dire tout ce qu’on veut, mais c’est ce décor qui a permis à tous les autres JT de l’Afrique de s’améliorer. Si les gens ne le reconnaissent pas, moi je le reconnais. Il y a d’autres qui l’ont reconnu à l’étranger et qui m’ont appelé. On a tendance à diaboliser tout ce qui est "made in Burkina Faso". Mais jusqu’à présent, si vous faites le tour sur une chaîne interafricaine comme Africable, les gens reconnaissent que le décor du Burkina est très beau. Je ne vais pas me focaliser sur les critiques des gens ici. Je suis un international de nationalité burkinabè, et c’est ce que les gens pensent à l’extérieur qui compte.

S. M. P. : Faire des décorations demande assez d’imagination et de temps libre pour réfléchir. Est-ce que vous n’êtes pas occupé par autre chose ?

A. M. S. : Je ne dors presque pas. Mes journées ne sont pas de 24 h, mais de 72 heures. Parce qu’une heure pour moi compte pour quatre. Car je suis capable de faire en une heure, ce qu’on fait en quatre heures. Je suis très sollicité. Je ne fais pas deux choses à la fois. Je prends mes temps morts pour faire quelque chose. Et comme l’inspiration vient à tout moment, j’ai un crayon et du papier à mon chevet. Car je me réveille souvent pour écrire quelque chose. Même quand je suis avec mon chauffeur, j’ai toujours mon calepin au cas où je n’attends pas les commandes pour créer. Il y a des décorations que j’ai préparées et qui seront utilisées dans dix ans.

S. M. P. : Vous est-il arrivé de décorer des maisons de personnes privées ?

A. M. S. : Oui je fais des décorations d’intérieur. Quand je prends une décoration d’intérieur, nous discutons, je fais les croquis et vous fais quitter la maison. Je vous donne un temps et vous venez apprécier. Parfois, je dis au client que je le rembourserai si toutefois il n’était pas satisfait. Quand c’est pour un couple, je ne décore jamais sans écouter la femme et les enfants. Parfois on se sent mal dans son intérieur parce qu’il est mal décoré. Il nous arrive même de décorer des chambres mortuaires pour que ce ne soit pas trop triste.

S. M. P. : Vous heurtez-vous souvent à la concurrence ?

A. M. S. : Je me heurte à la concurrence, mais je précise que je suis le vétéran des décorateurs au Burkina Faso. Car quand je revenais au pays, personne ne faisait le décor d’intérieur. On nous a fait confiance au début, et les gens ont vu qu’ils pourraient avoir quelque chose dedans et s’y sont tous jetés. Mais il faut savoir faire la différence entre un décorateur professionnel et celui qui place des objets. Moi je n’ai pas peur de la concurrence parce qu’il y a 95% d’amateurs. Et parmi les cinq autres pour cent qui restent il y en a qui cherchent à se former. Ce qui est une bonne chose. Car si tu viens dans le métier pour vendre, tu ne fais pas long feu. Je suis un artiste, je suis en train d’accomplir ma mission.

S. M. P. : Rencontrez-vous souvent des échecs ou des mécontentements dans votre profession ?

A. M. S. : Les échecs sont très rares. Car je discute avec le promoteur, et le plan est apprécié avant l’exécution. Mais, il peut arriver que le promoteur soit insatisfait de certaines choses. Techniquement, ça peut être parfait. Mais esthétiquement, c’est une question de goût. Nos décors prennent en compte en plus de l’esthétique, l’aspect technique et sécurité. Il m’est arrivé une fois qu’un de mes décors s’effondre parce que je voulais suivre le promoteur. Heureusement, il n’y a pas eu de pertes en vie humaine. Maintenant, je refuse souvent des contrats quand le promoteur voulait m’imposer certaines choses.

S. M. P. : En dehors de la décoration, vous faites également la communication. Parlez-nous un peu de la communication.

A. M. S. :J’ai d’abord travaillé dans l’Agence nationale de communication du Burkina Faso autrefois appelée Direction de la publicité. C’était l’unique au Burkina Faso. Elle est devenue par la suite Zama publicité. Et lorsqu’elle a été privatisée, beaucoup d’agents sont repartis à la Fonction publique.
Les contractuels comme moi avons décidé de voler de nos propres ailes et de mettre en place une structure. C’est la raison pour laquelle j’ai ouvert une agence qui fait essentiellement la décoration et la communication.

S. M. P. : Votre mot de la fin ?

A. M. S. : Je remercie Sidwaya Mag Plus pour ce qu’il fait pour les artistes. Je demanderai à tous ceux qui veulent embrasser le métier de décorateur de bien se former. Car quand on est bien formé, on n’a peur de rien, on ne recule pas, on avance. Qu’ils acceptent de faire des compromis quand ça ne va pas et d’accepter les critiques. Aussi, il faut être optimiste car je le suis. Ce que les Burkinabè déprécient ici est très apprécié à l’étranger. Il ne faut donc pas être pessimiste.

Entretien réalisé par Ismaël BICABA
Wilfried ZOUNDI

Sidwaya

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