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Yarcé Boukary Pafadnam : "L’ASECNA n’est pas dans la situation d’Air Afrique"

Publié le mardi 20 novembre 2007 à 13h26min

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Yarcé Boukary Pafadnam

L’ASECNA (Agence pour la sécurité de la navigation aérienne) a du plomb dans l’aile. Le Sénégal et la Mauritanie menacent de la quitter. Pour en savoir davantage sur les tenants et les aboutissants du dossier, nous avons rencontré le représentant de l’Agence de Ouagadougou, Yarcé Boukary Pafadnam. Interview.

Yarcé Boukary Pafadnam, représentant de l’ASECNA au Burkina

"Le Pays" : Madagascar et le Sénégal menacent de quitter l’ASECNA. Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe exactement ?

Yarcé Boukary Pafadnam : Pour ce qui concerne Madagascar, des démarches spéciales ont été faites par le président du comité des ministres et probablement avec l’intervention du chef de l’Etat gabonais, vers les autorités de Madagascar, étant donné que c’est le Gabon qui assure présentement la présidence du comité des ministres des Etats réunis au sein de l’Agence.

Pour le cas du Sénégal, ce pays a seulement manifesté son intention par voie de presse. Nous n’avons pas encore reçu de support écrit relatif à cela. Il y a des actions que les uns et les autres, y compris les agents de l’ASECNA, ont entreprises, pour obliger le Sénégal à faire marche arrière. Les agents là-bas ont rencontré le directeur de cabinet du président Wade la semaine passée ; il y a également des démarches qui sont menées par des anciens directeurs du Sénégal. Sur le plan diplomatique aussi, je ne doute pas que quelque chose est en train d’être fait.

Ces velléités de retrait sont-elles liées à des questions financières ?

Pour ce qui concerne Madagascar, le président du comité des ministres, le ministre des Transports du Gabon, le président du conseil d’administration, le directeur général de l’ASECNA, se sont rendus à Madagascar. Pour ce qui est du Sénégal, nous n’avons pas encore reçu une décision écrite. Les Sénégalais eux-mêmes le savent, l’ensemble des travailleurs de l’ASECNA le savent aussi, qu’en réalité, ce n’est pas la bonne direction qui est prise par les autorités sénégalaises. La bonne direction, c’est plutôt l’intégration d’autres espaces. Conséquence, le jour où le Sénégal a manifesté, oralement, son intention de quitter l’ASECNA, les agents du Sénégal ont fermé l’aéroport de minuit jusqu’à 4 h du matin. Les syndicats du Sénégal ont demandé à rencontrer le chef de l’Etat sénégalais, et ils ont pu rencontrer son directeur de cabinet à qui ils ont expliqué de long en large ce que le Sénégal perdrait en quittant l’ASECNA. C’est la même situation qu’avec le Burkina qui, par solidarité, a concédé une partie de son espace à Niamey. Le Sénégal aussi gère les espaces d’autres Etats. Donc on ne doit pas faire un calcul arithmétique selon lequel on doit récupérer tant proportionnellement à l’espace qu’on a à gérer. C’est aussi la même situation pour Madagascar qui gère l’espace supérieur des Comores qui sont membre de l’ASECNA ; il gère une partie de l’espace français, notamment de la Réunion. Donc, en quittant l’ASECNA, il y a des espaces qu’ils vont perdre, on ne peut pas le leur laisser. La tendance, ce n’est pas de quitter un grand ensemble, pour ce qui concerne le domaine aérien. Nous, nous avons eu la chance au niveau de l’Afrique avec l’ASECNA. Les Occidentaux cherchent difficilement à regrouper leurs espaces. Le Sénégal peut aussi s’inspirer d’un autre pays qui avait quitté et qui est revenu, il s’agit de la Centrafrique. Je ne suis donc pas certain qu’il s’agisse de problèmes financiers qui ont motivé le Sénégal. Peut-être qu’on en saura davantage dans les jours à venir. Mais, techniquement, on peut prouver qu’aucun pays ne peut s’en sortir seul dans notre domaine. L’ASECNA a même aidé des pays qui ne sont pas membres de l’ASECNA, parce que nous voulons que le travail soit correct. La preuve en est qu’il y a moins d’un an, l’ASECNA a installé un équipement à Bobo et à Ouaga, permettant de communiquer, par satellite, avec Accra. Nous avons également installé des équipements à Kinshasa. Parce que les centres vers lesquels nous envoyons des avions ou qui nous envoient leurs avions ne font pas bien leur travail, l’ASECNA prend l’initiative d’installer des équipements dans ces États pour pouvoir faire correctement le travail. Ces Etats pris individuellement ne peuvent pas réaliser ces équipements. Pour ce qui concerne les ressources humaines, nous procédons des fois à des échanges d’agents, tout cela pour que le travail soit bien fait. C’est donc dire que la nécessité de regroupement est là. S’il n’y a pas de coordination, si on ne communique pas, si quelque part quelqu’un fait mal son boulot, des avions peuvent venir entrer en collision dans son territoire.

Vous avez parlé de satellite. L’ASECNA a pu s’adapter aux normes de sécurité internationales ? Qu’en est-il du radar tant souhaité ?

A l’heure actuelle, toutes nos communications passent par le satellite, en ce qui concerne notamment la coordination. Les investissements que nous faisons présentement, c’est pour nous rapprocher davantage de ce qui va se faire dans le futur.

En ce moment, il y a un plan qui a été mis en place pour équiper les centres chargés de gérer les survols en radar. Il y a déjà un radar installé à Ndjaména, il y en a un à Niamey et un à Dakar. Comme je vous l’ai dit, nous suivons les recommandations de l’OACI. Et tout ce que nous faisons aussi comme investissements, nous discutons avec l’association des transporteurs, l’IATA. On ne fait pas un investissement à la tête de l’Etat. Nous faisons les investissements selon les normes internationales. Et c’est ce qui fait que jusque-là l’ASECNA a survécu. Donc il est insensé de faire passer des problèmes d’équipement pour prétendre quitter l’ASECNA.

Au fait, quelles sont les missions auxquelles l’ASECNA est assignée ?

Nous sommes chargés d’assurer la sécurité de l’aviation : guider les avions, au décollage, sur la route et à l’arrivée ; nous leur communiquons toutes les informations nécessaires, sur les conditions météorologiques, sur les plans de vol vers les centres où il vont ; nous avons pour tâche de leur fournir les moyens de communication nécessaires.

Quand vous tenez compte de tout cela, vous comprenez que l’interdépendance est indispensable entre les pays. Regardez par exemple l’ espace que nous gérons ici, celui de Bobo et de Ouaga. Nous ne couvrons même pas l’ensemble du territoire burkinabè. Juste à l’est on s’arrête pratiquement à Koupéla, et au nord on s’arrête à Kongoussi ; tout le reste est géré par le centre de Niamey. Selon donc les dispositions qui sont prises, on aménage l’espace de sorte que les coordinations puissent être bien faites pour la sécurité de l’aviation.

Les transporteurs, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), recommandent que les gens regroupent les espaces. C’est dire qu’à long terme, il y aura peut-être pour l’Afrique seulement deux centres, ou un seul centre qui va gérer le survol. Il est important de savoir que les ressources de l’ASECNA proviennent essentiellement des survols, c’est-à-dire que sur les avions qui traversent nos espaces, 80% de nos ressources proviennent des survols. L’ASECNA a engagé des réformes pour aller dans le sens de ce que l’OACI demande. Bientôt, les espaces de l’ASECNA, pour ce qui concerne les survols, seront gérés par cinq centres. Ce qui se passe, c’est un peu à l’image de la suppression des barrières au niveau terrestre. Quand le satellite va totalement intégrer le système de gestion de la navigation, on aura donc besoin uniquement d’un centre ou deux pour gérer l’espace africain pour tout ce qui concerne les survols. Et l’ASECNA se bat pour qu’un de ses centres fasse partie de ces deux centres, ou, si c’est un seul centre, que ce soit nous qui l’ayons.

Combien de pays regroupe l’ASECNA et quel est le poids du Burkina au sein de cette structure ?

A l’heure actuelle, il y a 18 pays regroupés au sein de l’ASECNA. Il y a pratiquement les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale, à l’exception de la Guinée Conakry et de la République démocratique du Congo. A ces pays, il faut ajouter la Guinée équatoriale qui a adhéré à l’ASECNA, ainsi que les Comores dans l’Océan indien, la Guinée-Bissau. L’ASECNA au Burkina couvre les aéroports de Bobo et Ouaga. L’effectif du personnel est d’environ 300 agents. Pour l’instant, tout se passe bien ici.

On ne peut pas parler en terme de poids d’un pays au sein de l’ASECNA, puisque les systèmes sont imbriqués. Au Burkina, par exemple, il y a de nombreux étrangers qui comptent parmi les agents de l’ASECNA. En plus de cela, il y a la répartition même de l’espace. Il y a aussi les services communs ; je veux parler des écoles de formation : nous avons une école à Niamey, une à Douala, une à Dakar. Nous avons une délégation à Paris, une à Montréal, et nous avons le siège à Dakar. Comment donc parler du poids d’un pays dans ce système-là ?

Vous venez d’évoquer Paris. Justement, quel rôle la France joue-t-elle au sein de l’ASECNA ?

La France a joué un grand rôle dans la création de l’ASECNA, puisqu’on existe depuis bien avant les indépendances, depuis 1959. Du reste, si aujourd’hui certains pays parlent de bénéfices à partager, il faut savoir que dans un passé récent, il n’y avait pas quelque chose à partager. Jusqu’aux années 90, on a eu beaucoup de problèmes au niveau des finances dans certains Etats. Jusqu’à présent, il y a des Etats qui doivent à l’ASECNA, puisqu’il y avait la contribution des Etats à l’époque, pour qu’on puisse fonctionner. Il a fallu à un moment donné que la France intervienne financièrement pour suppléer à ces Etats et aussi pour qu’on fasse une petite restructuration.

Je suis content que vous posiez cette question. On peut considérer la France comme étant un protecteur dans le temps et qui arrivait à convaincre les Etats à rester dans l’agence. Peut-être qu’on peut lier les défections avec le contexte de la mondialisation, avec aussi un certain désengagement de la France. Sans oublier que nous gérons également une partie de l’espace français du côté des Comores. Et puis notre délégation qui est à Paris joue aussi un grand rôle pour ce qui concerne le recouvrement, l’acquisition des équipements, les négociations avec les partenaires, etc. Jusqu’ici la France a surtout joué un rôle fédérateur.

Donc la France s’est désengagée de l’ASECNA ?

La France est toujours membre de l’ASECNA. D’ailleurs, le président du Conseil d’administration est français ?

Est-ce que par rapport au Sénégal on peut être optimiste ?

Personnellement, je suis optimiste. On n’est pas dans la situation d’Air Afrique. Ce n’est pas du tout la même chose, parce qu’Air Afrique, c’est une compagnie qu’on peut remplacer par une autre compagnie. Le travail que les agents de l’ASECNA font, on ne le remplace pas du jour au lendemain. En terme de trafic, on sait que chaque année, le trafic augmente, les avions vont voler davantage, donc nos activités vont s’accroître. Mais, s’il y a des pays qui tiennent à quitter, il faudrait que les autres s’organisent pour continuer le travail. Je rappelle qu’il faut que le Sénégal évalue bien ce qu’il perd en quittant l’ASECNA, par rapport à ce qu’il peut gagner. Les difficultés sont plus complexes quand on quitte l’ASECNA.

Propos recueillis par Lassina SANOU

Le Pays

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