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Lutte contre la désertification et la dégradation des terres : Le périmètre bocager de Guiè, une approche aux résultats extraordinaires !

Publié le mercredi 25 août 2021 à 22h50min

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Lutte contre la désertification et la dégradation des terres :  Le périmètre bocager de Guiè, une approche aux résultats extraordinaires !

Confrontées à la dégradation des terres agricoles, les populations de Guiè, dans la commune de Dapelogo, région du Plateau central, réunies autour de l’association Zoramb Naagtaaba (AZN), expérimentent depuis une trentaine d’années, une nouvelle approche agricole qui restaure les terres dégradées, recouvre le couvert végétal et stoppe l’avancée du désert : le « bocage » sahélien. L’approche intègre aussi la sauvegarde de l’environnement dans l’agriculture en instaurant un nouveau cadre bio-écologique. Et les résultats sont sans appel. Reportage !

Des haies vives et des routes boisées à perte de vue qui s’entremêlent. Des diguettes arpentées et une végétation qui force l’admiration. Le périmètre bocager de Tankouri dans le village de Guiè est un vrai chef-d’œuvre qui attire par son charme et la magie de l’imagination humaine. Une végétation qui offre un cadre paradisiaque au milieu de ce paysage désertique. Autant de merveilles à découvrir dans ce périmètre bocager.

Des arbres utilisés comme des murs mitoyens entre les champs, des terres élevées comme des ponts pour retenir des eaux de pluie et des pare-feux créés au milieu des champs pour lutter contre les feux de brousse. Le périmètre bocager de Guiè constitue aujourd’hui une biodiversité locale qui enregistre des centaines de plantes de différentes variétés à savoir des tamariniers, des karités, des lianes, des dattiers, des raisiniers, etc.

Située à une soixantaine de kilomètres au Nord de Ouagadougou, dans la région du Plateau central, la ferme-pilote et d’expérimentation de Guiè est devenue très célèbre, tant au niveau local qu’international. Devenu un lieu d’attraction, le site draine du monde. Certains pour des découvertes, d’autres pour des voyages d’études ou de recherches. Le site enregistre en moyenne 500 à 600 visites par an.
La ferme bocagère de Guié n’attire pas que du grand monde, elle offre aussi un climat qui fait bon vivre avec de bonnes récoltes.

A l’origine, il y a Henri Girard

La ferme commence en 1989 lorsqu’un jeune français de 28 ans à l’époque, Henri Girard, originaire de la région bocagère de l’Avesnois dans le Nord-Pas-De-Calais, sac à dos sur les épaules et maigres économies en poche, rencontre les paysans de Guié. Il s’en est suivi son installation. Il explique : « Pour approfondir ma connaissance, j’avais passé une année à observer les pratiques agricoles et la progression des zones blanches gelées par la surexploitation où plus rien ne pousse. Et j’avais l’intuition qu’il fallait tester le bocage pour restaurer les terres. L’idée est de mettre en place un système qui crée un cadre favorable à la conservation durable du milieu ».

Il a eu le déclic dès l’âge de 12 ans, selon ses confessions, lorsqu’il est tombé sur un reportage sur la grande sècheresse qui frappait le Sahel en 1973 et avait créé la famine. Il avait donc décidé qu’une fois grand, il ira reverdir ce désert. Et la ferme pilote de Guié est ainsi créée !

La création de ladite ferme a été lancée concomitamment avec celle de l’association Zoramb Naagtaaba (AZN, qui signifie en langue locale mooré union des amis) soutenue par l’ONG Terre verte. Loin d’être une solution circonstancielle, Henri Girard et les paysans des onze villages réunis autour de l’AZN ont également créé un centre de formation des aménagements ruraux (CFAR) afin de former les jeunes aux techniques du bocage sahélien pour préparer la relève et vulgariser la pratique.

De terres dénudées, elles sont devenues aujourd’hui des vastes végétations à couper le souffle

« Avec le bocage, on ne perd jamais quand on cultive »

Talato Sawadogo, rencontrée très tôt en cette journée du 17 juin 2021 sur le périmètre bocager de Tankouri, avait déjà le corps bien trempé (sueur), mais semble le faire avec beaucoup de joie. La campagne agricole 2021-2022, en effet, bat son plein en ce mois de juin et elle semble déjà prometteuse au regard de la physionomie des plants et des résultats des anciennes récoltes.

Talato Sawadogo fait partie des personnes qui cultivent sur le périmètre bocager. Elle a la cinquantaine sonnée mais avec une énergie de jeunesse. L’âge semble n’avoir aucun effet sur dame Sawadogo. Elle partage avec son époux les 3/84 hectares dont ils ont bénéficié. Et c’est avec un large sourire qu’elle nous accueille dans son espace.

« Avec le wegoubri (bocage), on ne perd jamais quand on cultive. On gagne plus qu’avant, on a plus de récoltes, bien sûr, sinon on ne sera pas ici. Il y a certains mêmes qui ont des récoltes de plus de deux ans dans leur grenier ; une chose qu’on ne pouvait pas s’imaginer dans le passé », raconte-t-elle avec un air de satisfaction, répondant à la question des avantages du bocage. A l’écouter, c’est une expérimentée ; près de 20 ans de pratique. « Cela fait plus de 19 ans que je cultive sur cet espace embocagé. Et je ne peux pas gâter le nom de Dieu, c’est surtout avec ce que je gagne que je nourris mes enfants. C’est mieux qu’avant », relate-t-elle.

Pour Talato Ouédraogo, le bocage a sauvé la majorité des paysans de Guié

Restaurer et fertiliser les terres appauvries

Lancé depuis une vingtaine d’années, le périmètre bocager de Tankouri continue de faire le bonheur de la population locale. Son objectif : restaurer et fertiliser les terres appauvries pour les paysans. Selon le directeur de la ferme pilote de Guié, Seydou Kaboré, le périmètre bocager est un espace à vocation agro-sylvo-pastorale qui est aménagé et clôturé de sorte qu’on associe en même temps l’agriculture, la foresterie et l’élevage. Il s’agit en réalité d’un ensemble de techniques agroécologiques et dont les avantages ne se comptent plus.

Cultiver dans un tel espace n’était pas dans les habitudes des populations de Guié voire des Burkinabè. Et même pour cette agricultrice, Talato Sawadogo, c’était une nouvelle pratique qu’elle découvre avec l’arrivée de Henri Girard. « Personne d’entre nous ne la connaissait ici, ni avait entendu parler avant que le blanc n’arrive avec sa chose », s’est-elle rappelée, avant de se pencher sur les bienfaits de la pratique. « Cette terre que vous voyez-la, poursuit l’exploitante, n’eut été le wegoubri, si quelqu’un vous disait de venir cultiver ici, vous-mêmes, vous refuseriez. Personne ne la voulait, même gratuitement, et les parents l’avait abandonnée depuis longtemps ».

A 200 mètres d’elle se trouvait son époux. Nongrègma Sawadogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est l’un des anciens du site. Du haut de ses 70 ans révolus, Nongregma Sawadogo semble battre le record d’ancienneté des bénéficiaires. « Si on va compter, ça dépasse 23 ans que je suis ici. Aujourd’hui, on peut dire qu’on a gagné, les cultures réussissent, on pâture nos animaux comme on le veut, tout est devenu plus facile. Les arbres que nous avons plantés dans le périmètre nous nourrissent aussi. On fait de la rotation de culture et ça marche : petit mil, sorgho, maïs, haricot, tous ensemble. Depuis que le wegoubri est venu ici, nous avons été sauvés », se réjouit-il.

Vue des paysans en plein sarclage de leur champ

Une pratique générationnelle

La pratique du bocage à Guié est devenue une question de génération. Elle se transmet désormais de génération en génération et de père en fils. Pour Maurice Sawadogo, que nous avions croisé plus tard sur le périmètre bocager de Konkoos-raogo, un autre site bocager, le bocage ne doit pas être abandonné ; et même après eux les enfants doivent poursuivre l’œuvre pour le bien de leurs terres et de leur environnement.

« Car, vous-mêmes voyez, nous montre-t-il avec son doigt, grâce à cette pratique, beaucoup de nos terres ont été arrangées et les ressources naturelles sont protégées et renforcées pour les générations futures. Il y a même des arbres qu’on ne retrouvait plus et des oiseaux qui sont en train de revenir ». C’est pourquoi, persiste-t-il, tout le monde doit pratiquer le bocage au Burkina Faso et il doit être transmis à aux enfants pour ne pas qu’il disparaisse un jour.

Le bocage a été au départ testé à petite échelle avant d’être lancé à grande échelle. Aujourd’hui, Guié compte au total quatre périmètres bocagers notamment de Tankouri, Konkoos-Raogo, Kankamsin et Zemstaaba, avec des centaines de terres récupérées. Outre la province de l’Oubritenga, plusieurs autres sites bocagers ont été aménagés dans le Kourweogo, le Yatenga et le Samatenga. Et l’approche, selon les données, continue de drainer de plus en plus du monde, et aujourd’hui environ 1359 hectares de bocage ont été aménagés au Burkina pour 471 familles bénéficiaires.

Pour le directeur de la ferme pilote de Guié, Seydou Kaboré, « le périmètre bocager permet d’associer à la fois l’agriculture, la foresterie et l’élevage »

L’appel à la mobilisation des politiques

L’aménagement d’un site bocager nécessite la mise à contribution de plusieurs techniques combinées. Et de l’avis du directeur de la ferme pilote de Guié, Seydou Kaboré, d’abord il y a des haies vives composées d’arbres et de grillages qui protègent le site contre la divagation des animaux et qui servent également à délimiter les différentes parcelles.

« Elles permettent en outre de retenir l’eau grâce aux digues afin de lutter contre la sècheresse et de limiter l’érosion des terres tout en créant le retour d’une végétation qui s’adapte aux changements climatiques. Ce qui crée également des corridors biologiques et tout le soin apporté aux sols contribue d’office à améliorer les rendements », détaille-t-il.

Ces techniques sont également accompagnées d’autres techniques comme le zaï. Pour Seydou Kaboré, il s’agit de creuser un trou pour retenir l’eau dès les premières pluies avant d’y déposer du compost et de la terre dans lequel on sème la graine. Et cela permet d’enrichir le sol et de multiplier les rendements et rend les cultures moins sensibles aux aléas climatiques, etc.

Dans l’une de ses interviews, l’ancien directeur de la ferme pilote de Guié, Henri Girard, expliquait que le concept mis au point est une compilation de ses connaissances du bocage en France et des savoir-faire apportés par les paysans locaux.

Henri Girard, président de l’ONG Terre verte et cofondateur de la ferme pilote de Guié

Selon les témoignages des bénéficiaires, la pratique du bocage est une technique pertinente pour la restauration des terres dégradées, le retour de la biodiversité et la lutte contre l’avancée du désert. Et les résultats sont sans appel, mais comme toujours, le manque de moyens empêche beaucoup de paysans d’en bénéficier du fait du coût de l’aménagement. Pour un hectare de périmètre bocager, le coût varie entre 400 000 et 600 000 FCFA, en fonction de la taille du site. Une somme qui, pour Seydou Kaboré, n’est pas négligeable pour un paysan dont 90% de ses revenus viennent uniquement de son champ.

Son cri de cœur, c’est un appel qu’il lance aux autorités politiques afin qu’elles puissent apporter leur soutien à l’AZN pour que beaucoup de terres puissent être récupérées pour le bien-être des paysans. « Depuis plus de 30 ans, l’association se débrouille avec ses maigres ressources pour aménager à son rythme les sites au profit des paysans, sinon, du côté politique, nous ne bénéficions pas de suffisamment d’appui pour aménager le maximum de terres dégradées », regrette-t-il.

Yvette Zongo
Lefaso.net

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