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UACO : Les réformes nécessaires pour tendre vers une plate-forme scientifique majeure

Publié le lundi 10 décembre 2007 à 10h31min

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Les Universités africaines de la communication de Ouagadougou (UACO) deviendraient bien une plate-forme scientifique sur les défis de la société de l’information pour peu que des innovations soient apportées. C’est ce que pensent dans les lignes qui suivent l’un des membres du comité d’organisation et de l’équipe de rapporteurs des 4es UACO, Justin K. Tionon.

La 4e édition des Universités africaines de la communication de Ouagadougou (UACO) s’est déroulée du 29 au 30 novembre 2007. Après celle de 2006 axée sur la valorisation des "savoirs locaux dans la société de l’information", la 4e édition s’est appesantie sur la problématique des subventions publiques aux entreprises de presse africaines. Cette réflexion était bien opportune à un moment où, après la période de l’euphorie, la presse africaine semble être à la croisée des chemins du point de vue de ses orientations profondes.

Le nouveau ministre en charge de la Communication a sans conteste innové cette année en désignant le doyen Edouard Ouédraogo comme président d’honneur de l’édition. Mais on l’a suivi dans sa déclinaison à l’ouverture des travaux : il a voulu associer à l’hommage au doyen, les autres pionniers de la presse dont, entre autres, le directeur général des Editions "Le Pays", pour la ténacité avec laquelle il a réussi à un moment où les réflexes résiduels de l’Etat d’exception rendaient périlleux le choix de quelque ligne éditoriale - à faire de son quotidien ce qu’il représente aujourd’hui dans le paysage médiatique burkinabè.

Le ministre n’a pas non plus oublié ses prédécesseurs et les initiateurs des UACO, en particulier le ministre Mahamoudou Ouédraogo qui, décidément, aura marqué d’une pierre indélébile son long passage à la tête de l’Information et de la Culture. Il s’illustre désormais à la postérité comme celui qui aura convaincu le mieux les Burkinabè qu’information et culture sont des facteurs déterminants du développement.

L’on a cependant noté l’absence, peut-être pour une question de calendriers, des anciens ministres de l’Information non journalistes. Nous sommes d’autant plus convaincu qu’il devrait s’agir de problèmes de calendrier que le ministre Filippe Sawadogo, à ce qu’il nous inspire d’emblée et en tant qu’homme de culture, ne peut pas s’être manifesté volontairement dans un repli corporatiste, car information et culture sont des domaines très liés, précisément riches et dynamiques de leur pluridisciplinarité et de leur synergie.

Mais la palme d’honneur est assurément revenue, et à juste titre, au doyen Edouard Ouédraogo, dont le quotidien aura survécu au terme de vicissitudes dont on ne se remet rarement que par la foi à un idéal : celui de la liberté de presse et d’opinion, en somme, celui que la pensée unique est suicidaire pour toutes les sociétés humaines.

La liberté de la presse prisonnière des idéologies du 20e siècle

Le quotidien L’Observateur l’a si bien illustré dans son histoire mouvementée, en particulier sous les régimes d’exception, au cours de laquelle il a été le seul organe privé qui a servi de cadre d’expression contradictoire des idées qui ont rythmé la vie nationale : "Pour qui sonne le glas" (sous la plume d’un certain Tinoaga), a été un de ses titres à "la une" qui avait immédiatement précédé la chute d’un des gouvernements du général Sangoulé Lamizana.

Lorsque l’on exhume de sa mémoire de tels articles, ils rappellent aux bons souvenirs la prophétie de Victor Hugo qui, supportant mal les frasques de la royauté devant la barbarie policée et les élégances hypocrites qui ont caractérisé son siècle, avait annoncé celui des lumières : "Les ombres et les obscurités qui tachent le commencement de ce siècle, font valoir les splendeurs de la fin."

On peut tout autant dire - par rapport à la liberté de la presse - du 20e. La liberté de la presse a été prisonnière des idéologies au 20e siècle, même si c’est ce siècle qui l’a consacrée. Ces idéologies en ont fait l’un des siècles les plus barbares, ayant à lui seul assumé les deux guerres les plus meurtrières de l’humanité. En effet, la fin du 20e siècle, marquée par la chute du mur de Berlin (ce que d’aucuns appellent la fin de l’histoire), a annoncé un siècle de liberté, la fin (temporaire ?) des idéologies et des totalitarismes, et consacré la liberté d’opinion et de presse dans le cadre d’un certain nombre d’instruments internationaux que les Etats démocratiques ont inséré dans leurs ordres juridiques internes.

Les appréhensions liées à la société de l’information

Mais à peine commencions-nous à savourer les délices de la liberté de la presse qu’émergent une autre idéologie et une autre dictature : celles de l’information, favorisées par la révolution technologique qui installe une telle porosité de notre environnement immédiat qu’elle représente un des défis majeurs du 21e siècle.

Si la société de l’information ancre mieux la liberté de la presse parce qu’elle rend caduques et impossibles toutes les formes de censures qui se pratiquaient sur les médias classiques, elle suscite bien des appréhensions qui eussent conduit Victor Hugo à nuancer sa prophétie optimiste, si celle-ci avait été tenue, tout au moins, pour illustrer - sur le terrain de la liberté de la presse - le passage du 20e au 21e siècle.

Certes, la société de l’information nous ouvre plusieurs opportunités. L’on pense même que si l’Afrique sait saisir toutes les potentialités que celle-ci offre, elle peut réduire le fossé de son développement par rapport au Nord.

Mais c’est sur le terrain de la culture, de la cohabitation entre les peuples que se jouent tous les enjeux de la société de l’information. En illustration, nous sommes désormais arrosés de tout, même des sons et des images qui charrient nos sensibilités culturelles.

Les phénomènes de défiance sociale comme la pornographie et la pédophilie nous sont imposés par des flux informationnels sur lesquels nous n’avons pas toujours une parade technologique, sauf à l’envisager dans le cadre d’un modus vivendi planétaire.

Nous n’avons plus une vie intime, tant le fait le plus banal de notre existence peut se retrouver sur la toile et, par conséquent, porté à la connaissance de toute l’humanité. Le ministre et ancien président du Conseil supérieur de l’information, Adama Fofana, m’avertissait déjà vers les années 1992 que "nous sommes à une fin de siècle où les hommes se refusent d’être positifs". L’approche des enjeux de la société de l’information impose précisément une osmose positive de toute l’humanité. Le président Hervé Bourges ne dit pas autre chose dans son récent ouvrage par rapport au nécessaire filtrage qu’il faut opérer dans le contenu de l’information. Mais ceci n’est possible que par l’action d’un organe supranational qui, arrimé éventuellement à l’UNESCO, pourrait prendre en charge les enjeux économiques, culturels et sociétaux de la globalisation de l’information.

Il s’agit d’éviter les uniformismes culturels, qui seraient synonyme de tarissement car, comme le tapis, le monde est beau de sa diversité culturelle. Lorsqu’on se rappelle qu’il existait entre Hutus et Tutsi les relations à parenté comme elles se pratiquent encore chez nous, on peut mesurer la menace d’un uniformisme culturel qui résulterait d’une "marchandisation" de la culture et du flot incontrôlé des flux informationnels.

Tout le monde est interpellé

Tout le monde est donc interpellé sur les cruciaux défis de l’information et de la culture au 21e siècle : les responsables politiques, les organisations internationales, les instances de régulation, la communauté scientifique et la société civile.

Certes, l’information - et non forcément le savoir - même s’il n’y a pas de savoir sans information, est désormais à la portée du plus grand nombre. Il est disponible. La seule réserve à son accessibilité, c’est d’avoir les moyens matériels et intellectuels de s’en approprier. Si ceci est désormais un acquis de l’humanité induit par la société de l’information, celle-ci pose néanmoins des problématiques qui interpellent les intellectuels et la communauté scientifique mondiale.

Le 20e siècle s’est amusé avec les incendiaires des idéologies et des totalitarismes. On sait ce qu’il en est advenu. Par les velléités d’homogénéisme et d’intolérance culturelles et civilisationnelles favorisées par la société de l’information, l’humanité est au devant d’une autre menace majeure. Qui niera en effet qu’entre le monde arabo-musulman et l’Occident (en dehors des enjeux géostratégiques liés au contrôle du pétrole), il y a aujourd’hui autre chose qu’un conflit de culture et de civilisation ? Ils n’avaient donc pas tort, ceux qui prédisaient que le 21e siècle serait marqué par des conflits sur fond d’antagonismes culturels entre les peuples.

Pour revenir aux UACO - et je pense que l’on peut y adjoindre désormais la culture sans en changer le sigle (UACCO ou UNACCO comme semble dessiner le nouveau sigle) - elles peuvent être une rencontre périodique d’échanges sur les multiples défis et enjeux de la société de l’information, avec l’appui de toute l’intelligentsia africaine et mondiale. Mais à quelles conditions ?

Les innovations à apporter aux UACO

Il nous semble qu’il faut -si ce n’est pas encore fait- élaborer et adopter les textes fondateurs des UACO pour asseoir ses bases organisationnelles et scientifiques. Ceci lui offrirait non seulement plus de visibilité au plan institutionnel, mais permettrait également d’élargir sa base scientifique.

Il faut également et, peut-être dans ce cadre, restaurer le comité scientifique. Si les UACO, par ses textes fondateurs, nourrissaient des ambitions panafricaines ou mondiales, ce comité scientifique devrait être élargi. Si elles doivent demeurer une structure nationale, le comité scientifique devrait prioritairement regrouper les nouveaux et anciens ministres ayant eu en charge l’information et / ou la culture, et, éventuellement, d’autres personnes de ressources dont la cooptation peut se révéler indispensable. Il s’agira dans tous les cas d’établir en permanence le lien entre le passé, le présent et le future.

La 3e innovation à apporter aux UACO nous semble résider dans la rédéfinition de leur périodicité. A notre avis, la tenue annuelle des UACO peut se révéler trop pesante pour l’autorité de tutelle. En revanche, si leur périodicité était de deux (2) ans, l’autorité de tutelle et le comité scientifique pourraient être efficacement mis à contribution pour organiser le plaidoyer aux plans national et international, à l’effet de mobiliser les ressources humaines et financières pour en assumer une plus grande portée et un plus grand éclat.

Quid des recommandations qui sanctionnent les travaux de chaque édition des UACO ?

Le ministre Filippe Sawadogo semble vouloir également innover en la matière, annonçant dès le discours inaugural de l’édition qu’il veillera à la mise en oeuvre des recommandations qui sanctionneront les travaux des UACO.

Même s’il n’y parvenait pas, il y aurait à sa décharge l’inclination naturelle des Africains à se réunir dans le cadre d’ateliers, de séminaires, de colloques et autres, sans jamais donner suite aux résultats auxquels ils sont parvenus. En cela, le poète sénégalais Léopold Sédar Senghor n’avait pas tort d’affirmer que l’Africain croit en "la magie du verbe". Les nouvelles orientations politiques tendent à être plus attentives au sort des recommandations et conclusions qui sanctionnent les fora organisés sur les différentes dimensions de la gouvernance nationale. Le 1er ministre a annoncé la création d’une structure de veille dans ce sens. En plus, la nouvelle architecture gouvernementale a intégré désormais un département ministériel en charge de la prospective.

Ces deux structures devraient oeuvrer en bonne intelligence et pouvoir interpeller tous les responsables sur la suite des conclusions ou recommandations qui sanctionnent les concertations qu’ils auraient initiées.

Les UACO peuvent et doivent -elles devenir, sur les enjeux de la société de l’information, une plate-forme scientifique majeure pour l’Afrique et le monde ? Oui, nous le croyons, mais à condition que s’opèrent des réformes structurelles et institutionnelles.

Chacun doit y contribuer pour que, sur ce terrain également, le Burkina Faso s’affirme comme un pays à l’avant-garde des idées novatrices.

K. Justin Tionon
Chevalier de "Ordre du mérite
Chargé de mission au Conseil supérieur de la communication,

Membre du comité d’organisation et de l’équipe des rapporteurs de la 4e édition des UACO

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