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PAREN : Le testament de Laurent Bado

Publié le vendredi 7 juillet 2006 à 09h12min

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Laurent Bado

"Pour un PAREN plus entreprenant", c’est autour de ce thème que le PAREN a tenu son deuxième congrès ordinaire. Ce congrès qui a été historique du fait que Laurent Bado, le président fondateur du parti a, selon les règles de l’alternance, cédé son fauteuil à un de ses lieutenants Oumar, Guiguemdé. Voici en intégralité, le discours-testament que Laurent Bado a prononcé devant ses "frères et soeurs" du PAREN.

"Frères et soeurs, bien chers invités, militantes et militants du PAREN.

Le deuxième congrès ordinaire de notre parti devait se tenir en novembre 2005, mais il a été par deux fois reporté en raison des élections présidentielle et municipales.

Aujourd’hui, il me plaît de souhaiter la bienvenue aux frères et sœurs venus de l’intérieur du pays pour prendre part activement à ce congrès décisif qui nous réunit autour du thème : "Pour un PAREN plus entreprenant".

Je me dois, avant tout, d’adresser les félicitations du parti à tous les nôtres qui se sont battus, comme des lions, pendant les deux campagnes passées, et souvent dans l’anonymat, pour tenter d’ouvrir les yeux, les oreilles, le cœur et la raison de leurs compatriotes majoritairement encore inaccessibles aux notions de démocratie, de parti politique et au sens des votes. A tous ces militants sincères, convaincus et combatifs, je dis : courage, confiance et fierté.

Courage, parce que le PAREN a choisi le plus dur des combats politiques, celui d’être seul contre tous au nom de l’avenir des générations futures, de la dignité de la Nation et de l’honneur de la Patrie. Seul d’abord contre la masse elle-même qui continue à se plaire et à se complaire dans la débrouillardise quotidienne, la médiocrité existentielle, la facilité et le fatalisme, masse dont il faut coûte que coûte changer la mentalité pour la transformer en un peuple de citoyens conscients et responsables, s’obligeant chacun de participer de tout son être et avec discernement à la vie de la Nation. Il doit être compris que le progrès est impossible avec un bétail électoral votant d’instinct pour le plus proche parent, pour une casquette, un pagne, un tee-shirt, pour le "yoarba" ou pour les folles promesses. Seul ensuite contre le clan du pouvoir, véritable marais grouillant d’anacondas politiques et autres piranhas voraces, habités d’un amour du peuple qui n’a d’égal que l’amour du boucher pour son veau qu’il veut plus gras pour un plus gros bénéfice et, constitués en faction où les intérêts du clan priment sur l’intérêt général, se comportant, non pas en une partie du tout national, mais plutôt en une partie contre le tout national. Seul enfin contre le clan de l’opposition, véritable atelier des basses compromissions et des plus honteuses trahisons et tanière d’ambitieux plats et narcissiques, n’ayant qu’un œil de cyclope rivé sur le pouvoir sans présenter plus de capacités morales et intellectuelles pour l’exercer et, pour tout dire, n’ayant d’autres dons particuliers que l’art de s’opposer entre eux avec une morbide délectation.

Ramasser les dés tombés de mains cleptomanes

Frères et sœurs, les militants du PAREN ont donc beaucoup à faire dans ce pays où le citoyen dort dans sa case en feu, où l’honnêteté et la vérité font scandale, où ce qui est grand et noble est moqué et rabaissé, où le triomphe des plus bêtes et des plus abjects est toujours garanti ! Assurément, le Burkina Faso, dont le passé n’est pas simple et dont le présent n’est pas indicatif, n’aura de futur qu’au conditionnel si des citoyens, comme les militants du PAREN, ne se décident pas résolument à courber l’échine pour ramasser les dés de l’Histoire du pays tombés de mains cleptomanes.

Confiance, parce que la mère Afrique est présentement dans les douleurs de l’accouchement d’une société africaine nouvelle, et le PAREN, avec sa voie originale de développement qui prend en compte la dynamique interne de la société traditionnelle, sera inévitablement la sage-femme attitrée. Un temps viendra, et il n’est pas loin, où l’Afrique d’Aoudagost, de Oualata et de l’Oursouye abandonnera dans sa mue sa peau empruntée de l’extérieur pour s’abriter sous le roc de ses valeurs de civilisation.

Fierté, parce que le PAREN n’est pas une association de mafieux cherchant ou à sortir de l’anonymat dans la massification, ou à assouvir leur soif de pouvoir, de privilèges et d’argent, ou même à jouir de la subvention de l’Etat comme d’une rente viagère d’appoint. La politique, ce sont les idées, et le PAREN est un parti d’idées, d’imagination, d’innovation et de créativité.

Ainsi :

- la campagne présidentielle lui a permis de faire connaître ici et ailleurs sa voie originale de développement tracée sur le socle de la culture négro-africaine et confirmée, mois après mois, par les évènements en cours dans le continent. En effet, l’Afrique néo-coloniale ne se laisse plus aller lentement à la dérive ; elle se précipite vers le chaos. Quel paradoxe ! Le continent le plus riche a les populations les plus déshéritées de la planète ! N’est-ce pas un délit de non- assistance à personne en danger que celui de l’intellectuel africain qui se tait ou dort comme un nourrisson quand les jeunes du continent prennent d’assaut les frontières de l’Europe à leurs risques et périls ? N’est-ce pas un crime de haute trahison que celui des hommes politiques africains, absolument courts d’idées et d’idéal, qui ne voient dans la politique qu’une courte échelle pour pouvoir vivre au sec, comme des castors, en ce temps d’inondation ? Si le PNB du continent noir vaut à peine celui de petits pays comme la Belgique ou la Hollande, si l’Africain vit avec moins de deux dollars par jour contre quarante et un pour l’Américain en 2000, bref, si l’Afrique est le conservatoire des maux de l’humanité, c’est moins la faute des Blancs que la faute des Noirs eux-mêmes.

Bravo à Nicolas Sarkozy

Et bravo à Nicolas Sarkozy qui nous a craché cette vérité au Bénin ! Le mal africain, c’est le mimétisme, rejeté d’ailleurs par Ouezzin Coulibaly ("nous revendiquons le droit de trouver par nous-mêmes les moyens propres à assurer, dans le calme, l’évolution de notre pays"), par Sangoulé Lamizana ("la Haute-Volta souffre beaucoup moins du manque de ressources naturelles que du manque d’imagination de ses fils") et par Blaise Compaoré ("l’évolution du monde actuel... nous exclut tout mimétisme dans la recherche des solutions à nos maux"). C’est en tout et pour tout la bêtise des Africains à vouloir aller au développement avec des voies et moyens empruntés du dehors contre tout bon sens : la modernité hors de la culture, c’est la mort programmée de la société africaine ! Et dire que les élites dirigeantes de ce continent, qui a donné au monde la science, la philosophie et l’art, s’entêtent à boucher l’oreille aux exhortations pressantes des sages et des savants ! Tenez ! Le pape Jean-Paul II a conseillé aux Africains de "garder leur inspiration communautaire ; de ne pas se laisser séduire par les sirènes de l’individualisme ; de ne pas imiter des modèles étrangers ; de rester eux-mêmes". Un Georges Balandier, qui a affirmé que l’Afrique refuse seulement de se plier aux théories occidentales du développement élaborées à partir d’une problématique du changement social propre aux pays du Nord, et que le mal africain, c’est la reproduction mécanique, dans les sociétés africaines, de modèles étrangers qui ne peuvent prendre en compte les dynamiques internes de ces sociétés ; un Jean Marc Ela, qui a constaté que loin de refuser le développement, l’Afrique rejette simplement le modèle occidental de développement ; un Serge Latouche, qui a soutenu que l’échec du projet de développement en Afrique n’est rien d’autre que l’échec flagrant de l’occidentalisation comme projet politique, économique et social universel, sont des grands intellectuels du Nord qui rejoignent le divin Cheick Anta Diop et disent, presque mot par mot, ce que je défends personnellement depuis trente-trois ans, à savoir que le problème du développement de l’Afrique est d’ordre culturel.

La voie de l’Afrique, c’est le grégarisme

Frères et sœurs, permettez-moi de le répéter à temps et à contre-temps : pourquoi copier simiesquement le modèle libéral avec son capitalisme privé résultant de la primauté de l’individu dans la société, quand ce modèle d’égoïsme individualiste est remis en cause dans son propre berceau, hier par les hippies, aujourd’hui par les altermondialistes et par des penseurs voyants réclamant sa réforme ? Pourquoi lorgner, comme un chien errant qui a perdu son maître, du côté du modèle socialiste, avec son capitalisme d’Etat résultant de la primauté du groupe dans la société, quand ce modèle d’égoïsme collectif, porteur de toutes les illusions amères, s’est effondré sur ses fondements idéologiques bancals dans la honte et le ridicule ? La voie de l’Afrique, ce n’est ni le libéralisme, chantre de la liberté individuelle, ni le socialisme, chantre de la solidarité, mais bel et bien le grégarisme de la tradition qui distingue la liberté et la solidarité sans les séparer, qui unit l’individu et le groupe sans les confondre. Ce grégarisme nous conduit, non pas à une économie privée, non pas à une économie étatisée, mais à une économie populaire. Et c’est encore un intellectuel occidental, Philippe Engelhard, qui clame après moi que "l’Afrique veut une économie populaire" ! Le PAREN propose de mettre en œuvre cette économie populaire en faisant de l’industrie le champ collectif traditionnel qui sera exploité au moyen de l’actionnariat populaire obligatoire. Avec cette troisième voie de développement, l’Afrique se réveillera, les Africains recouvreront leur liberté et leur dignité, et les Burkinabè sauront ce qu’une société d’espoir pour un progrès continu veut réellement dire ;

- la campagne municipale a permis au PAREN de présenter sa conception de la ville africaine et sa politique urbaine. Notre parti se prononce pour des villes pilotes de moyenne importance (50 000 habitants environ) en vue d’éviter les mégalopoles qui favorisent toutes les déviations morales et toutes les pourritures sociales. Il propose un long train de mesures visant à assainir les centres urbains, à adapter l’aménagement urbain à notre mode de vie, à assurer la paix et la sécurité, à développer les loisirs sans compromettre l’intégrité physique et morale des mineurs, etc. Je suis heureux de constater que des autorités municipales adoptent certaines de ces mesures, comme par exemple la clôture des cimetières et leur gardiennage.

Donner un second souffle au parti

Voilà les raisons d’être fier du PAREN et de se battre pour le triomphe de ses idées. Et pour se battre efficacement, il faut réorganiser le parti et lui donner un second souffle avec une nouvelle équipe dirigeante. En effet, à sa création, le parti s’était donné 5 à 6 ans pour éduquer, sensibiliser, tenter de changer la masse burkinabè, toujours mue de l’extérieur, toujours prête à suivre aujourd’hui tel drapeau partisan, et demain tel autre au gré des dons, des achats de conscience, des promesses, en un peuple de citoyens éclairés et responsabilisés. Le Manifeste du PAREN déclare expressément que "la conquête du pouvoir n’est pas sa finalité première". Pour cette tâche immense et ingrate de conscientisation du peuple, le parti était organisé en parti de masse avec beaucoup de structures qui n’ont pas échappé aux lourdeurs. A présent, il faut changer de cap. Il faut viser la conquête du pouvoir d’ Etat avec un parti plus entreprenant qui ne peut être qu’un parti de rassemblement, c’est-à-dire un parti reposant sur des organes personnalisés et formant une chaîne de commandement. Ainsi, nous aurons un chef de région commandant les chefs de province, un chef de province commandant les chefs de département, ainsi de suite, jusqu’au niveau du quartier de village ou du secteur de ville. Bien entendu, il faudra veiller au choix de ces responsables. Il ne faut plus jamais dans nos rangs des individus sans foi, ni loi, ni idéal tels que les déçus et autres aigris venus d’ailleurs pour se refaire chez nous une santé politique aux seules fins, une fois promus, de renégocier leur retour dans le parti qui les avait négligés ou méprisés ; il ne faut plus jamais dans nos rangs des loups garous qui se déguisent en agneaux pour entrer dans notre bergerie et emporter les sièges durement conquis par le parti ; il faut éviter les escrocs et autres mendiants larmoyants qui font de leur engagement enthousiaste la clé passe-partout pour ouvrir le coffre du parti. En somme, il nous faut désormais des hommes qui croient réellement en Dieu et en leurs frères humains, marqués du sceau de l’homo faber pour être au peuple burkinabè se laissant exploiter par son analphabétisme, son ignorance et sa pauvreté ce que furent les frères Gracques à la Grèce antique.

Les deux raisons du départ du Professeur

C’est à la tête de cette nouvelle organisation qu’il y a lieu de placer une équipe dirigeante nouvelle pour un souffle nouveau. J’avais accepté de diriger le parti à sa naissance pour vulgariser son projet de société, sa doctrine et son programme de gouvernement. Au premier congrès de novembre 2002, j’avais averti que je quitterai la direction du parti en 2005 pour deux raisons : la première est que 2005 sera l’année de ma mise à la retraite comme fonctionnaire, retraite que je prendrai dans mon lopin de terre pour préparer la fin de mes jours, d’où la nécessité de me faire remplacer. La deuxième est que l’alternance va de soi dans un parti d’idées ; comme dans les courses de relais, il faut savoir changer les équipes pour éviter l’épuisement fatal. Aussi, un nouveau président du PAREN et un nouveau bureau exécutif seront désignés pour conduire, sous ma tutelle vigilante, et jusqu’à nouvel ordre, la destinée particulière de ce parti de renouveau africain.

Frères et sœurs !

Je commettrais une omission coupable en ne vous présentant pas le bilan du PAREN à l’Assemblée nationale. En entrant à l’hémicycle avec quatre députés dont trois ont quitté notre bateau pour des paquebots et autres yachts de croisière, le PAREN avait dans son cartable trente-trois propositions de lois. En dix-huit mois, il en a présenté neuf, relatives au renforcement du crédit de l’Etat (autrement dit la gouvernance administrative), au statut de la chefferie coutumière (impliquer la chefferie traditionnelle dans les plans, projets, programmes de développement, la faire représenter de droit dans les instances délibérantes des collectivités, lui assurer une prise en charge minimale et, en retour, lui interdire toute affiliation partisane), au rétablissement de la vignette auto (solliciter un geste des mieux nantis pour améliorer les conditions de vie et d’études de nos étudiants), à la fréquentation des débits de boissons par les mineurs (renforcer les mesures de contrôle), au délit d’apparence (renforcer les moyens de lutte contre le banditisme économique), à l’homosexualité, la pédophilie et le mariage de personnes de même sexe (criminaliser ces perversions qui, au nom d’une conception intrinsèquement erronée de la liberté individuelle, font descendre l’homme là où plus aucun animal ne peut tomber), au nomadisme politique des élus (mettre un frein à l’ardeur des politiciens amoraux et immoraux en remplaçant les élus démissionnaires d’un parti par leur suppléant), à l’assurance pour le crédit de salaire (garantir le paiement des droits des travailleurs en cas de faillite de l’entreprise), à la concertation salariale dans la Fonction publique (amener le gouvernement et les syndicats à conclure, en vue de la paix sociale, des chartes sociales prévoyant l’évolution, à court et moyen termes, des conditions de travail et de rémunération).

Toutes ces propositions ont été balayées d’un revers de main, ce qui a condamné le parti à enterrer ses autres propositions de lois qui ne manquent pourtant pas d’intérêt national, comme par exemple, celles relatives à l’intermédiation immobilière, au crédit-bail, aux sacrilèges, au harcèlement sur le lieu de travail, au financement des partis.

Comme on le voit, aucun parti n’a égalé le PAREN en propositions de lois depuis 1960 à nos jours ! Le PAREN a par ailleurs plaidé en faveur de larges pouvoirs pour les députés, pris individuellement ou collectivement, dans le contrôle des services publics. Ne serait-ce pas la meilleure façon de mettre en œuvre la bonne gestion gouvernementale, alias la gouvernance ?

Au total, le PAREN n’a pas bénéficié de bonnes conditions pour faire valoir ses capacités à l’Assemblée. Le jour où il aura dix députés pour constituer un groupe parlementaire homogène, sa contribution à la consolidation des institutions et au renforcement de la démocratie sera riche et forte.

"Il est temps que je me taise"

Hors de l’Assemblée, le PAREN s’est employé opiniâtrement à regrouper les partis d’opposition. Ses initiatives pour une participation unifiée aux législatives de 2002, pour une coordination de l’opposition (COB), pour une union de l’opposition (OBU), ont connu l’échec. On est en droit de se demander si, en face de l’inexorable descente des Burkinabè dans les enfers de la stagnation économique et de la décomposition socio-culturelle, il ne serait pas salvateur que notre multipartisme de vitrine, par un sursaut patriotique historique de toutes les forces politiques, cède la place, pour une période donnée, à un parti unifié dont le programme commun serait exécuté par le gouvernement sous son contrôle direct, permanent et approfondi !

Frères et sœurs !

Il est temps que je me taise, moi qui ai beaucoup parlé dans ma vie, sans doute parce que j’aimais un peu trop le pays qui m’a vu naître, et dont je n’arrivais pas à supporter le classement dans le Mondial socioéconomique en ces temps de nouveaux nationalismes, d’égoïsme des Etats, de volonté de domination et de puissance des nations. En prenant ma demi-retraite politique, je reste habité par la même conviction au moment de mon engagement politique d’il y a six (6) ans : si ce peuple du "yel kabé" et du "ça ira mieux" ne prend pas ses responsabilités, le PAREN emportera dans la tombe le deuil de son suicide, en laissant à la postérité le soin de se disputer les tristes lambeaux de son destin brisé".

Je vous remercie.

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 7 juillet 2006 à 11:27 En réponse à : > PAREN : Le testament de Laurent Bado

    Monsieur Le Professeur,

    En attendant que fais-ton de la situation actuelle où des milliers de nos compatriotes se trouvent dans la situation que vous avez si bien décrite ? Ange TAMPSOBA, France.

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