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Election présidentielle : Pour un minimum électoral garanti

Publié le lundi 21 novembre 2005 à 08h48min

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Question à un tee-shirt à l’effigie de Blaise Compaoré : pour qui pouvait voter le cultivateur de Liptougou dans la Gnagna profonde, l’éleveur de Falagountou dans le Sahel ou l’ouvrier du faubourg ouagalais de Naab Puugo, qui ont arboré fièrement un habit frappé de l’image du président sortant tout au long des 21 jours qu’a duré la campagne présidentielle ?

On peut parier que, déjà content d’étoffer sa garde-robe sans que ce ne soit forcément la manifestation véritable d’un militantisme politique, l’un et les autres ont dû voter celui avec qui il se couchait le soir et se réveillait le matin. Ne serait-ce que parce qu’il connaît au moins sa tronche, à laquelle il a été soumis trois semaines durant.

Car il en va de la propagande politique comme de la publicité de marque, la violence psychologique que l’une et l’autre exercent ayant souvent les mêmes effets : amener, pour ne pas dire obliger le récepteur à consommer. Or à ce jeu du concours "ma binette partout" pour reprendre une expression du Canard enchaîné, sur 10 gadgets déversés dans nos villes et villages, au moins 8 étaient estampillés Blaise Compaoré. Impossible donc d’y échapper.

Pagnes de toutes les qualités, tee-shirts, casquettes, stylos, montres, affiches de tous les formats et même des slips pour recouvrir nos parties intimes, tout était bon dans ce matraquage publicitaire, effet le plus visible du déséquilibre des moyens qui a scellé, plus que tout autre argument, le sort de la présidentielle du 13 novembre 2005. Pour ainsi dire, la déferlante financière a précédé le raz-de- marée qu’on a vu, et à force de frappe financière égale, il n’est pas sûr que la victoire du candidat du CDP aurait été aussi écrasante pour ne pas dire étouffante.

Ce score soviétique de 80,30% est d’abord et surtout dû à cette débauche presqu’indécente de moyens dans un pays pauvre très endetté et qui sort de surcroît d’une famine au cours de laquelle on n’a pourtant pas vu ces nouveaux riches faire étalage d’une telle prodigalité. Combien de milliards de francs CFA ont-ils été mobilisés par le camp présidentiel pour ce scrutin ? 4 ? 5 ? 6 ? Bien plus ? On ne le saura sans doute jamais.

Une chose est sûre, au budget officiel de la campagne (un peu plus de 900 millions, dit-on) sont venus s’ajouter le trésor de guerre et la casquette personnelle du premier magistrat qui ne sera certainement pas le premier à mourir en cas de disette, les soutiens multiformes de présidents amis comme les Bongo Ondimba, Kadhafi, Faure Gnassingbé, etc., et l’apport des opérateurs économiques qui comptent dans ce pays et qui n’ont pas souvent d’autre choix que de pactiser avec le prince régnant. Ça peut toujours vous rapporter un gros marché et vous éviter quelques ennuis. Et que dire de la concurrence féroce que se livrent les gourous de la majorité et leur faire-valoir locaux, chacun voulant montrer au chef qu’il maîtrise son fief ? A fond la caisse donc, ou plutôt le tiroir-caisse.

Quand on revoit l’image de ces candidats, qui n’avaient pas toujours une bonne 4x4, crapahutant sur nos pistes cahoteuses en conduisant eux-mêmes parfois alors que l’autre "survolait nos réalités" comme dirait le "Chat noir du Nayala", on finit de se convaincre que le match n’était pas loyal, les douze autres prétendants ayant pris le départ de la course avec un lourd handicap. Les hommes du président auraient tort donc de pavoiser, en soutenant que ce score soviétique traduit l’adhésion des populations au programme de leur chef. C’est surtout à son porte-monnaie qu’elles adhèrent.

Il faut donc trouver une solution à cette question épineuse si on ne veut pas que le jeu électoral soit toujours faussé et vicié. Plafonner les dépenses électorales comme on l’entend souvent ? Ce serait l’idéal, mais même ceux qui font cette proposition, au-delà de la stérile polémique politicienne, ne savent pas trop comment la mettre en œuvre. Comment en effet rendre une telle idée opérationnelle et avec quels moyens de contrôle dans un pays comme celui-là alors même que les vieilles démocraties n’ont pas encore trouvé la parade -miracle ?

Ce n’est certes pas une excuse pour ne pas commencer à y réfléchir, mais la solution n’est pas donnée. En attendant, il est au moins une chose qu’on pourrait faire pour réduire le déséquilibre des moyens : porter par exemple la subvention de l’Etat aux candidats, pour ce qui est de la présidentielle, à 50 millions par tête de pipe ; un peu comme le Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), un tel Minimum Electoral Garanti (MEG) pourrait permettre à chacun de faire une campagne digne, au lieu de ces 7 modiques millions qui ne sont d’ailleurs pas débloqués à temps.

Déjà qu’on suspecte certains de faire de ce scrutin un fonds de commerce où on peut aller emprunter 5 briques au ladji du coin pour verser la caution et les lui rendre avec intérêt dès qu’on a empoigné sa part de subvention en dégageant au passage un bénéfice substantiel, porter le gombo à 50 millions pourrait davantage aiguiser les appétits et ouvrir grande la porte du deal électoral. Mais le risque vaut la peine d’être pris, car comme disaient les anciens, abusus non tollit usum.

Oui, l’abus qu’on peut faire d’une chose ne doit pas être un prétexte pour en interdire l’usage raisonné. Ce pourrait en tout cas être le prix à payer pour ne pas voir tous les candidats ahanant derrière un seul qui a mis le turbo parce qu’il peut s’offrir le luxe d’une campagne à l’américaine dans un pays arriéré comme l’est le Burkina.

Observateur Paalga

P.-S.

Voir notre dossier :
Présidentielle 2005

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